Rien ne permet de dater précisément ce sermon. Je propose la fourchette chronologique suivante: entre le 28 juin et le 17 juillet 1245, date à laquelle est officiellement proclamée par les Pères du concile la déposition de Frédéric II, lors de sa troisième et dernière session. La question fut dès l’origine au centre des débats d’après les différentes sources 428 . Mes arguments en faveur d’un sermon réellement prêché, au concile de Lyon, pour la déposition de Frédéric II et de nul autre Prince, sont les suivants. J’écarte d’abord le doute que pourrait susciter le libellé de la rubrique, qui semble présenter ce texte comme un modèle 429 pour la déposition d’un souverain quelconque, roi ou empereur: Sermo in depositione regis vel imperatoris ; le concile de Lyon a effectivement déposé deux souverains, l’empereur Frédéric II pour ses « crimes »; le roi du Portugal, Sanche, pour son inefficacité 430 . Le texte pontifical le plus développé concernant cette déposition des deux souverains, c’est à dire la bulle lue par Innocent IV le 17 juillet 1245 431 , se conclut par un interdit, à l’adresse des ex-sujets, d’obéir dorénavant à Frédéric II, sous peine d’excommunication, que ce soit comme roi ou comme empereur 432 ; l’emploi des deux mots, dans la rubrique comme dans le texte du sermon, peut donc s’expliquer de double façon, non contradictoire d’ailleurs: soit l’auteur vise la double déposition; soit, s’il ne vise que Frédéric II, ce que le contenu du texte tend à faire penser, ces deux titres distinguent comme dans la bulle la nature juridique du lien qui unit le sujet au Prince, roi ou empereur. Ce qui paraît certain, c’est que le mot « déposition » n’est pas employé au hasard: avant cette date, l’histoire n’a connu que peu de dépositions, et sans doute une seule, au sens exact du terme dans le vocabulaire des canonistes, celle de l’empereur Henri IV par Grégoire VII en 1076 et 1080; divers souverains ont été excommuniés, leur royaume frappé d’interdit, mais cette mesure extrême est rarissime 433 et l’on notera à son propos la formule de Matthieu Paris: « Horribilis et stupenda dampnatio » 434 . Il est très significatif que le XIIIe siècle ait vu la réactivation de cette procédure, à partir de 1245 435 . Le sermon a pu être donné soit au cours d’une des trois sessions du concile, soit lors des intervalles entre les sessions, en consistoire, lors de débats entre cardinaux et papes, comme incite à le penser la fin du texte. Certains passages semblent indubitablement se rapporter précisément à l’empereur Frédéric II, qu’il s’agisse d’allusions à la famille des Hohenstaufen ou à la politique qu’il a menée 436 . La fin du texte a conservé quelque chose de son caractère oral: « prions le Seigneur afin qu’il donne à ce tyran... » 437 ; bref nombre d’indices militent en faveur d’un sermon pour la déposition de l’empereur.
Toutefois, on ne peut mettre en évidence aucun parallèle textuel entre la bulle de déposition et le sermon: on trouve dans la bulle certaines accusations qui ne figurent pas dans le discours du cardinal, entre autres les moeurs dissolues, l’alliance avec les Sarrasins et les Grecs, l’assassinat du duc de Bavière Louis I; or on pouvait attendre qu’un tel sermon, dépendît, pour son contenu, des débats du concile; si mon hypothèse qu’il a été préché durant les sessions, en tout cas avant l’annonce officielle de l’excommunication, est bonne, cet apparent paradoxe pourrait s’expliquer. On ne peut en déduire en tout cas que ce sermon n’a pas été prononcé à cette occasion. Les différences peuvent parfaitement s’expliquer, à deux niveaux. D’abord au plan de la forme littéraire: on peut penser que les débats au sein du collège des cardinaux, présents à Lyon avec le pape depuis la fin décembre 1244, ont été intenses sur ce sujet de la déposition avant l’ouverture du concile, ne serait-ce que parce que le roi de France Louis IX a tenté à plusieurs reprises d’intercéder en faveur de Frédéric II; on sait d’ailleurs que les pères ont travaillé à partir de documents doctrinaux pour partie déjà élaborés par la Curie, qu’ils étaient chargés de commenter et préciser 438 ; on sait aussi 439 que les textes officiels du concile n’ont pas été publiés immédiatement: le pape, après les avoir remis en forme, les a promulgués une première fois, sous la forme d’une collection de décrétales envoyée à l’Université de Paris, le 25 août 1245; cette collection ne contenait que certaines constitutions du concile; en était