C’est dans ce contexte affairé que l’on repère, parmi les sermons du cardinal légat en rapport avec la croisade, une seconde homélie pour la fête de saint Georges, sans doute donnée dans une église de Chypre dédicacée à ce saint, le SERMO n° 11 894 . L’hypothèse que ce sermon a été donné le 23 varil 1249 à Chypre découle d’allusions dans le texte ainsi que de sa rubrique, De sancto Georgio sermo. On trouve en effet, dans les manuscrits, trois sermons pour la fête de ce saint; j’ai des difficultés à croire, comme pour les sermons concernant la fête des reliques de la Sainte-Chapelle, qu’Eudes de Châteauroux ait pu prêcher trois fois le même jour de la même année pour la même fête 895 . Le SERMO n° 11 comporte de toute évidence une part importante d’auditeurs laïcs. Parmi les indices allant dans ce sens, on peut relever: au point premier, la comparaison d’une part entre les milices chrétiennes que Dieu a de tout temps envoyé s’emparer de royaumes et d’empires, dont les capitaines furent les apôtres et les martyrs les soldats, et d’autre part l’armée que le sénat romain employait dans l’antiquité pour soumettre à son autorité les différentes régions de l’ orbis romanus 896 ; le même genre d’allusion se retrouve plus bas, au point trois, où le devoir qui incombe à chaque chrétien de « travailler pour être compté au nombre des soldats du Christ » engendre une comparaison avec Jules César, qui « a vaincu des royaumes au-delà des Alpes et mérité pour cette raison d’être reçu en triomphe à Rome » 897 ; la première comparaison se clôt de plus par une définition concise mais éclairante, car parfaitement réaliste ou, si l’on veut, politique, du rôle des soldats dans une société: « Il revient en effet aux soldats de vaincre et réduire à l’obéissance les rebelles, d’exercer la justice vis-à-vis des délinquants » 898 . La culture chevaleresque est à nouveau mise en exergue, à propos d’une comparaison avec le saint militaire que fut par excellence saint Georges, lorsque l’auteur mentionne le goût des guerriers pour les oiseaux et les chevaux 899 . Dans le troisième point de son développement, le légat apostrophe en quelque sorte son public, en évoquant de façon très concrète l’ennemi, les Sarrasins: « C’est pourquoi le nom du bienheureux Georges est terrifiant pour les Sarrasins » 900 . Mais afin de pouvoir revenir au thème, qui lui est cher, de la victoire préalable sur soi-même et ses penchants peccamineux, sans laquelle il est vain d’espérer venir à bout des ennemis extérieurs, l’orateur utilise non la Bible, mais, par l’intermédiaire d’Augustin cité deux fois, « un philosophe qui était roi et déclara, comme on l’encensait pour ses multiples victoires: une seule victoire me réjouit, celle que j’ai remporté sur la chair » 901 . A ces références plus ou moins explicites à un univers culturel rien moins que clérical, on doit ajouter pour conclure un curieux passage situé à la fin du quatrième point du développement: l’auteur file depuis le début de cette division une métaphore concernant le grand royaume que notre propre être constitue et dont il nous faut combattre les inclinaisons maléfiques, auxquelles il oppose l’attraction inverse « des autres habitants [ de ce royaume] qui nous aident »; « ce royaume, il est plus difficile de s’en emparer que de la terre de Flandre; on y trouve des fossés d’avarice qui ne peuvent être comblés » 902 ; cette évocation très concrète du réseau des canaux de Flandre renvoie de toute évidence à une expérience de terrain que seul un public de guerriers peut posséder; plus précisément, il peut s’agir aussi d’une allusion, difficile à interpréter, à l’arbitrage rendu par le légat et le roi, en juillet 1246 durant la préparation de la croisade, concernant la succession de Flandre, puisque le nouveau comte de Flandre, Guillaume de Dampierre, a pris la croix et se trouve éventuellement dans le public 903 . Preuve possible de son efficacité, elle a semble-t-il, selon des modalités de transmission qu’il n’est pas possible d’éclairer, mais qui peuvent s’expliquer par la présence dans l’auditoire de Religieux qui auront apprécié la pertinence de la métaphore, engendré un exemplum , qu’on peut lire par exemple chez Etienne de Bourbon 904 . Du rapprochement de tous ces passages, il ressort clairement que ce sermon pour la fête de saint Georges s’adresse à un auditoire de croisés, largement composé de guerriers prêts à partir à l’assaut. L’hypothèse que cet auditoire séjourne encore à Chypre est suggérée par une précision qui figure au début du second point du développement: rappelant l’occasion liturgique de la fête, Eudes de Châteauroux mentionne anonymement, comme c’est souvent le cas dans ce type de sermons, l’église où il parle, dédicacée au patron dont il célèbre la fête, « en l’honneur et au nom duquel cette église a été fondée » 905 . Saint Georges était extrêmement populaire à Chypre comme dans tous les pays de l’aire de civilisation byzantine 906 .
