La bulle pontificale du 10 mai 1254 s’en prend avant tout à l’usurpation par les Mendiants des activités pastorales liées à la « cura animarum »: confession sans reversement de la quarte, captation des héritages établis à l’occasion de testaments, lors de l’administration des derniers sacrements; prédication sans autorisation de l’ordinaire hors des églises paroissiales. Le problème, c’est que sur toutes ces questions, les Mendiants jouissent de privilèges pontificaux; d’où des affirmations étonnantes du pape: un fidèle confessé et absous par les Frères dans les conditions mentionnées, c’est à dire sans la permission de son curé, est damnable; M.-M. Dufeil commente à juste titre: « Il demeure incompréhensible qu’un canoniste aussi sûr qu’Innocent IV ait pu agréer un texte où validité et licéité d’un sacrement paraissent quelque peu confondus » 1274 . Habileté ou conviction, il semble que ce soit la capacité de Guillaume de Saint-Amour à lier en une synthèse les trois questions du « dossier anti-mendiant », à savoir celle de l’université, celle du ministère pastoral et celle du fondement évangélique de la pauvreté, qui ait emporté l’adhésion du pape; de fait, dans la foulée, une série de documents pontificaux et par voie de conséquence, le clergé séculier étant sans doute stimulé par l’attitude plus équilibrée du siège romain, plusieurs synodes provinciaux, notamment dans le midi de la France, marquent un renforcement de la position du clan traditionnel du clergé 1275 . Il est toutefois indispensable, à ce stade du développement de la querelle, d’insister sur un point: c’est sur la question du ministère pastoral des Frères que le pape Innocent IV signifie immédiatement son changement d’attitude, alors que sur les deux autres questions, il se montre tellement prudent qu’il reviendra à ses successeurs de tenter, dans la douleur, de ramener l’unité.
Pour tenter de répondre à la question, demeurée sans réponse satisfaisante, du pourquoi de cet apparent revirement, il y a lieu d’élargir l’enquête sur les soutiens dont les Séculiers ont pu bénéficier à la Curie 1276 . Et de se tourner naturellement vers les cardinaux, puisque l’encyclique des Séculiers de février 1254 s’adresse aussi à eux, en des termes qui n’ont pas été relevés:
‘« Nec dum nostris calamitatibus satiati [les Mendiants] ad sedem apostolicam accedentes et apud dominum papam et dominos cardinales maiores nostros, ut intelleximus, grauiter diffamantes, causas sue separationis omnino tacentes, nullo ex parte nostra ibi presente, per exquisita precum mendacia quasdam litteras surreptitias a domino papa per importunitatem suam, ut intelleximus, ad venerabilem patrem Ebroicensem episcopum extorserunt... » 1277 .’Et un peu plus loin, dans la partie finale de leur supplique, les Séculiers ajoutent:
‘« ... predictorum summam [...] et alia inopinata grauamina que nobis ingerunt [les Mendiants] insolenter [...] discretioni vestre, patres et domini reuerendi, presentium tenore duximus intimanda, quatinus, qui diuine prouidentie clementia patres estis, aliquando vos fuisse filios recolentes, nobis nunc filiis paterno affectu compatiamini, et predicte insolentie quid pretendant... modis quibus secundum Deum poteritis prouidere curetis, ne concusso Ecclesie fundamento, quod Parisiense studium esse dinoscitur, consequenter corruat ipsum edificium improuise » 1278 .’Les cardinaux auraient été abusés par des Frères qui ont profité de l’absence de tout représentant du clergé séculier, et maquillé la vérité des faits; ce mémoire a pour but de la rétablir, et fait appel aux cardinaux anciens étudiants du studium, fils devenus pères par leur accession à la pourpre, qui savent combien ce studium est à la base de la contruction ecclésiale et comment l’ébranlement menace de ruiner l’édifice entier. Qui peuvent être ces cardinaux, autrefois fils de l’université, devenus aujourd’hui ses pères et requis de dire le droit en sa faveur ? En procédant par élimination parmi les dix cardinaux qui entourent alors le pape 1279 , on retranchera, des alliés potentiels des Séculiers, ceux issus d’ordres religieux, y compris traditionnels 1280 , ce qui fait peu: d’une part l’unique cardinal issu des ordres mendiants, le Dominicain Hugues de Saint-Cher 1281 ; d’autre part le cardinal cistercien Jean de Tolède 1282 . Par ailleurs, on connait ou on présume un certain nombre de cardinaux amis des Mendiants, eu égard aux fonctions, anciennes ou actuelles, de protecteurs religieux qu’ils assumaient. C’est d’abord le cas de Rinaldo de Jenne, le futur Alexandre IV, alors cardinal-protecteur de l’ordre des Frères mineurs et qui conserva cette charge comme pape 1283 ; puis Gian Gaetano Orsini, qui lui succède dans cette fonction à laquelle le nomme Urbain IV 1284 et qui prit part avec Eudes de Châteauroux à la seconde commission d’Anagni chargée de juger le Tractatus de periculis nouissimorum temporumde Guillaume de Saint-Amour 1285 ; il me paraît logique d’ajouter à cette liste Riccardo Annibaldi, un « vieux » cardinal, le seul survivant alors avec Rinaldo de Jenne des promotions de Grégoire IX, parce qu’il a joué un rôle important en faveur de l’un des autres « petits » ordes mendiants, les Ermites de saint Augustin dont il fut le cardinal-protecteur 1286 .