absente en particulier le texte de la bulle de déposition; et l’on dispose de deux autres rédactions des constitutions antérieures à celle promulguée par le pape, la première étant celle donnée par Matthieu Paris 440 . Il ne s’agit donc pas de textes de même nature: l’un, le sermon d’Eudes de Châteauroux, se situe probablement dans la phase préparatoire, l’autre, la sentence officielle de déposition, marque au contraire l’aboutissement d’un processus 441 . Le problème de forme recoupe une question de fond: la sensibilité comme la position de l’un et l’autre auteurs sont différentes. L’auteur d’un sermon, du moins celui qui a reçu sur ce plan une formation telle que celle d’Eudes de Châteauroux, n’a pas pour but premier de condamner et de justifier en termes juridiques cette condamnation; il essaie d’interpréter à la lumière de la Bible une conduite humaine répréhensible, ce qui relève de la science du maître en théologie; d’un point de vue pastoral, il veut aussi administrer une leçon aux autres princes et, peut-être, tenter de remettre l’empereur dans le droit chemin de la foi et du comportement qui en dépend; la fin du sermon du cardinal semble indiquer de fait que tous les détails de l’affaire ne sont pas encore réglés 442 : un espoir de retour à l’Eglise demeure 443 ; cette porte entr’ouverte suggère que le sermon a dû être prononcé avant la condamnation finale.
Quelle est en effet l’argumentation exégétique du nouveau cardinal ? Il structure son propos en cinq points à partir d’un thème biblique pris chez Jérémie: « C’est à toi que j’en ai, montagne de la destruction, dit le Seigneur, toi qui détruis l’univers entier. Je vais étendre contre toi ma main, te faire rouler du haut des rochers, te changer en montagne embrasée. On ne tirera plus de toi ni pierre d’angle ni pierre de fondation, car tu deviendras une désolation pour toujours, dit le Seigneur » 444 . Suivant à la lettre son verset thématique, il le découpe en cinq séquences, ce qui est une manière de faire relativement rare chez lui; cette fidélité à la Bible correspond à l’importance de la circonstance: nul autre texte ne peut donner mieux que l’Ecriture les clefs pour agir en la matière. Successivement, sont abordés: l’explication de la déposition (point 1); son auteur véritable, qui est Dieu et non l’homme (point 2); ses modalités concrètes (point 3); l’exhérédation consécutive de toute la descendance (point 4); son caractère irrévocable (point 5). Un développement aussi ample et ferme requiert quelques explications sur l’objet même du débat.
Les décrétistes depuis Gratien ont discuté et élaboré une théorie de la déposition des souverains par le pape; un tel consensus théorique s’est progressivement formé sur ce droit, qu’Innocent IV n’éprouve pas même la peine de justifier juridiquement son acte 445 . Par contre, les motifs avancés pour légitimer la pratique concrète de la déposition sont d’une grande importance, car chez les décrétistes, deux positions différentes se sont exprimées: l’une, plus radicale, ou « moniste » 446 , justifie le droit de déposition direct à partir d’une réponse positive à la question clef: « Num imperator gladium habeat a papa » ?; l’autre position, qualifiée de « dualiste », répond négativement à cette dernière question et infère de ce point de vue un droit indirect de déposition de l’empereur par le pape, dans la droite ligne de Gratien dans son Décret : cette « depositio per consequentiam » découle du droit du pape d’excommunier l’empereur et de délier ses sujets de leur serment de fidélité à son égard; l’excommunication est l’arme traditionnelle des papes, car un empereur excommunié ne peut plus, dans la pratique, exercer correctement son gouvernement. Ce point de vue dualiste est celui par exemple d’Huguccio de Pise 447 . La mise à disposition des canonistes de nouveaux matériaux textuels, en fonction de nouveaux contextes historiques, permet d’affiner un peu plus une discussion dont les arguments avaient été quasiment épuisés; en particulier les décrétales d’Innocent III autorisent la reprise du débat à frais nouveaux dans les trente premières années du XIIIe siècle 448 . Car Innocent III avait au concile de Latran IV déposé un prince, le comte Raimond VI de Toulouse, pour hérésie. Dans la célèbre constitution 3 De haereticisdu concile 449 , il rassemble tous les textes existants concernant la lutte contre les hérétiques et leurs soutiens; sans jamais parler explicitement de déposition concernant