Aucun acte officiel ne donne la date à laquelle Eudes de Châteauroux a quitté Lyon pour rejoindre le roi de France et l’aider à mettre sur pied son entreprise. Compte-tenu de celle de sa dernière souscription au concile 468 , et du fait que sa présence à la mi-septembre 1245 au chapitre général de Cîteaux, aux côtés de la famille capétienne, est signalée par la documentation 469 , il est probable qu’il a reçu sa mission du pape et quitté très rapidement ses collègues courant août 1245.
Il s’intitule officiellement légat pour la première fois dans un acte du 23 octobre 1245: c’est encore une question relative au chapitre de l’église Notre-Dame de Paris qui l’occupe 470 . A peu près à la même époque, les sources narratives le montrent en train de prêcher pour la croisade. Le roi de France a en effet convoqué un parlement pour l’octave de la saint Denis, afin d’exhorter ses barons à se joindre à son projet 471 . Une preuve de sa présence très probable à ce parlement se trouve dans l’ouvrage du Dominicain Etienne de Bourbon, le Tractatus de diuersis materiis predicabilibus 472 , où on lit un exemplumrelatif à la prédication d’Eudes de Châteauroux en cette circonstance 473 .
Au-delà du fait qu’un tel exemplumconfirme le talent oratoire reconnu à Eudes de Châteauroux 474 , il s’agit de la principale fonction des légats pontificaux pour la croisade 475 , telle qu’elle ressort des encycliques des papes et de la législation canonique, dont la mise au point concernant les entreprises de libération de la terre sainte trouve sa formulation définitive au XIIIe siècle précisément, en particulier dans l’oeuvre d’Henri de Suse, qui devait rejoindre plus tard, comme cardinal suburbicaire d’Ostie, Eudes de Châteauroux au sein du collège 476 .
Des quinze sermons prononcés durant la séquence de croisade de 1245-1254, septse trouvent dans la série traditionnelle De sanctis(SERMONES n° 2, 3, 7, 8, 10, 11, 13); huit (SERMONES n° 4, 5, 6, 9, 12, 14, 15, 16) sont rangés dans des séquences De casibusdes manuscrits 477 .
De ces modalités d’insertion des sermons dans les collections manuscrites découlent les difficultés à les dater. Le sermon est parfois pourvu d’une rubrique qui, sans en fournir exactement la date, est assez circonstanciée pour faire songer à un événement précis; dans ce cas, à défaut de pouvoir toujours proposer une date certaine, une fourchette chronologique est très plausible (SERMONES n° 4, 5, 6, 15, 16). Seconde possibilité: on connait grâce à la rubrication sous une fête de saint la date, mais non l’année du sermon; parfois, les citations bibliques et les allusions contenues dans les textes, éclairées les unes par les autres, sont suffisamment transparentes pour inciter à proposer une date, même si toute certitude est exclue (SERMONES n° 7, 9, 11, 12, 13, 14). Troisième possibilité: les indices ne sont pas suffisants pour proposer une date fiable, et dans ce cas la proposition de datation, quel que soit l’intérêt du texte, est discutable et laisse la porte ouverte, pour la fête d’un saint, à plusieurs années (SERMONES n° 2, 3, 8, 10).
L’activité concrète de prédication, si importante fût-elle, n’était pas la seule que devait prendre en charge un légat. La croisade est devenue au XIIIe siècle une lourde entreprise logistique, de plus en plus fermement encadrée par le droit canon, dont le représentant du pape ne doit négliger aucun aspect pour assurer les meilleures conditions de réussite possibles à l’entreprise 478 . La documentation, en particulier pontificale, permet de vérifier qu’Eudes de Châteauroux a assumé l’ensemble de ces fonctions. Comme elles ont été assez bien traitées par les historiens, pour ce siècle en général comme pour le cas particulier de la croisade ici évoquée, je me contenterai de résumer, préférant insister sur les aspects les plus originaux de la documentation dont je dispose, c’est à dire les sermons eux-mêmes 479 , mais aussi les sources narratives. Leurs témoignages convergent pour démontrer des dispositions d’esprit extrêmement semblables du roi et du légat, une collaboration de tous les instants, même dans les phases difficiles voire conflictuelles, et incitent à présenter leur aventure commune thématiquement, tout en préservant, autant que la datation des sermons le permet, la trame chronologique de cette longue cohabitation 480 .
Le climat de la croisade est éclairé d’emblée par deux sermons:les SERMONES n° 2 et 3 pourraient se rattacher au tout début de la légation. Ils figurent il est vrai parmi ceux qu’il est très difficile de dater, aussi est-ce sous réserve que je les analyse à cet endroit; ils agissent de toute façon comme indicateurs du contenu spirituel que le légat entendait donner à l’expédition, et trouvent de ce point de vue des échos dans d’autres textes.
La rubrique du SERMO n° 2, « de cruce et de inuitatione ad crucem », suggère le début de l’expédition: c’est un sermon de recrutement; il est aussi, par contraste avec les autres sermons, assez bref et développe des arguments très simples en faveur de la prise de croix: je suis enclin à croire que cette brièveté et cette simplicité conviennent de préférence à un auditoire largement composé de laïcs, tel celui convoqué par le roi au parlement de la mi-octobre 1245, d’après les chroniqueurs. Les mêmes mentionnent différents sermons donnés pendant plusieurs jours lors de ce parlement; à la lecture des textes, je n’en vois pas d’autres qui pourraient se rapporter à cette assemblée 481 . La citation biblique qui sert de thème au sermon fournit parfois un élément de datation, puisque les fêtes du calendrier liturgique étaient pourvues de péricopes, l’une tirée de l’Evangile et l’autre de l’Epître du jour, qui ont fréquemment constitué, dès l’origine de la prédication, tout ou partie du thème sur lequel le prédicateur prenait la parole 482 . Ici, le thème tiré de L’Ecclésiastique 38, 5: « N’est-ce pas une baguette de bois qui rendit l’eau douce ? » , ne correspond à aucune lecture repérable du mois d’octobre, qui aurait incité l’orateur à le choisir; mais on sait que les prédicateurs, si attachés fussent-ils au lien étroit entre la spiritualité du temps liturgique où ils s’expriment et le contenu de leur sermon, usaient précisément pour cela d’une grande liberté dans le choix de leurs thèmes bibliques, qu’ils pouvaient prendre dans les lectures ou les prières de l’office du jour, ou dans tout autre endroit de la Bible, si cela leur paraissait mieux adapté aux circonstances et à l’auditoire 483 . Le thème biblique du SERMO n° 2 est l’illustration parfaite de cet usage, puisqu’il s’agit d’un unicum ; ce fait renforce la présomption qu’Eudes de Châteauroux a pu donner ce sermon au parlement de la mi-octobre, en tenant particulièrement compte de deux points: l’objet de sa prise de parole, inciter grands laïcs et ecclésiastiques à partir en croisade; la nature de l’auditoire présent, obligeant à réfléchir aux meilleurs moyens de convaincre.
