e) Réflexions eccclésiologiques: l’Eglise sans pape (1241-1243)

Dans la foulée de ce premier sermon donné durant la vacance du siège pontifical, deux autres 345 indiquent la sensibilité de l’orateur à cette suspension du fonctionnement des institutions romaines, moment de doute où un corps sans chef respire à peine, mais aussi moment d’espoir où l’Epouse promet d’accoucher d’un nouveau pape. On doit leur fixer un terminus a quo, octobre 1241, puisque leurs rubriques indiquent qu’ils sont consacrés à la vacance du siège romain postérieur à la mort de Célestin IV, le 10 novembre 1241. On peut suggérer une date plus précise pour le second sermon, puisque les rubriques, malgré une petite divergence, indiquent qu’il s’agit d’un sermon quadragésimal 346 . Selon qu’on le placera en 1242 ou 1243 (le nouveau pape Innocent IV est élu le 25 juin 1243), et si on choisit le dimanche de Carême, ce second sermon donné « vacante ecclesia » date du 9 mars 1242 ou du premier mars 1243. On supposera sans preuves que l’autre sermon, placé juste avant par les deux manuscrits, est antérieur.

Les deux textes nourrissent en tout cas des préoccupations communes. Ils font clairement allusion aux méfaits de Frédéric II. Le premier invite les auditeurs à se lamenter devant les malheurs qu’inflige à l’Eglise son défenseur qui l’opprime, et à espérer que le Seigneur opérera leur réconciliation, d’abord en libérant les prisonniers détenus dans les geôles impériales 347 . Le sermon suivant revient sur cet épisode, mais s’attarde davantage sur la captivité imposée à la tête de l’Eglise, prisonnière dans Rome et sous la menace proche des troupes de Frédéric 348 .

L’intérêt principal du premier sermon me paraît à nouveau résider dans le déploiement de métaphores organicistes destinées à décrire les difficultés que connait alors l’Eglise privée de son époux 349 ; on relève l’ambiguïté lexicale significative sur la nature de cet époux, à la fois nommé comme tel 350 , et plus loin qualifié de « vicaire de l’époux » 351 , dans une phrase qui fournit précocement une clef pour les problématiques de la caducité du pape et de son corps, destinées à devenir sous peu un thème majeur de la reflexion ecclésiologique latine 352 . L’ensemble du sermon rassemble par ailleurs des métaphores plus classiques relatives au siège de Pierre: le thème du sermon est emprunté au passage de l’Apocalypse où apparaît « une femme que le soleil enveloppe [et qui a] le soleil sous ses pieds » 353 ; il s’agit d’un des passages les plus fréquemment glosés per les exégètes lorsqu’il s’agit de comparer les deux pouvoirs, en particulier celui du pape et de l’empereur 354 . L’assimilation de l’Eglise à la fois à l’épouse et à la mère permet de varier à l’infini sur les douleurs de la parturiente et ses causes 355 . Le thème classique de la nef de Pierre désormais sans capitaine est lui aussi exploité 356 . A la suite de cette série de métaphores, une prophétie annonçant les malheurs de l’Eglise permet de revenir au thème initial de l’Apocalypse: l’auteur l’interprète en suivant une méthode dont il n’est pas très familier, c’est à dire en divisant le verset biblique en séquences, interprétées allégoriquement. Au passage, il assène quelques formules lapidaires sur sa conception théocratique des relations entre Regnumet Sacerdotium 357 . A l’image de l’Eglise en douleurs, est contreposé un autre passage de l’Apocalypse, concernant le dragon responsable de ses malheurs, c’est à dire le Diable 358 . L’auteur n’explicite nulle part l’identification de ce dragon avec Frédéric II, qui n’est évoqué qu’à la fin, dans un contexte plus modéré, déjà cité, d’espérance de réconciliation. A moins qu’il ne faille interpréter dans ce sens un court passage consacré au Diable: « Nous devons réellement craindre qu’il n’en entraine d’autres avec lui, grâce auxquels il empêche l’accouchement de cette femme; il se tient devant la femme en couches afin, lorsqu’elle aura accouché d’un fils, de le dévorer... » 359 ; l’élection du nouveau pape s’effectuait en effet, on l’a vu, sous la pression des troupes de Frédéric II 360 . De façon très nette, les thématiques chères au cardinal concernant la papauté sont en place dès ces années.