Autrement, le fait que le sermon soit donné à Chypre n’influe pas notablement sur son contenu: par rapport au premier donné en France, trois ans plus tôt, on est frappé de la continuité des thèmes et pour tout dire du peu d’originalité qu’on trouve dans celui-ci 907 ; de toute évidence, si l’exemple représenté par Eudes de Châteauroux est susceptible de généralisation, les orateurs sacrés ne recherchent pas les effets spectaculaires, se fiant au contraire à la répétition inlassable des mêmes arguments et à l’usage des mêmes ressources de l’exégèse; il ne faut pas voir là l’effet d’une paresse intellectuelle, mais plutôt la conséquence de la nature paradoxale du support ultime des propos de l’orateur, la Bible: Parole de Dieu qui englobe tout, elle relève en même temps, à ce titre, d’une infinie polysémie; le contexte liturgique du sermon renforce cet aspect: « rien de nouveau sous le soleil », comme aime à le rappeler Eudes de Châteauroux, donc chaque cérémonie réitère la précédente; subsiste pourtant l’écart entre la profondeur infinie de la Parole et les faibles mots humains qui la portent, autrement dit c’est toujours la même vérité qui se dévoile, mais sous d’autres arguments et par d’autres raisonnements 908 . Le SERMO n° 11 démarre de fait sur des considérations de ce type, à partir du verset de Job (25, 3) qui sert de thème: « Peut-on dénombrer ses troupes ? »; l’auteur répond immédiatement par la négative: « Le nombre des soldats de Dieu ne relève pas de la connaissance humaine, mais de la connaissance divine, car Dieu sait qui sont les siens; c’est lui qui dénombre la multitude des étoiles et leur donne à toutes un nom », deux citations de l’Ecclésiastique sur la sagesse éternelle et principielle de Dieu appuyant l’idée 909 . L’exégète va donc pouvoir se livrer, grâce à vision historique rétrospective englobant histoire sacrée et profane 910 , à une tentative, forcément incomplète, de dénombrement des soldats de Dieu; psychologiquement, la technique est assez subtile, puisque la conclusion, implicite, du raisonnement conduit tout au long du sermon, c’est que toujours, aux Chrétiens qui savent d’abord se vaincre eux-mêmes, c’est à dire refouler la partie de leur être qui les pousse au mal 911 , de nouveaux soldats, notamment saint Georges, viennent en aide.
Ce second sermon sur saint Georges ne s’écarte donc pas du raisonnement suivi par le premier: aucune division explicite du thème n’est annoncée, mais un fil conducteur fermement suivi permet d’enchainer successivement cinq points: une contextualisation historique de la notion de guerrier chrétien et de sa spécificité par rapport au guerrier du siècle (premier point); une mention de deux protomartyrs de la guerre sainte (point deux), saint Etienne et saint Georges, marquant une progression d’un saint à l’autre dans la mesure où saint Georges est comparé à Elie et Hélisée: comme le second de ces prophètes est le double de son prédécesseur, en saint Georges s’est dédoublé l’esprit du martyr chrétien, sans discontinuité entre la vie et la mort puisqu’il a aidé les Chrétiens littéralement, comme combattant professionnel, avant de les soutenir après sa mort par ses apparitions miraculeuses, à leurs côtés dans leurs combats 912 ; la nécessité de se vaincre soi-même pour vaincre les Sarrasins (point trois); la difficulté à s’emparer de ce grand royaume que nous sommes, traversé par les péchés comme la Flandre par les canaux (point quatre); les genres de péchés, notamment la luxure, qui rendent ardue la capture de ce royaume 913 , et les efforts répétés des prédicateurs pour exhorter les croisés en ce sens (point cinq); il faut sans doute prendre au sens littéral, comme une aspiration à un départ rapide de l’armée croisée pour la terre sainte, l’affirmation qu’ « il n’est pas d’autre conseil pour l’homme que de s’enfuir pour éviter d’être englouti » 914 ; on sait en effet que le séjour à Chypre ne fut pas de tout repos, le roi désirant rassembler le maximum de troupes avant le débarquement en terre infidèle, alors que de nombreux barons ne souhaitaient en faire qu’à leur tête et quitter l’île au plus tôt 915 . L’auteur conclut sur le rôle indispensable des prédicateurs, comparés selon une métaphore déjà employée aux trompettes de Jéricho, mais continue de se montrer modeste en insistant sur leurs difficultés concrètes à se faire entendre, malgré la fréquence de leur intervention 916 .