La rubrique, « sermo de cruce et de inuitatione ad crucem », prouve qu’il s’assigne clairement ces deux objectifs: le thème principal de méditation offert aux auditeurs est la croix; c’est de cette méditation que l’orateur espère voir sortir la décision de se croiser, comme l’indiquent immédiatement les premières lignes du sermon présentant le sens du thème biblique: « Dans ces mots, on vous montre brièvement pourquoi vous devez assumer la croix » 484 ; l’interprétation est d’emblée spirituelle 485 , renforcée et mise en contexte par une autre citation concluant un épisode du quatrième livre des Rois (4. Rg. 4, 38-41), où les frères prophètes, voulant fabriquer une soupe, y mêlent des ingrédients herbacés inconnus d’eux, des coloquintes, et s’écrient après l’avoir goûtée : « Il y a la mort dans cette marmite ! » 486 ; c’est à partir de cet épisode que l’orateur structure son discours en deux points, sans avoir éprouvé le besoin d’annoncer un plan, tant son propos paraît clair: à l’exemple des frères prophètes, les hommes, là où ils croient trouver du plaisir, ne recueillent que de la tristesse et de l’amertume; mais le bois de la croix adoucit cette amertume, si l’homme considère tout ce qu’il a gagné grâce à la Passion du Seigneur.
Le développement du premier point recense tous les éléments qui pourraient attacher l’homme à son état présent et implicitement l’empêcher de prendre la croix et partir outre-mer, chacun de ces éléments semblant renvoyer à une catégorie particulière d’auditeurs. Contrairement aux habitudes de l’auteur, il s’agit d’une accumulation de citations quasiment sans commentaires, ce que deux faits pourraient expliquer: la nécessité de recourir à une argumentation simple, sinon simpliste, face à une partie de de l’auditoire, les laïcs; mais aussi l’état des notes écrites, brouillon préparatoire ou reportation, dans les deux cas sans doute un simple canevas, dont il s’est servi pour mettre au net son texte 487 . Une citation de l’Ecclesiaste, dont ressort l’idée que plus on progresse dans la connaissance, plus on avance dans la douleur, puis une autre attribuée à un philosophe anonyme, selon laquelle l’homme ne sait qu’une chose, qu’il ne sait rien, incitent à penser qu’une première catégorie de croisés potentiels aux yeux du légat est constituée par les savants, entendons les universitaires qu’il a fréquemment critiqués, dans la série de sermons de 1230-1231, pour leur appétit d’honneur, de gloire et de récompenses matérielles. Une seconde citation de l’Ecclesiaste, relative à la soif de l’argent qui ne produit aucun fruit, pourrait s’adresser aux puissants, de même que celle qui suit immédiatement, tirée d’Ezechiel et stigmatisant le goût pour les dignités, qui peut inclure les prélats parmi les amateurs de distinctions. Ce n’est plus le cas avec le troisième argument, fondé sur une citation de Ruth: seuls des laïcs peuvent être sensibles à l’affirmation que les enfants chers au coeur des parents leur sont fréquemment l’occasion de douleur et de peines. Les deux derniers paragraphes sont très généraux: l’un, d’après Job et l’Ecclésiaste, montre que les efforts des hommes, leur travail et leurs soucis, sont souvent improductifs voire se retournent contre eux; l’autre décrit l’incertitude des opinions humaines relatives au cours des événements, que l’on croit favorables à l’amélioration « du statut de la Chrétienté ou du monde » 488 , et qui se révèlent au contraire les détériorer, même lorsque les actes découlent d’une bonne intention.
Face à cette appréciation assez pessimiste du cours séculier de la vie humaine, l’auteur développe la valeur du principal mystère de l’histoire du salut, la Passion, symbolisée par son instrument, la croix 489 . Il me paraît clair, si ce sermon a bien été donné devant le roi, que le choix de ce thème, qui fournit une rubrique traditionnelle de la prédication et correspond à deux grandes fêtes anciennes du Sanctoral chrétien 490 , est particulièrement adapté à la spiritualité du souverain: à cette époque, les travaux de la Sainte-Chapelle sont bien avancés, qui doit précisément servir d’écrin aux principales reliques de la passion patiemment acquises par la monarchie depuis 1239, et parmi lesquelles figurent des fragments de la vraie croix 491 . L’orateur invite à scruter la narration évangélique de la crucifixion après avoir marqué de façon très simple la valeur théologique de la Passion: l’immense amour démontré par Dieu, lorsqu’il est monté sur la croix, pour sa créature; spectacle et réflexion qui doivent susciter deux conséquences, une « douceur inestimable » dans le coeur de l’homme, et l’espoir: « Que ne ferait-il pas pour nous, celui qui a fait cela pour nous » 492 ? Cette démonstration se fonde sur un thème plus général, très fréquemment abordé dans les traités théologiques et la prédication des XIIe et XIIIe siècles, celui des vertus, ici les trois vertus théologales, foi, espérance et charité, puisqu’Eudes de Châteauroux introduit cette seconde partie par l’idée que la foi dans la Passion et l’amour de Dieu doit susciter charité et espoir dans le coeur du chrétien 493 . Qu’il s’agisse bien d’une volonté de convaincre par l’incitation à une réflexion de nature théologique, c’est ce que confirme la citation de saint Paul qui clôt cette introduction: Dieu en sacrifiant son Fils pour nous a signifié la réconciliation et la promesse de vie éternelle 494 . Quelques arguments supplémentaires, traditionnels de la spiritualité de croisade et des privilèges octroyés à ceux qui y participent, présentent la prise de croix comme une occasion incomparable d’imiter le Christ, d’obtenir l’indulgence pour ses péchés et de gagner le salut. L’auteur imbrique étroitement la narration scripturaire (l’absolution du larron crucifié avec le Christ), la parole du Christ à ses disciples (« Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive » 495 ), l’exemple des apôtres Pierre et André qui ont accepté avec joie leur crucifixion, donc la suggestion d’un possible martyre, avec l’évocation des bénéfices spirituels que leur imitation vaudra au croisé, ainsi qu’ à « ses proches qui sont au purgatoire [et qu’il] peut aider » 496 : le pélerinage outre-mer et la croix sont apposés, dans une stricte relation d’équivalence 497 . Rien de très original on le voit, l’auteur se situant dans la lignée spirituelle de saint Bernard qui a popularisé tous ces thèmes à l’occasion de la seconde croisade 498 . Mais un sens réel de l’adaptation aux circonstances (et peut-être au public) précises; il est vraiment tentant de penser que le roi a entendu ce sermon, puisque nombre de ces conceptions nourrissent la spritualité de Louis IX 499 .
