Trois constats, lorsqu’on les rapproche, incitent à penser que le cardinal Eudes de Châteauroux a pu commencer, à l’occasion de son séjour de quatre années et demi en terre sainte, à réfléchir à une édition de ses sermons.
Premier constat: la totalité des 16 sermons étudiés dans ce chapitre, échelonnés de juillet 1245 à février 1254 au plus tard, ainsi que certains de ceux évoqués au chapitre I, se lisent, certains exclusivement, dans un manuscrit, celui d’Arras, Bibl. Mun. 876 (olim 137), par son contenu d’une nature particulière, et à vrai dire unique, en comparaison des autres manuscrits renfermant des collections de sermons du cardinal, comme l’indique son titre: Sermones venerabilis patris Odonis episcopi Tusculani et sunt de diuersis casibus 1181 ; par cette expression, de casibus , il faut entendre des sermons non classés selon l’ordre de l’année liturgique (sermons du temps ou sermons des saints), mais délivrés pour des occasions exceptionnelles, des casus , c’est à dire à des dates ne figurant pas au calendrier commun de l’Eglise. Parmi nos sermons de croisade, trois, celui sur la déposition de l’empereur (SERMO n° 1) et les deux sur l’anniversaire de Robert d’Artois (SERMONES n° 14 et 15), qui sont des représentants typiques de ces casusoù l’orateur aura pris la parole hors des dates prévues par le calendrier de l’Eglise, posent un problème de datation, car il sont absents du manuscrit d’Orléans, Bibl. Mun. 203, sans doute le seul maillon conservé de la première édition produite par le scriptoriumcardinalice 1182 .
Second constat: on peut connaître assez précisément la date à laquelle la première édition des sermons du cardinal est prête: pas avant la fin de 1259 et au plus tard à la fin de 1260 1183 .
Troisième constat: cette première édition, pour autant que je sois parvenu à démêler tous les fils d’une tradition manuscrite relativement complexe, comprend un peu plus de six cents sermons, un total déjà considérable 1184 . Bien sûr, revenu en Occident fin 1254 ou début 1255, l’auteur dispose d’environ 5 ans (1255-1260) pour mettre en ordre tous ces matériaux; on doit considérer que c’est en Curie, peut-être sous la pression d’un demande de ces milieux, avides d’exégèse et de prédication, que le cardinal a pu mener à bien cette première édition: il y dispose de la logistique adéquate, un scriptorium , et sans doute de quelques loisirs 1185 . Il a cependant dû réfléchir aux modalités de mise en ordre de l’ensemble plus tôt, et, au minimum, il lui a fallu faire copier les discours adressés aux croisés durant l’expédition elle-même. D’où les quelques réflexions qui suivent.
Il faut d’abord écarter l’objection que la croisade n’offrait pas des conditions matérielles correctes pour la prise en note des textes et leur copie. Joinville là encore offre un excellent exemple a contrario, puisque c’est lors du premier séjour des croisés à Acre, entre août 1250 et avril 1251, qu’il a composé et fait réalisé le manuscrit original de son Credo 1186 . Le légat, qu’on voit à plusieurs reprises loger à l’hôtel à proximité du roi, a bénéficié de services au moins identiques à ceux du sénéchal; il lui suffisait d’avoir recours à ceux de la chancellerie royale. A partir de l’arrivée au Proche-Orient, on peut estimer que le cours des événements, beaucoup plus pondéré, lui a offert davantage de loisirs dans ce but.
Afin de comprendre quand et surtout de quelle façon l’idée d’une série autonome de sermons, De diuersis casibus, a pu germer dans l’esprit du prédicateur, je me concentrerai sur les sermons de ce type que j’ai inclus dans mon corpus et examinés jusqu’ici, à savoir les SERMONES n° 1, 4 à 6, 9, 12, 14 à 16. Si l’on compare les deux manuscrits où on les lit, ceux d’Arras et d’Orléans, on constate une anomalie: les SERMONES n° 1, 14 et 15 sont absents du manuscrit d’Orléans; celui d’Arras les comprend tous; l’anomalie provient du fait que ces trois sermons absents du manuscrit d’Orléans datent, d’après moi, respectivement, de 1245 et 1251 pour les SERMONES n° 1 et 14, le SERMO n° 15 devant, je l’ai montré, être encadré dans une fourchette chronologique entre le 8 février 1252 et le 8 février 1254, avec toutefois une présomption en faveur de la pemière date.
