e) L’expédition vue rétrospectivement: la continuité de l’histoire

Il semble bien que certains passages du SERMO n° 15 révèlent des désillusions, même si l’orateur est habitué à user d’un ton plutôt rude. Un dernier sermon confirme cette amertume, le SERMO n° 16, troisième de la série consacré à la fête des saintes reliques, que je propose en toute hypothèse de dater du 30 septembre 1251 (fête des saintes reliques), c’est à dire peu après l’arrivée en terre sainte, à cause d’une allusion, en tout début du sermon, à la sortie d’Egypte d’Israël, précisément ce qui vient d’arriver aux croisés 1151 . C’est cette incertitude de la date qui invite à conclure l’examen de la prédication de croisade du légat avec ce texte; il récapitule en les condensant des thèmes présents dans à peu près tous les sermons antérieurs, et procure un bon résumé de la façon dont, mentalement, des hommes tels Eudes de Châteauroux, Joinville ou Louis IX ont vécu l’expédition. A cet égard, le texte reflète intensément la dévotion, par ailleurs bien documentée, du roi pour la croix et les reliques 1152 .

Le premier point du sermon, selon une méthode éprouvée, contextualise le verset thématique choisi dans l’Exode: « Moïse dit à Aaron: prends un vase, mets-y la manne, un plein gomor, et place-le devant le Seigneur, afin de le préserver pour vos générations » 1153 ; en remontant un peu en arrière dans le chapitre biblique, jusqu’à la sortie d’Egypte, l’orateur met plus pertinemment en valeur le parallèlisme des situations. La trame substantielle du sermon est la suivante: la manne, donnée miraculeusement par Dieu aux Israëlites dans le désert, correspond aux reliques que le Christ a laissées en mémoire de lui; sans doute parce que cette idée a déjà été développée, sous des formes proches, dans le précédent sermon consacré aux reliques, mais plus sûrement parce que les croisés se sont désormais transportés sur les lieux mêmes où vécut le Christ, Eudes de Châteauroux ne prend même pas la peine de justifier cette typologie. Le thème de la commémoration, à travers l’institution de la messe, est très fort chez les Chrétiens, puisqu’il évoque les mots mêmes de la consécration eucharistique 1154 ; significativement, lorsque Guillaume de Saint-Pathus évoque la dévotion du roi pour la croix, il entrelace cette évocation de mentions de son comportement durant la messe dont cette devotion est indissociable, juste avant de passer à la dévotion du souverain pour les reliques 1155 . De cette façon, le sermon porte autant sur la Passion que sur ce qui conserve sa trace, comme l’énonce clairement le passage suivant: « Ainsi le Seigneur a voulu que ses saintes reliques fussent conservées et non perdues, parmi tant d’adversités qui sont survenues à la Chrétienté, afin que nous nous souvînssions du bienfait que le Seigneur nous a apporté par sa Passion; c’est ainsi que nous le fêtons, pour rappeler par cette fête cet événement à notre mémoire » 1156 . L’auteur poursuit son propos en esquissant, non plus seulement un rappel des malheurs d’Israël, comme dans le second sermon sur la mort de Robert d’Artois, mais une mise parallèle alternée d’événements vétéro- et néo-testamentaires, série inaugurée par l’évocation de l’institution du sabbat. Il conclut ce premier point en énumérant avec précision, comme dans les deux sermons précédents sur ce thème, les reliques: mais ici, il lie chaque relique au moment précis de la Passion qu’elle rappelle; et revient à son verset thématique, en en confirmant l’exégèse typologique, par l’interprétation suivante de sa première partie: l’injonction de Moïse a été adressée à Aaron, ce qui signifie que les prêtres, et tout particulièrement les prélats, le pape, les patriarches et les archevêques, ont une responsabilité particulière dans la commémoration de la Passion; ils doivent avoir « devant les yeux le Seigneur suspendu à la croix » 1157 . Il me semble qu’on peut difficilement mieux exprimer le sentiment de l’importance des fonctions pastorales du sacerdoce, plus particulièrement concernant la hiérarchie ecclésiastique.

