d) Le sermon sur les Mongols (1241)

Le premier au plan chronologique est rubriqué: « Sermo in concilio pro negotio Tartarorum » 325 , et peut être daté entre fin août et fin octobre 1241. L’assemblée de prélats français à laquelle s’adresse l’orateur est réunie, comme l’indique la rubrique, pour envisager les mesures à prendre face à l’invasion mongole de 1241, répondant ainsi aux voeux du pontife romain, perplexe davant ce nouveau fléau 326 . Il est possible que le roi et d’autres laïcs aient entendu ce discours, puisque la lettre du pape a été envoyée à tous, ecclésiastiques comme dirigeants politiques. Le sermon confirme donc ce que certains historiens ont mis en doute: le pape Grégoire IX a réellement cherché à organiser la défense de l’Occident latin contre les Tartares, lorsqu’il apprit, sans doute vers la mi-juin 1241, l’ampleur de l’irruption mongole en Europe de l’est et centrale et la défaite polonaise de Liegnitz, du 9 avril 1241 327 . Sur cette réaction du pape, on ne possédait jusqu’ici, à ma connaissance, que des sources relatives aux princes d’Europe centrale: la lettre du pape à Béla IV, roi de Hongrie, du 16 juin 1241 328 ; les documents liés à la croisade organisée par le fils de Frédéric II, Conrad, qui gouverne l’Allemagne pour son père 329 ; enfin les manifestes de Frédéric II lui-même, où il tentait de se poser en sauveur de l’Occident 330 , pour faire pièce, toute sincérité mise à part, à la propagande du pape; cette dernière nourissait en effet les rumeurs selon lesquelles Frédéric, depuis longtemps « diabolisé » par Grégoire IX, pourrait être l’instigateur de cette invasion 331 . Le sermon d’Eudes de Châteauroux prouve que le pape, si dépourvu de moyens fût-il 332 , ou si désireux de profiter de la situation pour affaiblir son vieil ennemi qu’il avait à nouveau excommunié en mars 1239 333 , au choix, n’en tâcha pas moins d’appeler à l’aide les princes d’Occident. On ne peut affirmer qu’il s’agisse, de la part du pape, d’après ce texte et les autres sources connues, réellement d’une croisade: le texte n’utilise pas ces mots, seulement celui de negotium , il est vrai très connoté dans ce cadre; il fait aussi allusion aux subsides nécessaires pour une telle entreprise; enfin, les conseils des prélats et des princes, une fois mûrement réfléchis, devront être communiqués au pape par des messagers 334 . Le problème, c’est que Grégoire IX devait mourir, le 22 août 1241, avant d’avoir pu profiter de ces sages conseils 335 . L’orateur convie donc les présents à rentrer chez eux et à réfléchir à la question dans l’attente de l’élection d’un nouveau pape, ce qui se réalise en la personne de Célestin IV, le 25 octobre 1241 336 .

En-dehors de ces renseignements factuels, trois éléments me paraissent importants. L’un, qui se profilait déjà dans le sermon de 1229, confirme l’aptitude d’Eudes de Châteauroux à adapter le genre plastique que constitue le sermon à l’actualité. Il a ici, dans ce but, utilisé pour thème une citation de l’Ecclésiastique, qu’il interprète selon un plan très simple, non explicité dans son introduction. Il oppose les mauvais conseillers que suscite la fragilité de la chair et son excitation, et que figurent les « jeunes conseillers » de Roboam et Architophel, aux bons conseillers, des « hommes, les saints surtout, qui ont Dieu devant les yeux » 337 . Ce contraste longuement commenté, l’orateur en vient au sujet précis de l’assemblée 338 . Avec la description des Tartares qui suit, intervient le second point majeur d’intérêt du sermon:

