g) Le sermon en consistoire pour l’anniversaire de la mort d’Innocent IV (7 décembre 1255 ?)

Innocent IV étant mort le 7 décembre 1254 à Naples, on est évidemment tenté de dater le texte du sermon anniversaire de sa mort le 7 décembre 1255, cela d’autant plus que ce pape avait demandé à toutes les églises de chaque ordre religieux un office solennel et perpétuel pour l’anniversaire de sa mort 1479 . Il est vrai qu’il ne figure pas dans les sermones de casibusde la première édition, antérieure à 1260 et représentée par le manuscrit d’Orléans, Bibl. Mun. 203; on ne peut donc exclure aucun 7 décembre, entre 1255 et le tout début des années 1260. Néammoins, le début des années 1260 paraît s’imposer comme le terminus ante quem, du fait que le successeur d’Innocent IV, Alexandre IV, a institué en 1259 une messe d’anniversaire des papes et cardinaux défunts 1480 . En outre, entre 1255 et 1260, l’anné 1255 paraît la plus plausible. L’enchaînement des missions du cardinal, le contraste entre les personnalités des papes Innocent IV et Alexandre IV, peut-être accusé dans l’historiographie franciscaine, mais réel, le suggèrent. Innocent IV est victime, chez Thomas d’Eccleston et Salimbene, d’une damnatio memoriædont on imagine aisément les raisons 1481 , alors qu’Alexandre IV, ancien protecteur de l’ordre franciscain, a donné le sentiment, tout en se montrant dans la réalité mesuré, de prendre le contre-pied total de son prédécesseur. La Curie, surtout les cardinaux, ne pouvaient ignorer les rumeurs qui circulaient, ni celles qui avaient suivi la mort du cardinal Pierre de Collemezzo 1482 ; on se rappelle que son cadavre fut abandonné nu par ses familiers, qui pillèrent ses biens. Or la question de la nudité du pape et des cardinaux est centrale dans ce discours. On doit ajouter que plusieurs passages, quel que soit l’hommage rendu au grand canoniste que fut Sinibaldo Fieschi 1483 , évoquent les vices du pape, en particulier son népotisme et son goût du pouvoir 1484 , et laissent clairement entendre qu’il pourrait bien séjourner au Purgatoire:

‘« Aaron était déjà parvenu à l’entrée de la terre promise, et déjà [les Hébreux] en possédaient une partie; Ainsi le seigneur Innocent avait déjà acquis une partie de la terre de l’Eglise, lorsqu’il mourut; de même arriva-t-il à Moïse. C’est donc bien un jugement divin qui a fait s’accomplir cela, peut-être parce qu’il [Innocent] avait péché lors de cette action, en accablant les églises à cette fin, ou peut-être parce que son cœur en avait été trop exalté; le Seigneur n’a pas voulu que cela lui fût une occasion de damnation, réservant cette victoire à un autre, ainsi qu’il se comporta envers David, quant à la construction du temple » 1485 .’

Selon l’orateur, Innocent IV, dans sa lutte pour récupérer les états pontificaux et plus spécifiquement le Royaume de Sicile, a peut-être péché en accablant fiscalement les églises, ou sans doute montré trop d’orgueil temporel 1486 ; un jugement divin (écho des chroniqueurs qui prétendent qu’Alexandre IV lui-même aurait prédit sa mort ?) pourrait bien être la cause de cette mort, puisque le pape défunt semblait jouir d’une bonne santé; certes Dieu compatissant lui a épargné la damnation, en réservant à d’autres l’achèvement de la reconquête où il mettait en péril son salut, mais cette affirmation sous-entend que le pape est au Purgatoire et que les cardinaux ont toutes les raisons de prier pour lui 1487 . Mais ce ne sont pas seulement les moyens utilisés par Innocent IV, et son état d’esprit, qui sont mis en cause par le texte 1488 ; je crois que la critique va plus loin et porte sur la conception même de la fonction pontificale. Si le sermon date bien du 7 décembre 1255, Eudes de Châteauroux aurait ainsi rappelé au nouveau pape et aux cardinaux, parallèlement à la dignité sans pareille qu’incarnait le pontife, les risques que comportait la fonction pour le salut de son titulaire. Dans ce cas, le choix de l’exemplumhistorique à propos d’Alexandre le Grand serait délibéré, ad hominem : il s’agirait d’une mise en garde au récent élu 1489 . Ajoutons que le parti-pris de l’auteur est d’autant plus crédible aux oreilles de son auditoire qu’il avait été créé cardinal par Innocent IV. De façon générale, l’ensemble du texte atteste que le second tiers du XIIIe siècle constitue un moment d’intense cristallisation, sous des formes institutionnelles et liturgiques, du motif du corps du pape 1490 .