Pour les autres cardinaux ennemis potentiels des Séculiers, il convient d’être beaucoup plus prudent début 1254. Premier cas douteux, celui du cardinal Ottaviano Ubaldini, un grand prélat politique, gibelin par tradition familiale, qu’Innocent IV a sans doute pour cette raison promu à la pourpre, croyant réaliser une fine manœuvre politique; le pape a dû rapidement déchanter puisque, si l’on en croit Salimbene, vers la fin de son pontificat il songeait à le déposer de sa dignité cardinalice pour mauvais services rendus à l’Eglise; fort logiquement, il semble rentrer en grâce après l’élection d’Alexandre IV; sous ce pontificat, on lui connait la charge de protecteur des ordres de Vallombreuse et des Camaldules; bref, il est difficilement admissible que cet ennemi d’Innocent IV, lié par la suite à des religieux traditionnels, ait pu beaucoup appuyer la cause séculière, sans qu’on puisse en savoir davantage.
Autre cas difficile à trancher, celui du cardinal hongrois Etienne de Vancza: cet ancien chancelier du roi de Hongrie et archevêque d’Esztergom, promu à la pourpre par Innocent IV début 1252, devint par la suite cardinal-protecteur des « Pauvres Dames » de sainte Claire, cet ordre féminin très proche de celui des Mineurs, dont sainte Claire d’Assise est à l’origine; il succéda dans ce rôle à Gian Gaetano Orsini, de 1261 à 1265 1287 ; c’est sans doute ce qui peut expliquer sa participation à la première session de la commission d’Anagni chargée de juger l’Introductorius in Evangelium eternumde Gherardo de Borgo san Donnino 1288 . D’un côté, les attaches institutionnelles avec l’un des ordres féminins de la mouvance mendiante pousseraient à pencer qu’il est de leur parti; mais le peu qu’on connait de sa biographie, tant en Hongrie qu’à la Curie, en fait un de ces grands prélats entre l’Eglise et l’Etat, népotistes et très regardants sur leurs revenus 1289 , susceptibles de comprendre les arguments des Séculiers; peut-être faut-il de ce point de vue dissocier les différents aspects du dossier d’accusation préparé par Guillaume de Saint-Amour: il a pu trouver des partisans sur la question du ministère, sans y parvenir sur celles des chaires et de la légitimité de la nouvelle forme de vie régulière adpotée par les Mendiants; Eudes de Châteauroux lui-même, dont tout indique qu’il a pris le parti des Frères, n’en était pas moins ferme sur les revenus de l’ordinaire, comme le montre un procès qu’il entreprit en 1256 contre les moines de Grottaferrata, dans son diocèse, qui abusaient de leurs privilèges 1290 .
Le cardinal Stefano Conti présente une figure semblable 1291 :neveu d’Innocent III, issu de la grande noblesse romaine; mais, à l’image de son oncle, profondément attaché à la rénovation ecclésiologique, dans le sens d’une intensification de la pastorale; Eudes de Châteauroux lui-même évoque l’admiration de ce cardinal pour les Clarisses à la fin d’un sermon pour la fête de sainte Claire, sur le thème: Qui habitare facit sterilem in domo(Ps. 112, 9), et qui s’achève ainsi: « Hoc donum dedit Dominus beate Clare et sororibus suis ut onus portant hylariter paupertatis, sicut asserebat dominus Stephanus de Comite cardinalis, quod cum ipse haberet duo monialia in cura sua, unum pauperrimum de ordine sancte Clare, aliud habundans in possessionibus, quando visitabat eas pauperes, numquam conquerebantur ei quod aliqua necessaria eis deficerent, sed hylares eas inueniebat, sed alias querulosas et tristes »; d’autre part, le chapitre général des Franciscains réuni à Narbonne à la Pentecôte 1260 décida de faire célébrer le jour anniversaire de sa mort dans toute la chrétienté; le fait de commémorer l’anniversaire de défunts célèbres est une ancienne tradition des ordres monastiques, reprise par les Mendiants; mais cette décision est peut-être en relation avec l’institution récente, datant de moins d’un an en Curie, de la fête anniversaire des papes et cardinaux défunts par Alexandre IV; Innocent IV n’eut évidemment pas droit à de tels honneurs, lui qui décède juste un jour avant le cardinal Stefano Conti; tout porte à croire par conséquent que ce dernier était lui aussi un ami des Mendiants 1292 .
Quatrième personnage ambigu, le neveu du pape, Guglielmo Fieschi, créé cardinal-diacre de Saint-Eustache en 1244 1293 . Certes sa force principale résidait de toute évidence dans sa parenté avec le souverain pontife; on ne lui connaît pas d’attaches avec Paris, que des études auraient favorisées; il meurt peu après son oncle le premier mai 1256, déjà rentré dans l’ombre après l’échec de la mission confiée par Innocent IV, assurer comme légat l’emprise de la papauté sur le royaume de Sicile, échec qui le fait renoncer à sa fonction 1294 ; comme il se peut qu’il ait été le second cardinal-protecteur des Humiliati, et comme il fit construire un monastère de Clarisses à Chiavari, près de son lieu de naissance, dont sa sœur devint abbesse, il est difficile de le classer, faute de signes plus explicites 1295 .