Par comparaison, le sermon suivant paraît beaucoup moins coloré, plus proche de la manière de faire un peu scolaire que nous avons déjà vu mise en oeuvre dans certains sermons de 1230-1231: l’auteur y reprend un point brièvement abordé dans le sermon précédent, celui de la mauvaise conduite des différentes catégories de Chrétiens, dont le flot des péchés explique l’état déplorable de l’Eglise, que concrétise la longue vacance du siège pontifical 361 . La cause de cette moindre originalité des thèmes abordés réside je crois dans les circonstances liturgiques du discours, comme l’indique la rubrique 362 : nous sommes en Carême, temps de pénitence préparant la Pâque 363 . Il est opportun pour le prédicateur d’appeler l’attention de l’auditoire sur la nécessaire préparation intérieure, où l’on se purifie pour recevoir la grâce; surtout que depuis Latran IV, on se confessait préférentiellement en Carême avant de communier, au moins une fois l’an, à Pâques 364 . Par ce biais, ce sermon nous fait découvrir un autre aspect du discours de circonstances: la prédication trouvant son origine dans la célébration liturgique 365 , l’une des habiletés de l’orateur consistait à savoir adapter le temps chrétien, si particulier par sa double nature d’histoire linéaire du salut se déroulant depuis l’Incarnation, et de réitération annuelle systématique des grands mystères de cette histoire, à l’actualité religieuse. Parvenir à le faire efficacement, c’était valider par le fait même ce temps ambivalent, toujours à venir et éternellement réalisé dans l’institution de l’Eglise par le Christ 366 . C’est à quoi s’attelle ici Eudes de Châteauroux, en encadrant la description des malheurs de l’Eglise sans pape, donc sans tête, mais tendue vers l’espoir d’une prochaine élection, dans l’économie générale du salut chrétien, que chaque croyant revit intensément en Carême, avant le moment essentiel du mystère de sa religion, la résurrection. Le sermon est bâti, nonobstant le choix d’un thème de la Genèse 367 qui n’est abordé qu’à la fin, sur cette grande opposition d’avant et d’après Carême. Une première partie, centrée sur les malheurs contemporains, interprète un autre passage de la Genèse, celui relatif au Déluge, en accumulant les citations vétéro-testamentaires où Dieu a englouti ou accablé les hommes pour noyer leurs péchés: « Pourquoi cela ? A coup sûr, à cause des péchés des hommes » 368 . C’est l’occasion d’une revue des « états » du monde, où toutes les catégories sociales sont fustigées: les mariés, devenus adultères; les guerriers, corrompus, les marchands transformés en usuriers; les bourgeois plongés dans la gloutonnerie, l’ébriété et la luxure; enfin les clercs, de qui semble-t-il son auditoire est majoritairement, sinon exclusivement, composé, et qui récapitulent les péchés de tous les autres 369 . Un sort particulier est fait aux guerriers, puisque la célèbre citation d’Augustin sur les « royaumes, grands brigandages », elle-même tirée de Cicéron, est mobilisée, suivie d’un exemplummettant en scène Alexandre le Grand, du même acabit 370 . Bien sûr, les royaumes ont une légitimité: « Un royaume est de quelque manière un office et une institution légitimes. Le roi diffère du tyran, car ce dernier agit dans son propre intérêt, celui-là dans l’intérêt de tous » 371 . A cette vision sombre de la société, Eudes de Châteauroux oppose dans une seconde partie, très brève, l’espoir que doit susciter chez les Chrétiens le temps de pénitence, et le fait que Dieu se soit souvenu de Noé et de son arche. Par conséquent, s’ils lui offrent leurs coeurs en sacrifice, ils se le réconcilieront 372 . Ce n’est qu’à ce moment, le sermon presque achevé, que l’orateur aborde en quelques mots son thème: l’arc que doit placer le Seigneur dans les nuages, afin qu’il soit un signe d’alliance entre lui et la terre, représente en fait le pape 373 . Le passage, pour bref qu’il soit, est important, puisqu’il permet, comme dans le précédent sermon, d’établir sans équivoque la position respective des pouvoirs séculier et spirituel, dans la plus pure tradition grégorienne 374 .