Tel est, me semble-t-il, le dernier message que le légat de la croisade adresse aux combattants avant d’entrer, si je puis dire, dans le vif du sujet. J’avais cru qu’un autre discours, le SERMO n° 12 consacré à la fête des reliques de la Passion, datait aussi de ce séjour dans l’île, puisque le même cas de figure que pour saint Georges, l’existence de trois sermons pour une même fête, incite à chercher des dates différentes pour leur délivrance. Une lecture attentive de ce second sermon pour la fête des reliques, et le fait que la principale date de cette fête dans le royaume capétien soit celle du 30 septembre, m’ont convaincu que ce discours est en fait prononcé en Egypte, devant Damiette.
Avant d’aborder cette nouvelle séquence de l’aventure outremer et de la prédication du légat, un court bilan du séjour à Chypre suggère qu’il n’aura pas été négligeable pour comprendre l’univers mental de l’auteur: découverte concrète d’horizons nouveaux, à ramener à la vraie foi et-ou évangéliser; confirmation de l’écart existant entre hommes et fonctions, aspirations spirituelles et attraction du mal, conflits séculiers et espérances eschatologiques. Une réalité propre à mettre en garde contre toute idéalisation de l’expédition; la conduite à venir du légat devait s’inspirer de près de cette expérience contradictoire.
Cf. supra, notes 14 à 17.
Les trois sermons pour la fête des reliques sont les SERMONES n° 9, 12 et 16; j’ai déjà examiné le premier et justifié ma datation,voir le chapitre précédent; de même pour le SERMO n° 3, consacré à la fête de saint Georges, Ibidem.
Lignes 7-11.
Lignes 36-38.
Lignes 11-13.
Point 3, lignes 33-34; l’accent mis sur saint Georges patron des guerriers est très net dès le début du texte, lignes 16-17: « A la lettre, le bienheureux Georges fut un guerrier et un noble; mais il abandonna la milice du monde pour s’enrôler dans celle du Christ ». Pour la littérature du XIIIe siècle relative aux chevaux, voir au chapitre précédent, la note 103; on n’oubliera pas qu’il existe cependant toute une littérature antérieure, remontant aux auteurs classiques latins et à leurs compilateurs patristiques, et aboutissant aux nombreux bestiaires, dont un prédicateur pouvait faire usage: du De proprietatibus rerum de Barthélémy l’Anglais (entre 1230 et 1240) au Bestiaire d’amoursde Richard de Fournival (second quart du XIIIe siècle), en passant par le De bestiis et aliis rebus, antérieur, attribué à Hugues de Saint-Victor; sur cette tradition littéraire, voir C. H. Haskins, The Latin Literature of Sport, dans Idem, Studies in Mediaeval Culture, Oxford, 1929, p. 105-123; les notices des auteurs cités, et celle concernant les Bestiaires, dans le DLF (p. 171-173); et pour le genre littéraire le plus utile aux prédicateurs, celui des recueils d’exempla, qui fourmille d’historiettes mettant en scène des animaux, cf. J. Berlioz et M.-A. Polo de Beaulieu, L’animal exemplaire au Moyen Age, V e -XV e siècles, Rennes, 1999. On se rappelle que le SERMO n° 3, le premier consacré à saint Georges, comporte un très long développement (le point 3), tantôt littéral tantôt spirituel, entièrement dévolu aux chevaux. On peut constater avec ces développements que le légat désamorce une charge souvent portée par les clercs contre la violence que ce type de pratiques sportives suppose, qu’ils jugent caractéristiques du pouvoir laïc et nécessitant comme contrepartie équilibrante la sapientiacléricale, du moins si l’on suit P. Buc, L’ambiguïté... op. cit., p. 112-122.
Ligne 31.