‘« Il semble en effet que, du fait des péchés du peuple chrétien, Dieu veuille accomplir ces jours-ci un fait tel que les deux oreilles en tinteront à quiconque l’apprendra,ainsi que le dit le Seigneur à Samuel, premier livre des Rois, chapitre 3. De fait, il semble que s’accomplit ces jours-ci le propos prophétique [qu’on lit] au début de Joël: Un peuple est monté contre mon pays, puissant et innombrable; ses dents sont dents de lion, il a des crocs de lionne. Ce peuple, ce sont les Tartares, qui montent des confins de la terre pour envahir l’univers entier. C’est un vent de tempête qui vient du nord, un gros nuage, un feu jaillissant, un peuple puissant auquel aucun autre n’a pu jusqu’ici résister; on peut en dire ce le Seigneur a dit du Diable, Job 41: Sur terre, il n’est aucune puissance qui puisse lui être comparée. Si ce peuple était peu nombreux, on pourrait trouver une solution: faute de pouvoir lui résister par la force, on pourrait l’emporter par le nombre. Mais ce peuple est innombrable, au point que si dix, vingt ou même cinquante mille d’entre eux étaient occis, leur nombre n’en paraîtrait pas diminué. C’est à juste titre que le prophète les compare à la mer: elle ne paraît pas diminuer, quoique les fleuves en sortent et que ses eaux s’élèvent pour former des nuages. Les dentsde ce peuple sont dents de lion et ses crocs ceux d’une lionne, car ils sont audacieux et cruels, n’épargnant ni sexe ni âge. Voici le danger: ils arrivent subitement, bien qu’ils paraissent lointains. C’est d’eux dont semble parler Jérémie, 3: Voici qu’il s’avance comme les nuées, ses chars sont comme l’ouragan, ses chevaux vont plus vite que des aigles. On ne peut s’opposer aux nuages ni à la tempête, et l’oiseau ne peut échapper à la vélocité de l’aigle. C’est là que se révèle le péril représenté par l’arrivée menaçante des Tartares; et c’est pourquoi cette affaire est réellement délicate. Elle est également profonde, au point que nul n’en peut trouver le fond, ni ne sait avec certitude trouver le conseil permettant de le traverser ou le franchir... Ce fléau, il a bien pour origine le jugement de Dieu. Cette affaire est aussi immense, et semble impliquer le monde entier; elle pèse au point d’être insupportable; c’est pourquoi le conseil et la prévoyance sont nécessaires pour lui résister » 339 . ’

Cette description, relevant davantage du phantasme et des rumeurs catastrophistes que d’une connaissance réelle du peuple mongol, est totalement consonnante avec les relations de ce type, telles qu’on les lit par exemple chez Matthieu Paris; le roi Louis IX, sur la base de rumeurs de même teneur, a fait une lecture apocalyptique de l’irruption de ce peuple 340 ; on sait en effet combien, avant que les premiers voyageurs occidentaux n’aient rapporté de leurs périples chez les Mongols, sinon un portrait plus amène, du moins des explications plus rationnelles de leurs comportements, une exégèse apocalyptique, interprétant en particulier ce peuple comme celui de Gog et Magog qu’Alexandre le Grand avait autrefois enfermé derrière des montagnes au-delà de la mer Caspienne, a fait son miel de ce type de descriptions 341 . De ce point de vue, si le thème des peuples de Gog et Magog n’apparaît pas ici, cela alors qu’Eudes de Châteauroux connait bien la tradition médiévale de l’histoire d’Alexandre de Grand, dont il fait un fréquent usage en termes d’exempla 342 , les clefs de lecture proposées sont toutes prophétiques et fondées sur l’exégèse typologique et figurative 343 . Les Mongols deviendront bientôt plus familiers à notre orateur. Je relève ici l’accentuation, favorisée par les circonstances, d’une tendance exégétique déjà vue: l’application au temps présent de prophéties, qui repose sur le socle fondamental de l’exégèse spirituelle de la Bible, à savoir l’annonce voilée dans l’Ancien Testament des accomplissements du Nouveau, et au-delà de l’histoire en cours, laquelle déroule la phase nouvelle que l’Incarnation a inaugurée.

