C’est à ce moment, au début de l’été, que se réunit enfin la commission d’Anagni prévue dès longtemps, pour juger le fameux Introductoriusde Gherardo di Borgo san Donnino. D’après le Protocole lui-même, deux sessions distinctes se sont tenues: la ou les première(s) séance(s) ont réuni la commission ad hoc des trois cardinaux Eudes de Châteauroux, Etienne de Vancza et Hugues de Saint-Cher, c’est à dire un Séculier ami des Mendiants, un second Séculier dont les parti-pris sont, on l’a vu, difficiles à déterminer, enfin un Dominicain; on ne peut dire que cette composition favorise a priori l’un ou l’autre camp, puisqu’il est question de mettre à l’index un ouvrage que tous savent sorti des cercles franciscains joachimites; seul l’Introductorius de Gherardo semble avoir été examiné dans cette première phase 1423 . Une seconde étape de l’examen débute au 8 juillet 1255, avec la comparution devant la même commission, amputée du cardinal Etienne de Vancza excusé, de l’évêque d’Acre Florent, de passage à la cour pontificale, « proponens quedam verba de libris Joachim extracta, suspecta sibi ut dicebat, nec publice dogmatizanda aut predicanda siue in scriptis redigenda, [sic]ut fieret, nisi doctrina siue liber aut sui [ceux de Joachim] libri, prout sibi videbatur, damnarentur ». Sans doute poussés par la curiosité et stimulés par l’évêque d’Acre dont il reste à déterminer les motifs profonds, les deux cardinaux s’adjoignent deux Mendiants, Frère Bonvalet évêque de Bonados en Thrace, ainsi que le lecteur en théologie du couvent dominicain d’Anagni, Pierre 1424 . L’un de ces collaborateurs s’était procuré les œuvres originales de Joachim, pour vérifier si les extraits dénoncés par l’évêque d’Acre, que ce dernier lisait ou faisait lire par le notaire chargé d’instrumenter la procédure, s’y trouvaient bien 1425 . On trouve ainsi la confirmation que les trente et un extraits confectionnés par les maîtres de l’université n’ont pas satisfait les cardinaux et qu’ils ont donc voulu juger sur pièces, à la fois dans l’oeuvre de Gherardo et dans celle de son inspirateur, Joachim; on constate que l’évêque d’Acre, dont on ignore ce qui l’y a poussé, leur avait préparé le travail, mais qu’ils ont fait preuve d’une grande honnêteté intellectuelle en vérifiant ses accusations. De sorte que l’interprétation proposée par M.-M. Dufeil de l’épisode, à savoir que les cardinaux entendaient minorer les retombées de cette publication pour protéger les Mendiants, ne tient pas 1426 ; bien sûr, personne ne peut ignorer les interférences entre cette publication malencontreuse et la grande querelle en cours; mais si la commission du 8 juillet est effectivement composée d’amis des Mendiants 1427 , le soin avec lequel on a mené jusqu’au bout l’enquête en curie, le sort ensuite réservé à Gherardo, la venue très probable à Paris, à l’automne 1255, du cardinal Eudes de Châteauroux 1428 , tout cela montre non une manœuvre, mais une véritable inquiétude suscitée dans l’entourage du pape par l’exaltation « finimondiste » de certains Franciscains.
