On a vu au chapitre premier que l’affaire du Talmud avait paru s’éteindre en 1244, après une seconde crémation probable ordonnée par Innocent IV. Une seconde lettre comminatoire du pape, du 9 mai 1244, revient à la charge, et provoque une ordonnance de Louis IX dont le texte ne nous est pas parvenu; tout prouve que son contenu décrétait une nouvelle crémation de livres juifs suspects, ainsi que l’expulsion du royaume des rabbins qui refuseraint de les livrer 629 . L’attitude du souverain pontife révèle donc un durcissement par rapport à celle de son prédéceseur, qui n’avait ordonné qu’un examen et une censure des dits livres, non leur destruction systématique. Les arguments d’Innocent IV sont caractéristiques du type de griefs désormais avancés: « Ils ommettent voire méprisent la Loi mosaïque et les Prophètes, pour suivre les récits de leurs anciens, ce dont les réprimande le Seigneur dans l’Evangile en leur disant...; c’est pourquoi, par le recours à de tels récits, appelés Talmud en hébreu, ils s’écartent totalement de la loi et des Prophètes, de peur que la vérité... ne les convertisse à la foi et ne les ramène humblement à leur rédempteur » 630 .
Peu d’historiens ont relevé cette évolution d’un pape à l’autre 631 . Grégoire IX avait en effet globalement maintenu en 1235 les vues pontificales traditionnelles sur le Judaïsme, remontant à Augustin et qu’Innocent III a résumées dans sa Constitutio pro Iudeisde septembre 1199 632 . Innocent IV amorce en mai 1244 un raidissement dont l’initiative ne semble pas devoir lui être imputée, si l’on en juge par ses hésitations ultérieures: c’est le milieu universitaire parisien, les docteurs et le chancelier Eudes de Châteauroux, qui ont attiré son attention sur les premiers pas faits en ce sens par Grégoire IX 633 . Car le pape ne se sentait, au fond, pas très concerné: deux ans plus tard, dans une bulle du 5 juillet 1247, il défend les Juifs de France et d’Allemagne de l’accusation de meurtre rituel, réaffirmant leur rôle traditionnel de gardiens des « archives », entendons par là l’Ancien Testament, et à ce titre, de témoins, certes aveugles, de la foi chrétienne 634 . Un point de vue incompatible avec la lettre de 1244 sur l’abandon par les mêmes Juifs de la Loi et des Prophètes 635 .
En somme, le rôle fondamental d’Eudes de Châteauroux et de ses confrères s’impose dans la reprise et l’accentuation du processus de condamnation des écrits juifs. Une autre lettre d’Innocent IV, d’août 1247, en fournit la preuve: en retrait sur sa démarche de 1244, le pape demande au roi de France de rendre aux Juifs leurs livres, car ces derniers sont venus se plaindre à Lyon en expliquant que « sans ce livre, qui est dit Talmud en hébreu, ils ne peuvent selon leur foi comprendre la Bible, et d’autres constitutions de leur loi » 636 . Il fait toutefois référence à un élément nouveau, s’ajoutant aux critiques objectées par Grégoire IX au Talmud: l’accusation de blasphème; or cet élément n’est pas totalement neuf, il figure déjà dans la lettre de mai 1244. Qui, sinon les universitaires, peut avoir introduit ce chef d’accusation ? La notion des blasphèmes contenus dans le Talmud est au cœur du dossier des Extractiones que l’université fait confectionner à ce moment 637 . Les docteurs sont certains de pouvoir recueillir sur ce terrain l’assentiment de Louis IX, dont on connait dès 1240 la haine tant du blasphème que des Juifs. Bref, on ne peut sous-estimer, au niveau de l’opinion publique, les effets de l’opération déclenchée au début de la décennie 1240 638 . Parmi ces blasphèmes contre la religion chrétienne imputés aux livres Juifs, ceux qu’ils y auraient proférés contre la Vierge jouent un rôle majeur, en ce siècle d’intense dévotion mariale 639 . La même lettre d’Innocent IV d’août 1247 indique qu’il a, dans une missive antérieure, demandé à son légat, Eudes de Châteauroux, d’examiner les livres juifs et d’y tolérer ce qui n’injuriait pas la foi chrétienne. La lettre est perdue 640 , mais on est certain que la réaction du légat fut tout autre: s’adressant au pape après le 12 août 1247, il reprend par le menu l’affaire quasiment dépuis ses débuts, refuse de se ranger à cette position de compromis et argumente en achevant son récit par l’accusation d’hérésie et de perfidie, puisque les rabbins ne lui auraient remis, à fin d’examen, que cinq « volumina vilissima » 641 . Quelle que soit la valeur du Talmud sur certains points, concédée par le légat, il est devenu un instrument dangereux pour la foi chrétienne car non seulement il détourne les Juifs d’une possible intelligence spirituelle de l’Ecriture, annihilant par le fait tout espoir de conversion, mais, chose pire encore, il les détourne de la lettre même de leur loi, leur faisant perdre leur fonction traditionnelle de témoins de la foi chrétienne, utiles dans ce sens au moins à l’édification des fidèles 642 . Conclusion: « j’ai demandé aux maîtres des Juifs qu’ils me montrent leur Talmud et tous leurs autres livres...; conformément à la teneur votre ordre, je les fais inspecter diligemment » 643 . On ne saurait trop insister sur le fait que, dans la moyenne durée conjoncturelle, Eudes de Châteauroux est la cheville ouvrière du processus qui aboutit à la politique anti-talmudique systématique de la seconde moitié du siècle 644 ; la méticulosité avec laquelle il fait rédiger le dossier des Extractionesest symbolique de cette volonté tenace 645 .