Une comparaison structurelle un peu plus approfondie des deux manuscrits montre que, si l’on écarte la série De sanctisqui forme le début du manuscrit d’Orléans, les deux manuscrits sont presqu’ exactement semblables; ils diffèrent cependant dans le détail, sur deux points essentiels. D’abord, le manuscrit d’Orléans n’a pas de titre, car divers indices, notamment les numéros des cahiers, prouvent qu’il appartenait à un ensemble plus vaste dont le reste est perdu 1187 ; il est probable que cet ensemble, s’il a jamais porté un titre, devait être nommé De sanctis, comme on peut le déduire d’une comparaison avec un autre manuscrit, celui de Paris, Bibl. Mazarine, lat. 1010, que j’évoque bientôt. Le manuscrit d’Arras est au contraire titré, on l’a vu, De diuersis casibuset c’est le seul dans ce cas; il est clair que la différence majeure, justifiant ce titre, réside dans la présence, au début du manuscrit d’Orléans, d’une longue série De sanctisqui ne figure pas dans celui d’Arras. L’autre différence se remarque dans les trois séquences qui sont communes aux deux manuscrits: celui d’Arras est manifestement plus complet, puisqu’il inclut pour chaque séquence, à une seule exception près 1188 , la totalité des sermons contenus dans le manuscrit d’Orléans, mais lui en ajoute un nombre non négligeable: 22 sermons en plus pour la première série De diuersis casibus ; 7 en plus pour la série De communi sanctorum ; 11 en plus pour la seconde série De diuersis casibus. Le caractère plus complet du manuscrit d’Arras s’explique par un fait tout simple: on peut assez facilement démontrer qu’il est postérieur et prend en compte de nouveaux sermons prêchés entre-temps par le cardinal.
Le manuscrit d’Orléans inclut un sermon, présent aussi dans celui d’Arras, qui permet de fixer sans aucun doute possible un terminus ante quemà sa copie: le SERMO n° 22 1189 , que j’étudierai au chapitre suivant, est rubriqué « Sermo in anniuersario summorum pontificum et cardinalium instituto a domino papa Alexandro »; la date à laquelle cette fête fut instituée par Alexandre IV est connue: août 1259 1190 ; le pape fixe la date de cette nouvelle fête aux nones de septembre, c’est à dire le 5 de ce mois 1191 ; Eudes de Châteauroux ne peut avoir prononcé ce SERMO n° 22 que le 5 septembre 1259 ou le 5 septembre 1260, puisqu’il indique dans son prologue avoir envoyé à Paris une collection de sermons du vivant d’Alexandre IV 1192 , et que ce pape est décédé le 25 mai 1261; puisque d’autre part tout indique que le manuscrit d’Orléans est tout ce qui reste de cette collection envoyée à Paris sous Alexandre IV 1193 . Si le sermon a été donné le 5 septembre 1260, le manuscrit d’Orléans doit être achevé au plus tard à la fin de 1260.
Le manuscrit d’Arras est copié plus tard, selon moi entre 1266 et 1268. Il débute en effet par le SERMO n° 33 1194 , logiquement absent du manuscrit d’Orléans puisque rubriqué « Sermo in unctione domini Karoli in regem Sicilie » ; or le couronnement de Charles d’Anjou comme roi de Sicile eut lieu à Rome le 6 janvier 1266, au Latran 1195 . Ce manuscrit s’achevait initialement, avant d’être mutilé au XIXe siècle, avec le SERMO n° 51, rubriqué« Sermo in obitu domini Clementis pape quarti» 1196 ; or Clément IV est mort le 29 novembre 1268. D’autres sermons datables, présents dans ce manuscrit, que je commenterai chemin faisant, prouvent qu’il couvre au minimum trois années pleines de prédication du cardinal, 1266-1268; sa date de copie ne peut être antérieure à la fin de l’année 1268.