Le second point met en garde, selon une idée fréquente chez l’auteur, contre la perte de vue spirituelle, intérieure, de la valeur des processions où l’on porte la croix: ce qui compte n’est pas la pompe que revêtent parfois ces cérémonies, leur ostentation luxueuse, mais le cœur de l’homme qui y participe. Sur la base de cette opposition entre apparence extérieure et vérité intérieure, face à un public sans doute composé en partie de guerriers, Eudes de Châteauroux propose alors un parallèle entre littérature profane et histoire sacrée commémorée par la liturgie: dans la liturgie, le cœur du célébrant comme celui des participants doivent prendre part à la cérémonie; lorsqu’on entend la chamson de Roland, la mort du héros ne touche pas le cœur de celui qui la chante, mais seulement de ceux qui l’écoutent, et encore, parfois seulement 1158 . La différence entre le statut, purement interprétatif, du jongleur, et celui qu’on peut nommer « mémorial » ou « réitératif », du célébrant liturgique, n’est pas de trop pour solenniser et sacraliser davantage la cérémonie aux yeux des laïcs. Ces derniers sont ensuite comparés à des rapaces qui oublient l’oiseleur sitôt qu’il les a nourris 1159 .

Les points suivants du sermon suivent pas à pas les fragments syncopés du thème, selon l’une des méthodes du sermon universitaire dont l’auteur use finalement assez rarement, même s’il la maîtrise parfaitement et l’emploie lorsqu’il l’estime adaptée. Sa théologie témoigne d’un sens humain profond, au cœur des réflexions et expériences chrétiennes de ce siècle 1160 : « Ainsi le coeur de l’homme fut formé par Dieu à son image et à sa ressemblance, non par quelque artifice » 1161 . Un peu plus loin, son interprétation de la Passion appuie sur l’écart entre le sort terrestre du Christ aux différents moments de son calvaire, et l’incompréhensible sagesse dont par cet acte il voulut témoigner 1162 ; non sans noter que, peut-être à la faveur des événements survenus en Egypte, l’incrédulité a gagné certains rangs chrétiens: « Les sots et les incrédules ont la nausée de ce sacrifice et ne peuvent supporter une telle douceur » 1163 .

Des précisions érudites sur la capacité de l’unité de mesure des Hébreux, le gomor, fournissent une ultime métaphore filée sur les deux dernières séquences du verset thématique et aboutissent logiquement à l’idée que la mémoire de la Passion conduira les fidèles de cœur à voir Dieu le Père face à face.

Cette longue méditation sur la Passion est un indice supplémentaire, si besoin est, de la proximité spirituelle du roi et du légat. Ce dernier a emporté de terre sainte des reliques christiques dont on lui avait fait présent, et qu’il distribue, en 1257, successivement au sanctuaire de Neuvy-Saint-Sépulcre dans son Berry natal, puis à son frère Hugues, alors trésorier de l’église de Tours et futur évêque de Poitiers 1164 ; à cela, s’ajoute, à la veille de sa mort, le legs aux Dominicains d’Orvieto, chez qui il a choisi de reposer, d’une épine de la couronne du Christ, elle-même don de Louis IX; cette épine accompagne le legs des manuscrits de la seconde édition de ses sermons; l’association du témoignage de l’humanité du Christ et d’une vie de prédication de sa Parole est hautement significative 1165 .