Le point d’aboutissement de son action est la Sententia Odonisdonnée le 15 mai 1248, soit quatre semaines avant le départ de la croisade, et très peu de temps après la consécration de la Sainte-Chapelle, qui marquait la réconciliation du Regnum pacifié en présentant la royauté d’Israël comme le prototype du règne de Louis IX 646 . L’encadrement chronologique suggére que ce jugement conditionnait aux yeux du légat le déroulement favorable de l’expédition 647 . Le rapprochement entre royauté biblique et Regnum Francieconfirme la forte cohérence de la pensée: cet Israël-là, c’est l’Israël témoin de la foi chrétienne, préfigurant l’accomplissement de l’Ancien Testament par le Nouveau, dont l’histoire présente ne fait que dérouler le cours. Le jugement est donc sans appel: « Les maîtres des Juifs du royaume de France nous ayant présenté, de par l’autorité apostolique, certains livres appelés Talmud 648 , nous les avons inspectés et fait inspecter avec attention par des hommes discrets et experts en la matière, craignant Dieu et possédant le zèle de la foi chrétienne: pour y avoir trouvé d’innombrables erreurs, abus, blasphèmes et impiétés, lesquels font tant horreur à ceux qui les entendent... que les livres cités ne peuvent selon Dieu être tolérés sans injures à la foi chrétienne, nous décidons, du conseil d’hommes de qualité que nous avons spécialement convoqués sur ce point, qu’ils ne peuvent être tolérés ni restitués aux maîtres des Juifs, et les condamnons par sentence ». Eudes de Châteauroux ajoute qu’il continuera à rechercher les livres dissimulés par les rabbins. Suit la liste des maîtres de l’université présents, ayant collaboré à et sanctionné la sentence: l’évêque Guillaume d’Auvergne 649 , deux Victorins, des dignitaires du chapitre de Notre-Dame, des maîtres en théologie dont deux Mendiants, des maîtres en Décret et des « boni viri » séculiers ou Mendiants, en tout quarante et un clercs, l’élite de l’institution 650 .
Les faits étant bien établis, reste à interpréter cette séquence qui forme, tous les historiens en sont d’accord, un retournement de l’attitude séculaire des intellectuels chrétiens vis-à-vis du Judaïsme 651 . Pour la plupart, ils ont mis en avant des pistes contextuelles: le rôle des usuriers juifs, les contacts quotidiens entre les deux confessions, faisant craindre que les Juifs n’influencent les Chrétiens, la montée en puissance de la papauté et l’alliance stratégique connexe de Louis IX avec le pape 652 . « Ces séries factuelles bien réelles [sont] sans vertu causative », dit A. Boureau. Sur le fond, cet historien désigne comme cause profonde de cette mutation « la haine donc, rien que la haine, toute la haine » 653 . Et derrière la haine la prolifération concurrente des récits: « La fable antisémite semble se répandre sans auteur, dans la pure oralité », car, « difficulté majeure, le Moyen Age n’a produit aucune théorie antisémite » 654 . Parmi les traductions littéraires de cette élaboration exclusivement orale d’un véritable antisémitisme, on trouve naturellement la prédication, Jacques de Voragine fournissant comme de coutume un exemple approprié; ou encore les Faits des Romains 655 : c’est bien là l’univers d’Eudes de Châteauroux, grand amateur de memorabiliaantiques puisés sans doute pour partie dans ce dernier ouvrage, et bien sûr prédicateur prolifique, le seul à ma connaissance dont on possède un sermon réellement préché aux Juifs convertis. De ce point de vue, je nuancerai ici la thèse d’A. Boureau, qui prétend p. 217 que « la haute culture théologique ou juridique ignore la haine », citant l’exemple de saint Bernard et la bulle, évoquée, d’Innocent IV Lacrimabile Iudaeorum, disculpant en 1247 les Juifs de l’accusation de meurtre rituel. Le lien qui paraît a priori absent entre les cimes théologiques et le récit quotidien chrétien, oral ou liturgique, chargé de structurer le monde en narrant son mystère, on le trouve parfois chez certains intellectuels tel Eudes de Châteauroux.