Lignes 38-44, plus précisément 42-44 pour le roi philosophe. Ce thème du roi philisosophe est lui aussi valorisant pour les laïcs, car depuis la fin du XIIe siècle, la montée des exigences en matière de savoir, dont la création de l’université au XIIIe siècle est l’une des traductions institutionnelles, a déclassé le roi illitteratus, cf. H. Grundmann, Litteratus... art. cit., surtout p. 50 s. sur le topos célèbre, venu de Jean de Salisbury, que « rex illiteratus quasi asinus coronatus »; et P. Buc, L’ambiguïté... op. cit., p. 182 s.
Pour tout ce passage, voir les lignes 48-66, spécialement les lignes 62-64 pour la comparaison avec les fossés de Flandre.
Sur cette affaire qui devait rebondir au retour de la croisade, voir le chapitre précédent; etJ. Richard, Saint Louis... op. cit. , p. 329-331; J. Le Goff, Saint Louis... op. cit., p. 252-254; sur la prise de croix du comte de Flandre, J. Richard, Ibidem, p. 197.
Ed. cit. A. Lecoy de la Marche, p. 91-92, § 101: « Crux eciam Domini ad regnum eternum perducit et introducit; unde dicitur via Paradisi, pons regni eterni, scala et porta celi... Nota quod, sicut in terra Flandrie sunt fossata, et in multis aliis terris magni riui, (et), quando non possunt ea transire homines nisi cum magno dispendio temporis et labore inueniant pontem, accipiunt baculos magnos vel perticas aut lanceas homines agiles, cum quorum adiutorio uno saltu transeunt aquam; sic cum baculo crucis in transitu mortis crucesignati, vitando penam purgatoriam nimis longam, quasi uno saltu transeunt ad celum ».; le passage sur les fossés de Flandree est souligné par moi; on notera que le contexte de la comparaison, chez Etienne de Bourbon aussi, est celui de la croisade.
Lignes 15-16.
Sur ce saint à la tradition hagiographique extrêmement abondante et totalement empreinte de merveilleux, voir la notice de la Bibliotheca sanctorum, t. VI (1965), col. 512-531; et celle de l’Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, t. II (1987), p. 161-166, citant p. 161 l’appréciation d’H. Delahaye: « La première légende de saint Georges surpasse en extravagance tout ce que les hagiographes ont imaginé de plus hardi et a sa place marquée à côté des fantastiques récits des Mille et Une Nuits ». Sur son culte à Byzance, voir Ibidem, p. 166, et H. Delehaye, Les légendes grecques des saints militaires, Paris, 1909, p. 45-76. Concernant son culte à Chypre, voir Idem, Saints de Chypre, dans Analecta bollandiana, t. XXVI (1907), p. 161-301, surtout p. 267 (soixante sept toponymes dans l’île portant le nom de Hagios Georgios); p. 270 (deux foires en son nom); on peut avancer à titre d’hypothèse que l’église où le légat donne son sermon est Saint-Georges des Sataliotes à Nicosie, puisque c’est là que la cour française réside (voir sur les relations commerciales actives entre Chypre et Satalia en Asie mineure L. de Mas Latrie, Histoire... op. cit., p. 173-174); rien n’est moins sûr que cette identification, puisqu’H. Delehaye, Saints de Chypre... art. cit., parle p. 246 des « nombreuses églises dédiées à ce saint par les Chypriotes ».
Entre autres exemples, on peut relever que si le livre biblique dont est extrait le thème, celui de Job, est différent de celui du SERMO n° 3 (où 2. Mach. 11, 8 fournissait le thème), les Maccabées, qui par définition constituent l’antétype idéal de la guerre sainte en faveur de la foi droite, sont réutilisés par l’auteur: une première citation (lignes 24-27) tirée de 2. Mac. 10, 29-30, précède la reprise, abrégée, du thème du SERMO n°3. Ce phénomène est fréquent dans les sermons pour la même fête, où une citation dans le texte devient pour un sermon suivant le thème, ou inversement.
C’est exactement, si je ne trahis pas sa pensée, ce que G. Dahan nomme « exégèse confessante », voir le chapitre premier de L’exégèse chrétienne... op. cit., p. 37-73, qui analyse longuement cette tension entre un texte clos, canonique, et l’évolution des techniques, certes humaines, de son interprétation.
Lignes 3-7.