Avec ces deux sermons, nous sommes parvenus tout près du milieu et des préoccupations qui vont constituer, durant presque trente ans, l’essentiel de l’environnement religieux, politique, mental d’Eudes de Châteauroux; même si nous y distinguerons une parenthèse, non négligeable, de plus de sept années passées en Terre sainte avec le futur saint Louis. Il reste à présenter le contexte qui lui a permis d’accéder à la cour romaine.

Notes
345.

RLSn° 859 (mss d’Arras, Bibl. mun. 876, f. 83va-84va; d’Orléans, Bibl. mun. 203, f. 288ra-289rb, rubriqué: « Sermo in processione facta quando vacabat ecclesia romana post mortem domini C[elestini] »). RLS n° 860 (mss d’Arras 876, f. 84va-85vb; d’Orléans, f. 289rb-290vb, rubriqué: « Sermo de eodem sed alio tempore, scilicet quadragesime »); je cite les textes d’après le ms. d’Orléans.

346.

La rubrique que j’ai donnée pour ce sermon RLSn° 860, note précédente, est celle du manuscrit d’Arras; celle du manuscrit d’Orléans est différente: « ... alio tempore, scilicet sexagesime ». Il n’est pas possible de trancher, sermon pour la sexagésime ou la quadragésime, même si le copiste du ms. d’Arras est souvent fautif, alors que le ms. d’Orléans est une copie beaucoup plus soigneuse des sermons de la première édition. De toute façon, les deux dimanches comportent, du point de vue de la liturgie, les mêmes connotations pénitentielles, puisque les trois dimanches précédant le Carême ont été très tôt établis comme anticipation et préparation du jeûne quadragésimal, cf. A. G. Martimort (dir.), L’Eglise en prière, t. IV: La liturgie et le temps, Nelle édition, Paris, 1983, ici p. 82-83.

347.

F. 289rb: « Doleamus de aduocato ecclesie, quia stat oppositus Ecclesie, et qui eam deberet defendere, eam opprimit et impugnat... Propter omnia ista debemus clamare ad Dominum ut partum det Ecclesie, ut reconciliet Ecclesie aduocatum suum, et ut captiuos restituat libertati et hereticos a catulis Ecclesie repellat et hereses destruat, ut eius nomen magnificetur in secula seculorum, Amen ». Pour la présence à cette époque de Frédéric II et des son armée aux alentours de Rome, cf. E. Berger, Saint Louis et Innocent IV, Paris, 1893, p. 7 s. Les prisonniers évoqués par le texte sont les prélats capturés par la flotte impériale, le 3 mai 1241, alors qu’ils se rendaient au concile convoqué par Grégoire IX à la date de Pâques 1241, en vue de déposer l’empereur, cf. E. Jordan, L’Allemagne... op. cit., p. 264; E. Kantorowicz, L’empereur... op. cit., p. 490-492 pour les buts du concile et la capture. Si Eudes de Châteauroux connaissait parfaitement cela, c’est que nombre de prélats français figuraient parmi les prisonniers, et ont été d’ailleurs rapidement libérés sur intervention ferme de Louis IX, cf. E. Berger, Ibidem, p. 5 et note 1 pour la liste complèrte des prélats français, p. 6 et note 1 pour l’intervention du roi de France; voir aussi E. Kantorowicz, Ibidem, p. 496.

348.

