b) Gherardo de Borgo San Donnino interprète de Joachim; la contre-attaque du parti séculier (1254)

Le livre de Gherardo paraît au plus tard en 1254 à Paris, comme l’attestent Salimbene et Guillaume de Saint-Amour 1361 . Il me paraît probable en fait que l’ouvrage ait circulé dans une première version, dès 1252-1253; on est à peu près certain en tout cas qu’il a connu au moins deux versions. En effet, Guillaume de saint-Amour dans son sermon parisien du premier mai 1256, sur le thème biblique « Qui amat periculum » (Eccli. 3, 24), pour la fête des apôtres Philippe et Jacques, dit n’avoir vu, de l’ Evangelium eternumde Gherardo, que la moitié, mais s’être fait raconter que l’ensemble contenait « plus que la Bible » 1362 . Son affirmation, à moins qu’il ne faille la mettre sur le compte de la pure mauvaise foi, prouve qu’il n’a vu qu’une partie de l’œuvre de Gherardo, c’est à dire: d’une part le Preparatoriumou Introductoriusau sens exact, comme l’ appellent respectivement les maîtres séculiers dans la liste des trente et une erreurs qu’ils en extraient, ou les cardinaux dans le Protocole de la commission d’Anagni de 1255; d’autre part la version de la Concordiade Joachim, compilée et-ou glosée par le Franciscain. A l’appui de cette thèse, on relève que les maîtres comme les cardinaux ne citent, dans leurs conclusions respectives, que l’ Introductoriuset la Concordia 1363 . Au printemps de 1254, on ne connaît donc, de ce que l’on nomme improprement Evangelium eternumsans faire la part exacte de ce qui appartient à Gherardo et de qui appartient à Joachim glosé, que la moitié environ de l’ouvrage; il devait être complété par la suite d’extraits de deux autres oeuvres de Joachim, accompagnés des gloses de Gherardo: l’ Expositio in Apocalypsimet le Psalterium decem chordarum 1364 .

Quoi qu’il en soit, Guillaume et son parti ont immédiatement vu dans cet ouvrage de quoi faire triompher leur cause en curie. Et il y avait matière 1365 . En substance, le Franciscain affirme tout bonnement que les trois œuvres majeures de Joachim, Concordia, Expositio in Apocalypsimet Psalterium decem chordarum, constituent le nouvel Evangile du temps de l’Esprit, imminent; il nomme ces trois oeuvres Evangelium eternum, même s’il se garde de libeller explicitement chacune « liber primus, secundus, tertius evangelii eterni ». Mais son propos est très clair, comme l’ont noté d’emblée les commissaires d’Anagni, à propos de la citation mentionnée de Joachim 1366 , qui fait procéder l’Evangelium eternum des deux Testaments comme l’Esprit saint procède du Père et du Fils; à cet endroit, Gherardo glose ainsi son maître à penser: « Ab hac intelligentia denominatur iste liber [Concordie] cum duobus sequentibus [Expositio in Apocalypsimet Psalterium decem chordarum ] evangelium eternum, ut apparet in dicto libro, qui dicitur Psalterium decem cordarum » 1367 . Donc l’ Evangelium eternumspirituel de Joachim est devenu pour Gherardo l’œuvre de Joachim lui-même, c’est à dire une « triplex littera » ou « tria sacra volumina », dont l’abbé est appelé le « scriptor » 1368 .

L’une des clefs de cette interprétation singulière de Joachim est la figure de François d’Assise, le fondateur de l’ordre auquel appartient Gherardo: comme l’abbé calabrais est le cinquième ange joueur de trompette d’Apocalypse 10, 2-3, portant un livre à la main, comprenons l’Evangelium eternum 1369 , de même François est l’ange d’Apocalypse 7, 2, qui « porte le signe du Dieu vivant », et dont il jugeait qu’il était apparu vers 1200, au moment où « l’esprit de vie a quitté les deux testaments, pour qu’advienne l’évangile éternel », car c’est à cette date, pensait-on, que remontait le testament de Joachim 1370 . Pour preuve que l’ordre de contemplatifs qu’annonce Joachim est bien celui des Franciscains, Gherardo qualifie ce dernier comme « procédant également, de l’ordre des laïcs et de celui des clercs » 1371 , autre façon de désigner chez Joachim les deux premiers « status » de l’histoire, celui du Père ou de l’Ancien Testament, et celui du Fils ou du Nouveau Testament.