les laïcs (les clercs, eux, peuvent être déposés par leurs supérieurs hiérarchiques), il énumère la gradation des sanctions dont un seigneur temporel convaincu d’hérésie doit être l’objet: d’abord, l’excommunication par le métropolitain et les évêques; au bout d’un an, s’il n’ a pas fait satisfaction, le pape à qui on l’aura fait savoir délie ses vassaux de leurs serments et propose ses terres aux catholiques pour qu’ils les possèdent sans qu’on puisse s’y opposer, « saluo iure domini principalis, dummodo super hoc ipse nullum praestet obstaculum nec aliquod impedimentum opponat » 450 ; on constate avec ces derniers mots qu’Innocent III, comme souvent, se révèle un redoutable politique: il ne prononce pas le mot déposition, réserve les droits du seigneur supérieur s’il existe, c’est à dire du Prince qui, comme le pape lui-même le définit ailleurs, ne connait pas de supérieur en son royaume; avec cette restriction que ce seigneur supérieur doit coopérer avec l’Eglise; c’est au terme de ce raisonnement que le comte RaimondVI, qui ne s’est pas opposé sur ses terres au développement de l’hérésie, et même l’a favorisée, est condamné; mais la constitution ajoute aussi la phrase suivante: « eadem nihilominus lege seruata circa eos, qui non habent dominos principales » 451 ; la même procédure doit valoir vis-à-vis de ceux qui n’ont pas de seigneur, c’est à dire les rois et l’empereur: sans jamais le dire, par le biais de la législation canonique contre l’hérésie, le pape justifie le droit de déposition et surtout rend cette solution pratiquable, en exploitant les ultimes conséquences de la procédure; cela tout en respectant les formes traditionnelles de la gradation des sanctions, ce qui l’apparente plutôt aux partisans de la « depositio per consequentiam ». Les canonistes se sont très vite engouffrés dans la brêche pour exciper de ce texte le droit des souverains catholiques de déposer les souverains « ratione delicti »: ce jugement devient, dans les trente premières années du siècle, « opinio communis » 452 . La preuve de l’efficacité de cette procédure avait été fournie par Innocent III lui-même: sans déposer officiellement l’empereur Othon IV, ce qui eût été politiquement malhabile, il est parvenu, en l’excommuniant, en déliant ses sujets de leur serment de fidèlité, mais en préservant les droits des princes électeurs qui ont choisi son successeur, à se débarrasser de lui, c’est à dire à le priver de la couronne et de l’Empire 453 .
Inversement, la reconnaissance par le Prince de sa culpabilité en matière d’hérésie peut valoir, au moins à sa famille, d’être réintégrée dans ses droits; il a existé à cette époque un exemple précis de cette possibilité, qui ramène à Frédéric II et Innocent IV. Avant le départ d’Italie du pape et l’ouverture du concile de Lyon I, alors que d’ultimes négociations se poursuivaient entre lui et l’empereur, Raimond VII, le fils du comte de Toulouse jadis excommunié et déposé par Innocent III, s’était rendu en Curie, le 31 mars 1244, comme procureur de l’empereur, prêtant serment pour ce dernier qu’il obéirait aux ordres de l’Eglise, ainsi que le pape le précise lui-même dans la bulle de déposition 454 ; donc la famille des comtes de Toulouse n’avait pas été définitivement écartée du pouvoir à Latran IV, du moins dans la partie orientale de ses possessions, en Provence 455 . Lors du concile, le pape a hésité sur les mesures définitives à appliquer à la famille des ex-comtes de Toulouse et s’est résolu finalement à leur enlever leurs terres et leurs titres dans le sud-ouest, donnés à Simon de Montfort; mais le jeune Raimond VII, le futur procurateur de Frédéric II, a conservé, en vue de sa majorité, ses droits à la succession des terres sises en Provence, que garde en attendant l’Eglise; garde toute théorique, puisque la Provence est terre d’Empire: à ce titre jamais Frédéric II n’ y a admis d’intervention de l’Eglise romaine, de sorte que Raimond VI y a conservé de fait tous ses droits; ce qui explique l’amitié et la confiance entre son fils Raimond VII et l’empereur dans les années 1240 456 . Au-delà du détail des événements, on voit bien que la déposition d’un seigneur temporel, même dépendant d’un maître (cas des comtes de Toulouse vassaux des rois de France et de l’empereur), y compris après l’élaboration théorique des décrétalistes qui aboutissait à la condamnation des princes « ratione delicti », n’était pas une mince affaire lorsqu’il s’agissait de passer à la pratique.