Troisième fait majeur, l’importance que prend dans ce sermon la fonction pontificale, cela pour la première fois dans les sermons de début de carrière que j’ai pu dater ou circonscrire chronologiquement. Les modalités organicistes que revêt la description de cette institution ne sont pas pour surprendre 344 , mais introduisent à un univers mental que nous verrons se structurer une fois Eudes de Châteauroux devenu cardinal, donc membre du corps collectif qui assiste le pape dans la direction de l’Eglise universelle.

Notes
325.

RLS n° 844 (mss d’Arras, Bibl. mun. 876, f. 60vb-62va; d’Orléans, Bibl. mun. 203, f. 272vb-274va, sur le thème biblique: « Ecclesiastico xxxvii°: Ante omnem actum consilium stabile, supple: debet precedere, ut per consilium stabile et firmatum actus qui ex illo consilio abicitur stabilis sit et firmatus » [Eccli. 37, 20]; je cite d’après le ms. d’Orléans).

326.

L’orateur écrit (ms. d’Orléans, f. 274rb): « Ideo ecclesia romana et summus pontifex quem Deus dedit speculatorem domui Israel (Ez. 3, 17), id est Ecclesie catholice, videns hunc gladium [le fléau mongol] venientem, denuntiauit regibus et principibus prelatis et toti populo Christiano, ut se preparent et accingant ad resistendum, ne sanguis eorum de manibus eius requiratur, sicut dictum est Ezech. (cf. Ez. 3, 18; 3, 20; 33, 8), et ut mala preuisa siue iacula minus ledant »; et un peu plus loin: « Et quia tantum est negotium istud et tam generale, ideo videns dominus noster summus pontifex quod negotium istud indigebat generali consilio et subsidio, scripsit ut superius dictum est regibus, principibus et prelatis, ut tanto negotio prouida deliberatione prouiderent, et sicut bonus medicus volens causam morbi prescindere, in principio littere sue exhortatus est eos ad penitentiam ut peccata sua plangerent et sic plangendo Dominum sibi redderent placabilem ». Le meilleur récit des événements demeure G. Strakosch-Grassmann, Der Einfall des Mongolen in Mitteleuropa in dem Jahren 1241 und 1242, Innsbruck, 1893; voir aussi J. J. Saunders, The History of the Mongol Conquests, Londres, 1971, ici p. 83 s.; et pour le regard porté par les Occidentaux sur ce peuple nouveau, G. A. Bezzola, Die Mongolen in abendländischer Sicht (1220-1270). Ein Beitrag zur Frage der Völkerbegegnungen, Berne-Munich, 1974, spécialement p. 66 s. pour l’invasion de l’Europe orientale et centrale en 1241.

327.

Voir en dernier lieu la mise au point de P. Jackson, The Crusade against the Mongols (1241) , dans JEH, t. XLII/1 (1991), p. 1-18; il évoque les doutes des historiens p. 5, et les réfute p. 10-11; voir p. 3 sur le rôle du principal informateur pontifical en Allemagne et sur la défaite de Liegnitz, p. 5 sur la réception des nouvelles à la cour romaine. Pour une mise en pespective au sein de l’affrontement politique pape-empereur, cf. E. Kantorowicz, Kaiser Friedrich der Zweite , Düsseldorf-Munich, 1927, que le citerai dans sa traduction française, L’empereur Frédéric II, Paris, 1987, p. 499.

328.

Cf. P. Jackson, The Crusade... art. cit., p. 5. Béla IV, à la fin des années 1250, gardait un souvenir amer du peu de cas que, selon lui, Grégoire IX avait fait de ses appels à l’aide; Alexandre IV, dans une lettre au roi du 19 janvier 1259 (voir G. Strakosch-Grassmann, Der Einfall... op. cit., p. 112), le reconnait en rappelant ces appels vains de 1241 et 1242 (texte de la lettre dans A. Theiner, Vetera monumenta historica Hungariam sacram illustrantia..., Rome, 1859, t. I, p. 239-241, n° 454: « Licet olim regno tuo seua Tartarorum rabie lacessito, ut populi reliquie salue forent, a... G(regorio) papa... contra eosdem Tartaros per venerabilem fratrem nostrum S(tephanum) tunc Waciensem, nunc Penestrinum episcopum, auxilium postularis, idem [c’est à dire Grégoire IX] quasi tue et patrum tuorum clare deuotionis oblitus stragi populi tui etiam verbo compati noluit, nedum facto...); en 1259, Béla IV craignait une nouvelle invasion mongole.