A vrai dire, le propos de Gherardo ne venait pas de rien, car l’identification entre François et l’ange du sixième sceau a connu une certaine fortune dans l’ordre franciscain 1372 ; au point qu’un peu plus tard, Bonaventure a dû effectuer une reprise en main orthodoxe de ce thème, notamment dans le prologue de la Legenda maior, censée fixer l’hagiographie officielle et définitive du saint 1373 . Le ministre général des Frères mineurs ne fut lui-même pas exempt d’influences joachimites 1374 ; mais les péripéties ultérieures des querelles au sein de l’ordre, largement liées à l’influence du livre de Gherardo, et qui expliquent l’accession de Bonaventure à sa direction en 1257, devaient l’obliger à approfondir le sens de cette interprétation de la figure du fondateur, dans le sens de la modération 1375 . De toute façon, seule une minorité franciscaine est allée aussi loin que le Frère Gherardo dans l’interprétation des écrits de l’abbé calabrais, dépassant franchement les bornes de l’orthodoxie.

Je conclurai donc, de cette comparaison entre l’original joachimien, et la version qu’en donne Gherardo, en me rangeant à l’avis d’H. Denifle: leurs systèmes s’excluent mutuellement, puisque chez l’un l’Evangelium eternumest entièrement spiriuel, chez l’autre c’est une scriptura, le livre saint du troisème âge formé des trois principales œuvres de l’abbé calabrais.

Les conséquences de cette interprétation ghirardinienne erronée se sont partiellement conservées dans les sept premières erreurs extraites de son Introductoriuspar les maîtres séculiers en 1254 1376 . Ainsi, la première de ces erreurs, « quod evangelium eternum, quod idem est quod doctrina Joachim, excellit doctrinam Christi et omnino Nouum et Vetus Testamentum », résume bien l’esprit du système ghirardinien, même s’il est probable que cette thèse ne se présentait pas sous des dehors aussi brutaux et maladroits dans le texte de Gherardo 1377 , car elle n’est pas citée sous cette forme par le résumé de ses écrits que rédigent la commission cardinalice chargée de les condamner à l’été 1255, ce qu’on appelle le Protocole d’Anagni; les cardinaux, comme Salimbene, se contentent de relever les « fatuitates » du Frère 1378 . Quant aux vingt-quatre erreurs tirées des extraits glosés de la Concordiaqui composaient la seconde partie de l’ouvrage, elles se rapportent toutes bien à l’œuvre de ce nom de Joachim, mais en n’en respectant pas l’esprit 1379 . Soit les maîtres parisiens, zélés pour leur cause, altèrent de façon malintentionnée la pensée de Joachim, voire allèguent de fausses citations; soit ils la manipulent à la limite, dont une fois en appelant à la rescousse une glose de Gherardo, contribuant ainsi à confondre la pensée des deux auteurs. Finalement, seules huit erreurs sur vingt-quatre tirées de la Concordiasont dans l’esprit de l’abbé calabrais. Rien de stupéfiant eu égard aux circonstances, même si l’on verra la commission d’Anagni procéder avec infiniment plus de rigueur. Il convient aussi de nuancer cette appréciation unilatérale, en tenant compte du fait qu’on ne sait pas exactement de quel texte disposaient les maîtres; en tout cas ils ont compris que deux auteurs différents y étaient représentés 1380 .

Notes
1361.