F. 289va: « Et vere possimus dicere quod est diluuium, quia montes altissimos operuit et submersit, quosdam cardinales scilicet et prelatos quamplurimos capturando. Et usque ad caput nostrum venit, obsidendo eum in Urbe ut ipsum submergat, nisi diuina misericordia ei succurrat. Legitur Gen. vii°: Aque diluuii preualuerunt super terram nimis opertique sunt montes excelsi sub uniuerso celo (Gn. 7, 19). Sic et hodie ». Suite à la mort de Grégoire IX, les difficultés des cardinaux divisés à élire un pape avaient poussé le sénateur de Rome, Matteo Rosso Orsini, à les enfermer dans le Septizonium et à les soumettre à des conditions très dures de séjour pour hâter l’élection; c’est pourquoi les historiens considèrent cette élection comme le premier véritable conclave, cf. P. Herde, Election and Abdication of the Pope, dans Proceedings of the Sixth International Congress of Medieval canon Law (S. Kuttner et K. Pennington, éd.), Vatican, 1985, p. 411-434, ici p. 414-415; A. Franchi, Il conclave... op. cit., p. 33; K. Wenck, Das erste Konklave der Papstgeschichte, dans Quellen und Forschungen aus italienischer Archiven und Bibilotheken, t. 18 (1926) p. 101-170. La mort rapide de Célestin IV provoquant une nouvelle élection, certains cardinaux effrayés par le souvenir du conclave s’enfuient de Rome, cf. P. Herde, Election... art. cit., p. 415. Frédéric II en profite alors pour faire pression sur ceux demeurés à Rome, afin d’obtenir un pape à sa convenance; il a d’abord cru que c’était le cas avec Innocent IV.

349.

F. 288ra-rb: « Scitis, carissimi, in quanta miseria et dolore hiis temporibus est Ecclesia constituta. Potest enim vere dicere cum propheta, Tren. i°: O vos omnes qui transitis per viam attendite et videte si est dolor sicut dolor meus (Lam 1, 12) Omnem enim causam dolendi habet Ecclesia. Prima enim causa dolendi et precipua, quia amisit sponsum suum, et sponsum ad votum suum habere non potest ».

350.

Cf. note précédente et, au f. 288rb: « Hoc idem potest dici Ecclesie hiis diebus, que sponsum suum amisit, et est hodie sine sponso ».

351.

F. 288rb: « Ecclesia amisit vicarium Sponsi quem pro sponso habet in terris ».

352.

F. 288rb: « Et certe si non amisisset magnum sponsum, et si non generaliter, tamen quo ad plures, quia Ipse est cum ea usque ad consummationem seculi, numquam in ista viduitate tam diu mansisset ». On note ici, dès cette époque, mais à peine esquissé, le thème des « années de Pierre » amorcé au XIe siècle par P. Damien, selon lequel, chez les écrivains qui s’intéressent au gouvernement pontifical, un pape ne peut jamais demeurer très longtemps sur le siège pontifical. Sur tout cela, voir le chapitre premier d’A. Paravicini Bagliani, Il corpo del papa, Turin, 1994, p. 5-81: « Caducità e transitorietà » ; traduction française, Le corps du pape, Paris, 1995.

353.

« Apparuit signum magnum in celo, mulier amicta sole et luna sub perdibus eius. Et corona in capite eius stellarum duodecim et in utero habens clamabat parturiens et cruciabatur ut pariat » (Apoc. 12, 1).

354.

Cf. H. Grundmann, Sacerdotium... art. cit., p. 1; E. Kantorowicz, L’empereur... op. cit., p. 454, où le thème est retourné par la propagande impériale contre Grégoire IX; un exemple de ce type de glose chez E. Langton, cité par B. Smalley, The Study... op. cit., p. 261-262.

355.

Qui sont, de façon peu originale, les péchés des chrétiens, voir le f. 289ra: « Hunc dolorem patitur Ecclesia, quia cum sit tempus pariendi quo debet sibi parere filium et etiam sponsum, parere non potest. Et hoc debemus imputare peccatis nostris. Vere ibi, id est in Ecclesia, dolores ut parturientis ».

356.