Pour la comprendre, je crois qu’il faut revenir aux convictions de ce groupe joachimite franciscain qu’agite la venue prochaine de l’Antichrist. Car parallèlement au combat ecclésiologique contre le parti séculier de l’université, la papauté avait sur les bras une question plus directement politique et au moins aussi importante à ses yeux, celle du devenir du royaume de Sicile et du sort des héritiers Hohenstaufen. Tout un courant de l’ordre des Frères mineurs attend avec anxiété l’année 1260 comme celle la plus probable de la venue d’un premier Antichrist 1429 ; la mort de Frédéric II lui-même n’a que peu ébranlé cette attente, des fables circulant jusque dans l’entourage pontifical. Un examen attentif à la fois du Protocole, mais aussi de l’ensemble du ms. de Paris, BNF lat. 16397, d’après lequel il a été édité, montrent d’une part que cette question est centrale dans la recherche des extraits dangereux de l’œuvre de l’abbé de Fiore, par les cardinaux comme par Pierre à qui a appartenu le manuscrit; d’autre part, que Pierre de Limoges a utilisé un dossier joachimite dont il n’est pas l’auteur, et qui est bien plus vaste que les simples conclusions de la commission cardinalice 1430 . Parmi les « originalia » de Joachim, non seulement la Concordia, mais aussi l’introduction à l’Expositio in Apocalypsim 1431 , le Psalterium decem chordarumet quelques autres textes mineurs sont mis à contribution par les cardinaux 1432 . Dans le dossier de Pierre de Limoges, des extraits de nombreux traités prophétiques joachimites, tous reconnus par les spécialistes comme provenant des milieux franciscains, précèdent la sentence des cardinaux, dans des versions inédites: ainsi le Super Hieremiam 1433 , l’Expositio abbatis Joachimi super Sibillis et Merlino, le De oneribus prophetarum, le Super Ezechielem 1434 . N. Bériou propose d’y voir une compilation d’origine franciscaine des écrits joachimiens et pseudo, mais souligne la nécessité de comparer ce dossier avec d’autres anthologies du même type pour vérifier cette hypothèse; M. Reeves pense que le but du compilateur consistait à fournir un abrégé le plus exact possible de la doctrine de Joachim sur les âges de l’histoire et la fin des temps; elle rapproche la compilation des extraits de l’Introductoriusde Gherardo condamnés dans la première partie du Protocole, sans toutefois identifier les deux dossiers, ainsi que des compilations de ce genre stigmatisées par le concile réuni à Arles en 1263 par l’évêque Florent, devenu entre-temps archevêque de ce diocèse 1435 .
Une autre comparaison s’impose, celle entre ce dossier joachimite, qui précède le texte du Protocole dans le ms. qui a autrefois appartenu à Pierre de Limoges, et le texte même du Protocole, résultant de la comparaison entreprise, lors de la second session du 8 juillet 1255, entre les « Originalia » de l’abbé calabrais, et les extraits accusateurs amenés par Florent d’Acre 1436 . Disons d’emblée que les deux compilations ne sont pas superposables: d’abord, jamais les cardinaux ne font appel à autre chose que les œuvres authentiques joachimiennes, et leurs citations sont très précises 1437 ; nulle trace donc des écrits joachimites qui abondent dans le dossier de Pierre de Limoges. Ensuite, la matière résultant de cette seconde session portant sur l’abbé de Fiore n’est pas organisée en suivant cursivement le déroulement de ses différents ouvrages et en sélectionnant ce qui intéresse les cardinaux, mais présente de son oeuvre une synthèse thématique. La seconde partie du Protocole met ainsi en valeur six points essentiels, commençant par le « fundamentum doctrine Joachim », à savoir la théorie des trois âges de l’histoire, pour conclure, à propos de ses convictions trinitaires, qu’il doit être assimilé sur ce point aux hérétiques qui travaillent en secret et refusent de montrer leurs écrits aux maîtres 1438 . Enfin lorsqu’on examine les passages des oeuvres de Joachim citées par les cardinaux, on remarque qu’elles ne concordent pas avec les extraits sélectionnés par l’auteur du dossier joachimite de Pierre de Limoges.