Louis IX on vient de le voir a lui aussi largement fait profiter ses amis spirituels du trésor de reliques qu’il avait accumulé 1166 . Eudes de Châteauroux était sans doute présent, ou au courant, lorsqu’en 1248, à l’occasion de la consécration de la chapelle haute, le roi donne à l’archevêque de Tolède Juan de Medina, qui est présent, une épine de la couronne du Christ ainsi que d’autres reliques prélevées sur le trésor acheté à Baudouin 1167 . Plus tard, vers 1259-1260, le roi fait don d’une autre épine de la couronne à l’évêque de Vicence Bartolomeo da Breganze, qu’il avait connu au moins de nom durant la croisade, puisqu’Innocent IV en fit un évêque de Limassol à Chypre, le 9 février 1252 1168 . Parmi les raisons qui ont pu faire apprécier à Louis IX ce Dominicain, je citerai sa dévotion particulière aux reliques christiques, et ses compétences théologiques et homilétiques. Lorsqu’il parvient enfin à mettre le pied à Vicence, dont il a été nommé évêque par Alexandre IV en 1255, mais dont le gibelinisme lui avait interdit l’entrée, il dédicace la cathédrale gothique de la ville à la Sainte Couronne. Il a d’autre part été le premier régent en théologie du Studiumpontifical, et dédia nombre de ses écrits, en particulier ses recueils de sermons, soit à la famille capétienne (Louis IX et son épouse la reine Marguerite), soit à de grands prélats romains, Hugues de Saint-Cher et surtout le pape Clément IV 1169 .

Il n’est que de parcourir, on l’a vu, les biographies du saint roi pour découvrir l’importance fondamentale à ses yeux des reliques. Outre celles du Christ, on le découvre empressé à accumuler les trésors de la sorte à chaque fois que l’opportunité s’en offre: un bon exemple est fourni par l’acquisition des reliques des martyrs de la légion thébaine auprès de l’abbé de Saint-Maurice d’Agaune en Valais, reliques installées en grande pompe en 1262 dans l’ancienne chapelle du palais royal de Senlis, en présence d’une multitude de grands laïcs et écclesiastiques 1170 ; premier événement complété par un second, en 1264, à l’occasion de la dédicace du nouveau prieuré de saint Maurice le premier juin, où est effectuée une translation des mêmes reliques; de Pérouse, Clément IV envoie une bulle de confirmation le 5 mai 1265 1171 .

Au moment d’achever cette évocation de l’aventure commune du roi et du légat lors de la septième croisade, il me paraît opportun, pour juger de leur intimité, de retourner à Joinville, qui forme avec eux, quoiqu’on pense de la façon dont il aurait cherché à se mettre en avant, une sorte de triumvirat. On y voit le légat à plusieurs reprises influencer directement les décisions du roi 1172 ; ou encore se confier au narrateur de façon intime au moment où les croisés s’en vont quitter la terre sainte: il lui déclare en pleurant qu’il quitte la mort dans l’âme la compagnie d’hommes saints pour regagner la cour de Rome, bien peu recommandable 1173 . Enfin, toujours vers la fin du séjour des croisés, Joinville relève à Acre une prophétie d’Eudes de Châteauroux qu’il n’a pas oubliée plus de cinquante années après, et pour cause puisqu’il lui semble qu’elle s’est réalisée: le légat avait prédit la chute d’Acre à cause des péchés de ses habitants 1174 .

Les liens ne se sont pas distendus, malgré le fait que les deux hommes ne sont pas rentrés aux mêmes dates en Occident, et de toute façon ne regagnaient pas les mêmes lieux 1175 . En 1258, le roi à la recherche d’un légat qui pût s’entremettre dans ses négociations avec son beau-frère Henri III d’Angleterre, en vue du traité de Paris, réclame à Alexandre IV une personne au choix parmi les cardinaux suivants: Eudes de Châteauroux, Hugues de Saint-Cher ou Giovanni Gaetano Orsini 1176 . Je ne crois pas illégitime de supposer que la longue fréquentation du légat a profondément influencé le roi, ou du moins l’a renforcé dans ses convictions, du point de vue de son rapport à l’Ecriture et à l’éducation religieuse: d’après Joinville, il éduque ses enfants en usant des ressources de l’histoire profane comme du livre d’Heures 1177 . La culture scripturaire et même théologique de Louis IX, un laïc, est tout à fait honorable: il aime la discussion, le quolibetdit Joinville, et sait tirer les enseignements religieux des événements qui surviennent au quotidien, en s’appuyant sur la Bible 1178 . L’ombre du légat suit le roi jusque sur le navire qui le ramène en Occident, puisqu’Eudes de Châteauroux l’a exceptionnellement autorisé à y exposer le saint sacrement 1179 .