De cette comparaison, on peut déduire que la notion de Sermones de diuersis casibusexiste dès la première édition, vers 1260, mais ne se singularise pas dans les manuscrits autrement que sous la forme de séquences distinctes des habituelles séries De sanctis ou De communi sanctorum ; pour qu’émerge cette catégorie, inhabituelle au niveau des modes de classement traditionnels, c’est à dire liturgiques, de ce genre de textes, il faut attendre encore quelques années, et l’absence dans le manuscrit qui les contient d’une série De sanctis qui semble, lorsqu’elle est présente, phagocyter les sous-séries sous son vocable.
Mais l’anomalie que j’ai relevée n’en est pas pour autant résolue: pourquoi les SERMONES n° 1, 14 et 15, qui auraient dû s’y trouver compte-tenu de leur date, sont-ils absents du manuscrit d’Orléans, c’est à dire de la première édition, comprenant une sous-série de Sermones de diuersis casibus, alors que le SERMO n° 22 pour la fête des papes et des cardinaux défunts, de 1259 ou 1260, y figure ?
J’avoue que je n’ai pas d’explication satisfaisante à fournir. A moins de supposer, hypothèse qui ne peut être absolument écartée, que je me sois trompé dans mes datations et que ces sermons soient en fait plus tardifs. L’hypothèse peut être examinée au moins pour les SERMONES n° 14 et 15 sur la mort de Robert d’Artois; on a vu en effet qu’il s’agit de sermons anniversaires, et que ce dernier mot n’implique pas que l’on prêche seulement au premier anniversaire du décès: le service d’anniversaire, pour les sermons comme pour les messes, peut être réitéré; si ces deux sermons étaient postérieurs au 8 février 1260, cela expliquerait certes leur absence dans le manuscrit d’Orléans, mais il faudrait pour en restituer pleinement le sens trouver le contexte politico-religieux et imaginer le public qui aient pu inciter le cardinal Eudes de Châteauroux à commémorer cet anniversaire de décès; surtout, les apostrophes directes aux croisés, indubitables au moins dans le cas du SERMO n° 14, deviendraient incompréhensibles. Quant au SERMO n° 1, s’il n’est pas de 1245, je ne vois pas à quelle autre déposition que celle de l’empereur il est susceptible de se rattacher. Resterait une solution, valable pour les trois sermons: qu’ils aient été forgés après-coup, donc qu’il s’agisse de « prédication dans un fauteuil » pour reprendre l’expression de Michel Zink; leur contenu là encore me paraît contredire totalement une telle hypothèse, quels qu’aient été les remaniements de l’éditeur par rapport à ce qu’il avait réellement dit.
Je propose une dernière hypothèse qui revient aux manuscrits, à leur structure et à leur natture, pour essayer d’expliquer cette étrange absence. Le manuscrit d’Arras est copié aux alentours de fin 1268, voire début 1269; mais les dates de copie ne préjugent pas de celles auxquelles les sermons ont été réellement préchés. On peut en effet démontrer que le manuscrit d’Arras, bien que représentant un recueil dont s’est servi le cardinal pour élaborer la seconde édition de ses sermons, « récupère » des textes très anciens; pour ne prendre qu’un seul exemple, le sermon rubriqué « In sinodo », sur le thème Isti sunt filii Sadoch(Ez. 40, 46) 1197 , est en fait la version éditée du sermon reporté de la série universitaire de 1230-1231, donné le 16 octobre 1230 sur ce thème 1198 , et présente naturellement quelques différences, minimes, avec la parole réelle que représentait cette première version, mais qui n’empêchent pas l’identification. Mon avis, c’est que ce manuscrit d’Arras n’est pas le produit achevé d’une édition, mais représente une compilation, à peu près complète, de tous les sermons De diuersis casibus qu’Eudes de Châteauroux avait eu l’occasion de prononcer depuis qu’il recueillait ses discours. Il n’aurait dû servir que d’intermédiaire entre les deux éditions réalisées par le cardinal; pour des raisons inconnues, peut-être tout simplement le désir de ne pas rompre avec une tradition d’organisation liturgique des collections, la seconde édition n’inclut, pas plus que la première, de série distincte De diuersis casibus 1199 ; de sorte que le prédicateur aurait été conduit à individualiser ce manuscrit en le dotant de caractéristiques d’organisation et de décoration semblables à celles des manuscrits officiels de l’édition, mais d’un titre inédit 1200 . De ce point de vue, ce manuscrit occupe, dans la tradition des sermons du cardinal, une place un peu semblable à celle du manuscrit de Pise, l’un des tout derniers copiés, qui lui aussi ne représente pas un produit achevé de l’édition, mais une collection intermédiaire devant servir à élaborer l’édition officielle 1201 . Un dernier argument en faveur de la nature « hybride » du manuscrit d’Arras provient d’une comparaison avec le manuscrit déjà cité de Paris, Bibl. Mazarine, lat. 1010. Ce dernier porte un titre au f. 1: « Sermones venerabilis patris Odonis episcopi Tusculani et sunt de sanctis per totum circulum anni»; il est composé de deux séries distinctes: une série De sanctis, conforme à l’intitulé; une série De communi sanctorum ; il n’inclut donc aucun sermon de la série De diuersis casibus. Si l’on cherche à le dater et à comprendre sa nature, on doit le comparer aux deux précédents manuscrits d’Orléans et d’Arras, puisqu’il partage avec le premier une série De sanctisabsente du manuscrit d’Arras, et correspond à exactement à ces deux manuscris pour la série De communi sanctorum. On déduit de cette comparaison que le manuscrit de la bibliothèque Mazarine représente la seconde édition des sermons du cardinal, car: pour la séquence commune avec le manuscrit d’Orléans, De sanctis, il comprend les mêmes sermons mais en ajoute de nouveaux, dont 6 que l’on trouve aussi dans le manuscrit de Pise 1202 ; pour la séquence commune avec les deux manuscrits, De communi sanctorum, il complète à nouveau le manuscrit d’Orléans mais est presque identique, à trois exceptions près, à celui d’Arras 1203 . Si l’on ajoute à cela plusieurs sermons communs avec le manuscrit de Pise, on ne peut douter que le manuscrit de la bibliothèque Mazarine correspond à la seconde édition des sermons du cardinal, dans sa partie De sanctis; le fait qu’il porte ce titre, et n’inclue aucune séquence De diuersis casibus, démontre que cette dernière catégorie embarrassait en quelque sorte le cardinal, qui avait conscience de son autonomie mais cherchait à l’intégrer dans le schéma traditionnellement liturgique de l’édition des sermons. Cet embarras est matérialisé par l’existence de deux manuscrits partiellement contemporains et tous deux tardifs, celui d’Arras et celui de Pise, différents de nature mais largement composés de sermons De diuersis casibus, incluant tous les sermons nouveaux de cette série depuis la pemière édition (manuscrit d’Orléans), mais ne correspondant pas au modèle des manuscrits officiels produits pour l’édition par le scriptoriumcardinalice.
Il me paraît clair, en conclusion de ces quelques considérations techniques, que la catégorie des sermons De diuersis casibusa toujours représenté dans l’esprit d’Eudes de Châteauroux une série à part, cela dès la première édition, où elle apparaît en partie individualisée; fait que confirme ensuite l’existence du manuscrit d’Arras, au départ sans doute considéré comme un outil intermédiaire, mais qui porte un titre significatif et unique. La meilleure façon de caractériser cette catégorie hybride serait de la considérer comme intermédiaire entre la série, classique, De sanctis, et un genre nouveau qui commence à apparaître à la fin du XIIe siècle mais s’épanouit réellement au XIIIe siècle, le genre des sermons Ad status, c’est à dire des sermons modèles censés correspondre aux différents « états » de la société 1204 .
Concernant les sermons de croisade De diuersis casibus du cardinal Eudes de Châteauroux, si l’on doit juste admettre qu’ils ont été prononcés et copiés, au moins dans leur première mouture, durant l’expédition, sans pouvoir prouver que l’idée d’une catégorie spécifique date bien de cette époque, mon sentiment demeure, purement subjectif, que cette période a marqué un tournant spirituel et littéraire, faisant émerger à la conscience du prédicateur le caractère singulier de certains des discours que les événements et ses compétences le poussaient à prononcer. Cette prise de conscience, qu’elle soit contemporaine ou un peu plus tardive, est de toute façon très importante: elle indique le trouble que l’histoire événementielle, au sein d’un temps liturgique voué par nature à la réitération perpétuelle, vient semer chez l’auteur, le stimulant sur les voies de l’exégèse typologique et prophétique qu’il aime tant emprunter.