En admettant que la cause est identifiée, il faut encore élucider quels cheminements ont conduit à ce retournement. Chez Eudes de Châteauroux, c’est à n’en pas douter la réflexion exégétique. J. Rembaum fait judicieusement remarquer que dans sa réponse à Innocent IV de l’été 1247, il utilise à l’appui de sa conduite un argument hiéronymien 656 , et ajoute qu’il vise en fait l’un des arguments donnés par Rabbi Yehiel lors de la dispute de 1240 devant le roi et sa mère; le rabbin avait argué que le jugement du Talmud auquel il participait ne pourrait déboucher sur la moindre issue, puisque l’Eglise avait toléré ce livre depuis des siècles et que même Jérôme, qui connaissait les doctrines juives, n’avait rien trouvé à y redire 657 . Dans sa lettre, Eudes réplique que « cette doctrine est celle que mentionne le bienheureux Jérôme dans son commentaire sur Matthieu, qu’il nomme ‘de seconde main’, car elle annule l’ordre de Dieu, comme ce Dernier l’atteste lui-même » 658 . En somme, une seconde loi, plus vaste que la première, transmise oralement par Dieu mais que les rabbins ont eu l’audace de mettre par écrit, rompt le schème fondamental structurant jusque-là l’éxégèse chrétienne et le rôle du Judaïsme dans ce cadre, à savoir que l’Ancien testament a annoncé typologiquement le Nouveau ; que les Juifs endurcis dans l’aveuglement n’ont pas su lever le voile de la lettre 659 ; mais que, si fautifs soient-ils, ils demeurent des témoins de ce fait constitutif de la révélation chrétienne, à ce titre asservis, au négatif et au positif, à la lettre de la Loi et des Prophètes. Je pense avec A. Boureau que le brûlement du Talmud est bien le résultat d’une très ancienne « guerre des récits » et qu’il convient à ce titre de « s’attacher à la nouveauté radicale de l’événement » que constitue la mise au ban de cet ouvrage 660 . C’est un nouveau Livre, dont Dieu est l’objet et non le sujet, et les docteurs chrétiens s’en prennent de préférence à sa partie narrative, la Aggadah 661 , remplie disent-ils de fables, de sottises et de balsphèmes à l’encontre du Seigneur 662 . Ils ne reprochent désormais plus aux Juifs la pauvreté et la sécheresse, l’aveuglement ritualiste et littéral imputables à l’observance de la partie légale, la Halakah, du Talmud; au contraire, ils stigmatisent l’exubérance narrative de son contrepoint aggadique. C’est que les Chrétiens eux-mêmes ont puissament structuré aux XIIe-XIIIe siècles la partie narrative de leur version de l’histoire sainte, pour en quelque sorte « combler les lacunes de l’Ecriture » 663 . A ce titre, on peut citer une œuvre plusieurs fois évoquée, l’Histoire scholastique de Pierre le Mangeur 664 . Cette narrativité chrétienne n’a de valeur qu’autant qu’elle permet de mieux asseoir le « saut herméneutique » au cœur des conceptions exégétiques chrétiennes, puisque tous les exégètes du XIIIe sièle, même les plus férus du sens littéral, ceux qui tendent à en élargir le plus considérablement le domaine d’application, n’approfondissent leur réflexion dans cette direction que pour mieux justifier ce saut. A la racine de ce mouvement, il faut voir la « conscience accrue de l’historicité du salut » 665 , nourrissant une double exigence: ancrer davantage le monde présent dans l’hsitoire du salut, pour mieux clore cette histoire en en « bloquant » pour ainsi dire la révélation, ce que manifeste l’exégèse spirituelle; par elle en effet Dieu parle, via les mots et les choses, autrement qu’il ne paraît s’exprimer explicitement dans la lettre 666 . A l’arrière-plan de ce passage d’un sens obvie à un sens second, second dans l’ordre de la méthode, non point dans celui de la logique, réside implacablement, paradigmatique, la correspondance entre Ancien et Nouveau testaments et la succession historique judéo-chrétienne. A contrario, un tel raisonnement implique le refus de toute autre narration sacrée sanctionnée par une mise à l’écrit en Livre, tel le Talmud; l’accepter, ce serait prolonger, pour les Juifs, au-delà du temps dont ils sont pour toujours les témoins, la validité du message religieux qu’ils ont recueilli 667 .
On a vu et l’on verra à nouveau combien chez Eudes de Châteauroux cette conscience de l’historicité du salut est forte; elle explique la cohabitation, au premier abord paradoxale, mais parfaitement logique, eu égard aux présupposés herméneutiques chrétiens, du recours systématique au parallèlisme Ancien-Nouveau Testaments, et de la critique du littéralisme ritualiste juif. Si cet auteur cristallise et porte jusqu’à son terme le mouvement de refus du Talmud, lequel, s’il n’est pas redécouvert, au sens scientifique du terme, au XIIIe siècle, change alors profondément de signification dans la conscience exégétique chrétienne, c’est qu’il exprime principalement sa théologie dans sa prédication 668 ; il confirme ainsi son appartenance, pressentie, à un courant traditionnel de la théologie, qui privilégie, dans un cadre ecclésiologique répartissant les tâches entre prélats, l’Ecriture dans ses fonctions pastorales plutôt que comme espace scientifique de discussion. Certes, le type de public que révèle le corpus de sermons analysés dans ce travail, public relativement savant (clercs) ou frotté d’un peu de culture historique (grands laïcs), ne constitue pas un obstacle à la présence, au sein du commentaire de la Parole, de séquences narratives; mais l’orateur s’y plie en arrimant le plus possible cette narrativité à l’exégèse littérale dans le sens large qu’elle a pris au XIIIe siècle; de la sorte la Bible devient parfaitement close sur elle-même 669 .