C’est du moins sur eux que s’appuient les historiens pour proposer ces dates, cf. H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 67-70, suivi par M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 61. Le témoignage de Salimbene se lit aux p. 357-358 (Salimbene... éd. cit. ); celui de Guillaume dans le De periculis(je suis H. Denifle, Ibidem,p. 67 note 2, qui cite l’édition dite de Coutances, de 1632, des œuvres du maître séculier): « positum fuit [le livre de Gherardo] iam publice ad exemplandum anno Domini mccliiii ». Si l’on regarde de plus près les sources, on est très tenté de penser qu’en réalité, au moins des portions de l’œuvre de Gherardo ont dû circuler plus tôt. Salimbene, loc. cit., raconte qu’en 1248, alors qu’il séjourne au couvent de Provins, il rencontre son collègue Maurice de Provins qui lui déconseille de s’intéresser au Joachimisme et l’invite à se joindre à lui dans l’élaboration d’un recueil de Distinctiones, lequel devait effectivement rendre célèbre son auteur (sur Maurice, cf. D. L. d’Avray, The Preaching... op. cit., p. 72-73, et l’ Indexp. 311, s.v « Maurice de Provins »; l’opposition qu’énonce Maurice entre les futilités joachimites qui perturbent les Frères, et le « bonum opus distinctionum, quod valde utile erit ad predicandum », mérite d’être relevée). Puis Salimbene se rend au couvent d’Auxerre, début 1248 (cf. O. Guyotjeannin, Salimbene de Adam... op. cit., p. 17-18), et c’est là qu’il évoque pour la première fois « frater Ghirardinus », qui « Parisius missus fuit, ut studeret pro Prouincia Sicilie.. et studuit ibi iiii annis, et excogitauit fatuitatem componendo libellum et diuulgauit stultitiam suam propalando ipsum ignorantibus fratribus ». La chronologie salimbenienne, résultant de ses souvenirs, n’est pas sûre; mais quatre années d’études ajoutées à 1248 font 1252: il est possible que les divagations de Gherardo aient circulé avant 1254, surtout que le chroniqueur évoque un « libellum », alors que Guillaume parle d’un ouvrage définitif plus gros que la Bible, il est vrai par ouï-dire (voir note suivante); cet ouvrage d’après Guillaume est diffusé par exemplaret pecia (sur ce système universitaire de copie des livres cf. J. Destrez, La pecia dans les manuscrits uiversitaires du XIII e et du XIV e siècle, Paris, 1935 ; L.-J. Bataillon, B. G. Guyot, R. H. Rouse (éd.), La production du livre universitaire au Moyen Age. Exemplar et pecia, Paris, 1988): des parties peuvent avoir circulé préalablement à l’ensemble. Enfin Salimbene reparle en 1253 (Salimbene... éd. cit., p. 691) de l’ouvrage de Gherardo en disant qu’il l’a fait brûler: son collègue Arnulfus le lui proposait par l’intermédiaire d’un notaire ami des Frères, qui se l’était procuré à Rome « quando fuit ibi cum senatore Urbis domino Branchaleone de Bononia »; ce dernier n’est autre que Brancaleone Andalo, sénateur une première fois de Rome entre août 1252 et novembre 1255, date à laquelle il est emprisonné (cf. la notice du DBI, t. III [1961], p. 45-48; et le détail des deux sénatorats de Brancaleone dans E. Dupré-Theiseder, Roma dal Comune di Popolo a la signoria pontificia, Bologne, 1952, p. 3-57 [Storia di Roma, t. XI]); l’exemplaire que proposait alors Arnulfus à Salimbene présentait d’ailleurs une particularité codicologique, puisqu’il était écrit sur papier, cf. F. Masai, compte-rendu de la première édition par G. Scalia de Salimbene de Adam, Cronica, Bari, 1966, 2 vol., dans Scriptorium t. XXI/1 (1967), p. 91-99, ici p. 98.

1362.

Cf. H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 68 et notes 1 et 2; E. Faral, Les « Responsiones »... art. cit., p. 371-372, surtout l’analyse du contenu du sermon, rapproché de celui des Responsiones, p. 385-387; M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 228 et notes 110-112 sur les mss et la contruction du sermon.

1363.

Cf. H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 68-69.

1364.

Le ms. de Dresde cité supra, note 131, étudié par B. Töpfer, contiendrait au contraire la fin de l’ouvrage de Gherardo, mais pas son Introductorius . Pour le contenu complet de l’ouvrage, voir ci-dessous.

1365.

Je suis ici H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 57-66; M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 124-125, met bien en valeur les différences entre Joachim et Gherardo.

1366.

Cf. note 155.

1367.