Ce mélange des cultures est déjà très net dans le premier sermon sur saint Georges étudié, voir le chapitre précédent; j’ajoute aux indications qui y figurent que les apparitions de ce ce saint aux croisés en terre sainte sont rendues d’autant plus plausibles, si l’on prend au sérieux la mentalité thaumaturgique médiévale, qu’il s’agit d’un soldat martyr enterré en Palestine: son tombeau était vénéré à Lydda, une petite ville de Palestine située une vingtaine de kilomètres au sud-est de Jaffa, que les Médiévaux nommaient souvent Saint-Georges, voir les notices citées (cf. Histoire des saints... loc. cit., p. 164; Bibliotheca... loc. cit., col. 512).
Voir le raisonnement des lignes 44-47, qui fait appel me semble-t-il au code d’honneur chevaleresque et notamment à la vertu de prouesse: « Qui vainc un ennemi combat de toute sa personne; qui se vainc lui-même combat à moitié, car il le fait en étant partagé, donc la gloire est d’autant plus grande, s’il est vainqueur. De même que la gloire est plus grande, pour celui qui lutte avec un seul bras et met à terre son adversaire, que s’il l’avait abattu en luttant de ses deux bras ».
Lignes 14-30. Pour mesurer le dégré de merveilleux chrétien présent parfois chez les théologiens les plus savants, la citation des Maccabées ici utilisée (2. Mac. 10, 29-30) est remarquable: l’apparition en plein milieu du combat, pour protéger Judas Maccabée, de cinq hommes, fait irrésistiblement songer à la présence permanente des Dieux grecs, dans L’Iliade ou l’Odyssée, aux côtés d’Achille ou d’Hector. Disant cela, je ne perds pas de vue la nature fondamentalement différente, du point de vue de leurs fonctions respectives, de l’épopée mythologique païenne et du récit biblique, différence admirablement décortiquée dans un article célèbre par E. Auerbach, La cicatrice d’Ulysse, dans Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, 1968, p. 11-34 (coll. « Tel », Gallimard).
Décrit comme un véritable château-fort avec ses tours, celles de l’orgueil, remplies d’armes et de flèches, ses remparts, c’est à dire les prétextes mis en avant pour pécher, quotidiennement retapés et renforcés malgré les efforts des prédicateurs, cf. lignes 70-76.
Lignes 68-69. Initialement, le roi souhaitait quitter Chypre rapidement, dès la fin février (J. Richard, Saint Louis... op. cit., p. 211-212); les conditions difficiles de navigation en Méditerranée à cette époque de l’année et peut-être l’hésitation sur le lieu de débarquement l’ont conduit à repousser ce départ à la fin avril [selon J. Richard, le choix de l’Egypte est définitivement effectué en avril, puisqu’il envoie par lettre son défi au sultan, Ibidem, p. 213-216; sur les raisons de ce choix, Idem, La politique orientale ... art. cit., p. 200-205; on lit une traduction de la lettre au sultan et de sa réponse, selon l’historien arabe Maqrisi, dans Chronique arabes des croisades (présentation F. Gabrieli), s. l., 19962, p. 328-330; le sultan y prédit la catastrophe finale, mais Maqrisi écrit postérieurement aux événements, Ibidem, p. 390-391]; les rivalités entre Pisans et Gênois à Acre provoquent un nouveau retard (J. Richard, Saint Louis... op. cit., p. 212); l’embarquement a finalement lieu le 13 mai (J. Richard, Ibidem, p. 216)
Voir J. Richard, Ibidem, p. 210-211.
Voir supra note 132; il s’agit des lignes 70-76 du SERMO n° 11: « Ce royaume est muni de très hautes tours, celles de l’orgueil..., et renferme des armes dans ces tours, car leurs dents leur sont armes et flèches, et leur langue un glaive acéré. Des murs, c’est à dire des excuses pour justifier leurs péchés; et quoique less prêtres, c’est à dire les prédicateurs, en aient fait le tour bien plus de sept fois, soufflant leur trompettes pour apprendre aux hommes à ne pas checher d’excuses à leurs péchés, mais plutôt à s’en accuser, ces murs ne s’effondrent pas encore, au contraire ils sont reconstruits et renforcés chaque jour ». Un grand nombre des images qu’emploie ici l’orateur renvoie aux péchés de la langue, à la fois comme vecteur et instrument intrinsèque de la faute; voir sur ce thème C. Casagrande-S. Vecchio, I peccati della lingua. Disciplina ed etica della parola nella cultura medievale, Rome, 1987 (trad. française: Les péchés de la langue. Discipline et éthique de la parole dans la culture médiévale, Paris, 1991); il est probable que le langage et le comportement des croisés doit l’affoler eu égard aux échéances à venir, et qu’il ressent son impuissance.