Rien n’assure que ce sermon est traité ici à sa place chronologique; il fournit cependant une première approximation de l’argumentation du légat et de la façon dont il entend s’y prendre pour à la fois faire grossir et mettre dans les dispositions mentales appropriées l’armée croisée.
Un second texte, le SERMO n° 3, rubriqué « De sancto Georgio » , conviendrait bien à la phase initiale de prédication d’Eudes de Châteauroux lors de sa première légation. Il est donné à l’occasion de la fête de saint Georges, l’un des saints « militaires » proposé dès la première croisade comme modèle aux combattants chrétiens, honoré le 23 avril en Occident 500 . Je n’ai pas davantage de preuves convaincantes en faveur de la date que j’avance pour sa prédication, le 23 avril 1246 501 . Le ton en est épanoui: aucune critique, même voilée, ne s’y décèle qui aurait pu viser, comme dans plusieurs autres sermons de croisade de l’auteur, la mauvaise volonté de telle ou telle catégorie de la société face au negocium crucis . Alors que ce sont souvent les nobles et de façon générale les puissants que l’auteur attaque lorsqu’il dénonce le manque d’enthousiasme à prendre la croix, de multiples allusions du texte semblent prouver au contraire que les guerriers ont droit, ici, à toutes les sollicitudes de l’orateur. Leur présence dans l’auditoire paraît indubitable si l’on rapproche les faits suivants. Le thème biblique est tiré du chapitre 11 du second livre des Maccabées, où est narrée la première campagne de Lysias 502 , régent pour les Séleucides auxquels il est apparenté, afin de réduire la révolte conduite par Judas Maccabée; il évoque une apparition: « Comme remplis d’ardeur ils se dirigeaient ensemble vers Jérusalem, un cavalier vêtu de blanc apparut à leur tête, agitant des armes d’or et sa lance; alors tous à la fois bénirent le Dieu miséricordieux » 503 , dont l’interprétation typologique suit immédiatement, ouvrant le sermon:
‘« On lit dans le second livre des Maccabées, chapitre 11, que comme Lysias, le procurateur du roi, ayant rassemblé son armée, se hâtait vers Jerusalem pour s’en emparer et la réduire en servitude, à cette nouvelle, Maccabée, sachant qu’il assiégeait déjà Bethzacharia, une ville voisine, implora le Seigneur de son chagrin et de ses larmes, et la foule entière avec lui, d’envoyer un bon ange pour le salut d’Israel. Il prit ses armes le premier et exhorta les autres à faire face avec courage au danger et à porter aide à leurs frères... Et puisqu’en de telles circonstances, on lit que le bienheureux Georges est plusieurs fois apparu, c’est à bon droit que nous interprétons ainsi les mots susdits, qui montrent non seulement le bienheureux Georges prêt à porter promptement aide aux Chrétiens, mais aussi l’exemple qu’il constitue pour ceux qui désirent s’en aller vers Dieu, et la façon dont il nous défend par sa prière » 504 . ’La mention de multiples passages où l’on lit des apparitions de saint Georges aux guerriers chrétiens renvoie aux sources hagiographiques, où ce saint depuis l’origine patronne les guerriers, mais doit viser tout autant la littérature profane de croisade, notamment la Chanson d’Antioche, bien connue des laïcs 505 . Plus loin dans le sermon, on trouve une allusion, sur le même registre, au déplacement en troupes des hommes qui se rendent à Jérusalem, cela depuis l’antiquité, selon un lexique à mi-chemin entre une conception pérégrine et guerrière de la croisade 506 ; l’ambiguïté n’en est pas une, puisque c’est exactement ainsi que la spiritualité la plus traditionnelle de l’entreprise la présentait aux guerriers, à qui saint Bernard le premier avait présenté la croisade comme une occasion unique de racheter leurs péchés 507 . Un autre trait marquant de ce texte consiste dans un très long développement sur les cavaliers et les chevaux, qui fournit tout le second point du développement à partir d’une interprétation spirituelle du chevalier, désignant la charité de saint Georges 508 . L’auteur recourt à cinq reprises à des expressions ou proverbes en langue vulgaire 509 . Enfin, lorsqu’il s’agit de dilater l’interprétation spirituelle du cavalier désignant la charité, Eudes de Châteauroux recourt à plusieurs exemples de chevaux célèbres, tirés de l’histoire antique, chevaux dont le caractère audacieux et fier ne s’accomodait que de leur maître et liait entièrement leur sort au sien 510 . Ce faisceau d’indices me paraît concorder en faveur d’une importante assistance laïque, évidemment probable dans le cas d’un discours de recrutement pour la croisade, mais dont le contenu des sermons permet rarement de s’assurer de la présence. A quoi s’ajoute la figure même de saint Georges, le saint des croisés par excellence 511 .
La longueur du sermon pourrait à la rigueur faire douter de cette conclusion, mais l’argumentation déployée est somme toute assez simple: après l’introduction citée, sans annonce de plan, Eudes de Châteauroux structure son développement d’une part en divisant son thème biblique en trois grandes séquences, d’autre part en appliquant à ces séquences les différentes images que suggère son exégèse typologique; saint Georges est d’abord présenté comme un exemple à suivre pour les pélerins qui se rendent à Jérusalem, en relation avec la première partie de la citation: « Comme remplis d’ardeur ils se dirigeaient ensemble vers Jérusalem ... »; un second point commente l’interprétation du cavalier comme symbole de la charité et correspond au début de la proposition principale: « un cavalier vêtu de blanc apparut à leur tête ... » ; un dernier point regroupe une série de brèves interprétations sur la suite du verset, qui dépeint la tenue du cavalier: son vêtement blanc, ses armes d’or et sa lance qui vibre: on a l’impression de ne pas disposer ici du discours dans sa version intégrale, mais de son squelette, ce que pourrait confirmer le fait que la fin du thème n’est pas traitée; peut-être l’orateur, pressé par le temps, aura-t-il abrégé la fin de son sermon.
A l’intérieur de ces trois divisions, c’est essentiellement le recours à des distinctions fondées sur l’exégèse spirituelle qui fournit les subdivisions; soit à partir d’interprétations de mots de la Bible, cas du premier point dilaté selon les deux interprétations traditionnelles et opposées de Jerusalem: « pacifique ou vision de paix, ou terreur parfaite », se rapportant plutôt au sens anagogique 512 ; soit à partir de variations sur les différentes interprétations spirituelles, relevant surtout du sens tropologique, du bon cheval, symbole de la charité qui porte l’homme comme la monture son cavalier, auquel s’oppose le mauvais cheval que chevauche le Diable. Les séquences du verset survolées en conclusion sont elles aussi l’occasion d’interprétations tropologiques: la couleur des vêtements dénote la nature, bonne, mauvaise ou mixte, des actes commis par les hommes; les armes d’or, la patience du saint; la lance qui vibre, sa prière dont il nous protège.