Est-il surprenant de constater qu’à peine débarqué en Provence, le roi fait chercher un autre prédicateur qu’il veut absolument entendre, le célèbre Franciscain joachimite Hugues de Digne ? 1180 De son côté, Eudes de Châteauroux s’il demeure en terre sainte pour fortifier Acre et s’appauvrir, dans l’esprit franciscain, a peut-être mis à profit cette prolongation de son séjour pour concevoir une première mise en ordre des centaines de sermons acccumulés depuis ses débuts oratoires; c’est en tout cas l’hypothèse que je crois raisonnable de formuler au vu de certains indices, dont l’exposé mettra un terme à ce chapitre.

Notes
1151.

La rubrique est claire: « [sermo] in festo sanctarum reliquiarum », ce qui, comme dans le cas du SERMO n° 12 traité plus haut, désigne la fête de ce nom du 30 septembre. L’allusion à l’Egypte, à l’origine de l’hypothèse ici proposée concernant l’année, figure aux lignes 4-9. L’orateur, reprenant en cela un parallèle strictement observé dans les deux précédents sermons sur les reliques, montre que les actions de Dieu en direction d’Israël dans l’Ancien Testament préfigurent celles qu’il exerce en direction des Chrétiens dans le nouveau; or le premier exemple vétéro-testamentaire qu’il utilise à cette fin, c’est à dire le passage de l’Exode qui précède immédiatement la citation biblique qu’il prend pour thème, ne doit sans doute rien au hasard: « Remplissez-en un gomor et péservez-le pour vos descendants, afin qu’ils voient le pain dont je vous ai nourris dans le désert, quand je vous ai fait sortir du pays d’Egypte » (Ex. 16, 32). J’ajoute une seconde raison, moins convaincante, de privilégier 1251: des trois sermons qu’on trouve dans les mss relatifs à la fête des saintes reliques (voir supra le commentaire des SERMONES n° 9 et 12), celui-ci vient en dernier; on peut supposer que cet ordre correspond à celui de la prédication réelle (mais on possède des exemples contraires, où l’ordre dans les mss n’est pas celui de la chronologie).Trois dates demeurent toutefois possibles: 30 septembre 1251, 1252, ou 1253 (le roi embarque à Acre pour la France le 25 avril 1254).

1152.

Il suffit de rappeler la construction de la Sainte-Chapelle. Voir aussi un passage du sixième chapitre de G. de Saint-Pathus, éd. cit.H.-F. Delaborde, p. 39-41 (« De sa devocion a la vraie croiz aorer »); cela même si la structure hagiographique de cette biographie doit inspirer la méfiance: ici, il s’agit toutefois d’une donnée structurelle de la piété de Louis, qui rend le biographe plus fiable. Voir aussi les extraits du § 36 de G. de Beaulieu (L. Carolus-Barré, Le procès... op. cit., p. 51), qui débutent ainsi: « En outre, ayant un véritable culte pour la croix, il montrait une telle révérence pour le signe de la sainte croix... ».

1153.

Ex. 16, 33; lignes 1-3.

1154.

Voir J.-A. Jungmann, Missarum sollemnia. Explication génétique de la messe romaine, t. I, Paris, 1950, p. 30 s. pour le commentaire du récit évangélique, surtout p. 32 pour la commémoration; et passim ; R. Cabié, Histoire de la messe des origines à nos jours, Paris, 1990, p. 14 s. en particulier, sur la transformation très précoce de l’Eucharistie (ce que l’auteur nomme le passage de la Cène à la Messe, entre le Ier et le IIIe siècle), marquée par l’apparition de la Mémoire ou Anamnèse, et celle du Récit de l’Institution.

1155.

Ed. cit. H.-F. Delaborde, p. 40 (messe) et p. 41 s. (reliques).

