L’armée chrétienne séjourne encore presque quatre ans dans les Etats latins d’Orient 1011 . Le légat a conservé dans ses collections, de ce temps, deux sermons, peut-être trois, qui permettent de mieux comprendre l’état d’esprit des croisés demeurés outremer. Car après l’échec, rien ne les obligeait à prolonger leur séjour, notamment pas le souverain qui avait laissé la régence du royaume à sa mère Blanche de Castille. Des exemples antérieurs de rois ou de grands princes venus, au choix et sans doute en même temps, accomplir en terre sainte un vœu de pélerinage et rehausser leur prestige de souverains chrétiens ne manquaient pas, à commencer par ceux de Capétiens tels Louis VII ou Philippe-Auguste, le grand-père de Louis IX. Moins de dix années plus tôt, de grands barons français, nombre d’entre ceux qui s’étaient revoltés contre le roi au début de son règne, répondirent à l’appel du pape Grégoire IX et se croisèrent, en 1239; débarqués à Acre le premier septembre, leur campagne se solde par un désastre qui hante Joinville, lequel évoque ce précédent à cinq reprises 1012 . Leur séjour aura duré un an. En tout dernier lieu, Richard de Cornouailles, frère du roi d’Angleterre Henri III, beau-frère de Fréderic II, vient à Acre en octobre 1240 et reprend les négociations de l’Empereur qui avaient abouti au traité de Jaffa (18 février 1229) conclu avec le Sultan Al-Kamil, rétrocédant Jérusalem et d’autres territoires aux Latins. Les dissensions internes aux Ayyubides permettent d’aboutir au printemps 1241 à une prorogation inespérée des termes du traité; quelques mois suffisent pour que les alliances des barons francs avec l’un des protagonistes musulmans suscitent la réaction du fils d’Al-Kamil et mettent fin à cette situation; la conclusion en est la prise de Jérusalem (23 août 1244) et le massacre de ses habitants par les Khwarizmiens, déjà évoqués, puis la défaite de La Forbie (17 octobre 1244), où une coalition franco-musulmane est écrasée par les troupes égyptiennes et kwharizmiennes alliées 1013 . C’était la mémoire fraîche des dernières tentatives accomplies par les croisés d’Occident pour libérer les lieux saints; elles avaient révélé un trait de mentalité bien connu des historiens des croisades, à savoir la difficulté pour les Occidentaux de se mouvoir au sein des alliances complexes, sans cesse conclues puis rompues par les « Poulains » 1014 de terre sainte avec différents princes musulmans, en fonction de leurs intérêts propres; sans compter les divisions internes de ces Poulains, que la narration de Joinville montre parfois inexpiables, y compris dans les moments les plus critiques 1015 .
Cf. J. Richard, Saint Louis... op. cit., p. 253.
Sur cet épisode, cf. H. E. Mayer, The Crusades... op. cit., p. 257; Joinville, Vie... éd. cit., § 286 et notes correspondantes (p. 417-418), ainsi que l’ Introductionà l’édition, p. xli.
Joinville, Ibidem, § 527-538 et notes correspondantes; H. E. Mayer, The Crusades... op. cit., p. 256-259.
Ce mot désigne, de façon péjorative dans la bouche des croisés d’Occident, les Francs installés depuis longtemps en Orient latin, voir l’explication de Joinville, Ibidem, § 434 avec la note correspondante; J. Le Goff, Saint Louis... op. cit., p. 206.
Joinville rappelle les événements survenus en 1244 (cf. supra note 228), Vie... éd. cit., § 530-532: le patriarche de Jérusalem a excommunié le comte Gautier de Brienne, beau-fère du roi de Chypre, qui tient Jaffa (§ 527) parce que Gautier ne voulait pas lui rendre une tour qu’il prétendait posséder à Jaffa; en pleine bataille de La Forbie, le comte demande au patriarche l’absolution (§ 532), lequel refuse catégoriquement. Voir aussi H. E. Mayer, The Crusades... op. cit., p. 239, pour les alliances des barons de terre sainte en fonction de leur grand objectif: sauvegarder leur indépendance contre les tentatives de centralisation des Hohenstaufen.