Le but de Florent, et la synthèse qui en résulte de la part de la commission, sont cependant clairs: faire un sort à celui qui apparaît, en dernière instance, comme le responsable de toutes ces divagations, l’abbé Joachim. Tout part de son « fundamentum », la théorie des trois âges ou « status » et l’avènement imminent du troisème de ces « status », celui de l’Esprit 1439 . Second thème dangereux, découlant du précédent: l’annonce de l’avènement d’un ordre contemplatif coïncidant avec celui du troisième « status » 1440 . En troisième lieu, l’évêque d’Acre stigmatise ce qui est présenté là encore comme une conséquence du thème précédent, la critique adressée à l’Eglise militante et plus particulièrement aux prélats: « Notanda sunt ea que faciunt ad depressionem ordinis clericalis, et cessationem eiusdem, necnon et vite actiue in Ecclesia » 1441 . Quatrième grief: Joachim prétend que deux Antichrists surviendront, l’un à la fin du second « status », l’autre à la fin du troisième, c’est à dire précédant le Jugement dernier 1442 . Cinquième grief, qui reprend en le détaillant le troisième, Joachim s’en prend à l’Eglise actuelle de trois façons: en discréditant l’Evangile dont la lettre doit s’effacer comme s’est effacée celle de l’Ancien Testament 1443 ; en présentant le Christ et ses apôtres comme des figures typologiques des contemplatifs à venir 1444 ; en considérant les sacrements comme charnels et voués à périr à l’âge de l’Esprit 1445 ; ce cinquième chef d’accusation est particulièrement intéressant, car il se conclut sur une citation de la Concordiaqui explique les troubles actuels dans les esprits: « Hic est enim ille magnus numerus, qui uniuersa hec continet sacramenta. Sunt etenim menses xlii siue dies mcc et lx, et nichil aliud significant, quam annos mcc et lx, in quibus Noui Testamenti sacramenta consistunt »; on verra qu’Eudes de Châteauroux s’en prend directement à cette supputation 1446 . Le sixième et dernier grief attaque, par le biais l’exégèse de Joachim et non en utilisant ses écrits directement consacrés au sujet, sa doctrine trinitaire, qui lui avait déjà valu une condamnation au concile de Latran IV 1447 ; en concluant sur ce point, il est probable que l’évêque Florent espérait bien se mouvoir en terrain sûr et obtenir la condamnation qu’il souhaitait, en démontrant qu’un examen attentif des écrits de l’abbé calabrais révélait au grand jour les conséquences de telles prémices: au-delà de l’ « hérésie technique », théologique, condamnée par les pères du concile en 1215, c’est toute une vision de l’histoire et de l’Eglise qui en découlait, mettant à bas les institutions ecclésiales ainsi que la doctrine léguée par les Pères sur la fin des temps 1448 .
Il est difficile de savoir si cette synthèse thématique témoigne uniquement de l’action de l’évêque Florent, ou d’une remise en forme par la commission, sous la forme notamment de la division en six thèmes qui sont autant de griefs; la présence d’un notaire chargé d’instrumenter fait plutôt pencher pour cette seconde solution; de même le fait que les gloses de Gherardo, prises évidemment dans l’Introductorius, soient plusieurs fois sollicitées, comme preuve évidentes, concrétisation, du danger potentiel porté par les vues de Joachim 1449 .
L’examen détaillé des méthodes de travail de la commission d’Anagni, et le contexte général dans lequel elle est amenée à intervenir, permettent d’avancer les points suivants: les œuvres de Joachim étaient fort connues dans la première moitié du XIIIe siècle, en particulier par l’intermédiaire des prophéties joachimites, dont elles n’étaient pas toujours clairement distinguées 1450 ; elles ont touché un public savant très divers, les Ordres mendiants bien sûr, mais aussi le monde universitaire séculier 1451 ; des compilations diverses d’extraits de ces œuvres ont été réalisées, dont on a vu trois exemples: le ms. de Pierre de Limoges; l’examen par les trois cardinaux, dans leur première session, de l’ouvrage de Gherardo; le Protocole au sens proprement dit de la