1156.

Lignes 11-14; on note au passage l’assimilation implicite de la Chrétienté au royaume capétien qui détient ces reliques.

1157.

Lignes 30-32.

1158.

Lignes 39-42.

1159.

Lignes 45-46; le détail du passage n’est pas clair à cause d’une difficulté de transcription (voir ma note 22 à l’édition); mais le sens général me paraît hors de doute.

1160.

Voir en particulier A. Vauchez, La spiritualité... op. cit., p. 131 s.

1161.

Lignes 71-72 ; la citation est tirée de Genèse 5, 3.

1162.

Lignes 87-90.

1163.

Lignes 93-94.

1164.

Cf. supra, chapitre I.

1165.

La note a été d’abord transcrite par J. B. Pitra, Analecta... op. cit., p. xxvii, note 1; elle figure en tête du ms. de Rome AGOP, XIV, 34, l’un des cinq volumes de sermons légués par le cardinal au couvent d’Orvieto; son contenu indique qu’elle n’est pas de la main d’Eudes de Châteauroux. Ce que confirme E. Panella, Autografi di Bartolomeo di Tebaldo da Orvieto, dans AFP, t. LXII (1992), p. 135-174, qui juge p. 157-158 et note 55 qu’il s’agit d’une écriture de la fin du XIVe siècle; il donne une meilleure transcription de la note, p. 158, dont je cite cet extrait: « Nota quod iste venerabilis pater et magister in sacra theologia dedit conuentui urbeuetano unum calicem totum aureum et crucem etiam ex toto de auro <de ?> spina de corona Domini nostri Iesu Christi, quam spinam donauit beatus Ludouicus rex Francie predicto domino cardinali... ».

1166.

Voir le recensement de ces dons dans C. Billot, Le message spirituel... art. cit., p. 139; on notera deux récipiendaires particulièrement intéressants pour notre propos, le métropolitain de Tolède en 1248 et l’évêque de Vicence, le Dominicain Bartolomeo da Breganze, en 1259.

1167.

Sur cet archevêque, cf. P. Linehan, The Spanish Church... op. cit. ; sur sa présence à la consécration et le don de l’épine à Etampes en mai 1248, cf. P. Riant, Exuviae... op. cit., p. 137 (édition de l’acte royal). Sur les liens entre les grands prélats espagnols et la France, facilement explicables compte tenu des origines castillanes de la reine-mère, voir P. Linehan et F. J. Hernandez, ‘Animadverto’: A recently discovered Consilium concerning the Sanctity of King Louis IX, dans Revue Mabillon, n.s. t. V = t. LXVI (1994), p. 83-105; les auteurs citent p. 84-85 et note 11 un extrait du testament de l’archevêque de juillet 1248, où il mentionne les demeures qu’il possède à Paris grâce à Blanche de Castille; via Blanche, des liens étroits se sont noués entre les deux royaumes, que traduit entre autres la circulation des manuscrits. Voir sur ce point K. Reinhardt-R. Gonsalvez, Catalogo de codices biblicos de la catedral de Toledo, Madrid, 1990 (Monumenta Ecclesiae Toletanae Historica, Series I: Regesta et inventaria historica, vol. 2): description p. 16 s. de la constitution du fonds du chapitre, dont le premier inventaire, englobant les livres avec le trésor de la cathédrale, remonte à 1255-1260, donc peu après la mort de l’archevêque Juan de Medina. Parmi les manuscrits donnés par le roi de France à la métropole tolédane, les deux plus célèbres sont sans conteste des Bibles, dont l’une moralisée, cf. P. Linehan-F. J. Hernandez, art. cit. p. 84 note 10.

1168.

Voir sur lui les notices du DBI, t. VI (1964), p. 785-786; de la Bibliotheca sanctorum, t. II (1962), col. 880-881.

1169.