Ne pas sortir du champ de l’histoire, telle que les rapports de deux testaments le circonscrivent, requiert en amont, dans le domaine de l’enseignement théologique, la surveillance assidue de l’orthodoxie dogmatique. Or à la fin de 1247, alors que s’achève la préparation de la croisade, une nouvelle affaire d’hétérodoxie est venue troubler l’unité de la foi. L’épisode dans lequel Eudes de Châteauroux préside, le 21 décembre 1247, à la condamnation de deux clercs obscurs, l’un de la faculté des arts et peut-être d’origine italienne, n’a pas été étudié récemment 670 . On doit se contenter d’exposer brièvement ce qu’en dit notre source et la rapprocher d’épisodes antérieurs où le légat, alors universitaire, a pris part à des procès de même type, portant sur des théories proches 671 . Jean de Brescain reconnait n’avoir pas respecté sa promesse de révoquer et combattre publiquement les erreurs qu’il avait professées puis abjurées une première fois devant l’évêque et un jury de maîtres 672 . La principale thèse incriminée prétendait que « la lumière créée relève à peine du genre de la substance et possède ces trois propriétés: l’infinité, l’immensité et l’essence »; à quoi s’ajoutent « quelques autres points, qui semblaient confiner quasiment à l’hérésie arienne » 673 . Il n’est pas facile de savoir à quel corps de doctrine précis, le cas échéant, l’on a ici affaire. La nature profonde des reproches est précisée un peu plus loin et ramène en terrain connu, car le légat s’en prend à « ceux qui, mêlant la théologie à la logique, ne comprennent ni ce qu’ils disent ni ce à propos de quoi ils affirment... »; il s’agit de remettre chaque discipline à sa place et d’interdire aux universitaires, suivant l’exemple des Athéniens critiqués par saint Paul, de procéder dans leurs disputes, « les logiciens à la manière des théologiens et les théologiens à la manière des philosophes... » , en mélangeant et confondant l’héritage du Christ; que l’université exhorte « tous et chacun à se contenter des bornes antiques des sciences et des facultés, que nos pères ont déterminées ». Il paraît clair que se retrouvent ici des défauts déjà dénoncés à l’occasion de la condamnation d’E. de Vernizy en 1241-1244: l’autonomisation de la théologie sous diverses influences, celle des logiciens de la faculté des Arts à coup sûr, celle peut-être aussi du « nouvel Aristote », si l’allusion aux Athéniens, via la citation de saint Paul, n’est pas choisie au hasard, l’éloignent de sa vocation première, enseigner la doctrine catholique et les comportements qui en découlent, à travers l’étude de la Bible.
Il est évident que cette affaire, d’ordre interne, n’est pas comparable pour son impact à celle du Talmud. Reste qu’elle illustre, sur un mode mineur, la volonté du légat de purifier la société dans tous les domaines, dans l’optique de la mise en marche du nouveau peuple élu. La plupart des dangers écartés, c’est bien cette marche prochaine, à la fois humble et triomphale, que les sermons du premier semestre 1248 célèbrent.
Texte dans CUP, n° 131 p. 173; G. Tuilier, La condamnation... art.cit. , p. 65 s.
Cf. CUP, loc. cit.: « Omissis seu contemptis lege Mosayca et prophetis quasdam traditiones seniorum suorum sequuntur, super quibus eos in euangelio Dominus obiurgatur dicens: Quare... In huiusmodi namque traditionibus, que Thalamuth hebraice nuncupantur, ... et a legis et prophetarum doctrina reddunt ipsos penitus alienos, verentes ne veritate..., conuertantur ad fidem et ad redemptorem suum humiliter reuertantur ».
Sur ce point précis, je suis J. Rembaum, The Talmud and the Popes: Reflections on the Talmud Trials ot the 1240s, dans Viator, t. XIII (1982), p. 203-223; il note ce changement p. 204. même si déjà Grégoire IX est troublé par les éléments nouveaux que révéle l’université à partir de 1235-1236 environ, voir chapitre I et la note suivante.