329.

P. Jackson, The Crusade... art. cit., p. 6-7 et p. 9; voir aussi E. Kantorowicz, L’empereur... op. cit., p. 499, et G. Strakosch-Grassmann, Der Einfall... op. cit., p. 129-139, sur cette croisade allemande contre les Tartares (mars-septembre 1241).

330.

Cf. P. Jackson, The Crusade... art. cit., p. 13 et note 61; E. Kantorowicz, L’empereur... op. cit., p. 499-500.

331.

Cf. P. Jackson, The Crusade... art. cit., p. 10-13; E. Kantorowicz, L’empereur... op. cit., p. 500; G. Strakosch-Grassmann, Der Einfall... op. cit., p. 115, sur les rumeurs que fait courir la propagande pontificale (Albert de Beham) contre Frédéric II: il aurait incité les Mongols à envahir l’Occident pour servir ses propres desseins.

332.

Cf. P. Jackson, The Crusade... art. cit., p. 11.

333.

E. Kantorowicz, L’empereur... op. cit., p. 501; le sermon fait une très brève allusion à ce combat, en évoquant (f. 274va) les dissenssions à l’intérieur du monde chrétien: « Et quia discordie inter Christianos parant viam Tartaris, quia fluuius in plures partes diuisus facilius transmeatur, sicut tangit Ysayas (cf. Is. 19, 5; 33, 21), ideo etiam eos per easdem litteras ad concordiam inuitauit. Et quia pugna unanimiter aggressa victoriam parit, ideo inuitauit eos ut omnes uno spiritu hoc negotium assumerent contra Tartaros ».

334.

F. 274va: « Et quia tantum negotium sine profusis expensis actitari non potest, ideo precepit ut per contributionem congregaretur pecunia in huismodi negotio. Mandauit etiam et quedam alia que in ipsa littera plenius continentur. Mandauit etiam dominus papa ut deliberationem et consilium suum per certos nuntios mitterent, ut auditis consiliis eorum ipse et fratres sui, quod esset expediens tanto negotio ordinaret, et ad hoc conuenistis ».

335.

Cf. A. Franchi, Il conclave di Viterbo (1268-1271) e le sue origini. Saggio con documenti inediti, Assise, 1993, p. 25; E. Jordan, L’Allemagne et l’Italie aux XII e et XIII e siècles, Paris, 1939, p. 265.

336.

Cf. A. Franchi, Il conclave... op. cit., p. 25 pour la date de l’élection; le sermon évoque la vacance en cours du siège pontifical au f. 274va: « Sed quia sicut Domino placuit dominus papa de medio est subtractus, et adhuc non prouidit sue Ecclesie de pastore, qui cum consilio vestro possit tanto negotio prouidere, vos autem ad propria remeabitis et statum negotii denuntiabitis hiis qui miserunt vos. Et nos rogamus eos ut ipsi tractatum habeant diligentem, ut postquam Dominus prouiderit Ecclesie de pastore, ipsi possint apponere super tanto negotio consilium salutare ad honorem Dei et ad utilitatem totius populi Christiani, prestante Domino nostro Ihesu Christo qui viuit in secula seculorum Amen ». Je propose de dater avant fin octobre 1241 ce sermon, le temps que la nouvelle de l’élection de Célestin IV soit parvenue en France; mais il faut peut-être repousser cette date, puisque le nouvel élu n’eut pas même le temps d’être consacré, et meurt quelques jours plus tard, le 10 novembre 1241: on ne peut savoir à laquelle des deux vacances du siège apostolique Eudes de Châteauroux fait allusion.

337.

