II- La venue au premier plan universitaire (milieu des années 1220 ?- 1231)

Les premiers sermons datables d’Eudes de Châteauroux prennent natuellement place dans un contexte universitaire. Il a peut-être prêché dès 1217 86 , puisque le sermon 87 sur le thème biblique « Fuit ergo ibi cum Domino quadraginta dies » (Ex. 34, 28) est rubriqué dans les manuscrits: « Dominica quarta in media quadragesima in festo sancti Gregorii »; or le quatrième dimanche du Carême et la fête de saint Grégoire (12 mars) ne coïncident que deux fois au XIIIe siècle, en 1217 et 1228; les autres textes datables de cette période (la fin des années vingt du siècle) poussent sans preuves à préférer 1228. Le sermon contres le hérétiques albigeois 88 nous situe très probablement en 1226 et le statut de l’orateur, bachelier ou maître, n’est pas connu 89 . Eudes de Châteauroux sort définitivement de l’ombre le 18 mars 1229: il a prononcé à cette date, devant le peuple de Paris, un sermon dont A. Callebaut a démontré , il y a longtemps déjà, l’importance historique 90 . C’est le premier document sûr où il apparaît avec le titre de maître 91 . Face à la royauté, à l’évêque de Paris, au légat pontifical Romano Bonaventura, cardinal de saint-Ange 92 ,et à l’opinion publique, il prenait le parti des étudiants qui réclamaient justice de la répression sauvage et aveugle menée par la police parisienne, en conséquence d’incidents survenus durant le carnaval précédent, le 27 février, entre des étudiants et des bourgeois dans le bourg de Saint-Marcel. C’est au pape que l’orateur demandait implicitement son arbitrage, car l’ensemble des autorités, tant ecclésiastiques que laïques, avaient dans un premier temps pris parti contre les étudiants. Les maîtres, comme un privilège royal les y autorisait, suspendirent leurs lectures et annoncèrent la dispersion de l’université pour la mi-mai dans un ultimatum du 27 mars, si justice continuait d’être refusée à l’université. Ni le sermon d’Eudes de Châteauroux, antérieur de quelques jours, ni la grève des cours, ni l’ultimatum n’ayant obtenu l’effet escompté, les maîtres mirent leur menace à exécution en dispersant l’université, tandis que les parties adverses s’engageaient dans une longue bataille pour faire valoir leurs droits auprès de la cour romaine. Le pape répondit d’abord par sa bulle du 23 novembre 1229 93 , où il réprimandait avec virulence l’évêque Guillaume d’Auvergne pour n’avoir pas su s’interposer dans la dispute entre l’université et la royauté ni préserver le compromis antérieurement existant. Par le ton, cette bulle fait très nettement écho au discours du maître régent. Ferme sur les principes, elle ne devait déboucher sur le fond que près de deux années plus tard, lorsque le pape Grégoire IX donna raison aux maîtres et aux étudiants par l’octroi en avril 1231 de la bulle « Parens scientiarum » à l’université, texte que les historiens ont appelé à la suite du Père Denifle la « grande charte » de l’institution 94 ; c’était la consécration d’une victoire et l’appui confirmé du pontife romain 95 .

Notes
86.

A. Callebaut, Le sermon historique... art. cit., p. 82.

87.

RLSn° 215.

88.

RLSn° 863.

89.

Cf. supra note 38 sur ce sermon. Selon P. Glorieux, L’enseignement... art. cit., p. 96, les bacheliers bibliques (cursores ) étaient peut-être tenus de prêcher dès les deux premières années du cycle de théologie où ils lisaient la Bible; toutefois, le texte normatif de référence cité appartient à la série B des statuts, de la fin du XIVe siècle, Ibidem, p. 81; selon les statuts de la même série, le bachelier sententiaire (les quatre années de lecture des Sentences du Lombard, suivant le cours de Bible et précédant l’octroi de la licence d’enseignement) doit prêcher au moins une fois l’an, Ibidemp. 80, 98, 149,.

90.

A. Callebaut, Le sermon historique... cit., p. 101s. pour les événements, d’après M. Paris, Chronica majora, éd. H. R. Luard, t. III, p. 167, qui se révèle la meilleure source. Voir aussi H. Rashdall, The Universities of Europe in the Middle Ages, t. I, Oxford, 19362 (éd. augmentée par F. M. Powicke et A. B. Emden), p. 336s.

91.

Cf. A. Paravicini Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 201 note 4.

92.

Cf. A. Paravicini Bagliani, Cardinali... op. cit., p.15.

93.

Cf. CUP, n° 69, p. 125-127.

94.

CUPn° 79, p. 136-139; cf. H. Denifle, Die Entstehung der Universitäten des Mittelalters bis 1400, Berlin, 1885.

95.

Sur la portée de ce statut, P. R. McKeon, The Status of the University of Paris as « Parens scientiarum », dans Speculum, t. XXXIX (1964), p. 651-675.