Il ne reste plus grand-monde au sein du collège pour pousser Innocent IV dans les bras des Séculiers. Deux cardinaux ont pu jouer ce rôle au tout début de la querelle, Pierre de Bar-sur-Aube et Pietro da Collemezzo; ils sont décédés en 1253, donc avant le tournant pris par le pape; ils méritent toutefois d’être brièvement évoqués, surtout le second qui a été victime dans l’historiographie mendiante d’une véritable damnatio memoriæ, en lien évident avec cette querelle, opération de propagande qui a déformé l’interprétation historiographique ultérieure en grossissant démesurément la portée des décisions prises par le pape.
Pierre de Bar-sur-Aube est actif à l’université de Paris dès les années trente du siècle, puisqu’il figure parmi les maîtres séculiers dont les sermons, reflétant la prédication de l’année universitaire 1230-1231, sont reportés dans le ms de Paris, BNF nal 338, aux côtés d’Eudes de Châteauroux, Philippe le Chancelier et de nombreux prédicateurs mendiants 1296 ; il meurt à Pérouse entre le 19 juin 1252 et le 23 mars 1253 1297 . Son statut de Séculier aurait pu en faire un ennemi des Frères, mais la fin de sa vie incite à penser le contraire: il voulut être enterré, selon le biographe d’Innocent IV Nicolo da Curbio, dans l’église Saint-François d’Assise, et fut semble-t-il exaucé le 10 octobre 1253 1298 .
La figure de Pietro da Collemezzo est beaucoup plus intéressante du point de vue ici discuté, et surtout beaucoup plus tranchée 1299 . On a vu au chapitre I que toute sa carrière l’attachait à la France, puisqu’il passe du siège archiépiscopal de Rouen à la pourpre, et que si quelqu’un a recommandé Eudes de Châteauroux à Rome, ce fut lui; il a peut-être enseigné à Paris au début du XIIIe siècle 1300 . Son séjour en France est caractéristique des trajets parcourus par certains grands prélats italiens dans le cadre institutionnel curial: entré très tôt dans les rouages administratifs et politiques du gouvernement des papes, venu comme tant d’autres rejetons de la noblesse italienne acquérir son bagage de « litteratus » aux écoles parisiennes, il s’enracine rapidement dans les prébendes canoniales de la France du nord, où il devait par la suite installer ses familiers 1301 ; à ce titre, il représente l’exemple type, en actes, des effets de la centralisation romaine telle qu’elle s’exerce à travers la politique bénéficiale des papes 1302 . On est certain qu’il soutint la cause des Séculiers, à cause de la férocité dont les Mendiants font preuve à son égard, lorsqu’ils narrent les circonstances de sa mort. De premières versions et interprétations de la mort du cardinal avaient circulé sous forme d’exempla anonymes: son orgueil et son mépris des frères en auraient été la cause 1303 ; le dominicain Thomas de Cantimpré, déjà rencontré et déjà fort mauvaise langue, qui écrit son Bonum uniuersale de apibusentre 1256 et 1263, reprend l’exemplumen amplifiant sa partie narrative et en dégageant très nettement sa signification 1304 : Pierre de Collemezzo, comme prévôt de Saint-Omer, avait chassé de la ville les Prêcheurs 1305 ; devenu cardinal, il tyrannisa les deux ordres mendiants 1306 ; le jour même de sa mort, « un frère mineur, s’appuyant sur les révélations d’une sainte femme, lui avait prédit une mort subite; mais le cardinal méprisant les reproches s’abandonna à l’injure en disant: ‘Tu n’es pas prophète, ni fils de prophète. Pour ma part, j’ai fait en sorte que votre ordre et l’ordre des Prêcheurs soit soumis aux évêques; et j’ajouterai encore ceci: j’ai fait en sorte que vous soyez soumis aux pieds des plus humbles des prêtres’. Alors qu’il disait ces choses, il avait sous les yeux les signes qui lui étaient prédits, mais il ne les remarqua pas, aveuglé par son orgueil inconscient. Ces signes étaient les suivants: tout d’abord il serait transporté de colère, si bien que le lendemain, au moment de monter à l’autel, il ne pourrait trouver la paix; en second lieu qu’en voulant se laver les mains il perdrait son anneau épiscopal. Tout cela se réalisa d’une façon plus claire que le jour » 1307 ; suit la description de la colère provoquée le lendemain par trop d’attente devant une église des Mineurs, de la perte de l’anneau cardinalice puis de la chute malencontreuse qui provoque la mort, chute elle-même hautement symbolique puisque le vieillard a voulu sans aide monter sur un point élevé et tombe pour ne plus se relever. Comment mieux évoquer le péché d’orgueil et le jugement divin qui le sanctionne ? On note que le cardinal a contesté la prétention à prophétiser des Mineurs, en écho au climat du moment, sur lequel je reviendrai, où la question de la prophétie est l’objet d’un quadruple enjeu. Enjeu théologique, en ce sens que les universitaires discutent abondamment de la nature de la vision que suppose la prophétie 1308 . Enjeu exégétique, car le prophète est par excellence un personnage de l’Ancien Testament annonçant le Christ et les accomplissements de la loi nouvelle, dans la perspective d’une interprétation typologique de la Bible maintes fois évoquée; dans ce cadre, il n’y a pas place pour une attente anxieuse des