Précisément la prophétie, à ce moment, devient ou redevient un lieu théologique et un enjeu exégétique considérables. A peine rentré du Proche-Orient, le cardinal doit se frotter aux faux prophètes qui prétendent deviner le futur, et se voit contraint d’énoncer l’orthodoxie en l’espèce. Aucun effet du hasard.
RESUME DE THESE: L’université, l’Eglise, l’Etat dans les sermons du cardinal Eudes de Châteauroux (1190 ?-1273).
Ce travail étudie la prédication du cardinal d’origine berrichone Eudes de Châteauroux (1190 ?-1273), l’un des orateurs les plus prolifiques du XIIIème siècle (environ 1100 sermons attribués par les manuscrits, copiés pour une large part dans son propre scriptoriumcardinalice). L’histoire a transmis les traces de cette activité sous une double forme. D’une part les textes, nécessitant l’élucidation de la tradition manuscrite et l’édition critique d’un corpus choisi de 65 sermons. D’autre part, le reflet de cette activité oratoire dans les autres sources contemporaines (diplomatiques, narratives, liturgiques, hagiographiques, iconographiques), rendant possible une mise en contexte des sermons manuscrits, qui en deviennent souvent datables, et permettant de mesurer l’impact, au XIIIème siècle, de cette activité d’origine purement liturgique. Le choix des sermons édités privilégie trois thèmes étroitement imbriqués durant la carrière de l’orateur: l’université (il fut maître en théologie de l’université de Paris et jugea plusieurs questions de doctrine); l’Eglise (il fut chanoine de Notre-Dame de Paris puis cardinal en Curie); l’Etat (il fut légat de la première croisade de saint Louis puis, de retour de Terre sainte, un ardent propagandiste de la théocratie pontificale, au service de laquelle il tenta dans ses discours d’enrôler Charles d’Anjou, appelé par les papes à venir conquérir la Sicile). Si l’opération sicilienne fut un échec pour la papauté, Charles s’émancipant très vite, il reste, avec la montée des États nationaux au XIIIème siècle, que la trilogie Université-Eglise-Etat s’est dans une certaine mesure substituée au traditionnel binôme Eglise-Etat, caractéristique du haut Moyen Âge jusqu’à la réforme grégorienne. La prédication, dont les universitaires s’avèrent désormais les spécialistes, fut l’un des modes de mise en place de l’Etat, envisagé dans son activité idéologique. Symétriquement les Etats ont promu et soutenu l’institution universitaire, et les Capétiens en particulier ont beaucoup apprécié les sermons qui s’y élaboraient. Bref la prise de parole politique renouvelle profondément le genre traditionnel du sermon « occasionnel » ou de circonstance (de casibus ), sachant lire l’actualité à la lumière de la Bible, en profitant de l’impulsion de méthodes nouvelles d’exégèse, et des besoins des Princes en « conseillers » savants, gradués.
DISCIPLINE: Histoire
MOTS-CLES: Exégèse; Bible; sermon de circonstance; université; Eglise; Etat; croisade; théocratie; Cour pontificale; saint Louis; Charles d’Anjou.
U.F.R.: Faculté de Géographie, Histoire, Histoire de l’art et Tourisme de l’Université LUMIERE - LYON 2. Campus des Alpes. 5, Avenue P. Mendes-France. 69676 - BRON Cedex
F. 1. Il s’agit d’un manuscrit copié au scriptoriumdu cardinal (voir sa notice); aucun autre manuscrit n’est ainsi intitulé.
Voir la notice du manuscrit d’Orléans.
Je dois ici corriger une erreur commise dans mon mon travail, L’évolution... art. cit., p. 117-118, où j’arrêtais la date de la première édition, du point de vue de son contenu, à 1256 environ; un examen plus approfondi du contenu des manuscrits m’a convaincu que je m’étais trompé et que l’édition comprenait au moins un sermon de 1259 ou 1260, voir la notice du ms. d’Orléans, et la date ci-dessous du SERMO n° 22, étudié à la fin du chapitre suivant.
Ibidem, p. 124-126; voir aussi la note 8 du chapitre premier.