Je rejoins donc F. Kempf 457 qui juge qu’Innocent IV, dans sa manière de faire, innove radicalement, au point que son acte n’est peut-être pas apprécié de tous les cardinaux, en tout cas n’est pas pris réellement au sérieux par les souverains contemporains: Louis IX, on l’a vu, n’a pas varié d’attitude vis-à-vis de Frédéric II, avec qui il a conservé des rapports amicaux et qu’il continue de considérer comme l’empereur légitime; le pape a créé une telle impasse juridico-politique qu’il n’a vu d’issue définitive que dans l’organisation d’un attentat manqué contre Frédéric 458 ; le maintien au pouvoir de Manfred en Sicile jusqu’en 1266 s’explique de la même façon: sa légitimité aux yeux de ses sujets n’était pas entamée.
Le caractère inédit en fait, sinon en droit, de la démarche pontificale, se révèle aussi à travers la façon dont les historiens contemporains mobilisent les exemples antérieurs de dépositions. En faveur de la position d’Innocent IV, son biographe, N. de Carbio, écrit en effet dans le paragraphe qu’il consacre à cette déposition: « Notissimum namque et indubitatum est, quod multi romanorum pontificum, etiam pro minoribus causis, nonnullos imperatores et reges non tantum excommunicauerunt, sed a regno deposuerunt » 459 ; on avait bien conscience à la cour pontificale d’une gradation entre excommunication et déposition, laquelle est quelque chose de rare dont on cherche les précédents historiques; les exemples allégués par N. de Carbio sont essentiellement antiques et il s’agit toujours d’excommunications; pour le Moyen Age, Alexandre III n’a fait, de l’aveu même de l’auteur, qu’excommunier Frédéric Barberousse, lequel est venu à résipiscence ajoute-t-il; il lui faut inventer une fausse déposition directe d’Othon IV par Innocent III pour parvenir à justifier son point de vue initial, défendant l’acte inouï du pape. Significativement la déposition d’Henri IV n’est pas citée: Grégoire VII avait une première fois pardonné (à Canossa en 1077), pour ensuite rejeter définitivement le relaps (1080); il avait donc respecté la gradation des sanctions 460 . On comprend aussi pourquoi l’essentiel de la bulle de déposition d’Innocent IV est consacré aux crimes de l’empereur, tout particulièrement celui d’hérésie 461 .
Les exemples choisis et ceux omis ne doivent donc rien au hasard, et confirment à mes yeux qu’il y eut bien débat à l’intérieur du collège, concernant moins la déposition elle-même, que la nature des arguments qui la justifiaient et l’attitude à adopter ensuite: si Dieu seul dépose les souverains comme le démontre Eudes de Châteauroux, « la porte de la miséricorde divine n’est fermée à personne, tant qu’il est permis d’agir, et l’Eglise ne clôt à personne son giron, s’il désire y revenir » 462 .
Or il est clair, depuis le début du concile, qu’Innocent IV n’a pas l’intention de pardonner: il suffit de comparer son sermon donné durant les débats 463 et la bulle de déposition qui je crois s’en inspire; ils ont en commun la véhémence et le caractère accusateur qui dénote l’instruction d’un procès plutôt que la sollicitude pastorale; c’est qu’Innocent IV est canoniste, et toute sa démarche, mais aussi sa théologie, s’en ressentent. C’est dans cette position et sous cette forme qu’il publie, on l’a vu, les constitutions du concile; c’est ainsi que, quelques années plus tard, se livrant dans son Apparatusà un commentaire de ses propres décrétales 464 , il y prend ses distances vis-à-vis du concile, pour affirmer qu’en vertu de la plenitudo potestatis , le pape seul aurait pu procéder à la condamnation; le concile n’a servi, écrit-il, qu’à donner plus de solennité à l’événement.