signes de la fin des temps; or la venue au premier plan de l’actualité des ouvrages de Joachim de Fiore a profondément remis en question ce schéma traditionnel et provoqué une nouvelle fermentation exégétique sur le thème des fins dernières 1309 . D’exégétique, l’enjeu devient ainsi à la fois eschatologique et ecclésiologique: eschatologique car, très tôt, un courant franciscain affirme que saint François est l’ange du sixième sceau ou de Philadelphie, tel que l’avait interprété Joachim 1310 , c’est à dire le fondateur de cet ordre contemplatif nouveau qui viendrait, au terme du second âge du monde, celui de l’Esprit, définitivement chasser l’Antichrist et installer la paix sur la terre, inaugurant ainsi la fin des temps 1311 . Ecclésiologique si l’on récuse ce schéma, et s’en tient aux perspectives augustiniennes traditionnelles, qui transforment l’ordre de saint François, et plus généralement les ordres mendiants, en un nouvel exemple du développement historique de l’Eglise militante, en lutte dans le siècle contre le mal 1312 . La perte de l’anneau cardinalice me paraît aussi de grande importance symbolique: Thomas lui-même en donne le sens, la déchéance qui guette les titulaires des dignités ecclésiastiques, le cardinal s’écriant: « J’ai perdu l’épiscopat »; d’autre part, elle s’apparente de façon prémonitoire à la spoliatiodont Pierre de Collemezzo est victime après son décès; on verra que le cardinal Eudes de Châteauroux y fait très précisément allusion dans son sermon sur l‘anniversaire des papes et des cardinaux défunts et l’interprète dans le même sens, preuve que les anecdotes complaisamment compilées par les Mendiants n’ont pas tardé à circuler en curie, voir même qu’elles y trouvent leur origine 1313 . L’écrivain dominicain fait d’ailleurs preuve dans cette narration d’un très subtil équilibre: il note en effet, selon un apparent paradoxe qu’il attribue « au jugement de Dieu très surprenant et caché » 1314 , que ce cardinal fut un grand clerc, honnête et généreux envers les pauvres, plutôt dédaigneux des hautes dignités ecclésiastiques (il refuse neuf évêchés et ne finit par accepter ce fardeau que sous la menace d’une excommunication !); c’est en arrivant à la Curie, « dans ce poste élevé qu’il perdit la raison » 1315 ; il est probable que Thomas, même s’il exagère le nombre d’évêchés refusés, fut un familier du cardinal, ce qui accrédite son récit 1316 ; il conclut sur un ton miséricordieux, espérant que « Dieu ne l’oubliera pas jusqu’à la fin, que dans sa colère il conservera son habituelle miséricorde et que dans sa grande bonté il aura pitié de celui qui s’est peut-être repenti » 1317 .
Il est évident par ailleurs que Thomas de Cantimpré maquillait quelque peu la vérité: sa rédaction est postérieure aux événements, peut-être de peu il est vrai puisque les historiens font débuter son travail de compilation en 1256; la composition littéraire est plus probante: la mort du cardinal est présentée selon un scenario, assez théâtral, très voisin de celui qui met en scène celle de Philippe le Chancelier, lui aussi dénoncé comme grand ennemi des Mendiants; on a vu au chapitre I ce qu’il fallait penser en vérité de cette accusation 1318 ; enfin ce décès surgissait à point nommé, si l’on peut dire, c’est à dire peu après que le pape avait ordonné, le premier juillet 1253, de réintégrer les Mendiants dans le consortiumuniversitaire; son revirement ultérieur n’en fut que plus durement jugé par l’historiographie franciscaine 1319 .
Les exemplarelatant le sort pitoyable de Pietro de Collemezzo connurent par la suite une fortune certaine dans la littérature de l’ordre, puisque deux chroniques du XIVe siècle les reprennent 1320 : la mémoire franciscaine et exemplaire est tenace. Si disparaît avec sa mort l’ennemi le plus acharné des Mendiants en curie, il semble que dans un premier temps cela n’ait pas affecté la ligne de pensée d’Innocent IV. C’est l’occasion de terminer la revue des cardinaux susceptibles d’avoir continué le combat de Pietro de Collemezzo.
M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 115 et note 147, concernant la différence, clairement établie par le droit canon, entre validité et licéité des sacrements; cette dernière question n’est pas de peu d’enjeu, puisqu’on sait qu’au début de la réforme grégorienne, elle fut, sous une forme moins élaborée au plan juridique, au centre des débats sur la validité des sacrements administrés par les prêtres indignes, simoniaques ou nicolaïtes, et finalement résolue par la papauté dans le sens de la validité, l’efficacité du sacrement dépendant du pouvoir d’ordre et non de la valeur personnelle du prélat qui l’administre, cf. Histoire du Christianisme, t. V: Apogée... op. cit., p. 125-126 et surtout p. 129-134 (L’Italie au coeur de la réforme ).
M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 116.
J’ai déjà évoqué la perplexité de M.-M. Dufeil lui-même, note 68 supra; conclusion identique avec l’analyse pleine d’acuité de la bulle Etsi animarumdu 21 novembre 1254, Ibidem , p. 127-131.
CUP, n° 230, p. 255-256.
Ibidem, p. 257; c’est moi qui souligne en gras.