Pour les bons conseillers, f. 272vb: « Ex cogitationibus vero confirmatis et stabilitis per sapientium et discretorum consilia et maxime virorum sanctorum habentium Deum pre oculis, honorem Dei zelantium et desiderantium fidei christiane exaltationem, procedit quasi ex radice et ascendit quasi ex fundamento actus omnis, id est perfectus, qui dissipari non potest descensu pluuie, concursu fluminum, flatu ventorum, id est diuersitate obuiantium et impedientium »; pour les mauvais conseillers, f. 273va-vb: « Legimus etiam iii° R. xii° iuuenes consilium dedisse Roboam filio Salomonis, cum filii Israel locuti fuissent ad eum dicentes: Pater tuus durissimum iugum nobis imposuit, tu itaque imminue paululum (3. Rg. 12, 4), et consuluerunt ei iuuenes: sic loquere populo huic qui locuti sunt ad te: minimus digitus meus grossior est dorso patris mei et nunc pater meus posuit super uos iugum graue; ego autem addam super iugum vestrum; pater meus cecidit vos flagellis; ego autem cedam vos scorpionibus ( 3. Rg. 12, 10-11). Hoc est consilium sapientium mundi qui consulunt querere, comoda multiplicare, diuicias spoliare, exactiones facere, vindicare se. Sed in consilium talium non debet venire anima nostra. Legimus Achitophel consuluisse Absalon, ii° R. xvii°. Dedit enim ei consilium quomodo percusso patre posset regnum obtinere (cf. 2. Rg. 17, 1-3). Et dicitur ibi quod consilium Achitophel, quod dabat in diebus illis, quasi si quis consuleret Dominum (cf. 2. Rg. 17, 14). Achitophel interpretatur fratris mei ruina. Hii sunt maligni homines qui deiectionem aliorum consulunt, et procurant ut alii promoueantur, et consilium talium quasi consilium Dei, immo consilio Dei preponitur et antefertur. Talia consilia declinare debemus ».

338.

F. 273vb: « Si aliquis actus unquam indiguit consilio stabili et discreto, maxime actus iste vel negotium, pro quo vocati estis. Et hoc negotium potest dici omnis actus, quia omni consilio quo indiget aliquis actus, siue aliquod negotium, indiget istud, propter periculum quod affert secum, propter profunditatem, propter suam immensitatem et grauitatem ».

339.

F. 273vb-274rb: « Videtur enim quod peccatis exigentibus populi Christiani, vult Deus facere in diebus nostris tale quid quod quicumque audierit tynnient ambe aures eius, sicut dixit Dominus ad Samuelem i° R. iii° (1. Rg. 3, 11). Videtur enim adimpleri diebus hiis illud propheticum Iohelis in principio: Gens enim ascendit super terram meam fortis et innumerabilis, dentes eius ut dentes leonis et molares eius ut catuli leonis (Joel 1, 6). Hec est gens Tartarorum, que a finibus terre ascendit, id est super uniuersum mundum. Hoc est ventus turbinis veniens ab aquilone et nubes magna et ignis inuoluens (Ez. 1, 4), gens fortis cui nulla gens adhuc resistere potuit, ut de ea possit dici quod Dominus dixit de diabolo, Iob xli°: Non est potestas super terram que ei comparari valeat(Job 41, 25). Gens ista, si pauca esset, posset aliquod remedium inueniri, ut qui fortitudine ei resistere non valerent, possent saltem multitudine preualere. Sed hec gens est innumerabilis, adeo ut si decem vel viginti milia vel etiam quinquaginta de eis interficiantur, non videtur eorum numerus imminutus. Unde recte mari a propheta comparatur, quod minui non videtur, licet flumina egrediantur ab eo, et licet aque eius eleuentur in nubibus. Dentes huius gentis ut dentes leonis et molares eius ut catuli leonis, quia audaces sunt et crudeles, nec sexui nec conditioni parcentes. Ecce periculum. Subito etiam veniunt, licet elongasse videantur. Unde de eis dicere videtur Ier. iiii°: Ecce quasi nubes ascendit et quasi tempestas currus eius, velociores aquilis equi eius (Jer. 4, 13). Nubes impediri non possunt nec cursus tempestatis impediri potest nec velocitatem aquile potest auis effugere. In hoc ergo apparet periculum quod iminet ex aduentu Tartarorum, et ideo vere hoc negocium periculosum est. Est etiam et profundum, ut fundum eius nullus valeat inuenire, nec sciat certitudinaliter apponere consilium quomodo possit pertransiri vel transuadari, sicut dicitur in Ezechiele ultimo de fluuio exeunte a templo. Hec enim plaga a Dei iuditio ortum habet. Hoc negotium etiam immensum est. Videtur enim totum mundum inuoluere et graue est ut portari non possit. Et ideo consilium et prouidentia necessaria sunt ad resistendum huic ».