Localisation du passage visé de Joachim, et de la glose de Gherardo, par H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 59 et note 1; le Protocole d’Anagni n’a pas manqué d’épingler aussi ce passage, voir l’édition du texte, Ibidem, p. 99-100: « Quod liber Concordiarum vel Concordie veritatis appellaretur primus liber evangelii eterni, probatur xvii. capitulo g. [ces lettres dénotent système de rep’rage à l’intérieur de l’Introductorius ], et quod liber iste Concordie sit Joachim, habetur per totum istum [sic] capitulum. Quod liber iste, qui dicitur Apocalipsis nova, appellaretur secundus liber eiusdem evangelii, probatur xx. c., et maxime g. Similiter quod liber, qui dicitur Psalterium decem cordarum, sit tercius liber eiusdem evangelii, probatur xxi. capitulo a et g. per totum »; sur les mss de l’Introductoriusqui contiennent les gloses citées, il s’agit, si j’ai bien lu H. Denifle, principalement de BAV lat. 4861, et de Rome, Bibl. Borg. 190 (olim 314, cité avec cette cote dans le corps de l’article).

1368.

« Triplex littera » et « tria volumina »: H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 126; « scriptor », Ibidem, p. 101.

1369.

Gherardo reprend plus loin cette idée dans une glose à la Concordiaque relèvent les commissaires d’Anagni, voir l’édition du texte, Ibidem, p. 132-133.

1370.

Sur le lien avec le testament, qui figure en général en tête des éditions de la Concordia(cf. M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 512), cf. H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 61; sur l’apparition vers 1200 de l’évangile éternel, Ibidem, éd. du Protocole, p. 99; sur l’ange qui « porte le signe du Dieu vivant », Ibidem, p. 101; H. Denifle donne à cet endroit, d’après le ms. de Paris, BNF lat. 16397 à la base de son édition (= f. 91 du ms.), une glose interlinéaire anonyme: « scilicet sanctus Franciscus » (note 6); les commissaires stigmatisent plus loin (Ibidem,p. 131) une nouvelle glose de Gherardo sur l’ange porteur du signe du Dieu vivant, qui ne peut être que François vu la façon dont s’exprime le glossateur: « per quem Deus renouauit apostolicam vitam »; Gherardo y parle aussi d’un troisième ange, celui « qui a une faux aiguisée », qu’il identifie très probablement à saint Dominique.

1371.

H. Denifle, Ibidem, p. 61.

1372.

Cf. Stanislao da Campagnola, L’angelo del sesto sigillo e l’alter Christus. Genesi e sviluppo di due temi francescani nei secoli XIII-XIV, Rome, 1971.

1373.

Ibidem, en particulier p. 170-177; Idem, Dai « viri spirituales » di Gioacchino da Fiore ai « Frati spirituales » di Francesci d’Assisi, dans Picenum seraphicum, t. XI (1974), p. 24-52.

1374.

Sur la conception de l’histoire de Bonaventure, qu’on peut qualifier sans craintes de « crypto-joachimite », cf. J. Ratzinger, Die Geschichtstheologie des heiligen Bonaventura, Munich, 1959, en particulier p. 31-56 sur François ange du sixième sceau ou de Philadelphie (trad. française par R. Givord, La théologie de l’histoire de saint Bonaventure, Paris, 1988, p. 34-60; je cite désormais d’après cette traduction). Cette identification de François à l’ange du sixième sceau s’appuie sur l’exégèse du chapitre 7, 2de l’Apocalypse, cf. J. Ratzinger, La théologie... op. cit.,p. 36-43, et son succès dans l’ordre des frères mineurs date d’après l’auteur de Bonaventure, dès ses Questions disputées sur la perfection évangéliquede fin 1255 (p. 37), même si c’est surtout dans les Collationes in Hexaëmeronde 1273 que J. Ratzinger la voit se développer et s’insérer dans une théologie de l’histoire; donc on ne peut partager l’opinion de M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 124, lorsqu’il écrit que « Bonaventure... ne manifeste guère un sentiment de fin du monde dans ses premières œuvres; alors qu’il y insista plus tard, dans les Collectiones[sic] in Hexaëmeron par exemple »; opinion contredite plus loin par la mise en exergue des disputes qui l’opposent à Guillaume de Saint-Amour en 1255 et 1256, Ibidem, p. 158 et surtout p. 174, notes 109 à 111 (ce sont précisément les questions disputées sur la perfection évangélique auxquelles renvoient ces notes).

1375.