Cf. A. Franchi, Il conclave... op. cit., p. 41, à propos des cardinaux vivants au moment du décès d’Innocent IV; cet auteur en compte quatorze, dont onze auraient pris part à l’élection de son successeur; je pense qu’il s’agit d’une erreur. A. Franchi signale à juste titre que deux d’entre eux sont éloignés physiquement de la Curie à cause de légations, Eudes de Châteauroux bien sûr, toujours en Orient, et Pietro Capocci, désigné le 13 avril 1254 légat pour l’Allemagne, le Danemark, la Suède, la Poméranie et la Pologne, mission qui ne s’achève qu’en avril 1255, cf. A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 305; comme ce cardinal était un grand ami personnel d’Innocent IV, on peut faire l’hypothèse que, peu avant de partir pour sa légation (désigné mi-avril, il est possible qu’il ait rencontré Guillaume de Saint-Amour si ce dernier était déjà arrivé en Curie), il ait influencé le pape contre les Mendiants, car il incarne typiquement la figure des fils de grandes familles romaines entrés tôt au service de la Curie et rapidement pourvus de prébendes, y compris à l’étranger; mais il n’a pu jouer le moindre rôle dans la préparation de la bulle Etsi animarum. Par ailleurs, je ne compte que douze cardinaux vivants à la mort d’Innocent IV le 7 décembre 1254, car Pierre de Bar-sur-Aube et Pietro da Collemezzo sont tous deux décédés en 1253 (voir ci-dessous); encore faut-il ajouter que le cardinal Stefano Conti meurt un jour après Innocent IV (voir ci-dessous). En résumé, je compte douze cardinaux vivants au moment où Innocent IV amorce son virage politique (mai 1254); dix sonts présents quand est publiée la bulle Etsi animarum(novembre 1254); neuf participent à l’élection d’Alexandre IV.
On a vu en effet comment Innocent IV, dans les années 1252-1253, les pousse à la maîtrise via la création de studiaurbains, cf. l’exemple des Cisterciens de Paris ou Bernardins, M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 113; l’auteur remarque que le pape les dote des mêmes privilèges que les Mendiants, ce qui est inusité dans le cas d’ordres religieux traditionnels, mais s’adapte à leurs buts universitaires: revenus (notamment l’argent mal acquis des usuriers et une part des legs pieux); patronat de certaines églises. Quant aux revenus des Mendiants, il est évident qu’ils n’en sont pas directement propriétaires, ce qui eût totalement contredit leur règle, et fourni un argument de choix aux Séculiers pour dénoncer leur hypocrisie; sur les biais juridiques utilisés par les papes pour assurer la sécurité matérielle des Frères sans déroger à leur règle, cf. Gratien de Paris, Histoire... op. cit., p. 173 s.
Sur lui, A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 256-272.
Sur lui, A. Paravicini-Bagliani, Ibidem, p. 228-255; et H. Grauert, Meister Johann von Toledo, dans Sitzungsberichte der königl. bayer. Akademie der Wissenschaften (1901), p. 11-325.
Cf. A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 41-60.
Ibidem, p. 321; voir aussi Gratien de Paris, Histoire... op. cit., p. 533 et p. 612.
Les documents qui annoncent la condamnation de Guillaume et du Tractatuscommencent dans CUPau n° 314 (Viterbe, 9 août 1257); voir aussi les n° 315, 316, et suivants.
Sur lui, A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 141-159; la notice du DBI , t. III (1961), p. 348-351; sur ce rôle de cardinal-protecteur de R. Annibaldi, cf. F. Roth, Cardinal Richard Annibaldi, first Protector of the Augustinian Order (1243-1276), dans Augustiniana, t. II (1952), p. 26-60, p. 108-149, p. 230-247; et sur l’ordre, voir en dernier lieu F. A. Dal Pino, Papato e ordini mendicanti-apostolici « minori », dans Il papato duecentesco... op. cit., p. 105-159. Ce cardinal, je le relève au passage, a pu résider ponctuellement à Paris, puisqu’il y possédait des maisons mentionnées dans un acte du Cartulaire de Notre-Dame, cf. A. Paravicini-Bagliani, loc. cit., p. 146 et note 4; on ne peut rien en déduire sur sa formation intellectuelle, par ailleurs inconnue; mais il devait être au courant des querelles parisiennes.
A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 349-357. A. Paravicini-Bagliani dit p. 352 qu’il fut aussi cardinal-protecteur des Mineurs, mais ce cumul au contraire fut provisoirement évité, car les Franciscains, notamment leur général, Bonaventure, jugeaient que la direction spirituelle des sœurs, dont leur ordre était depuis l’origine chargé, pesait trop sur eux; ils obtinrent précisément d’Urbain IV qu’un cardinal-protecteur des sœurs, distinct de celui des Mineurs, Gian Gaetano Orsini, fût nommé: le choix du pape se porta sur Etienne de Vancza, cf. Gratien de Paris, Histoire... op. cit., p. 612; sur ce problème des relations difficiles entre Mineurs et « Pauvres Dames », cf. Ibidem, p. 593-617; vue d’ensemble récente dans Sainte Claire d’Assise et sa postérité. Actes du Colloque international organisé à l’occasion du VII e centenaire de la naissance de sainte Claire par l’UNESCO (29 septembre-1 er octobre 1994), textes rassemblés par G. Brunel-Lobrichon, D. Dinet, J. Gréal, D. Vorreux, Nantes-Paris, 1995; Eudes de Châteauroux installé en Curie a prêché deux fois sur cette sainte, cf N. Bériou, Sermons sur sainte Claire dans l’espace français (c. 1250-c. 1350), Ibidem, p. 119-154, ici p. 126 et note 27; ainsi que dans un couvent de son ordre (RLSn° 695).
Cf. H. Denifle, Das Evnagelium... art. cit., p. 88-89.