Il est possible qu’Eudes de Châteauroux ait été plutôt d’une tendance conciliante, dérivant d’Innocent III, que de celle, extrême, d’Innnocent IV 465 : les lignes 80-86 du sermon font allusion à l’empereur qui se croit, tel l’aigle volant plus haut que tous les autres oiseaux, hors de portée parcequ’il n’a pas « d’autre roi au-dessus de lui »; on connait la célèbre formule des légistes de Frédéric II sur l’empereur « lex animata in terris», correspondant à cette conception de la royauté 466 ; certes le cardinal rappelle que Dieu (mais non le pape, qui n’est pas cité) demeure au-dessus de la création et dépose les rois orgueilleux; mais il laisse, comme Innocent III à Latran IV, une porte ouverte au retour dans le sein de l’Eglise. Sur le fond, sa conception théologique de la potestasroyale s’enracine davantage dans une vision pastorale de son ministère: guider et sauver des âmes, que dans une définition strictement juridique de son rôle: condamner des hommes.
A cette interprétation, paraît s’opposer la quatrième division du sermon, où l’auteur se prononce clairement pour une exhérédation totale de la famille des Hohenstaufen. Pour mesurer véritablement la portée d’un tel principe, il convient à mon avis de revenir à la constitution citée d’Innocent III à Latran IV: après avoir évoqué la gradation des sanctions contre le souverain hérétique, le pape ajoute que celui qui, excommunié, a refusé de faire satisfaction au bout d’un an, devient de droit intestat, « ut nec testandi liberam habeat facultatem nec ad hereditatis successionem accedat » 467 ; par conséquent cette exhérédation de toute la famille n’est pas automatique, mais découle de l’incapacité juridique de l’hérétique excommunié; sous-entendu: le pardon de l’Eglise, qui le réintègre dans la communauté des fidèles, annule ce qu’on pourrait nommer, pour paraphraser les canonistes, une « exheredatio per consequentiam ». On a vu que les papes avaient appliqué concrètement ce principe à la famille des comtes de Toulouse; Innocent IV lui-même en recevant Raimond VII admettait son existence. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il a choisi la voie la plus extrême contre Frédéric II.
Quelle qu’ait été sur le fond la position du cardinal, il ne pouvait, en prenant la parole publiquement, que mesurer ses propos et les accorder à la tonalité générale des débats, tout en tentant prudemment d’avancer un point de vue personnel. Son discours ne semble pas avoir fléchi le pape, mais confirme sa maîtrise de l’exégèse de la Bible et en fait un candidat idéal pour remplir les fonctions de légat de la croisade que le roi de France réclame. Son passé et ses attaches semblaient de de toute façon indiquer qu’il était l’homme de la situation.
Par exemple M. Paris, Chronica... éd. cit., t. IV, p. 430 s. On sait d’autre part qu’Innocent IV a consulté les cardinaux entre la seconde session du concile (5 juillet) et la troisième (17 juillet) pour connaître leurs avis, cf. J. A. Watt, The Theory of Papal Monarchy in the Thirteenth Century, dans Traditio, t. XX, 1964, p. 179-317 (réédité à part par Fordham University Press, 1965), 240-241 et note 13, où est évoquée cette consultatio ; Idem, Medieval Deposition Theory: A Neglected CanonistConsultatio from the First Council of Lyons, dans G. J. Cuming (éd.), Studies in Church History, t. II, 1965, p. 197-214.
On n’oubliera pas cette fonction évidente des collections de sermons d’Eudes de Châteauroux, qui fait leur originalité par rapport aux autres collections contemporaines: il s’agit de textes effectivement prêchés pour la plupart, remaniés dans des proportions difficiles à déterminer, et classés selon la liturgie ou les catégories De casibus pour fournir des exemples aux prédicateurs en mal d’inspiration ou pressés. Très souvent, les mentions précises d’individus, si elles ont existé, ont dû être supprimées dans cet esprit.
Cf. A. Melloni, Innocenzo IV... op. cit. , p. 92, et p. 273-274 pour la source, N. de Carbio; voir aussi P. Linehan, The spanish Church and the Papacy, CUP, 1971, p. 161 pour la déposition de Sanche.
COD éd. cit., p. 278-283.
Loc. cit. , p. 283, lignes 28 et 29.