L’ensemble du sermon constitue a priori un curieux mélange: on y lit côte à côte des considérations exaltant les buts eschatologiques de la croisade que symbolise son terme, la Jérusalem éternelle, situant ce texte dans la droite ligne d’espérances qui furent dès son début l’un des moteurs de l’entreprise 513 ; une sanctification des croisés et une spiritualisation de leur vocation, puisqu’ils doivent voir en cette ville, à l’instar des saints, leur commune patrie 514 ; une forte insistance sur la charité qui doit porter ensemble ces pélerins en armes, stimuler leur force et leur audace, les transformer en une cohorte de religieux venus chercher la récompense suprême des chrétiens, la béatitude éternelle 515 ; mais on trouve, à l’origine de ces conceptions élevées, des remarques extrêmement concrètes, fondées sur l’observation de la vie quotidienne et destinées, de toute évidence, à éveiller chez l’auditeur la conversion spirituelle à partir de sa propre expérience. Ainsi, la dernière d’une série de citations classiques exaltant la Jérusalem céleste, tirée du Cantique, permet de filer la métaphore de l’enfant qui, incapable d’oublier le sein de sa mère, gesticule et crie pour le retrouver: il est semblable au chrétien qui lutte en ce monde, dans l’Eglise militante, mais aspire au lait et au miel de la Jérusalem céleste. Le thème des enfants, associé à celui des parents et des amis, se retrouve un peu plus loin, dans une perspective différente: pour éviter qu’ils ne provoquent les regrets des croisés et ne les incitent à rebrousser chemin ou abandonner leur vœu, il ne faut pas hésiter à les emmener avec soi, comme fit Moïse durant l’Exode; toutes les classes d’âge, sauf les vieillards, sont incitées à entreprendre ce pélerinage, selon le proverbe « qui dit que chacun, mort ou vivant, doit de rendre à Jérusalem; mais à coup sûr, qui veut monter vers cette Jérusalem doit partir vivant, pour ainsi pouvoir l’atteindre mort». L’ensemble du développement relatif aux chevaux est caractéristique de cette capacité à utiliser des registres variés de l’art de convaincre: les exemples historiques de chevaux ombrageux; les citations bibliques interprétées allégoriquement ou moralement, essentiellement les Livres sapientiaux; les remarques liées à l’élevage (le cheval hennit lorsqu’il voit des prés; on s’adresse au haras quand on a besoin de chevaux) et à l’équipement des montures (le domptage, le ferrage); remarques qui permettent vers la fin du texte de renouer avec les propos eschatologiques initiaux, puisque les quatre jambes du cheval, qui symbolisent chez le croisé, respectivement la stupeur face à la majesté du Seigneur, la crainte de ses jugements, la ferveur et la persévérance, sont rapprochées de la description johannique de la Jérusalem céleste dans ses quatre dimensions, sa longueur, sa largeur, sa sublimité et sa profondeur 516 .
Au-delà des interprétations de détail de l’exégète, deux éléments contribuent ici à équilibrer l’architecture générale de sa pensée: le va-et-vient constant entre Ancien et nouveau Testaments 517 , qui ressortit à l’inscription du sermon dans le schème général de l’exégèse chrétienne qu’aucun auteur du XIIIe siècle, quels qu’aient été les progès de l’interprétation littérale et les efforts pour mieux circonscrire la part respective de l’Histoire et de l’Esprit, ne songe à remettre en cause 518 ; la présence constante, en contrepoint de l’insistance sur les dispositions spirituelles et les vertus nécessaires au croisé, des tentations que le vieil ennemi du genre humain ne peut manquer de lui proposer 519 .
Il est notable que pas une seule fois, malgré l’utilisation d’un lexique guerrier et les multiples allusions à la geste ancienne des croisades, l’orateur n’éprouve le besoin de désigner à ses auditeurs les ennemis de la foi ni d’esquisser la moindre considération stratégique ou tactique. Au point de faire parfois douter de sa visée, notamment lorsqu’il préconise la transformation du peuple chrétien tout entier en une vaste armée de pélerins sous la conduite des clercs et des religieux, retrouvant des accents de prédication « populaire » de la croisade, familiers à une partie de la littérature du genre 520 . De fait, on peut réellement se demander si ce discours précis a eu pour but unique de recruter des combattants, ou s’il n’était pas également destiné à établir un climat spirituel propice à l’entreprise; car on doute que le légat, qui a su se montrer en d’autres circonstances fort réaliste et cibler précisément les catégories à recruter de préférence 521 , ait véritablement envisagé le transport indistinct des Chrétiens, sexes et âges mêlés, de l’autre côté de la Méditerranée 522 . On soupçonne même qu’il a pu compter, sinon sur le système de rachat des voeux déjà très critiqué 523 , du moins sur d’autres gestes en faveur de la croisade tels que legs, aumônes, etc 524 .
Compte-tenu des incertitudes qui pèsent sur la datation de ces deux premiers textes, on doit se contenter d’y relever un réel optimisme d’Eudes de Châteauroux quant aux chances de succès de l’expédition, à condition que les croisés s’y engagent dans les dispositions spirituelles adéquates. Il existait en outre d’autres conditions à la réussite, liées à l’extinction des conflits intérieurs, potentiels ou réels, à l’échelle du royaume. Le roi ici encore a associé son légat à son action pacificatrice.
Le 24 juillet 1245, cf. supra note 19.
Cf. J.-M. Canivez, Statuta capitulorum generalium ordinis cisterciensis..., t. II: 1221-1261, Louvain, 1934, p. 289, n° 2,p. 291-292; le chapitre général à la demande du légat décide que, chaque jour, on dira à la messe conventuelle le psaume Deus venerunt gentes, Kyrie, Pater noster, etc., pour le pape, et pour le roi de France qui a pris la croix; on y ajoutera dans les abbayes de France le verset Domine saluum fac regemet l’oraison pour le roi; sur ce chapitre général voir aussi M. Paris, Chronica... éd. cit., t. IV, p. 479 s., et L. S. Le Nain de Tillemont, La vie de saint Louis, roi de France (éd. J. de Gaulle, 6 vol., Paris, 1847-1851), t. III, qui prétend p. 87, notes 3 et 4, que le légat est parti de Lyon dès août, après la fin du concile.
B. Guérard, Cartulaire... éd. cit., t. III p. 228, doc. n° cccvi: il règle la question de la résidence du chantre et s’intitule « légat » p. 229; la documentation pontificale ne le mentionne comme tel que dans une bulle du 23 octobre 1246 (= Potthastn° 12027; Reg. Innocent IV... n° 1753), cf. supra note 3.