Ibidem, p. 209 et note 41 pour Innocent III; p. 207 note 28 pour Grégoire IX; conception alors récemment réaffirmée par ce dernier dans une bulle à l’archevêque de Bordeaux du 5 septembre 1236 (Ibidem, p. 208 note 33); l’auteur résume ainsi la situation traditionnelle et sa modification (p. 210): « A partir de l’avis de Grégoire et de la pensée avec laquelle il est entré en contact, nous pouvons conclure qu’aux yeux du pape, la Bible hébraïque est partie intégrante de la conception chrétienne du Judaïsme. C’était vrai en termes du rôle joué par les Juifs dans l’évangélisation en cours du monde. C’était vrai aussi au regard de la définition légale des Juifs exprimée par les canonistes, qui suggèrent que l’adhésion à la loi biblique est le signe distinctif de l’orthodoxie juive. Dans cette situation, nous pouvons aisément comprendre la réaction de Grégoire lorsqu’on l’informa que le Talmud avait remplacé la Bible comme livre saint des Juifs. La question ne se résumait pas simplement à un problème interne au Judaïsme. Du point de vue du pape, cette situation avait un impact direct sur l’Eglise. Les Juifs avaient abandonné la position et la fonction que leur assignait la tradition chrétienne, tradition responsable en partie de la tolérance, aussi limitée fût-elle, dont ils bénéficiaient dans le monde chrétien. Ainsi, les Juifs avaient témoigné d’une sorte d’hérésie » (« From Gregory IX’s own statement and from the thinking with which Gregory came into contact we can conclude that in the pope’s eyes the Hebrew Bible was an integral part of the Church’s concept of the Jew. This was true in terms of the role the Jews played in the ongoing evangelizing of the wolrd. It was also true with regard to the legal definition of the Jew as expressed by the canonists, who suggest that the adherence to biblical law is the hallmark of Jewish orthodoxy. This being the case, we can readily understand why Gregory reacted as he did when informed that the Talmud had displaced the Bible as the Jews’ book. The problem was not simply an internal Jewish matter. From the pope’s viewpoint this situation had a direct impact upon the Church. The Jews had abandoned the position and function assigned to them by Christian tradition which was, in part, responsible for their acceptance, limited as it was, in the Christian world. Thus, the Jews had perpetrated a kind of ‘heresy’ »).
Ibidem, p. 215.
Ibidem, p. 215 et note 77. La réaction traditionnaliste d’Innocent IV se produit en conséquence de l’affaire de Valréas, où la disparition d’une petite fille de deux ans, en mars 1247, retrouvée morte dans les fossés de la ville, a engendré l’accusation de meurtre rituel, cf. E. Berger, Saint Louis... op. cit., p. 307 sq.; W. C. Jordan, Louis IX and the Challenge... op. cit., p. 146-147.
J. Rembaum, The Talmud... art. cit., p. 216.
Texte de la lettre dans CUP, n° 172, p. 201-202; le passage cité est p. 201; on peut de demander, en lisant les mots employés par Innocent IV, si cette attitude compréhensive n’est pas due à une conception similaire, dans son esprit, de la fonction des Décrétales par rapport au texte sacré; le Talmud revêtirait par rapport à la Loi et aux Prophètes le rôle que la législation canonique remplit, aux yeux du pape, vis-à-vis de l’Ecriture.
Sur ce dossier, voir le chapitre I.
Cf. W. C. Jordan, The French Monarchy and the Jews, from Philipp Augustus to the Last Capetians, Philadelphia, 1989, p. 137 s. et 147 s. Le résultat, c’est à dire les crémations successives, explique que nous ne possédions qu’un seul exemplaire complet d’un Talmud médiéval, Ibidem, p. 139 et notes 67 et 68; le problème du nombre de mss du Talmud réellement brûlé en 140-1244 est examiné dans le détail par C. Sirat, Les manuscrits du Talmud en France du nord au XIII e siècle, dans Le brûlement... op. cit., p. 121-139: elle le ramène à une ou deux centaines au maximum (p. 127) mais confirme l’existence d’un seul manuscrit complet datant du XIIIe siècle, copié en 1289 (p. 121), insiste sur le développement de la politique anti-talmudique dans les deux siècle suivants (p. 127: « Nous devrions avoir des centaines de livres du Talmud écrits entre 1240 et 1500, nous en avons moins de trente »), alors que le rapport de l’ensemble des livres hébraïques subsistant avec ce qui a dû être copié est comparable à ce qui existe pour les mss grecs ou latins et s’explique essentiellement par des causes naturelles (p. 127). Le changement d’atmosphère à compter de 1240 est assez net pour que certains rabbins, dont Rabbi Yehiel lui-même, qui avait soutenu le point de vue juif lors de la controverse de 1240, s’exilent en Palestine, cf. W. C. Jordan, The French Monarchy... op. cit., p. 139 note 70; comme toujours, Joinville est un bon témoin des sentiments du roi, voir les paragraphes 51-53 (éd. cit. J. Monfrin) de sa biographie de Louis IX; et la traduction et le commentaire du passage le plus violent par A. Boureau, L’inceste de Judas et la naissance de l’antisémitisme (XII e siècle). Le grand récit monastique de la trahison, II, dans Idem, L’événement sans fin. Récit et christianisme au Moyen Age, Paris, 1993, p. 209-230, ici p. 209 et note 1.