Cf. F. Kempf, La deposizione di Federico II alla luce della dottrina canonistica, dans ASRSP, t. XC (1967), p. 1-16, ici p. 1.
Ibidem, p. 445.
Parmi d’autres exemples, voir la déposition en 1283 de Pierre d’Aragon dans N. Housley, The Italian Crusades. The Papal-Angevin Alliance and the Crusade against Chrsitian Lay Powers, 1254-1343, Oxford, 1982, p. 143; O. Hageneder, Das päpstliche Recht der Fürstenabsetzung: seine kanonistische Grundlegung (1150-1250), dans Archivum Historiae Pontificiae, t. I (1963), p. 53-95, ici p. 99 sq. F. Kern, Gottesgnadentum und Widerstandrecht im früheren Mittelater. Zur Entwicklungsgeschichte der Monarchie, Leipzig, 1914; j’utilise la nouvelle édition par R. Buchner, Darmstadt, 1954 (p. 355: analyse des dépositions intervenues au XIIIe siècle).
Ligne 9, est évoquée l’exhérédation de la famille et de la descendance toute entière; lignes 33-39, l’exégèse traditionnelle de la première épitre de Pierre permet d’assimiler Babylone et Rome; à la fin de la première division (lignes 50-53), sont résumés les crimes dans la conduite du gouvernement impérial: confusion des droits, du licite et de l’illicite, accusation de favoriser l’hérésie, attaques contre les libertés ecclésiastiques, exactions vis-à-vis de ses sujets, troubles apportés aux voisins, déprédations à l’égard de ceux qui traversent ses terres; accusations qui correspondent assez bien à celles de la bulle d’excommunication, cf. COD éd. cit., p. 279 lignes 26-31: « Deierauit enim multotiens; pacem quondam inter ecclesiam et imperium reformatam temere violauit; perpetrauit etiam sacrilegium, capi faciens cardinales sanctae Romanae Ecclesiae..., venientes ad concilium quod idem praedecessor [Grégoire IX] duxerat conuocandum; de haeresi quoque non dubiis et leuibus sed difficilibus et euidentibus argumentis suspectus habetur »; dans la troisième division, il est fait allusion à l’Etna (ligne 76), qui ne peut être « réparé » sur le flanc éternellement calciné où se déploie l’activité de ce volcan de Sicile, ainsi qu’à la similitude avec l’aigle, symbole impérial (ligne 80); dans la quatrième division, la description des royaumes comme des conglomérats de principautés (ligne 91) s’applique particulièrement à l’Empire; de façon générale tout au long du texte, la diabolisation du souverain est notable (entre autres, la figure de Nabuchodonosor comme archétype du tyran; la chute de Satan dans la citation de Luc, ligne 109).
Ligne 114.
Cf. COD éd. cit., p. 273-277.
Ibidem, loc. cit.
Chronica... éd. cit., p. 456 s.
La sentence dépend par contre étroitement, ce qui est logique, de la fin du sermon que le pape a donné, selon M. Paris (éd. cit., p. 434-435), en concile lors de la seconde session (5 juillet), à l’occasion de son débat avec l’un des procurateurs de Frédéric II, Taddeo di Suessa.
Lignes 112-115.
Cela même si la cinquième division du texte avait juste avant confirmé le plan annoncé en introduction: une déposition est irrévocable.
Jer. 51, 25-26.
F. Kempf, La deposizione... art. cit., p. 6 s, p. 12.
Ibidem, p. 6-7.
Ibidem, p. 8-9, même si Huguccio contribue en fait beaucoup à rapprocher les deux positions.
Ibidem, p. 10.
COD éd. cit. , p. 233-235.
COD éd. cit., p. 234, lignes 9-10.
Ibidem, loc. cit.lignes 10-11.
Cf. F. Kempf, La deposizione... art. cit., p. 11.
Ibidem, p. 14; cf. aussi A. Haidacher, Über den Zeitpunkt der Exkommunikation Ottos IV. durch Papst Innocenz III., dans Römische Historische Mitteilugen , t. III (1958-1960), p. 132-185; Idem, Zur Exkommunikation Ottos IV. durch Papst Innocenz III., Ibidem, t. IV (1960-1961), p. 26-36; H. Tillmann, Datierungsfragen zur Geschichte des Kampfes zwischen Innocenz III. und Kaiser Otto IV., dans Historisches Jahrbuch , t. LXXXIV (1964), p. 34-85
COD éd. cit., p. 279, lignes 7-17.