commission d’Anagni, résultat d’un travail commun avec l’évêque d’Acre Florent, effectué lors de la seconde session 1452 . Ce qui a rendu ces dossiers dangereux, c’est une double conjoncture: religieuse, plus spécialement ecclésiologique avec la querelle entre Séculiers et Mendiants; politique avec la question de la dévolution du royaume de Sicile. Deux raisons de fondre sur Gherardo et son clan et de les traiter très durement, d’autant qu’ils refusèrent absolument de se rétracter 1453 . Certains, chez les Séculiers présents à la Curie, ont peut-être voulu aller plus loin et bien marquer, aussi indispensables que soient désormais devenues les milices mendiantes directement soumises au pape, les limites des empiètements auxquels eux-mêmes étaient disposés à consentir 1454 . Mais il ne pouvait être question, pour Alexandre IV, de jeter, si peu que ce soit, l’opprobre global sur ses fidèles lieutenants: le 23 octobre 1255, il condamne l’ouvrage de Gherardo, et c’est tout; l’œuvre de Joachim, « opus valde suspectum », demeure cependant hors d’atteinte 1455 . Quelques jours plus tard, il prend bien soin de ne pas éclabousser les Frères en demandant d’agir avec précaution en cette affaire, pour éviter qu’il ne souffrent collectivement de la mise à l’index de l’Introductorius 1456 . Et dans la foulée, il décide d’envoyer à Paris l’un des cardinaux-commissaires, qui présentait toutes les garanties d’impartialité, Eudes de Châteauroux. Je crois en effet pouvoir établir sa présence durant l’autômne de 1255 dans la capitale française grâce à trois indices: le contenu même du SERMO n° 17; l’interruption de ses souscriptions à la curie, dans les registres pontificaux; la diffusion à l’université, dès l’autômne 1255, du Protocole, que sa venue expliquerait naturellement 1457 .
Je m’écarte sur ce point de M.-M. Dufeil, qui pense systématiquement que le pape a réuni des « amis des Frères » pour trancher en curie les différents débats liés à cette querelle; sur les deux sessions, cf. H. Denifle, Das Evangelium... art. cit. ; et surtout le texte même du Protocole, Ibidem, p. 99-102: « Hec notauimus de Introductorio... quia totus liber istis et consimilibus [erroribus] respersus est, ideo noluimus plura scribere, quia credimus ista sufficere ad cognoscendum de libro ».
M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 166, traduit le texte, « fratrem Petrum lectorem fratrum predicatorum Agnanie », par « lecteur du studiumde la curie »; ce n’est pas ainsi que R. Creytens, Le ‘studium Romanæ Curiæ’ et la maître du sacré palais, dans AFP, t. XII (1942), p. 5-83, comprend cette expression, qui à cette époque désigne selon lui non le recteur en théologie du studium de la curie, créé par Innocent IV, toujours appelé lectorou magister sacri palatii, mais simplement le lecteur en théologie du couvent des Prêcheurs de la ville où séjournait la cour romaine, cf. p. 49-55.
H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 102: « ... quorum unus tenebat originalia Joachim de Florensi monasterio, et inspiciebat coram nobis, utrum hec essent in predictis libris, que predictus episcopus Acconensis legebat et legi faciebat per tabellionum nostrum ».
M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., passim ; et p. 166 sur le rôle supposé de l’évêque d’Acre, qui se serait concerté avec des autorités, sans doute curiales, favorables aux Mendiants, pour « ôter à Paris [entendons aux maîtres séculiers »] l’initiative de la dénonciation ».
Bien qu’on ignore la profession religieuse de Frère Bonvalet évêque de Bonados, il me paraît probable qu’il est, comme le lecteur en théologie du couvent d’Anagni, dominicain, auquel cas la commission n’aurait significativement compris aucun Franciscain.
Voi ci-dessous l’analyse du SERMO n° 17.
Cf. R. Lerner, Federico II mitizzato... art. cit.
Sur le ms., cf. N. Bériou, Pierre de Limoges... art. cit., p. 103-107, pour la description du contenu du « dossier joachimite de Pierre de Limoges »; et p. 71-75, pour une tentative d’en discerner la provenance.