Qu’on songe à l’importance de la figure de Marie chez les Dominicains, très actifs dans le processus de condamnation comme l’a montré le cas d’Henri de Cologne (voir chapitre I); aux Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coincy, mort en 1236, qui connurent une diffusion et un succès très rapides, voir sur l’auteur et le texte l’article du DLF, p. 489-490 avec la bibliographie, et tout récemment, Saint Médard. Trésors d’une abbaye royale, Paris, 1996, p. 157-160; voir aussi G. Dahan, Les traductions latines... art. cit., p. 96 (description du dossier d’accusation des Extractiones ); N. Bériou, Entre sottises... art. cit., en particulier p. 218 note 27; surtout, W. C. Jordan, Marian Devotion and the Talmud Trial of 1240, dans Religiongespräche im Mittelalter, Hg. von B. Lewis u. F. Niewöhner, Wiesbaden, 1992, p. 61-76.
Cf. A. Tuilier, La condamnation... art. cit., p. 66-67, sur la perte de cette lettre pontificale; voir aussi la note 6 p. 202 dans CUP.
C’est la lettre déjà évoquée au chapitre I, texte dans CUP, n° 173 p. 202-205, ici p. 205: « ... qui tantum v michi volumina vilissima exhibuerunt »; sur ce passage, cf. A. Tuilier, La condamnation... art. cit., p. 67. La fin du récit contenant les accusations d’hérésie et de perfidie se trouve à la p. 204: « ...hec enim tolerantia [vis-à-vis des livres juifs] quedam approbatio videtur. Dicit enim beatus Ieronimus loquens de leprosis, quos Dominus curauit, quod nulla est adeo peruersa doctrina, que aliqua vera non contineat. Similiter non inueniuntur heretici, qui de aliquo symboli articulo bene non sentiant. Quia tamen libri aliqui insertos errores habebant, quamuis multa bona et vera continerent, auctoritate tamen conciliorum sunt dampnati. Similiter diuersi heretici sunt dampnati licet in omnibus non errarent. Sic quamuis predicti libri [les livres juifs] aliqua bona contineant licet rara, nichilominus sunt dampnandi ».
L’opinion favorable sur la valeur de quelques rares passages du Talmud, comparable en cela aux écrits héhétiques ou à des livres que les conciles catholiques ont malgré tout condamnés, ne souhaitant pas épargner le tout au bénéfice de la partie, se lit Ibidem, p. 204: « Facta etiam postea diligenti examinatione, inuentum est quod dicti libri erroribus erant pleni, et est velamen positum super corda ipsorum in tantum, ut non solum ab intellectu spirituali Iudeos avertant, immo etiam a litterali, et ad fabulas et quedam fictitia conuertant. Unde manifestum est, magistros Iudeorum regni Francie nuper falsitatem sanctitati vestre et venerabilibus patribus dominis cardinalibus suggesisse... ». Les espoirs de convertir les Juifs à la compréhension spiriutelle de la Bible, c’est à dire à la religion chrétienne, n’étaient pas vains à ce moment; cette possibilité aux yeux des universitaires était concrétisée par l’exemples de convertis contemporains, tels N. Donin ou T. de Sézanne; encore fallait-il pouvoir prêcher devant eux et éviter qu’un « voile » supplémentaire, masquant la lettre elle-même du texte sacré, ne vînt s’ajouter à leur traditionnelle cécité; Louis IX a cru judicieux de pratiquer ce prosélytisme, cf. W. C. Jordan, The French Monarchy... op. cit., p. 149-150, sur les pensions versées par le roi aux juifs convertis, ainsi qu’à leurs veuves et orphelins, et leur peu de succès; je rappelle que le sermon d’Eudes de Châteauroux pour la conversion des Juifs est donné dans une maison de convertis, malheureusement impossible à identifier, cf. D. Behrman, Volumina... art. cit.
CUP, n° 173 p. 205; on notera l’emploi du présent « facio inspici », confirmant notre hypothèse que le dossier des Extractionesest d’achèvement tardif, car c’est ce type d’examen du contenu des livres juifs qui a nourri la confection du dossier.
Sur les brûlements postérieurs, cf. A. Tuilier, La condamnation... art. cit., p. 67.
Cf. G. Dahan, Les traductions latines... art. cit., p. 95 note 5 et p. 96-97, description des deux dossiers demandés par le légat; voir aussi la p. 99 où l’auteur analyse la préface, identique, qui figure en tête de chaque dossier: il en déduit que son auteur n’est pas hébraïsant, à la différence des deux traducteurs des extraits du Talmud, Henri de Cologne et Thibaud de Sézanne. Enfin, cette connaissance du Talmud, via les traductions du dossier des Extractiones, se reflète parfaitement dans le sermon que publie D. Behrman, Volumina vilissima... art. cit. (éd. du texte p. 201-209): les passages du Talmud visés sont repérés et systématiquement rapprochés par l’auteur des extractionesdu ms. de Paris, BNF lat. 16558, cf. les notes 17 à 21 et la note 27; ce qui incite à proposer une date tardive, postérieure aux années quarante du siècle, pour ce sermon, car des références si précises, chez un prédicateur qui de toute évidence ne connait pas l’hébreu, impliquent que la confection du dossier soit déjà bien avancée au moment du discours; il est malheureusement impossible d’être plus précis.
Sur cet événement et son sens, voir ci-dessous dans ce chapitre.
Texte dans CUP, n° 178, p. 209-211. Henri de Cologne et Thibaud de Sézanne, les deux traducteurs des Extractiones , sont présents parmi les témoins.