F. 288va: « Quid enim miri esset, si nauicula aliqua plena hominibus esset sine rectore in mari turbulentissimo et feruentissimo ? Stuperent et timerent qui ibi essent, et etiam foris existentes periculum attendentes. Hec est nauicula Petri, que iactatur magnis fluctibus, et magna tempestate concassatur. Et tamen non stupent neque timent nec compatiuntur hiis qui in naui sunt, et qui periclitantur cum naui ».

357.

F. 288vb-289ra: « Ecclesie enim totus mundus subiectus est, et reges et principes ».

358.

F. 289ra: « Impedimentum autem huius partus intimatur cum dicitur ibidem in Apocalipsi: Et ecce draco magnus rufus habens capita septem (Apoc. 12, 3). Et post pauca: Draco stetit ante mulierem que erat paritura (Apoc. 12, 4). Hic draco qui cubat in medio fluminum Egipti, Ezechielis xxix° (Ez. 29, 3) qui sitientibus ad Deum fontem viuum insidiatur (cf. Apoc. 21, 6), de quo: Draco iste quem formasti ad illudendum ei (Ps. 103, 26) ».

359.

F. 289rb: « Vere timendum est ne aliquos secum traxerit, per quos impedit partum huius mulieris. Stat ante mulierem parituram, ut cum pepererit filium, eum deuoret, quia libenter procuraret diabolus ut talem pariat Ecclesia, quem statim valeat deuorare et deglutire, hoc est trahere ad peccatum ».

360.

Cf. supra note 314, à compléter avec A. Franchi, Il conclave... op. cit., p. 33 et note 3, sur les cardinaux enfuis à Anagni; voir aussi E. Berger, Saint Louis... op. cit., p. 9 sur les pressions impériales, et p. 10 sur les vagues succesives de libération, dont certains cardinaux capturés en 1241.

361.

Qui aura duré en tout plus d’un an et demi.

362.

Cf. supra note 312.

363.

Pour la façon dont la liturgie influence le choix des thèmes bibliques et le contenu des sermons, voir N. Bériou, L’avènement... op. cit., p. 386-414, en particulier p. 408 s. pour les temps de préparation aux grands mystères du salut chrétien, dont le Carême; p. 400-405 pour la Pâque.

364.

Canon 21 de Latran IV, COD éd. cit., p. 245; voir la traduction de R. Foreville, Latran I, II, III, IV, dans Histoire des conciles oecuméniques, G. Dumeige (dir.), vol. VI, Paris, 1965, p. 357-358, et l’article de N. Bériou, Autour de Latran IV (1215): la naissance de la confession moderne et sa diffusion, dans Pratiques de la confession... , Paris, 1983, p. 73-93.

365.

Cf. J. Longère, La prédication médiévale... op. cit. , p. 21 s., surtout p. 24- 35 sur le rôle des Pères dans l’arrimage du sermon à l’assemblée dominicale, et le choix des lectures correspondant aux différents temps liturgiques. Voir aussi J.-B. Schneyer, Geschichte der katholischen Predigt, Fribourg, 1969, p. 17-41 sur la prédication christique et apostolique; p. 71-95 sur celle des premiers Pères occidentaux.

366.

Sur cette valeur ambivalente du temps chrétien, voir l’ouvrage d’A. Boureau, L’événement sans fin, Paris, 1993, dont le titre résume parfaitement la double nature; cf. surtout l’introduction pour cette problématique générale, p. 9-11. Dans un contexte apocalyptique, une telle tension pouvait mettre en danger l’institution ecclésiale, comme le montre C. Carozzi, Apocalypse et salut dans le christianisme ancien et médiéval, Paris, 1999, par exemple p. 24: les prophètes au sens exact du mot sont censés pouvoir lire dans la Bible le terme du temps chrétien, selon Adson de Montier-en-Der; les gens d’Eglise, en tant qu’ils appartiennent à la hiérarchie et sont ordonnés clercs, président aux cérémonies liturgiques dont l’une des fonctions consiste à abolir le temps eschatologique; mais ils deviennent de ce fait « inutiles ». L’attention que porte Eudes de Châteauroux aux prophéties, dont il fait un usage exégétique intensif, son implication postérieure dans des controverses doctrinales où le comput des derniers temps est en jeu, son habileté à adapter temps linéaire et temps liturgique, le situent tout à fait dans la lignée augustinienne (Cf. C. Carozzi, Ibidem, p. 54-57) qui a dès l’origine désamorcé la crise eschatologique possible; sur le rôle « intermédiaire » de la liturgie au plan du temps, cf. Ibidem, p. 62-63.