Cf. la notice citéedu DBI, p. 787 pour l’entrée difficile à Vicence. Concernant l’envoi en 1266 à Clément IV de son recueil de sermons sur la Vierge, voir maintenant L. Gaffuri, Verginità e modelli religiosi nei sermoni mariani del domenicano Bartolomeo da Braganze († 1270), dans Cristianesimo nella storia, t. XII (1991), p. 29-50; et l’édition du recueil, Eadem, I « sermones de beata Virgine » (1266), Padoue, 1993 (coll. « Fonti per la storia della Terraferma veneta », 7). On verra au chapitre VI que quelques années plus tôt, vers 1260-1261, Eudes de Châteauroux achevait la première édition de ses sermons, entreprenait d’en composer de nouvelles séries et envoyait à Paris une exemplaire de cette première édition.

1170.

Cf. L. Carolus-Barré, Le procès... op. cit., p. 218-219.

1171.

C’est G. de Saint-Pathus qui relate cet épisode à travers le témoignage de Robert de Cressonsacq, évêque de Senlis, quatrième des témoins qu’il cite sur la liste de ceux interrogés par l’enquête de canonisation de 1282, voir le texte dans L. Carolus-Barré, Ibidem, p. 117-118; et dans l’éd. cit.H. F. Delaborde, p. 7.

1172.

Joinville, Vie... éd. cit., § 609-610

1173.

Ibidem, § 611: « Alors le légat se leva et me dit de l’accompagner jusqu’à sa maison, ce que je fis. Alors il s’enferma dans la pièce où étaient rangés ses vêtements, lui et moi sans plus, et mit mes deux mains entre les siennes, et commença à pleurer très fort. Et quand il put parler, il me dit: ‘Sénéchal, je suis bien heureux, et j’en rends grâce à Dieu, que le roi, vous et les autres pélerins échappent au grand danger où vous vous ètes trouvés dans cette terre; et j’ai le coeur bien serré de ce qu’il me faudra quitter vos saintes compagnies, et aller à la cour de Rome, parmi ces gens déloyaux qui y sont’ ». Ce sont en fait Joinville et le roi qui partent, car le légat reste un peu plus longtemps en terre sainte, voir ci-dessous.

1174.

Ibidem, § 613; Joinville considère que la prise de la ville en 1291 par les Musulmans réalise la prophétie d’Eudes. Sur la chute d’Acre, cf. H. E. Mayer, The Crusades... op. cit., p. 286-287. On rapprochera ce trait du goût pour la prophétie décelable dans l’exégèse du cardinal ainsi que des tendances semblables de Louis IX, cf. J. le Goff, Saint Louis... op. cit., p. 210-213 (épisode célèbre de la rencontre avec le Franciscain joachimite Hugues de Digne, que j’évoque ci-dessous).

1175.

Le cardinal doit regagner la curie qu’il a très peu connue, un peu plus de 6 mois en 1245, mais qui lui a laissé de mauvais souvenirs, voir ci-dessus note 376. Mais on sait qu’il est demeuré plusieurs mois encore en terre sainte: d’après Joinville, Vie... éd. cit., § 612, il déclare vouloir rester une année après le départ du roi; or il fait rédiger à Acre, en septembre 1254, un acte dont l’original est conservé aux Archives nationales, cf. Layettes, t. III, p. 220a, n° 4121; je n’ai trouvé aucun document le concernant entre septembre 1254 et février 1255, où il est en Italie, à la curie, ce qui incite à penser qu’il a respecté sa promesse à quelques semaines près. Promesse d’ailleurs paradoxale: il dit qu’il veut rester à Acre afin de « dépenser tous [ses] fonds à fortifier le faubourg d’Acre, de sorte que je leur [les Poulains de terre sainte] montrerai bien clairement que je ne remporte point d’argent, et ainsi ils ne courront pas après moi »; or juste après, il prédit malgré tout la chute de la ville, voir note précédente; soit il ne faut pas prendre au pied de la lettre sa prophétie, mais ce n’est pas l’attitude de Joinville, que sa prédication a dû impressionner et qui relate très sérieusement l’annonce prophétique; soit il faut voir dans cette volonté de fortifier une ville vouée à la mort un témoignage envers Dieu qui lit les intentions droites et reconnaîtra les siens.