On notera l’emploi du pluriel; à mon avis, cela ne désigne pas le fait, par ailleurs avéré (voir plus les « cinq vils livres »), que le légat s’est fait présenter plusieurs exemplaires du Talmud, mais plutôt la connaissance que cet ouvrage est divisé en plusieurs livres ou traités; or l’une des deux versions du dossier des Extractionesprésente ces extraits dans l’ordre des livres du Talmud; c’est la preuve probable que ce dossier est enfin achevé à la date de la sentence.
D’après A. Tuilier, La condamnation... art. cit., p. 67, p. 75 et note 50, il figurerait en premier pour préserver, dans cette procédure d’allure inquisitoriale, les droits de la juridiction ordinaire.
Cf. N. Bériou, Entre sottises... art. cit., p. 212-213 et note 5.
Voir surtout l’ouvrage de synthèse qui étudie l’évolution sur toute la fin du Moyen Age, G. Dahan, Les intellectuels chrétiens et les Juifs au Moyen Age, Paris, 1990.
Tous ces arguments sont développés entre autres par A. Tuilier, La condamnation... art. cit.; et W. C. Jordan, The French Monarchy ... op. cit.; leur énumération dans A. Boureau, L’inceste de Judas... art. cit., p. 216-217, qui les réfute, voir note 260 infra.
Ibidem, p. 217.
Ibidem.
Ibidem, p. 218 et p. 219.
J. Rembaum, The Talmud... art. cit., p. 218: il « cite Jérôme pour étayer sa conviction qu’un livre contenant des vérités religieuses ne justifie pas son existence s’il enseigne en même temps des doctrines erronées »; le passage visé est celui que je cite supra, note 234.
Ibidem, p. 218-219; on n’oubliera pas que Jérôme est considéré comme le meilleur hébraïsant qu’ait connu le monde chrétien, cf. G. Dahan, L’exégèse chrétienne de la Bible... op. cit..
CUP, n° 173 p. 204: l’expression « de seconde main » traduit « deuterosis », littéralement « seconde »; le passage de Matthieu, commenté par Jérôme, auquel Eudes de Châteauroux fait allusion, est Mt. 15, 6, où le Christ s’addresse aux Pharisiens et aux scribes de Jérusalem: « Et irritum fecistis mandatum Dei propter traditionem vestram »; c’est à dire que par rapport au texte, premier et éternel, de la Loi, les rabbins créateurs du Talmud viennent superposer un commentaire, tout humain, du texte sacré, en prétendant lui conférer une autorité semblable à la Parole de Dieu.
C’est l’image célèbre, augustinienne, de la synagogue aveugle, cf. A. Boureau, La guerre des récits: la crémation du Talmud (1240-1242), dans L’événement... op. cit., p. 231-251, ici p. 240.
Voir Ibidem, surtout p. 248 pour le caractère d’absolue nouveauté de ce geste.
Cf. A. Boureau, La guerre... art. cit., p. 234-235. Sur la Aggada dans le Talmud et plus spécifiquement dans sa première partie historiquement constituée, la Mishnah, où elle compléte la Halakha (qui traite la partie juridique, législative de la Loi), voir A. Steinsaltz, Introduction au Talmud, dans La rose aux treize pétales. Introduction à la Cabbale, Paris, 1996, p. 195-513, surtout p. 243 s.; V. Malka, Rachi, Paris, 1993 (coll. « Que sais-je ? », n° 2778), surtout p. 51 s.; D. Banon, Le Midrach, Paris, 1995 (coll. « Que sais-je ? », n° 3019), surtout p. 62 s.
A. Boureau, Ibidem p. 242, juge toutefois que ces aspects, sottises et blasphèmes, ne sont pas centraux dans la mutation de la controverse; il montre en effet que la redécouverte du Talmud remonte à un siècle plus tôt, avec le traité de Pierre le Vénérable Adversus Judeorum inveteratam duriciem (éd. Y. Friedmann, Turnhout, 1983); or la connaissance du Talmud procurée par l’ouvrage de l’abbé de Cluny n’a pas modifié alors la nature de la controverse traditionnelle. Selon lui, c’est, au XIIIe siècle, la prolifération narrative du commentaire autour de la Bible qui est en cause; ce qui revient en fait à décréter contre les Juifs l’interdiction d’interpréter leur propre histoire, les Chrétiens l’ayant réalisé une fois pour toutes.
Ibidem, p. 244.
Je partage l’opinion d’A. Boureau, loc. cit., sur le rôle de cette oeuvre, mais il faut remarquer un point: le commentaire de Pierre le Mangeur appartient typiquement à l’exégèse littérale qui a connu un important développement au XIIe siècle sous l’influence des Victorins (c’est la thèse au centre de l’ouvrage de B. Smalley, The Study... op. cit.); c’est donc par définition, comme le remarque l’auteur lui-même (p. 245) une œuvre de haute tenue théologique; par conséquent, on ne peut complètement tenir la littérature théologique des Ecoles à l’écart de la mutation ici étudiée, même si ce n’est pas principalement là que l’on trouvera les formulations les plus agressives de l’antisémitisme naissant.