Saint Denis est fêté le 9 octobre; la date approximative de ce parlement se déduit du jour de l’octave, une semaine plus tard. Sur le contexte, cf. J. Richard, Saint Louis... op. cit., p. 179; les mentions dans les sources du début de la prédication du légat appartiennent à des oeuvres tardives et largement hagiographiques, originaires des milieux royaux, le cercle mendiant officieux ou le cercle historiographique officiel, dionysien; je ne crois pas pour autant qu’on doive les rejeter, car cet acte est un moment juridiquement constitutif de la croisade, et l’on a déjà vu l’attachement du roi au commentaire de la Parole. Ont relevé ces mentions L. S. Le Nain de Tillemont, La vie... op. cit., t. III, p. 87; E. Berger, Saint Louis... op. cit., p. 175 note 1, d’après le Confesseur de la reine Marguerite, c’est à dire le frère franciscain Guillaume de Saint-Pathus, qui écrit tardivement, vers 1303 (cf. L. Carolus-Barré, Le procès de canonisation de saint Louis (1272-1297). Essai de reconstitution, Rome, 1994, p. 24. Pour le texte de Guillaume, voir l’éd. du RHGF, t. XX, p. 67B, et l’édition de H. F. Delaborde, Vie de saint Louis par G. de Saint-Pathus..., Paris, 1899 (que j’utilise désormais), p. 22: « ... et quant il fu gueri de cele maladie, il fist assembler les prelaz et les barons de son roiaume a Paris, et fist ilecques preechier par plusieurs foiz et par plusieurs jours par mon seigneur Tusculan, adonques legat du siege de Rome. Et lors ses freres et mout de prelaz, de barons et de chevaliers pristrent ilecques la croiz »; on peut y ajouter Guillaume de Nangis, représentant de la tradition historiographique dyonisienne, dont la Vie de saint Louis est à peine plus précoce (achevée avant la canonisation de 1297, cf..J. Le Goff, Saint Louis... op. cit., p. 349 sq.), dont F. Iozzelli, Odo da Châteauroux... op. cit., p. 27 note 14, cite le passage correspondant.
Œuvre demeurée inachevée avant la mort de l’auteur vers 1261, soit une quizaine d’années après le fait ici narré et exemplifié; cf. sur l’auteur et le recueil la notice, par J. Berlioz, du Dictionnaire des lettres françaises. Le Moyen Age, Nelle édition par G. Hasenohr et M. Zink, Paris, 1992 (désormais cité DLF ), p. 418-420. J’utilise l’édition d’A. Lecoy de la Marche, Anecdotes historiques, légendes et apologues tirés du recueil inédit d'Etienne de Bourbon, dominicain du XIII e siècle, Paris, 1876.
On lit aux p. 89-90 de l’éd. cit. d’A. Lecoy de la Marche (Seconde partie, titre cinq: « De diversis effectibus crucis et passionis Christi... Quod fugat demones »: § 98 et 99): « Item audivi ab alio fratre quod nuper accidit in dyocesi Carnotensi, eo tempore, quo crucesignato rege Ludovico pio Francorum, predicante Odone, venerabili Tusculanensi episcopo, apostolice sedis legato, crucesignati sunt Francie barones, circa festum beati Dyonisii. Dum quidam miles transiret per silvam cum tribus scutiferis, audivit horribiles planctus demonum dicencium: "Ve nobis, quia omnia nostra amittimus, et jam pro magna parte amisimus quos diu possideramus, scilicet istos et illos principes". Et nominabant eos. Et audiens dictus miles, et nomina baronum et militum recognoscens quos nominabant, territus descendit de equo, et monitus est ab altero scutifero quod crucesignaretur cum eis qui secum erant, et quod hoc Deo promitterent ibi. Quod cum fecissent, et eciam crucem herbarum de foliis accepissent in signum voti, demones confusi fugerunt et illos illesos reliquerunt. Qui, cum venissent versus Parisius, comperiunt illos fuisse crucesignatos de quibus demones plangebant, et in ipsa hora ».
Sur le genre de l’exemplum, la bibliographie est désormais considérable, depuis l’ouvrage qui a fait date de C. Brémond, J. Le Goff, J.-C. Schmitt, L’ « exemplum » , Turnhout, 19962; je me contente d’y ajouter l’instrument de travail le plus récent dans ce secteur, LesExempla médiévaux(J. Berlioz et M. A. Polo de Beaulieu dir.), Carcassonne, 1992; et l’ouvrage très stimulant de C. Delcorno, Exemplum e letteratura tra Medioevo e Rinascimento, Bologne, 1989
J. Riley-Smith, What were the Crusades ?, Basingstoke et Londres, 19922, p. 38-42; P. J. Cole, The Preaching... op. cit., p. 80-97 en particulier; C. Maier, Preaching... op. cit. , surtout les chapitres 4 (p. 96 s.) et 5 (p. 111 s.).
Cf. C. Erdmann, The Origin of the Idea of Crusade, Princeton, 1977 (trad. anglaise par M. W. Baldwin et W. Goffart de Die Entstehung des Kreuzzugsgedankens, Stuttgart, 1935); M. Villey, La croisade: essai sur la formation d’une théorie jurudique, Paris, 1942; J. A. Brundage, Medieval Canon Law and the Crusader, Madison, 1969; M. Purcell, Papal Crusading Policy. The Chief Instruments of Papal Crusading Policy and Crusade to the Holy Land from the final loss of Jerusalem to the fall of Acren 1244-1291, Leiden, 1975, surtout p. 35-132.
On n’en trouve aucun dans le série De tempore, ce qui est assez logique, car des deux séries traditionnelles (Temporal et Sanctoral), ce sont les fêtes des saints ou celles instituées en rapport avec de grands événements de l’histoire de l’Eglise (exemple typique: la fête de l’invention de la croix, le 3 mai, rubrique sous laquelle figurent les SERMONES n° 2 et 10) qui se prêtent le mieux à une prédication de croisade. Les sermons De casibusconstituent dans les manuscrits une sous-série du Sanctoral; ils correspondent à des prises de parole que n’impose a priori pas le calendrier religieux, mais qu’ont suscitées les événements, les « occasions », voir mes réflexions sur la signification de cette sous-série à la fin de ce chapitre.
C’est le principal mérite de C. Maier, Preaching... op. cit., que d’avoir montré le sens large, devant tenir compte notamment des composantes canoniques et logistiques du negocium crucis, que revêt l’expression « prédication » de croisade dans la littérature pontificale du XIIIe siècle.
Puisque, comme on l’a vu, les traces d’une prédication réelle de la croisade avant Eudes de Châteauroux sont somme toute fort ténues; à lui seul, il a conservé sur ce thème bien plus de sermons que tous les autres prédicateurs réunis, sous réserve de découvertes toujours possibles dans les manuscrits, où les sermons du XIIIe siècle dorment encore par milliers.