1176.

L. K. Little, Saint Louis’ Involvement... art. cit., p. 136-137 et note 43 (avec une erreur, fréquente et explicable, qui fait d’Eudes de Châteauroux un Franciscain); H. F. Delaborde, Instructions d’un ambassadeur envoyé par saint Louis à Alexandre IV à l’occasion du traité de Paris (1258) , dans BEC, t. XLIX (1888), p. 630-634.

1177.

Vie... éd. cit., § 689, qui vaut d’être cité en entier tant il consonne avec les sermons du cardinal: « Avant de se coucher dans son lit, il faisait venir ses enfants et leur rapportait les actions des bons rois et des bons empereurs, et leur disait qu’ils devaient prendre bon exemple sur de tels personnages. Et il leur rapportait aussi les actions des mauvais hommes de haut rang, qui par leur luxure, par leurs rapines et par leur avarice avaient perdu leurs royaumes. ‘Et je vous remets, faisait-il, en mémoire ces faits pour que vous vous en gardiez, afin de ne pas provoquer la colère de Dieu contre vous’. Il leur faisait apprendre leurs heures de Notre-Dame et leur faisait dire devant lui les heures du jour pour les habituer à entendre leurs heures quand ils seraient les maîtres de leurs terres ».

1178.

Pour le quolibet , cf. Joinville, Ibidem, § 668; pour une série de courtes leçons de théologique pratique, voir les § 634 à 637: l’événement qui occasionne ces leçons est l’échouement de la nef royale sur un banc de sable à Chypre, sur le chemin du retour vers l’Occident, narré aux § 618s.; le même épisode est rapporté par G. de Beaulieu, cf. L. Carolus-Barré, Le procès... op. cit., p. 48-49 (§ 30), qui montre le roi se mettant immédiatement à prier sur les reliques. Pour ses citations de la Bible, outre les exemples ci-dessus, voir le § 683 de Joinville; ses recommandations à ses fils dans ses Enseignements, § 714-754 (notamment le § 745 où il lui enjoint d’écouter la Parole de Dieu); voir enfin les nombreuses références dans L. K. Little, Saint Louis’ Involvement... art. cit., p. 128-130.

1179.

C’est G. de Beaulieu qui mentionne cette autorisation spéciale, cf. L. Carolus-Barré, Le procès... op. cit., p. 48 (§ 29); voir aussi Joinville, Vie... éd. cit. , § 622; cette autorisation rare s’explique bien sûr par le statut du bénéficiaire, mais aussi par un problème ecclésiologique ancien, celui du possible caractère itinérant de la liturgie, admis dans des circonstances spéciales (guerre, mission, pélerinage...), tout en suscitant la méfiance, car cela peut rompre l’enracinement territorial de la pratique sacramentelle, jugé canoniquement essentiel car stabilisant l’accès des laïcs au sacré en garantissant l’encadrement clérical du proprius sacerdos ; c’est d’ailleurs la question que pose en termes renouvelés l’apostolat des Mendiants, voir le chapitre suivant; le problème de la multiplication chez Eudes de Châteauroux des sermons de circonstance (voir le paragraphe suivant) est connexe: il s’agit d’introduire la liturgie, donc le sacré mais aussi le magistère clérical, dans le plus grand nombre possibles de circonstances exceptionnelles. Sur la pratique sacramentelle de Louis IX, cf. J. Le Goff et P.-M. Gy, Saint Louis et la pratique sacramentelle, dans La Maison-Dieu, t. CXCVII (1994), p. 99-124, précisément p. 123 pour l’épisode évoqué.

1180.

Episode jugé capital par J. Le Goff, Saint Louis... op. cit., p. 210-213 et à l’index p. 933, s. v° « Hugues de Digne »; la rencontre est narrée par Joinville, Vie... éd. cit., § 657-659.