Que les prototypes manuscrits des collections de sermons du cardinal aient été produits par son scriptorium , l’examen paléographique le démontre amplement, voir ci-dessous le chapitre VI sur la tradition manuscrite. Sur la demande possible des milieux curiaux en terme de prédication, outre les remarques supra sur Bartolomeo da Breganze, on peut aussi prendre l’exemple du Franciscain Guibert de Tournai, qui vers 1255 a envoyé au pape Alexandre IV, à la requête de ce dernier, une collection de Sermones dominicaleset de Sermones de sanctis, cf. la notice (B. d’Amsterdam) dans DS, t. VI (1967), col. 1139-1146; et surtout D. L. D’Avray, The Preaching... op. cit., p. 120-124 (on notera au passage que Guibert, à l’instar de Bartolomeo dédicaçant des ouvrages aux Capétiens, a composé en 1259 un manuel de gouvernement, l’Eruditio regum et principum, à la demande de Louis IX, Ibidem, p. 145; le texte est édité et étudié par A. De Poorter, Le traitéEruditio regum et principum de Guibert de Tournai, O.F.M. Etude et texte inédit, Louvain, 1914; il y aurait vraiment une étude systématique à mener sur les relations entre prédication, éducation des rois et conceptions du gouvernement).
Voir L. J. Friedmann, Text... op. cit. ; l’éditeur fait remarquer, p. 1, que Joinville ne mentionne pas ce travail dans sa Vie de saint Louis, même si les leçons du roi sur le Credoet les principes élémentaires de la foi chrétienne, qu’il rapporte aux § 43-45 (Vie... éd. cit. ), sont de toute évidence à l’origine de son projet; sa date de composition peut être déduite du texte même du Credode Joinville ( L. J. Friedmann, Text... éd. cit., p. 30-31): « ... fis je premier faire cest euvre en Acre, après ce que li frere le roi en furent venuz, et devant ce que li rois alast fermer la cité de Cesaire en Palestine ». On a vu plus haut que les frères du roi se rembarquent pour la France le 10 août 1250 (Vie... éd. cit., § 442) et que les fortifications de Césarée débutent le premiers mars 1251 (Ibidem, § 470).
Voir la notice de ce ms.
Le RLS n° 819a, premier sermon du ms. d’Orléans, est absent de celui d’Arras.
RLSn° 885.
Cf. M. Dykmans, Le cérémonial papal de la fin du Moyen Age à la Renaissance, t. II: De Rome en Avignon ou le cérémonial de Jacques Stefaneschi, Bruxelles-Rome, 1981, p. 411-412 pour l’édition de l’ordonnance, p. 205-207 pour le commentaire. Voir aussi A. Paravicini-Bagliani, Il corpo del Papa, Turin, 1994, p. 202, que je remercie car c’est lui qui m’a indiqué, lors d’une conversation, l’institution de cette fête et donc permis de dater le manuscrit.
Comme l’indique Eudes de Châteauroux lui-même dans son sermon, lorsqu’il évoque au paragraphe deux le constitutumdu pape selon lequel « singulis annis nonis septembris fiat anniuersarium et elemosine pro eis[les papes et les cardinaux défunts] ».
Voir F. Iozzelli, Odo da Châteauroux... op. cit., p. 173-175, ici p. 174 lignes 30-32: « ... ut sermones illi quos tempore domini Alexandri pape compleui et Parisius misi ».
Voir la notice du manuscrit; pour aller vite ici, je dirai que l’écriture, la rubrication et la décoration apparentent de très près ce manuscrit à ceux produits sans aucun doute au scriptoriumdu cardinal, malgré quelques légères différences.
RLSn° 819.
Cf. P. Herde, Karl I. von Anjou, Stuttgart-Berlin-Köln-Mainz, 1979, p. 47.
RLS n° 1047; les folios ont été arrachés, mais le sermon figure dans la table (ff. 1ra-1va), en dernier avec le sermon n° 131 de la table; on trouve heureusement une autre copie de ce sermon dans le ms. de Pise, Biblioteca Cateriniana 21, ff. 92(101)rb-94(102)rb, éd. F. Iozzelli, Odo da Châteauroux... op. cit., p. 207-213.
Ms. d’Arras, Bib. Mun. 876, f. 20ra-21vb (RLSn° 829).
Voir M. M. Davy, Les sermons universitaires... éd. cit., p. 183-189; c’est le dixième du ms. de Paris, BNF nal 338, cf. N. Bériou, L’avènement... op. cit., t.II, p. 683.