A mon sens, la meilleur étude de l’état d’esprit du roi dans la conception et l’organisation de sa première croisade est celle de W. C. Jordan, Louis IX and The Challenge... op. cit. ; il est notable toutefois que l’auteur attribue un certain nombre des thèmes ici dégagés, notamment la réforme de l’Eglise et celle de l’Etat, ainsi que la purification de la société, surtout à la période postérieure à la croisade, comme conséquences dérivant du déroulement de l’expédition et, disons-le, de son échec; or ils sont à l’œuvre je crois dès sa préparation, et l’échec n’a fait qu’aviver la nécessité de leur approfondissement; d’ailleurs, le début de la réforme de l’Etat avec les grandes enquêtes des frères mendiants date bien d’avant la croisade et correspond à sa phase préparatoire, voir le chapitre 3 de W. C. Jordan. J. Le Goff, Saint Louis... op. cit., fournit un arrière-plan général de la spiritualité de Louis, et de ses conceptions en matière d’exercice chrétien de l’officium royal, désormais fondamental. Ces deux ouvrages mentionnent bien sûr Eudes de Châteauroux, mais faute d’en connaître les sermons, manquent évidemment son influence sur le roi que je juge, en essayant de ne pas la surestimer, non négligeable, avant comme pendant la croisade.
A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 203 et note 8, donne une liste exhaustive de mentions, dans les chroniques, de prises de parole d’Eudes de Châteauroux où il exhorte à prendre la croix; la plupart ne sont pas datées, donc difficilement utilisables pour tenter d’y appliquer les sermons subsistants; en outre, la plupart de ces chroniqueurs travaillent de seconde main et n’ont pas été témoins des événements qu’ils rapportent; enfin et surtout, comme c’est le cas presque toujours lorsque les chroniques mentionnent des sermons, elles ne disent rien de leur contenu; ces mentions ont au moins une valeur: leur nombre et leur diversité, y compris géographique, confirment le retentissement de la parole du légat.
Voir la présentation générale du rôle et de l’évolution des lectures liturgiques dans E. Palazzo, Histoire des livres liturgiques. Le moyen âge des origines au XIII e siècle, Paris, 1993, p. 103 s. Les liens entre prédication et liturgie et leur évolution entre le XIIe et le XIIIe siècle sont étudiés par N. Bériou, L’avènement... op. cit., p. 15 s.; voir surtout son analyse du contenu spirituel des sermons du XIIIe siècle en rapport avec le temps liturgique, p. 386 s.
Voir l’exemple de saint Bonaventure dans ses sermons, analysé par son éditeur J. G. Bougerol, La nouvelle édition... art. cit., surtout p. 64.
Lignes 1-2.
Au sens origénien analysé par H. de Lubac, Histoire et Esprit. L’intelligence de l’Ecriture d’après Origène, Paris, 1950; Idem, Exégèse médiévale... op. cit., passim.
4. Rg. 4, 40. Voir les lignes 4-6.
Il n’est pas possible de savoir de quelle manière s’est effectuée, chez Eudes de Châteauroux, le passage de la performance orale à la mise par écrit des sermons. Du moins certains indices prouvent qu’un ou des auditeurs ont reporté les sermons du cardinal, quels qu’aient été les remaniements postérieurs effectués par ses soins (voir l’étude de la tradition manuscrite, chapitre VI).
Ligne 34.
Sur l’importance de la Passion dans la prédication du XIIIe siècle, voir N. Bériou, L’avènement... op. cit., p. 400 s.; l’auteur montre que la place réservée à ce mystère dans les sermons « est telle que les rythmes attendus du cycle liturgique s’en trouvent bouleversés », notamment par son annonce bien avant le temps liturgique prescrit, mais aussi le maintien en aval de cet « enseignement majeur qui récapitule en lui toute le foi » (p. 404); on en trouve ici l’illustration: certaines fêtes du Sanctoral sont tout aussi propices à la méditation sur la Passion que les grandes dates du Temporal qui lui sont consacrées.
Les fêtes de l’invention (3 mai) et de l’exaltation (14 septembre) de la croix.
Voir sur la construction et la constitution du trésor de reliques qu’elle doit abriter J.-M. Leniaud-F. Perrot, La Sainte-Chapelle... op. cit. Et pour plus de détails l’étude ci-dessous du SERMO n° 9, que je crois pouvoir dater de la consécration de cette nouvelle chapelle royale le 26 avril 1248.
Ligne 36.
Sur les vertus théologales dans la prédication, cf. pour le XIIe siècle J. Longère, Œuvres oratoires... op. cit., p. 280 s.; pour le XIIIe siècle, F. Morenzoni, Des écoles... op. cit., p. 117 s. et s.v «Vertus », à l’Index des matières; N. Bériou, L’avènement... op. cit., s. v° «Vertus »à l’Index analytique, p.947.
Rom. 5, 10, lignes 39-41.
Mt. 16, 24; Mc. 8, 34; Lc. 9, 23; lignes 45-46.
Lignes 53-54.
Voir surtout lignes 45-47; ligne 54: « ... si crucem et hanc peregrinacionem assumpserit pro eis »; et le vocabulaire typique du pélerinage à la fin du sermon, à travers une allusion, traditionnelle, aux paroles du Cantique (7, 8): « Ascendite in palmam et apprehendite fructus eius », puisque l’habitude voulait que les pélerins de retour de Jérusalem en ramenassent des branches de palme.
Voir surtout E. Delaruelle, L’idée de croisade chez Saint Bernard, dans Mélanges saint Bernard(XXIVe Congrès de l’association bourguignonne des sociétés savantes. 8e centenaire de la mort de saint Bernard), Dijon, 1953, p. 53-67 (réimpression dans Idem, L’idée de croisade au Moyen Age, Turin, 1980, p. 155-169; je citerai désormais le chanoine Delaruelle d’après cette réimpression).
E. Delaruelle, L’idée de croisade chez saint Louis, dans L’idée de croisade... op. cit., p. 191-207, surtout p. 198 s.
Voir sur ce saint les notices de la Bibliotheca sanctorum, t. VI (1965),col. 512-531, et de l’ Histoire des saints et de la sainteté chrétienne... op. cit., t. II (1987), p.161-167; sur le chevalier modèle proposé aux croisés, particulièrement dans les chroniques et la littérature profane engendrées ou influencées par la première croisade, voir P. Rousset, Histoire d’une idéologie, la croisade, Lausanne, 1983, p. 53; concernant la littérature hagiographique, Ibidem p. 99: la Légende dorée, ce « best-seller » du genre, fixe à la fin du XIIIe siècle l’image de l’apparition à un prêtre d’un jeune chevalier merveilleusement beau; ce guerrier se révèle être saint Georges venu guider les chrétiens dans leur entreprise de reconquête, cf. l’édition de T. Graesse, Jacobi a Voragine Legenda aurea..., Osnabrück, 1969 (réimpression anastatique de la troisième édition de 1890), cap. lviii p. 259-264, ici p. 264; l’hagiographe donne lui-même la source profane de cet épisode, l’hystoria Antiochena, c’est à dire la Chanson d’Antioche, geste de la fin du XIIe siècle citée ailleurs par Eudes Châteauroux (sur cette œuvre, voir la notice du DLF, p. 238); cette apparition de saint Georges a son prototype dans l’Ecriture, provenant du second livre des Macchabées, et sert de thème biblique au SERMO n° 3 ici étudié; nouvelle illustration de l’interaction entre littérature profane et religieuse dans la prédication aux grands laïcs.