Cf. A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 349 et note 2 pour les nombreux bénéfices obtenus en faveur de ses neveux; p. 351-352 pour ses hésitations à accepter la promotion au cardinalat, par peur de perdre les revenus de l’archevêché primat d’Ezstergom, dilemme résolu par l’autorisation, concédée par Innocent IV, d’administrer « in spiritualibus et temporalibus » le diocèse, donc d’en conserver une grande part des revenus.
Voir sur ce point Reg. Alexandre IV, n° 1365; l’acte est du 10 juin 1256, et renvoie à un instrumentumdu cardinal du 5 mai, donc du temps de la querelle.
Il a pu jouer un rôle, certes bref, au début de la querelle, puisque sa dernière souscription dans la documentation pontificale est du 7 septembre 1254, et sa mort du 8 décembre suivant, soit le lendemain de celle d’Innocent IV, cf. A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 15-16; la notice du DBI , t. XXVIII (1983), p. 475-478, p. 478 pour sa commémoration par les Franciscains (l’auteur de la notice, W. Maleczek, n’ajoute rien dans les lignes qu’il consacre à Stefano Conti, Papst und Kardinalskolleg von 1191 bis 1216, Vienne, 1984, p. 195-201, p. 201 pour la commémoration).
RLSn° 967; l’extrait est donné par N. Bériou, Sermons sur saint Claire... art. cit., transcrit d’après le ms de Pise, Bibl. Cateriniana 21, f. 33va.
Sur lui, cf. A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 329-340.
Cf. sur la légation en Sicile de Guglielmo Fieschi, Ibidem p. 332 et note 2; à replacer dans le cadre plus général des relations entre la papauté et le Regnum, voir sur cela E. G. Léonard, Les Angevins de Naples , Paris, 1954,p. 38-39; E. Pispisa, Il regno di Manfredi. Proposte di interpretazione, Messine, 1991,p. 22-23. Lorsque Conrad IV, fils et successeur légitime de Frédéric II, meurt le 21 mai 1254 excommunié par le pape, ce dernier juge possible, malgré ses contacts antérieurs avec les cours française (Charles d’Anjou) puis anglaise (Edmond, qui avait sept ans !), de revenir à ses projets de gestion directe du Regnum ; d’où, malgré le testament de Conrad qui fait du futur Conradin (celui de Tagliacozzo) son héritier, des négociations avec Manfred, fils bâtard de Frédéric II, afin d’entrer en possession du Regnum grâce à sa collaboration, moyennant bien sûr la confirmation de sa principauté de Tarente et de ses autres fiefs, et même de son vicariat sur l’Italie méridionale, Sicile exceptée; c’est ainsi que le 11 octobre 1254, Innocent IV entre dans le Regnum au pont du Garigliano, Manfred tenant la bride de son cheval, après avoir désigné son neveu comme légat le 2 septembre. Le pape s’installe à Naples mais très vite, les relations avec Manfred, ambitieux, se détériorent; ce dernier se réfugie chez les Musulmans de Lucera où il met la main sur le trésor du royaume, et bat les troupes pontificales dans la foulée, le 2 décembre 1254, soit quelques jours avant le décès du pape; peu après, Guglielmo Fieschi se démet de sa charge qu’assume désormais Ottaviano Ubaldini.
Sur le protectorat officiel des Humiliati, cf. A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 331 et notes 5 à 7; sur la fondation du monastère de Clarisses, Ibidem, p. 333 note 4.
Sur ce manuscrit, cf. supra mon chapitre I; et M.-M. Davy, Les sermons universitaires... op; cit. ; N. Bériou, L’avènement... op. cit..
Voir sa biographie dans A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 213-221.
Ibidem , p. 220.
Ibidem, p. 168-185.
Ibidem, p. 171.
Ibidem, p. 174-175. Idem, Die Polemik der Bettelorden um den Tod des Kardinals Peter von Collemezzo (1253), dans Aus Kirche und Reich. Studien zu Theologie, Politik und Recht im Mittelater. Festschrift für F. Kempf, hg. H. Mordek, Sigmaringen, 1983, p. 355- 362: l’auteur montre p. 355 que c’est le chapitre de Thérouanne qui fut l’objet des appétits de la famille Da Collemezzo, avec l’appui pontifical.
Des travaux, au début essentiellement prosopographiques, ont montré que certains chapitres de la France septentrionale avaient constitué la terre d’élection de ces prébendés agents du Saint-Siège; je pense à l’ouvrage pionnier d’H. Millet, Les chanoines du chapitre cathédral de Laon, 1272-1412, Rome, 1982, portant sur une période légèrement postérieure à la mienne; plus récemment, à la thèse de P. Montaubin, Le gouvernement de la grâce. La politique bénéficiale des papes au XIII e siècle dans la moitié nord du royaume de France. Thèse dactylographiée de doctorat d’histoire, soutenue à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, le 4 février 1999, dir. P. Toubert, à paraître à Rome dans la collection de l’EFR; voir en attendant le compte-rendu dans la Revue Mabillon, n.s. t. 10 (= t. LXXI), 1999, p. 329-332.