Cette introduction peut être, soit le livre de ce nom (Liber introductorius ) qui précède la version finale du grand commentaire de Joachim sur l’Apocalypse, achevé dans sa version ultime peu avant 1200, l’Expositio in Apocalypsim; soit ce que les mss nomment Enchiridion super Apocalypsim, texte lui-même connu en deux version de longueur inégale; soit enfin le livre nommé par les mss Præphatio super Apocalypsim, récemment édité par K. V. Selge, Eine Einführung Joachims von Fiore in die Johannes-Apokalypse, dans Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, t. XLVI (1990), p. 85-131 [repris dans Idem, Gioacchino da Fiore. Introduzione all’Apocalisse, Rome, 1995, texte latin et trad. italienne en regard; je me réfère à cette édition]; sur tous ces commentaires authentiques, cf. M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 513-516; et sur leurs rapports chronologiques et de contenu, K. V. Selge, Ibidem, p. 10-15.
C’est ce qui fait la nouveauté de cette seconde session: la première portant sur le livre de Gherardo n’a pu s’en prendre à travers lui qu’à la Concordia, car l’exemplaire de l’ouvrage du Franciscain envoyé par l’evêque de Paris à la Curie n’était, on l’a vu, pas complet; entre-temps, les cardinaux ont voulu examiner les œuvres de Joachim lui-même, qu’ils ont fait chercher dans un monastère de l’ordre de Fiore.
Cf. R. Moynihan, The Development... art. cit.
S’intercale la lettre Uniuersis Christi fidelibus, que M. Reeves juge une oeuvre authentique de Joachim, The Influence... op. cit., p. 517; N. Bériou, Pierre de Limoges... art. cit., le signale p. 74 note 39.
Voir l’appréciation de M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 91-92, suivant les travaux d’E. Renan indiqués note 6. Pour le concile d’Arles et Florent, cf. H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 89-90, et M. Reeves, Ibidem, p. 61 et note 3 : la commission cardinalice suivie par le pape n’ayant pas voulu condamner les œuvres de Joachim comme telles, mais seulement l’Introductorius de Gherardo, l’évêque Florent poursuit son projet; les historiens notent que le caractère provincial de cette condamnation amoindrit sa portée et laisse, malgré tout ce que ces travaux avaient révélé, la réputation de Joachim à peu près intacte, visiblement au grand regret de Florent qui déplore ce fait, quitte à travestir quelque peu la vérité: (cf. H. Denifle, Ibidem, p. 90 note 4, citant le concile d’Arles): « Tamen pestis huiusmodi fundamenta nec discussa fuerunt nec damnata, libri videlicet Concordantiarum et alii libri Joachitici, qui a maioribus nostris usque ad tempora remanserunt intacti, utpote latitantes apud quosdam religiosos in angulis, et a nostris doctoribus indiscussi »; or le Protocole d’Anagni (voir ci-dessous) montre que les œuvres de Joachim ont été sérieusement examinées, et qu’on n’ignore pas leur présence dans les abbayes de l’ordre de Fiore au moins, puisque c’est là qu’on est allé les chercher; M. Reeves, Ibidem, p. 63, insiste cependant sur la faveur que Joachim semble avoir toujours rencontrée auprès des papes, à l’exception d’Innocent III, et conclut: « This [le fait que Joachim avait des défenseurs à Rome] might explain the care with which the condemnation of 1255 was directed at Gerard’s Liber Introductoriusalone, and the fact that it was left to a provincial council to condemn Joachim’s doctrine outright. With the exception, perhaps, of Innocent III, the favour shown by popes to Joachim, and later to his memory and his Order, is strikingly consistent but puzzling to explain ».
Cf. H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., éd. du Protocole, p. 102.
H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., les a toutes repérées.
H. Denifle, Ibidem, p. 138: Joachim encourage ses disciples à lire « in abscondito, more hereticorum, qui in conuenticulis dogmatizant. Item inhibet, ne tractatus suus veniat ad manus magistrorum, quos etiam tam impudenter quam superbe vituperat ».
Ibidem, p. 102-105; les œuvres de Joachim utilisées dans ce but par les commissaires sont la Concordiaet l’introduction au commentaire de l’Apopcalypse.