Bonaventure devait prendre la direction de l’ordre en 1257 après avoir écarté le ministre général précédent, Jean de Parme, précisément trop marqué par le Joachimisme; J. Ratzinger, La théologie... op. cit., p. 36 et note 29, signale que l’initiative de l’application de cette exégèse apocalyptique à saint François est peut-être à attribuer à Jean de Parme; en tout cas, la paternité de l’Introductoriuslui fut longtemps attribuée, cf. H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 57.

1376.

Sur les trente et une erreurs, sept se rapportent spécifiquement à l’ Introductorius, les vingt-quatre autres se référant à la Concordia, dont des extraits glosés on l’a vu forment la seconde partie de ce que les maîtres ont eu sous les yeux; la même Concordiaet les deux autres œuvres principales de Joachim formaient l’ Evangelium eternumau sens exact, titre qu’à la suite des maîtres séculiers, les historiens ont en général donné à l’ensemble de l’ouvrage de Gherardo. La différence est pourtant nette dans la liste des trente et une erreurs (cf. Matthieu Paris, Chronica... éd. cit., t. VI, p. 335-336 = CUP , n° 243, p. 272): « De prima parte libri qui appellatur evangelium eternum, que prima pars dicitur preparatorium in evangelium eternum, extrahi possunt hi errores qui sequuntur » (suivent sept erreurs); puis la seconde partie de l’ouvrage est nettement distinguée: « De secunda parte eiusdem libri, qui appellatur concordia Novi et Veteris Testamenti, possunt isti errores extrahi qui sequuntur » (suivent vingt quatre erreurs). Par ailleurs cette distinction, qui avait été fort bien comprise par H. Denifle, explique que dans la suite de son article (p. 70-88), lorsqu’il analyse dans le détail la liste des trente et une erreurs, et tente de repérer leur source, pour y évaluer en quelque sorte « l’honnêteté intellectuelle » dont ont fait preuve les commissaires vis-à-vis de Joachim, il laisse de côté les sept premières, tirées de l’ Introductorius, qui déjà gauchissait le sens des écrits de l’abbé; en conséquence, il commence à numéroter (p. 76) les vingt-quatre erreurs restantes à partir seulement de la première d’entre elles tirée de la Concordia. Une analyse dense de ces erreurs figure dans M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., 124-127: l’auteur y démontre sans aucun doute possible l’identité du maître d’œuvre, Guillaume de Saint-Amour, par comparaison avec ses sermons et le De periculis ; mais je ne partage pas certaines de ses conclusions, notamment celle que Gherardo « fut traité bien modérément par son Ordre et plutôt en doux illuminé qu’en dangereux hérésiarque »; car Salimbene dit autre chose (Salimbene... éd. cit., p. 358): « Et quia noluit rescipiscere et culpam suam humiliter recognoscere, sed perseuerauit obstinatus procaciter in pertinacia et contumacia sua, posuerunt eum fratres Minores in compedibus et in carcere... Permisit itaque se mori in carcere et priuatus fuit ecclesiastica sepultura, sepultus in angulo orti »: Bonaventure n’a pas la main douce dans la reprise en main de l’Ordre franciscain après la crise joachimite; dans le contexte de la querelle avec les Séculiers, il ne pouvait se permettre de faiblesse.

1377.

H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 63.

1378.

Ibidem, éd. cit.du Protocole, p. 102: « Istos errores et fatuitates inuenimus in isto libro... ».

1379.

Je suis H. Denifle, qui a parfaitement identifié la source précise de chaque extrait, Ibidem, p. 76-83.

1380.

H. Denifle lui-même, Ibidem,p. 66, se montre clément avec eux en avançant ces raisons; leur liste montre toutefois qu’ils ont eu clairement conscience de ne pas se trouver, avec l’Introductorius puis les extraits de la Concordia, face au même auteur, puisqu’ils déclarent: « Ex his autem que dicuntur in expositione historie de Dauid, potest intelligi quod ille, qui composuit opus quod dicitur Evangelium eternum, non fuit Joachim, sed aliquis vel aliqui moderni temporis, quoniam ibi facit mentionem de Frederico [il s’agit évidemment de Frédéric II; or les maîtres savent que Joachim, qui écrit à la fin du XIIe siècle, ne peut être l’auteur d’une telle prophétie] imperatore persequente [sic] ecclesiam romanam » (Matthieu Paris, Chronica... éd. cit., t. VI p; 339 = CUP , n° 243 p. 275).