Voir A. Paravicini-Bagliani, Die Polemik... art. cit. ; avant d’être traitée dans toute son ampleur et sa signification par les chroniqueurs, la mort de ce cardinal est relatée, cas unique au XIIIe siècle, par trois exempladans des mss d’origine franciscaine, Ibidem, p. 356-357 (texte de deux des exempla ), dont la leçon moralisante est évidente: la chute accidentelle et mortelle dont fut victime Pietro da Collemezzo à Assise fut suivie d’un dépouillement en règle du corps du défunt par ses familiers, devant les yeux effarés des Franciscains locaux qui s’étaient efforcés de lui apporter les derniers soins dus à une dépouille mortelle; l’auteur insiste p. 357 sur le fait qu’il s’agit du seul exemple de cette pratique, la spoliatio, que nous possédions pour un cardinal du XIIIe siècle, pratique par ailleurs attestée pour les papes, cf. Idem, Il corpo... op. cit., voir p. xv, p. 183-184, et l’Indice dei nomi di personi e di luogo, s. v « Giacomo di Vitry, cardinale » (p. 387), où est traité l’exemple le plus fameux, celui du cadavre d’Innocent III abandonné nu et dépouillé en 1216, épisode vu et rapporté par Jacques de Vitry. La leçon tirée par les auteurs des exemplaest claire: « Sic transit gloria mundi » (sur ce thème, cf. le cas de la mort des papes traité par R. Elze, « Sic transit gloria mundi »: la morte del papa nel medioevo, dans Annali dell’Istituto storico italo-germanico in Trento, t. III [1977], p. 23-41); mais aussi, ce décès accidentel est l’effet du juste jugement de Dieu (cf. A. Paravicini-Bagliani, Die Polemik... art. cit., p. 358), qui punit le cardinal sans qu’on est en connaisse les motifs, puisque la soudaineté de sa mort ne lui a permis ni de se confesser ni de faire son testament; d’où l’incise: « Nota de iustis Dei iudiciis ».
Cf. H. Platelle, Les exemples... trad. cit., p. 130-131, et note 81 p. 287; voir le texte original dans A. Paravicini-Bagliani, Die Polemik... art. cit., p. 358-359.
Cf. Ibidem, p. 361 et note 26, pour les sources qui rendent vraisemblables ces accusations de Thomas de Cantimpré: il eut effectivement comme prévôt de Saint-Omer, vers 1229-1230, c’est à dire au moment où les premières escarmouches, liées à la grève, se déroulent à l’université, un procès contre les Dominicains qui cherchaient à établir un couvent de moniales dans cette ville; il perd ce procès et en 1233 le pape Grégoire IX lui intime d’accepter la fondation; mais Pierre, avec l’appui d’autres prélats séculiers, leur mène la vie si dure que les moniales finissent par préférer quitter Saint-Omer.
Allusion probable au fait que c’est lui qui introduisit et soutint Guillaume de Saint-Amour en curie, voir ci-dessous.
H. Platelle, Les exemples... trad. cit., p. 130.
Cf. J.-P. Torrell, Recherches sur la théorie de la prophétie au moyen âge (XII e -XIV e siècles). Etudes et textes, Fribourg, 1992. La question de la prophétie, discutée par les théologiens, n’est évidemment pas sans liens avec celle de la vision béatifique, et cela dès l’hérésie panthéiste d’Amaury de Bène, comme l’établit C. Trottmann, La vision béatifique... op. cit., p. 117-118 et surtout p. 127-131 (où l’on retrouve déjà Eudes de Châteauroux, puisque selon C. Trottmann, on décèle nettement chez Amaury l’influence des philosophes et théologiens grecs, celle de Jean Scot Erigène, dont les écrits furent très vraisemblablement condamnés en 1225 avec la participation du futur cardinal, cf. Ibidem, p. 136 et supra mon chapitre I). Elle n’est pas sans rapports non plus avec les questions d’exégèse eschatologique, pour la simple raison que le commentaire de la Bible, la lectio, demeurait un exercice à la base de l’enseignement universitaire, et que les thèses condamnées en 1210-1225, puis à nouveau en 1241-1244 (celles d’Etienne de Vernizy, où Eudes de Châteauroux joue à nouveau un rôle majeur, cf. C. Trottmann, op. cit. p. 176, et supra mon chapitre I) touchent à des problèmes d’eschatologie. C. Trottmann pense enfin, Ibidem, p. 131-133, que des rapprochements peuvent être faits avec certaines propositions hérétiques des sectes italiennes contemporaines, tout en concluant prudemment: « Sans doute ne peut-on aller plus loin et supposer une diffusion des hérésies cathares dans les milieux intellectuels parisiens. En revanche, l’influence du prophétisme joachimite est patente, et il est intéressant de la situer dans un syncrétisme accueillant aux positions de la théologie orientale ». Si l’on ajoute à ces discussions théologiques leur vulgarisation attestée dans la prédication, jusqu’au niveau des simples curés de paroisse, dont trois au moins figurent parmi les accusés du procès contre les « Amauriciens » (cf. N. Bériou, L’avènement... op. cit., p; 48-58), on comprend mieux alors les dénonciations véhémentes des philosophes grecs que, très précocement, livraient certains sermons d’Eudes de Châteauroux, datant de sa période d’enseignement (cf. supra mon chapitre I); et l’on constate que l’ensemble de ses préoccupations doctrinales est marqué d’une remarquable continuité..