A. Boureau, La guerre... art. cit., p. 244 et note 22, citant M. D. Chenu, La théologie au XII e siècle... op. cit.
Voir G. Dahan, L’exégèse chrétienne... op. cit., passim; H. de Lubac, Exégèse médiévale... op. cit., t. I/1, p. 23-39, sur cette capacité intrinsèque de la Bible de dire par les mots, et les réalités que ces mots signifient, autre chose que leur sens obvie, aptitude qui fonde en droit la possibilité d’une exégèse spirituelle.
A. Boureau, La guerre... art. cit., a donc raison d’écarter comme causes fondamentales de cette mutation de la contrverse antijudaïque les facteurs « infrastructurels » (économiques et sociaux), pour dire vite et reprendre une terminologie marxiste traditionnelle, au profit d’une lente évolution des mentalités. Sa démonstration part de la déclaration du roi Louis IX à Joinville « Le roi ajouta: ‘Ainsi je vous dis que personne, à moins d’être un bon clerc, ne doit disputer avec eux [les Juifs]. Quant aux laïcs, lorsqu’ils les entendent médire de la foi chrétienne, ils ne doivent pas la défendre autrement que par l’épée, qu’ils doivent enfoncer dans le ventre de leur adversaire autant qu’elle peut entrer’ »; l’auteur voit s’exprimer dans ce passage « la haine... littéralement viscérale »; et avance la thèse d’une intériorisation de l’hostilité au Judaïsme, que je juge parfaitement parallèle à l’intériorisation en contrepoint de la spiritualité de croisade, bien décrite par E. Delaruelle, L’idée de croisade chez Saint Louis... art. cit. ; le phénomène conduit dans les deux cas au mécanisme de conversion-mission et à son contraire, l’exclusion, lorsque l’interlocuteur refuse de se prêter au jeu (A. Boureau, Ibidem, p. 210); d’où le passage de la concurrence à la rivalité au tournant des XIIe-XIIIe siècle (p. 213) et le rôle en particulier du concile de Latran IV (p. 214); la manifestation de cette privation d’identité juive par l’interdiction, en 1223, de l’usage du sceau (p. 215); bref, un infléchissement net et de conséquence décisive de la « longue histoire des controverses judéo-chrétiennes » (p. 215).
La figure du maître en théologie est d’ailleurs elle-même ambiguë: il est parfois perçu, dans son habileté à user des ressources de la dialectique, comme un professionnel dangereux capable de se montrer, en apparence, plus savant que l’Ecriture elle-même, semblable en cela aux scribes talmudiques, cf. A. Boureau, La guerre... art. cit., p. 245.
De ce point de vue, la relative pauvreté de la collection de sermons en exemplame paraît significative; à moins de donner à ce terme un usage plus large que celui qu’ont coutume de lui attribuer les spécialistes les plus récents; et en tenant compte de l’écart entre la version orale et la version écrite, retravaillée, des sermons que nous possédons, qui n’a pas dû favoriser le maintien dans le texte de ce type de techniques de persuasion.
Le texte de la condamnation se lit dans CUP, n° 176 p. 206-208. Le nom du premier clerc cité, Jean de Brescain, indique peut-être qu’il est originaire de la ville de Brescia; on ne sait rien sur lui, sinon qu’il professait la logique (p. 206: « ... quosdam errores, quos dogmatizaverat in logicis »); le domaine dont relevait l’enseignement de maître Raimond, l’autre clerc, n’est pas précisé (p. 207: « Magistrum autem Remundum quondam a domino Parisiensi de consilio magistrorum theologie pro suis erroribus carceri mancipatum... »). Les éditeurs du Chartularium suggèrent prudemment un rapprochement (Ibidem p. 207, apparat textuel) avec les événements relatés par le texte de la lettre reproduite par Matthieu Paris et datée de 1243 (Chronica... éd. cit., t. IV p. 270), où un certain Yves de Narbonne, lui-même condamné autrefois pour hérésie par le légat Robert de Courçon et contraint à l’exil, s’adresse à l’archevêque de Bordeaux et lui raconte qu’il a rencontré en Italie de nombreux Patarins: ces derniers lui expliquent (p. 271) « que de presque toutes les cités de Lombardie et de certaines de Toscane, ils envoyaient à Paris des étudiants dociles, qui s’épuisent les uns aux subtilités logiciennes, les autres aux dissertations théologiques, afin d’accréditer leurs erreurs et de réfuter l’opinion du siège apostolique ».
Voir supra, chapitre I, sa participation mal connue à la condamnation d’un ouvrage de Jean Scot Erigène et à celle, mieux documentée, des thèses d’Etienne de Vernizy.
Sur la nature des erreurs qui ont valu à maître Raimond la prison, rien n’est précisé; le texte indique qu’il est en fuite pour n’avoir pas respecté sa promesse de ne plus professer ses thèses, et invite à le capturer.
CUP, n° 176 p. 206; je traduis par « hérésie arienne », sans certitude, l’expression « Ariana heresis ».