Sur la situation du Toulousain au début du XIIIe siècle, cf. J. R. Strayer, The Albigensian Crusades, Ann Arbor, 19922, p. 59, où est évoquée la première réconciliation de Raimond VI, le 18 juin 1209, et les p. 60-104 sur la reprise des hostilités aboutissant au jugement de Latran IV.
La Provence constitua d’ailleurs la base territoriale qui permit à partir de 1216-1218 le redressement de la fortune des ex-comtes de Toulouse, dont la capitulation définitive ne fut obtenue que par une seconde croisade, celle de Louis VIII, en 1226, laquelle aboutit au traité de Paris de 1229 qui privait la famille de ses possessions orientales (en Provence) et ne lui conservait que provisoirement la région toulousaine, puisque l’unique fille du comte devait épouser un frère du roi de France (cf. P. Bonnassie, G. Pradalié, La capitulation de Raymond VII et la fondation de l’Université de Toulouse, Toulouse, 1979).
La deposizione... art. cit., p. 14-15.
Cf. E. Kantorowicz, L’empereur... op. cit., p. 572-573, sur cet épisode.
A. Melloni, éd. cit., § 19 p. 271.
Sur ce très célèbre épisode et son contexte, voir dans Histoire du Christianisme, t. V, Apogée... op. cit., le chapitre 2 d’A. Paravicini-Bagliani: L’Eglise romaine de 1054 à 1122: réforme et affirmation de la papauté, surtout p. 71-74; les historiens pensent qu’Henri IV n’a pas été réintégré dans sa fonction royale à Canossa, mais simplement dans la communauté ecclésiale, c’est à dire absous de l’excommunication, Ibidem p. 73 note 86; de toute façon, Grégoire VII a ménagé un compromis, puisqu’il traite le roi comme tel jusqu’à la seconde excommunication. L’ommission de cette déposition est remarquable si on la rapproche de la source de N. de Carbio concernant ce passage: à travers le Liber censuum et les vies de papes du cardinal Boson qui y figurent, c’est Bonizone di Sutri, l’un des auteurs phares de la controverse Empire-Papauté au XIe siècle, qui est le fournisseur, cf. A. Melloni, Innocenzo IV... op. cit., p. 91 note 36 et p. 273 note 74, qui signale que l’identification de la source est due à A. Paravicini-Bagliani, La storiografia pontificia del secolo XIII. Prospettive di ricerca, dans Römische historischen Mitteilungen, t. XVIII (1976), p. 45-54, ici p. 47 note 9; A. Paravicini-Bagliani cite intégralement p. 47 le passage de N. de Carbio que je commente, et indique p. 48 que la déposition de Henri IV par Grégoire VII est omise par le biographe du pape, sans avancer aucune explication.
Cf. F. Kempf, La deposizione... art. cit., p. 12.
Ligne 113.
M. Paris, Chronica... éd. cit., p. 435.
Cf. A. Melloni, Innocenzo IV... op. cit., p. 160-166.
Parlant d’extrêmisme d’Innocent IV, j’entends par là qualifier uniquement la méthode utilisée par le pape, qui sur le fond ne fait que que reprendre on l’a vu une opinio communisdes canonistes concernant le droit du souverain pontife de déposer un Prince séculier; globalement, on ne décèle aucune rupture fondamentale entre ce pape et son grand prédecesseur Innocent III, de l’avis de tous les historiens le véritable fondateur de la théocratie pontificale, cf. J. A. Watt, The Theory... art. cit. , p. 236-250, qui montre que les jugements des historiens taxant Innocent IV d’extrêmisme tirent parti de ses actes plus que de ses écrits;et B. Tierney, The Continuity of Papal Political Theory in the Thirteenth Century. Some Methodological Considerations , dans Medieval Studies, t. XXVII (1965). Je reprends la comparaison entre ces deux grands papes du XIIIe siècle au chapitre V.
Sur la conception de l’Etat et du droit de Frédéric II, voir les riches analyses d’E. Kantorowicz, L’empereur... op. cit., p. 211 s.
COD éd. cit., p. 234, lignes 20-21.