Outre la note précédente, voir plus spécifiquement, sur les innovations théologiques et exégétiques de Joachim et leur postérité, M. Reeves, The Influence of Prophecy in the Middle Ages. A Study in Joachimism, Notre Dame-Londres, 19932, en particulier le chapitre II (p. 16-27) sur sa théologie à la fois binaire et trinitaire de l’histoire; le chapitre IV (p. 37-44) sur la dissémination précoce de ces mêmes théories dans la première moitié du XIIIe siècle; le chapitre V (p. 45-58) sur sa réputation de subtil exégète, particulièrement notable dans les sources anglaises, au tournant des années cinquante du siècle; le chapitre VI (p. 59-70) sur les relations entre l’Introductorius de Gherardo de Borgo san Donnino et les théories de Joachim, dont je m’occupe bientôt. Voir aussi R. Lerner, Refrigerio dei santi... op. cit.,qui discute fréquemment les thèses de M. Reeves.
En vérité, cette exégèse s’appuie surtout sur des écrits pseudo-joachimites, que tous les contemporains tiennent cependant pour des oeuvres authentiques de l’ermite calabrais, y compris Bonaventure, cf. R. Lerner, Un « angelo di Filadelfia » nel regno di Filippo il Bello, Ibidem, p. 169-187, ici p. 178 et notes 35 à 37, pour des citations très explicites des Collationes in Hexaëmeron. Voir note suivante pour l’un de ces traités, le Super Hieremiam prophetam.
Cette interprétation est présente dès les années quarante du siècle dans certains cercles franciscains, joachimites, cf. R. Lerner, Dissenso estatico, Ibidem p. 67-94, ici p. 81, en liaison avec le combat que les Frères mènent au service du pape contre l’Antichrist Frédéric II (cf. Idem, Federico II... art. cit. ); en particulier, le traité pseudo-joachimite Super Hieremiam prophetam, écrit aux environs de 1243, parle de deux nouveaux ordres, celui des Mineurs et celui des Prêcheurs, qui doivent jouer un rôle crucial dans la transition, des temps contemporains de crise, au Sabbat terrestre imminent, Ibidem p. 148 (sur les mss de ce traité, cf. M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 519-520); l’auteur relève, p. 148 note 8, que les Dominicains de Paris partageaient autour de 1240 les mêmes croyances sur la venue de deux ordres nouveaux et pauvres. Mais c’est surtout la version revue par Gherardo de la doctrine joachimite de la fin des temps, dans l’Introductorius de1254, qui a popularisé ce rôle de saint François « ange du sixième sceau », cf. Idem, Refrigerio... tempo... art. cit., p. 35 et note 74.
Sur ces perspectives augustiniennes et ses mises en cause au moyen âge, la meilleure synthèse me paraît celle de R. Lerner, Refrigerio... tempo... art. cit., p. 19-20 surtout.
Voir ci-dessous le commentaire du SERMO n° 22, et l’édition du texte.
H. Platelle, Les Exemples... trad. cit., p. 130.
Ibidem, p. 131.
Cf. A. Paravicini-Bagliani, Die Polemik... art. cit., p. 361, qui se demande à juste titre si ce n’est pas cette réputation d’ennemi des Frères qui a entraîné la proposition de tant d’évêchés à Pierre de Collemezzo.
H. Platelle, Les Exemples... trad. cit., p. 131. Ce sont des sentiments très voisins de compassion, on le verra, qu’Eudes de Châteauroux emploie pour évoquer le sort probable dans l’au-delà du pape Innocent IV. Une autre similitude entre le sort du cardinal et celui du pape, c’est que de toute évidence, il faut distinguer entre la fonction, au sommet de l’Eglise, où le pape Christ et ses coadjuteurs cardinaux incarnent l’éternité du sacerdoce royal, et leur nature d’hommes, comme tels faillibles. C’est d’ailleurs sur ce paradoxe que se construit entièrement la métaphore institutionnelle, liturgique et cérémonielle du corps du pape.
La remarque est faite par A. Paravicini-Bagliani, Die Polemik... art. cit., p. 359; en effet, le compilateur dominicain regroupe au livre deux tous les exemplaattestant la méchanceté de certains Séculiers et universitaires à l’égard des Mendiants, narrant leur pitoyable sort, mort brutale, condamnation à l’enfer, etc., voir H. Platelle, Les Exemples... trad. cit. (§ 79-83, p. 127-132); il semble même qu’ici au moins, il compose son livre, au plan chronologique, de façon régressive, partant de la condamnation du De periculis novissimorum temporumde Guillaume de Saint-Amour (§ 79) pour remonter à Philippe le Chancelier (§ 83); si cette remarque est juste, on comprend assez bien comment fonctionne ce type de littérature: on part du plus récent, du plus frais dans les mémoires, pour compiler ensuite les exemples antérieurs, confirmant la valeur d’enseignement propre à ce genre littéraire; il faudrait vérifier, dans les sermons qui contiennent beaucoup d’exempla(ce qui n’est pas le cas de ceux d’Eudes de Châteauroux), si ce phénomène est effectif.
Innocent IV, en conséquence de sa « trahison », fut lui aussi l’objet d’une damnatio memoriæ de la part des chroniqueurs franciscains, notamment Thomas d’Eccleston et Salimbene de Adam, cf. sur cette stratégie A. Paravicini-Bagliani, Il corpo... op. cit., p. 184-187; et ci-dessous, le commentaire du SERMO n° 17 pour l’anniversaire de sa mort.
Le Catalogus sanctorum fratrum minorum, de 1335 environ, et la Chronica XXIV Generalium ordinis Minorum, écrite avant 1364, cf. A. Paravicini-Bagliani, Die Polemik... art. cit., p. 360 et note 23.