Ibidem, p. 105-115; voir p. 115 le début du troisième thème: « Notatis illis que pertinent ad incredibilem exaltationem cuiusdam ordinis monachorum nunc tercio notanda sunt... »; les œuvres mises à contribution sont la Concordia ; le Tractatus super quatuor euangelia(cf. sur cette œuvre M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 514; voir l’éd. E. Buonaiuti, Rome, 1930); l’introduction au commentaire sur l’Apocalypse, enfin ce commentaire lui-même dans sa version achevée.
H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 115-120; sont utilisés pour ce point la Concordia, l’Introduction à l’Apocalypse, le Psalterium, l’Apocalypsis noua(sur ce livre, un bref commentaire, indépendant de ceux évoqués supra note 224, cf. M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 513). Par ailleurs, les propos cités font encore plus douter que la commission ait été unilatéralement favorable aux Mendiants, car il semble bien qu’on y lit en filigrane une allusion claire au débat universitaire en cours; si l’on ne peut rien savoir, je l’ai dit, des motivations de Florent, il peut fort bien avoir fait partie de ceux qui protestaient contre les abus, reconnus par le pape lui-même, des Frères en matière d’usurpation des droits du clergé séculier; cela expliquerait que finalement, la curie ait cherché à minorer son témoignage; il n’en reste pas moins deux faits: la commission d’Anagni n’était pas partiale; on ne peut dissocier les débats sur la place ecclésiologique des Mendiants dans l’Eglise de ceux sur la licéité des spéculations « finimondistes ».
H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 120-126; sont utilisés pour ce point la Concordia, l’Expositio in Apocalypsim, l’introduction à ce même livre.
H. Denifle, Ibidem, p. 126-130.
H. Denifle, Ibidem, p. 130-133.
H. Denifle, Ibidem, p. 133-136; sont utilisés à l’appui de ce cinquième grief la Concordia, le Psalterium, l’Expositio in Apocalypsim.
Ce comput, qui place en 1260 l’avénement de l’âge de l’Esprit et explique l’attente des Joachimites, est relevé à plusieurs reprises par le Protocole, cf.H. Denifle, Ibidem, p. 103 (chaque « status » doit durer quarante deux générations, une génération équivaut à trente ans, soit un total de 1260 pour le second « status », celui du Christ); p. 112 (si l’on se fie au comput de Joachim, il ne reste plus, en 1255, que cinq ans avant la fin du second « status », c’est à dire de sa quarante-deuxième génération; mais Joachim, ajoute le Protocole, se montre très vague dans ses propres affirmations, puisque tantôt il prétend que cet avènement d’un ordre contemplatif doit s’accomplir à la quarantième génération, dépassée car 55 ans se sont déjà écoulés depuis sa fin; tantôt il prétend que cela doit se produire durant la quarante-deuxième génération); p. 114 (à propos de la prophétie de Daniel 12, 6-7, Joachim comprend « un temps, des temps et un demi-temps » comme l’annonce de la fin des temps, et relie cette prophétie à l’ange du sixième sceau, muni de sa trompette).
Il est vrai que son traité De unitate et Essentia Trinitatis, directement dirigé contre Pierre Lombard, est perdu, cf. M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 30; ce ne devait pas être le cas en 1255; le Protocole utilise presqu’exclusivement le Psalterium sur ce point, avec des allusions nettes aux Figuraede Joachim dont on pense qu’elles accompagnaient le traité contre le Lombard (cf. H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 140); il a aussi recours au De articulis fidei(Ibidem, p. 138; sur cet ouvrage cf. M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 515; voir l’éd. E. Buonaiuti, De articulis Fidei di Gioacchino da Fiore[Fonti per la Soria d’Italia, t. LXXVIII], Rome, 1936), et c’est à partir d’extraits de ce livre qu’il l’assimile aux hérétiques.
Cf. M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 31-32 et p. 61-62 sur l’aspect « technique » de l’erreur joachimienne, isolée de son contexte plus large, c’est à dire de son étroite connexion avec une philosophie de l’histoire dissonnante des vues traditionnellement admises.