Voir les notices de ces mss, c’est à dire tous ceux qui se trouvent actuellement en Italie (deux exceptions à cette localisation actuelle: le ms. d’Arras dont il est ici question, et celui de Paris, Bibl. Mazarine 1010, qui représente lui aussi la seconde édition). Il n’ y a aucun doute sur le fait que le ms. d’Arras ait été produit par le scriptorium du cardinal, voir sa notice.
Il n’ y a aucun doute sur le fait que le ms d’Arras a été produit par le scriptorium du cardinal, voir sa notice.
Sur la nature de ce manuscrit, voir l’annexe n° 2; pour faire bref ici, je dirai qu’il recoupe en partie celui d’Arras, par les dates comme le contenu, comme le laisse supposerle titre qui figure à son f. 3 : « Sermones venerabilis patris Odonis episcopi tusculani quos composuit apud Viterbium anno Domini m° cc° lxvii°, pontificatus domini Clementis pape quarti anno tercio et quarto et tempore vacantis Ecclesie »; j’ai indiqué plus haut que les deux mss possédaient en commun, entre autres, le sermon sur la mort Clément IV.
En particulier, le SERMO n° 53 (RLSn° 700 = 909), analysé au chapitre VI, pour une croisade italienne, sans doute contre Conradin.
L’une de ces exceptions est le SERMO n° 37 (RLSn° 739), pour la canonisation d’Hedwige de Silésie, étudié au chapitre VI.
Sur ce genre, voir D. L. D’Avray, The Preaching... op. cit., à l’index p. 307, s.v « ad statussermons »; pour une étude comparative de collections de plusieurs auteurs du XIIe (H. Augustodunensis et A. de Lille) et XIIIe (J. de Vitry, G. de Tournai et Humbert de Romans) siècles, s’adressant aux gens mariés (l’un des statusmédiévaux essentiels aux yeux des prédicateurs), voir D. L. D’Avray et M. Tausche, Marriage Sermons in ad status Collections of the Central Middle Ages, dans AHDLMA, t. XLVII (1980), p. 71-119 (réimpression dans N. Bériou-D. L. D’Avray, Modern questions... op. cit., p. 77-134; je cite d’après ce recueil); les deux auteurs invitent à nuancer la caractère absolument novateur du genre, soulignant p. 78 et note 4 le rôle pionnier de Grégoire le Grand, dont l’influence, ici comme dans d’autres domaines, fut immense sur le Moyen Age. Même type de remarques chez N. Bériou, à propos des trois principales collections de ce genre au XIIIe siècle, celles de Guibert de Nogent, de Jacques de Vitry et Humbert de Romans, voir N. Bériou- F. O. Touati, Voluntate Dei leprosus. Les lépreux entre conversion et exclusion aux XII e et XIII e siècle, Spolète, 1991, p. 38-52; et surtout, la récente mise au point de N. Bériou, Les sermons latins après 1200, dans The Sermon (dir. B. M. Kienzle), Turnhout, 2000 (coll. « Typologie des sources du Moyen Age occidental, fasc. 81-83), p. 363-447, ici p. 390-394, où l’auteur fait remarquer (p. 393) que ce genre « Ad status » s’intéresse en fait « aussi aux circonstances concrètes de la prédication » (auxquelles se rattache en majorité le corpus de sermons d’Eudes de Châteauroux que j’ai établi) et que ces collections « Ad status » « doivent bien être considérées comme l’une des espèces du genre, au demeurant hétérogène, des instruments de travail pour les prédicateurs » (loc. cit. ); enfin, qu’Humbert de Romans, dans ce cadre, fournit davantage des conseils aux prédicateurs que des modèles de sermons (Ibidem, p. 392). Bref, le genre est hybride, lié aux catégories intellectuelles de ceux qui l’élaborent plus qu’à la prédication concrète, et vite « passé de mode ». C’est parce qu’ils ne l’ont pas situé dans le cadre général du renouvellement des instruments de travail pour prédicateurs que certains historiens de l’école des Annales, friands d’interdisciplinarité et de recours à la sociologie et à l’anthropologie, ont été favorablement impressionnés, voire abusés, par l’importance de ce genre, à la sociologie en fait bien sommaire (sauf lorsqu’il s’agit, significativement, de classer les différents états cléricaux) et aux visées impraticables.