Je propose cette date par comparaison et élimination d’autres possibles, mais peu probables vu le contexte: deux autres sermons pour la fête de saint Georges peuvent je crois être assez sûrement datés, respectivement de 1249 et 1250, les SERMONES n° 11 et 13, voir leur étude au chapitre suivant; pour celui-ci, il reste trois années possibles, entre 1246 et 1248; 1247 me paraît exclue, car comme on le verra, c’est l’année de tous les dangers pour le cardinal, ce que reflètent fort bien les sermons de croisade donnés dans ce contexte; or notre texte est de ton plutôt irénique; l’année 1248, lorsque tout semble rentré dans l’ordre à la veille du départ, ne peut être écartée.
Sur ce personnage, voir A.-M. Gérard, Dictionnaire de la Bible, Paris, 1989 (coll. « Bouquins », R. Laffont; ouvrage désormais cité DB ), notice p. 815-816.
Lignes 2-4.
Lignes 5-14.
Cf. note 93 ci-dessus.
Lignes 51-53.
Cf. note 91 ci-dessus.
Lignes 87-151.
Pour les proverbes, lignes 73-74: « On dit en langue vulgaire que chacun, mort ou vivant, doit se rendre à Jérusalem »; lignes 87-88: « On dit en langue vulgaire: il va léger celui que quatre pieds portent, celui qui marche peine beaucoup »; lignes 104-105: « Nous devons à Dieu un cheval pour son service, comme on dit en langue vulgaire »; ligne 107: « C’est ce qu’en langue vulgaire nous appelons ‘haras’ »; ligne 116: « Il est d’autres chevaux qui ont un vice, nommé ‘espavein’ » (je n’ai pu identifier ce mot d’ancien français, paraissant désigner une maladie des chevaux). Aucun de ces proverbes ne se lit dans J. Morawski, Proverbes français antérieurs au XV e siècle, Paris, 1925
Lignes 97-101.Il s’agit du cheval d’Alexandre, Bucéphale, qui refuse après la mort de son maître tout autre cavalier (on ne trouve auncune référence dans G. Cary, The Medieval... op. cit., qui concerne cette anecdote; seule celle très célèbre du domptage de la bête est répertoriée; sur Alexandre le Grand source d’exempla, voir aussi les actes du colloque, Exemplum et Similitudo. Alexander the Great and other Heroes as Points of Reference in Medieval Literature, éd. W. J. Aerts et M. Gosman, Groningue, 1988); du cheval de Jules César qui aurait agi de même; de celui du roi des Scythes qui tua l’assassin de son maître; de celui de Nichomède roi des Perses. Concernant ces trois derniers chevaux, je n’ai pu repérer de source précise. Concernant oiseaux et chevaux comme éléments identitaires de la culture noble, on songe évidemment à Frédéric II, auteur d’un traité de chasse aux rapaces, voir en dernier lieu B. Van den Abeele, Il « De arte venandi cum auibus » e i trattati latini di falconeria, dans Federico II e le scienze(a cura di P. Toubert e A. Paravicini-Bagliani), 1994, Palerme, p. 395-409; sur les chevaux, leur importance dans la société de l’époque et l’apparition au XIIIe siècle d’une véritable science vétérinaire, J.-L. Gaulin, Giordano Ruffo e l’arte veterinaria, Ibidem, p. 424-435/ Quant aux Scythes, ils sont certes cités dans la Bible, mais de façon très allusive (sur ce peuple dans la Bible, cf. DB, p. 1258). César est au centre de la littérature historique du temps en langue vulgaire, cf. Li Fet des Romains... éd. cit.; B. Guenée, La culture historique des Nobles: le succès des Faits des Romains (XIII e -XV e siècles), dans La noblesse au Moyen Age. Essais à la mémoire de Robert Boutruche, éd. P. Contamine, Paris, 1976, p. 261-288; cet auteur cite une autre chronique vernaculaire intéressée à la matière romaine dont le succès date du premier tiers du XIIIe siècle et qui met au centre de son récit Jules César, l’Histoire ancienne jusqu’à César, également étudié par G. M. Spiegel, Romancing the Past. The Rise of Vernacular Prose Historiography in Thirteenth-Century France, Berkeley-Los Angeles-London, p. 107 s.; voir enfin C. Croizy-Naquet, Ecrire l’histoire romaine au début du XIII e siècle, Paris, 1999. L’intérêt principal de l’étude de B. Guenée pour notre propos, c’est sa démonstration que les Faits des Romainsfurent élaborés dans et partiellement pour le milieu universitaire, et non, comme leurs premiers interprètes l’ont jugé, à destination prioritaire des Nobles, qui n’ont favorablement reçu la matière romaine qu’un peu plus tardivement, à compter du milieu du siècle, et exclusivement dans le nord de la France (ainsi qu’en Italie à la fin du siècle grâce à la conquête angevine); le recours fréquent aux exemples antiques chez Eudes de Châteauroux conforte cette thèse et l’enrichit, puisque les Faits des Romainsfurent produits par le milieu des Artiens orléanais; il est notable de voir les théologiens prédicateurs, du moins certains, qui disposaient on l’a vu d’un bon manuel d’histoire biblique avec l’Historia scholasticade Pierre le Mangeur, recourir en outre à la matière antique pour y puiser des leçons de sagesse, puisque c’est la fonction principale que B. Guenée attribue à l’ouvrage concernant les Nobles. Cette mixité des sources profanes et sacrées dans la prédication entendue par les Nobles et les prélats confirme deux choses: que la distinction entre Litterati et Illitteratià ce niveau n’a plus la même pertinence qu’au siècle précédent (et même au début du XIIIe siècle: l’auteur des Faits des Romains déclare tout net que Philippe-Auguste, roi au tournant des deux siècles, ne fut pas un lettré, cf. B. Guenée, La culture historique... art. cit., p. 265 note 5); que ce type de prédication remplit une fonction de propagande en liant intimement, de façon quasi subreptice ici, sans doute la plus efficace, sagesses biblique et antique, histoires sacrée et profane.