Voir par exemple l’éd. cit. H. Denifle, Das Evangelium... art. cit., p. 109, p. 126, p. 131, p. 133; parfois le mélange du texte joachimien et des gloses gherardiniennes est difficile à démêler, ainsi p. 115: « Huc usque verba Joachim et fratris Girardi. Ex prenotatis videtur, quod iste [Gherardo ou Joachim ?] novas et falsas opiniones confingat, et hoc maxime vane glorie causa, id est ut exaltet huiusmodi ordinem incredibiliter et intempestiue super alios ordines, immo super totam ecclesiam »; « iste » devrait se rapporter grammaticalement à Gherardo, mais le sens et ce qui suit indique qu’il représente plutôt Joachim: « Et ideo diligenter conferenda est hec difinitio Augustini de heretico in primo libro de utilitate credendi... Sic dicunt Augustinus, Ieronimus et Ysidorus. Quod autem iste prefatam doctrinam preferat hiis omnibus, videtur capitulo secundi libri Concordieante finem... ». De toute façon, le recours à la notion d’hérésie, grâce à la définition de Pères latins indiscutés, et l’ambigüité des auteurs désignés par les pronoms, aboutissent à une conclusion: sans Joachim, Gherardo n’eût pas existé; il faut s’en prendre aux causes si l’on veut éradiquer les conséquences.
Cf. M. Reeves, The Influence... op. cit., p. 45-58.
Ibidem, p. 76-95; et le dossier éloquent de Pierre de Limoges, traité par N. Bériou, Pierre de Limoges... art. cit.
Voir aussi tous les autres exemples fournis par M. Reeves, loc. cit. note précédente.
Cf. M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 173; voir aussi la notice du DHGE , t. XX (1984), col. 720: après un premier exil et une privation de toutes fonctions dans l’ordre, Bonaventure rappelle Gherardo à Paris après le 30 août 1258, pour le faire juger par une commission qu’il préside; face à l’obstination du Frère, la sentence tombe: la condamnation comme hérétique, l’excommunication et la prison à vie, qu’il endure sans broncher durant dix-huit ans; il meurt selon Salimbene vers 1276-1277; la date du procès correspond à une longue période d’absence du cardinal Eudes de Châteauroux de la curie, de la mi-juillet 1258 à la fin janvier 1259, voir ci-dessous: il est possible que ce dernier ait fait partie de la commission condamnant Gerardo.
Je rappelle que quelque temps plus tard, en 1256, Eudes de Châteauroux défend chèrement ses droits contre les moines de Grottaferrata, qui usurpent les revenus de l’ordinaire dans son diocèse suburbicaire.
Cf. CUP , n° 257, à l’évêque de Paris; et M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 173.
Cf. CUP , n° 258, toujours à l’évêque de Paris: « Verum, quia illorum Christi pauperum, videlicet dilectorum filiorum nostrorum fratrum Ordinis Minorum, nomen et fama illesa semper et integra cupimus conseruari..., presentium tenore precipimus quod sic prudenter, sic caute, sic prouide in apotolici super hoc mandati executione procedas, quod dicti fratres nullum ex hoc opprobrium nullamque infamiam incurrere valeant siue notam, et obloqutores et emuli non possint exinde sumere contra ipsos materiam detrahendi ». Prudence d’autant plus nécessaire que les Frères ont tenté durant l’été, avec l’appui de l’évêque et du roi, d’attribuer à Guillaume de Saint-Amour la rédaction d’un libelle antipapiste, ce dont il se disculpe publiquement faute de preuves, c’est à dire d’exemplaire du libelle en question à produire à l’appui de l’accusation, cf. M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 167-169; l’auteur suppose qu’il peut s’agir des premières notes, brouillons à peine rédigés, de préparation du De Periculis .
Sur cette connaissance précoce, qui explique que Guillaume de Saint-Amour s’appuie sur ce document dès la première version, contemporaine, du De periculis, cf. M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 172.