340.

Cf. J. Le Goff, Saint Louis... op. cit., p. 148-149.

341.

Cf. D. Bigalli, I Tartari e l’Apocalisse. Ricerche sull’escatologia in Adamo Marsh e Ruggero BaconeFlorence, 1971 (Pubicazioni... del Consiglio Nazionale delle ricerche). Voir en particulier les p. 14-17, sur les premières identifications des exégètes entre les Tartares et différents peuples de la Bible: Ismaëlites (Gn. 16, 3 s.); Madianites (Jg. 6, 1-7 et Gn. 25, 2); sur les prophéties arrivées en Occident par l’intermédiaire de moines arméniens (la prophétie du pseudo-Méthode, fondée sur les quatre empires de Dn. 7; le texte latin de cette prophétie est édité par E. Sackur, Sibyllinische Texte und Forschungen, Halle, 1898, p. 59-96). Voir p. 23-24 sur la littérature contemporaine (lettres, chroniques, etc.) relative aux Mongols. Voir aussi, pour la figure d’Alexandre le Grand dans ce contexte, G. Cary, The Medieval Alexander, Cambridge, 1956, p. 130 s.

342.

Voir de nombreux exemples ci-dessous, entre autres le RLSn° 872. La légende d’Alexandre est beaucoup passée par l’intermédiaire des Gesta romanorumet sa version française, Li fet des Romains (éd. L.-F. Flutre et K. Sneyders de Vogel, Paris-Groningue, 1937-1938; Slatkine Reprints, Genève, 1977), écrite vers 1213-1214; cf. G. Cary, The Medieval... op. cit., p. 143 s., et l’éd. cit. des Faits des Romains, index, s. v. « Alissandre », t. II, p. 226.

343.

Je suggère une source possible pour la description d’Eudes de Châteauroux, la lettre qu’un évêque hongrois aurait envoyée à l’évêque de Paris Guillaume d’Auvergne, citée par M. Paris dans ses Additamenta , éd. cit. H. R. Luard, t. VI, p. 75-76; je demeure toutefois réservé, car la lettre de l’évêque hongrois assimile clairement les Mongols aux peuples de Gog et Magog enfermés par Alexandre, ainsi qu’aux tribus d’Israel perdues: « Quesiui ubi esset terra eorum, et dixerunt quod esset ultra quosdam montes, et sedet iuxta flumen quod vocatur Egog; et credo quod ille populus sit Gog et Magog » (M. Paris, loc. cit. p. 75); « Quesiui qui essent illi qui docent eos literas; dixerunt quod essent homines pallidi, qui multum ieiunant, vestes longas portant, et nullos offendunt; et quia multas circumstantias dixerunt de hominibus illis, que concordant cum superstitionibus Phariseorum et Saduceorum, credo illos esse Saduceos vel Phariseos » (Ibidem ).

344.

F. 274rb: « Summus enim pontifex caput est totius populi Christiani. Caput videt, audit, olfacit et gustat pro omnibus aliis membris, quod si non faceret, iam rationem capitis amitteret in toto vel in parte. Sic et summus pontifex toti ecclesie tenetur prouidere et preuidere ». Pour l’influence de la Bible sur les conceptions gouvernementales de la papauté, et le poids du vocabulaire biblique dans le domaine des métaphores organicistes et « totalisantes » du pouvoir des clefs, cf. W. Ullmann, The Bible and Principles... art. cit., en particulier p. 214-216.