Voir supra note 93 pour les notices biographiques: le saint était enterré en Palestine, à Lydda, environ 20km au sud-est de Jaffa, où plusieurs églises furent bâties et rebâties sur son tombeau par les Chrétiens après leur destruction par les Musulmans; son culte est très largement diffusé, dès l’antiquité, dans la Chrétienté, tant orientale qu’occidentale; les croisades lui redonnent un lustre particulier, eu égard au rôle que la tradition latine lui attribue dans la prise d’Antioche en 1098. L’origine semble en remonter à l’ Histoire anonyme de la première croisade, éd. L. Bréhier, Paris, 1964 (Coll. Les classiques de l’histoire de France au Moyen Age, Les belles lettres), cf. p. 155 et note 5, où le saint figure en compagnie de deux autres, Mercure et Démétrius, à la tête de « troupes innombrables montées sur des chevaux blancs »; Ibidemp. 193 pour la mention du tombeau du saint au lieu de son martyr. La reprise de cette apparition, sous une forme légérement modifiée, semble due historiquement à Richard Coeur de Lion, qui déclara avoir vu, lors d’une bataille contre Saladin durant la troisième croisade, le saint conduire les Chrétiens à la victoire; c’est à la suite de cet événement qu’il en fit le patron du royaume d’Angleterre. La mise en langue romane de l’épisode, dans la Chanson d’Antioche, n’a pu que populariser davantage le thème chez les laïcs.
Ligne 20.
Voir une moisson de citations des deux Testaments dans la notice Jérusalem céleste du DB, p. 639-640. Et, parmi une immense bibliographie sur les croisades qui traite immanquablement ce thème, les cinq articles particulièrement éclairants d’E. Delaruelle, intitulés Essai sur la formation de l’idée de croisade, repris dans L’idée de croisade... op. cit., surtout celui relatif à la première croisade, p. 226-239 (p. 234 s.: « le thème de Jérusalem et du peuple saint »).
Voir la ligne 43 (« Combats pour la patrie »), qui mêle les registres du nationalisme et de l’eschatologie, puisque la citation de cette maxime intervient dans un contexte de spiritualisation du pélerinage en terre sainte; sur ce point voir l’article de H. Kantorowicz, Mourir pour la patrie (Pro Patria Mori) dans la pensée politique médiévale, dans Idem, Mourir pour la patrie et autres textes, Paris, 1984 (recueil d’articles traduits de l’américain et de l’allemand), p. 105-141, surtout p. 121 s. Le proverbe lui-même, « Pugna pro patria », provient d’un célèbre recueil antique de maximes, les Distiques de Caton, voir l’édition du texte par M. Boas, Disticha Catonis, Amsterdam, 1952, ici p. 19; sur les origines et le genre de l’œuvre, mise sous l’autorité de Caton l’Ancien, voir la notice du DLF(L. Pichard et S. I. James), p. 227-228; P. Roos, Sentenza e proverbio nell’ Antichità e i ‘Distici di Catone’, Brescia, 1984.
La guerre sainte est en définitive une guerre pour le salut individuel et doit être menée d’abord contre soi-même, au plan spirituel (c’est elle qu’ont menée les saints), autant que par les armes véritables contre les ennemis de la foi, qui ne sont jamais cités dans ce texte; voir les lignes 41-43: « Pour récupérer Jérusalem, de nombreuses guerres ont été engagées; de même les saints combattent pour acquérir la béatitude éternelle »; et un peu plus loin, lignes 46-48: « C’est cette paix qu’il faut vouloir; à présent, ce n’est pas la paix mais une sorte de trève, car ce sont les mouvements de la chair qui nous incitent aux guerres ».
Lignes 134-137. Le passage de Jean auquel il est fait allusion est Apoc., 21, 16.
L’introduction du sermon, voir ci-dessus, ainsi que le point 1 (lignes 16-86) sont particulièrement éclairant; les lignes 16-56 citent exclusivement l’ancien testament; alors que les lignes 57-86 comportent trois citations des Evangiles, toutes relatives au Christ à Jérusalem (Jésus parmi les docteurs, en Luc 2, 42-43; deux versets où c’est le Christ lui-même qui prend la parole, s’adressant aux deux disciples d’Emmaus, en Luc 24, 25-26; on notera que le passage qui suit immédiatement ces deux versets, Luc 24, 27, évoque précisément l’exégèse du Christ: « Et commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait », et constitue l’un des fondement scripturaires justifiant l’exégèse spirituelle de l’ancien testament par le nouveau).
De ce point de vue, outre nos remarques dans le chapitre précédent, passim, voir la mise au point fort claire de J. Verger, L’exégèse de l’université, dans Le Moyen Age et la Bible (P. Riché-G. Lobrichon dir.), Paris, 1984, citant Albert le Grand et Thomas d’Aquin, dont la lecture rapide des considérations herméneutiques a conduit certains auteurs à les ranger dans le camp des contempteurs de l’exégèse spirituelle.
Le Diable est cité deux fois, ligne 37: « Mais de même qu’un peu d’amertume se dépose sur le sein, de sorte que l’enfant l’exècre et le fuit, de même le Diable apporte l’amertume destinée à nous faire fuir ces seins [ceux de Jérusalem] »; lignes 111 s.: « Mais à coup sûr, il existe de mauvais chevaux, que montent le Diable et ses cavaliers... ». La prédication du XIIIe siècle ne me paraît pas, malgré Jean Delumeau, pouvoir être caractérisée comme une pastorale de la peur; cela dit, le Diable est bien un élément structurant de l’univers chrétien, une sorte de « point de repère » par rapport auquel ce sont surtout la nécessité de comportements vertueux, de la conscience du péché et de la confession que les prédicateurs mettent en valeur, cf. N. Bériou, L’avènement... op. cit., Index analytique s. v° « diable », « ennemis de l’homme » et « péchés » .
Sur ce climat de prédication populaire, cf. pour la première croisade J. Flori, La première croisade. L’Occident chrétien contre l’Islam, s.l., 1992 (Edtions Complexe), p. 35-44. La présentation de l’armée croisée comme un peuple composite de pélerins en armes est nette aux lignes 51-75; on y lit entre autres qu’ « aujourd’hui encore [les hommes se rendent en compagnies] à Jérusalem pour voyager plus agréablement et plus sûrement, de même que pour gagner l’éternité les hommes se regroupent et vont en troupes, [car] une obédience religieuse est un groupe, ou une troupe ».; le rôle de guide des clercs est indiqué aux lignes 107-108: « C’est en effet dans les congrégations religieuses que l’on trouve ces chevaux [les bons chevaux de la charité] ».
Voir par exemple l’analyse ci-dessous du SERMO n° 8.
Sa proximité avec le roi, que sa grande piété n’a cependant pas rendu aveugle face à la prise en compte des dimensions stratégiques de l’entreprise, aurait suffi à l’en dissuader.
Voir à ce sujet E. Siberry, Criticism of Crusading (1095-1274), Oxford, 1985, p. 150-155.
Sur tous ces aspects de la croisade, voir les développements très détaillés de E. Berger, Saint Louis... op. cit., p. 171-237; les nombreuses lettres qu’Innocent IV adresse au légat, relatives aux aspects logistiques de la croisade, interdisent de penser qu’Eudes de Châteauroux a méconnu les exigences et les contraintes matérielles de l’expédition.