367.

« Arcum meum ponam in nubibus et erit signum federis inter me et terram (Gn. 9, 13) ».

368.

F. 289va: « Et quare hoc ? Certe propter peccata hominum ».

369.

F. 290ra: « Quid dicam de nobis clericis ? Fere quicquid mali reperit in omnibus aliis, reperitur in nobis ».

370.

F. 289vb-290ra: « Augustinus quarto libro de ciuitate Dei: Quid sunt regna nisi magna latrocinia ? Eleganter enim et veraciter Alexandro illi magno quidam comprehensus pirata respondit. Nam cum idem rex hominem interrogasset, quid ei videretur, quod mare haberet infestum: ille libera contumacia, Quod tibi, inquit, ut orbem terrarum; sed quia illud exiguo nauigio facio, latro vocor, quia tu magna classe, imperator basilius ». L’histoire de Dionides le pirate capturé par Alexandre, avec qui il dialogue, se trouve effectivement dans le De ciuitate Dei, IV, iv (= PLt. XLI, col. 115); Augustin l’a empruntée mot pour mot à Cicéron, De Republica, III, xv. Eudes de Châteauroux la cite très fidèlement, à un petit détail près qui en modifie singulièrement le sens: là où le texte complet de Cicéron et d’Augustin portait: « Remota itaque iustitia, qui sunt regna, nisi magna latrocinia ? », la suppression de la première partie de la phrase durcit nettement le propos; à moins qu’il ne s’agisse d’un oubli du copiste, car la phrase qui suit immédiatement est beaucoup plus modérée, voir note suivante. Sur l’usage de cet épisode de la vie d’Alexandre au Moyen Age, cf. G. Cary, The medieval... op. cit., p. 95 et p. 281; voir Ibidem pour l’utilisation par les moralistes médiévaux des anecdotes les plus populaires concernant Alexandre, p. 80 s.

371.

F. 290ra: « Regnum est legitima quedam cura et institutio. Differt rex a tyranno, qui hic quidem quod sibi utile est, ille quod omnibus ».

372.

F. 289rb-290va: « Sic si offeremus corda nostra Domino in sacrificium, Dominus nobis placaretur. Modo tempus est sacrificandi et offerendi Domino corda nostra et corpora, et ad hoc congregati sumus ».

373.

F. 290rb: « Quod si fecerimus, certi simus quod ponet arcum suum in nubibus in signum federis inter nos et ipsum, id est dabit nobis papam bonum et utilem ad honorem sancti nominis sui et ad utilitatem Ecclesie sancte sue ».

374.

F. 290va: « Officium enim pape est reconciliare homines Deo et homines hominibus. Yris concordat ignem et aquam que videntur habere magnam discordiam inter se, ut se compati non possint. Arcus iste ad litteram habet duos colores. Et Dominus papa habet utrumque iudicium, et seculare et spirituale. Habet auctoritatem iudicandi omni genere iudicii. Sed executionem iudicii secularis principibus terrarum tradidit. Unde et imperatori tradit gladium et tenens manum imperatoris, cum gladio vibrat ad orientem, occidentem et meridiem et ad aquilonem. Arcus percutit de longe, gladius de prope. Et ideo arcus plus timendus a longe ». La bibliographie serait considérable; je me contente ici de renvoyer à la synthèse récente Histoire du Christianisme... op. cit., t. V , où l’on trouvera toute la bibliographie souhaitable.; voir aussi The Cambridge History of Medieval Political Thought(J. H. Burns, éd), Cambridge, 19952, p. 253-305, en particulier p. 288 s. sur les relations du Regnum et du Sacerdotium; ce thème sera longuement traité dans le chapitre V.