Le verset thématique du sermon, « Omnis autem multitudo videns occubuisse Aaron fleuit super eumuiginti et uno diebus per cunctas familias suas » 1491 , suggère à l’orateur un plan en quatre points. Il s’inspire du type du grand prêtre Aaron, dont le pape Innocent IV est la figure, pour examiner successivement: la nature et l’exercice du pouvoir de cet Aaron; la position qu’il occupait lorsqu’il est mort; les raisons pour lesquelles il fut pleuré; ceux qui l’ont pleuré 1492 . Nul découpage du thème, car comme l’indique d’emblée le cardinal, « il n’y a rien de nouveau sous le soleil; ... comme de nos jours meurent les souverains pontifes, de même sont-ils morts dans les siècles qui nous ont précédés » 1493 . Le fil conducteur du discours est donc bien la comparaison avec Aaron, « figure emblématique du grand-prêtre et préfiguration du Christ » 1494 , mais surtout du pape Innocent IV, dans sa simple condition mortelle 1495 , ainsi que dans son ambivalence. Certes Innocent-Aaron fut un remarquable pape dans l’action, comme son titre de gloire, sa victoire sur Frédéric II, l’atteste 1496 . Il se montra à la hauteur de la plenitudo potestatisqui caractérise, à l’exception de tout autre, son office 1497 . Mais comme Aaron, le pape Innocent IV est mort au sommet de la dignité apostolique, qui l’emporte, ou devrait l’emporter, en éclat sur toute autre 1498 . Deux raisons de cette chute soudaine sont avancées. D’une part, on l’a vu, il n’est pas certain que ce grand pape politique avait toujours su faire preuve de l’humilité et de la compassion qu’exige sa fonction, même si le discours évoque, de façon topique, ces qualités du pape défunt 1499 . D’autre part et surtout, il occupait une fonction singulière, où l’on meurt d’autant plus rapidement et brutalement qu’on est monté haut. Eudes de Châteauroux exploite ainsi, en guise d’avertissement au pape régnant, mais aussi à ses collègues cardinaux, qui ont encore en mémoire, tout frais, le décès de Pierre de Collemezzo, un thème qui a pour origine un traité de Pierre Damien du milieu du XIe siècle, et ne cesse de prendre de l’ampleur et de se ramifier au Moyen Age central, celui des « années de Pierre » 1500 . Lié à ce thème, le cardinal en développe un second, celui de la nudité des papes et des cardinaux à leur mort 1501 . R. Grosseteste en 1250, lors de sa visite indignée en Curie, avait expliqué à Innocent IV que le Pape, pour être digne de figurer le Christ sur terre, devait « se devêtir de sa chair » 1502 . Cette nudité est, dit A. Paravicini-Bagliani dans son commentaire du sermon d’Eudes, le signe qu’ils ont perdu leur potestas, parce qu’ils sont dépouillés de leurs vêtements précieux, qui rendaient manifeste l’éclat de leur fonction de leur vivant 1503 . Il s’agit évidemment d’une nudité métaphorique. Le pape ne porte plus, tout de suite après sa mort, ces vêtements 1504 , c’est pourquoi Eudes de Châteauroux avait esquissé auparavant un parallèle avec Moïse rayonnant lors de sa descente du Sinai 1505 : comme le prophète, le pape communique avec Dieu dont il est le vicaire, ce que manifeste la blancheur de ses vêtements:

‘« Puisque dans le pape l’image de Dieu doit resplendir plus que dans tout autre homme, ses vêtements doivent être blancs comme la neige... Son visage doit resplendir comme le soleil. En effet, l’homme se reconnaît par le visage. C’est par le visage que l’on connaît sa volonté. Le visage de Moïse est devenu éclatant, à la suite de sa conversation avec Dieu. A la lettre, le pape s’habille de vêtements blancs à l’intérieur [...]. Seulement à sa mort, les vêtements du pape sont noirs » 1506 .’

Mais à la différence du Christ, il est voué comme tout homme à la mort, d’où les rites d’auto-humiliation, importés de Byzance. L’orateur orchestre davantage encore la tension dialectique inhérente à la fonction pontificale, en comparant explicitement, quelques lignes plus loin, la mort du Pape à la Passion du Seigneur 1507 . La similitude est double, entre la gloire divine et celle du vicaire du Christ d’une part, la présentation du Christ aux Juifs (« Ecce homo ») et la nudité du souverain pontife d’autre part. Mais avec une différence notable: alors que le Christ ressuscite, le pape, s’il n’est pas revêtu à sa mort du vêtement des vertus et des bonnes œuvres, doit craindre pour son salut 1508 , d’où la necessité de prier pour le défunt. A. Paravicini-Bagliani de conclure justement: « A mesure que la personne du souverain pontife se rapproche du Christ et s’identifie avec l’Eglise, la fusion entre l’individu et la fonction ne risque-t-elle pas de devenir un danger pour l’institution pontificale ? » 1509 .

On l’a vu, derrière la bataille des chaires et les disputes sur la mendicité, la place de l’institution pontificale est en fait au cœur du débat ecclésiologique à la racine du conflit; il me semble qu’on ne peut comprendre le couple que forment les deux SERMONES qui viennent d’être analysés, sans avoir en tête cet arrière-plan: tout s’est entrechoqué à ce moment-clef, la nature de l’institution pontificale, la pérennité de sa mission temporelle remise en cause par le Joachimisme, la domination de la temporalité chrétienne qui en découle et qu’avait clairement revendiquée Innocent IV en définissant le Purgatoire, les modalités d’organisation territoriale et financière de l’Eglise devant faire face à sa mission évangélique et salvatrice, toutes questions qui déclinent, à leur façon, la plenitudo potestatis.

Faute de pouvoir dater avec certitude le SERMO n° 18, il est impossible d’en mesurer l’effet sur la politique d’Alexandre IV. Celle-ci en tout cas, à partir de mars, et surtout de l’été 1256 1510 , se durcit. On voit en effet le souverain pontife durant ce premier semestre refuser tout compromis entre les Séculiers et les Mendiants, alors même qu’il se réalise sous l’égide des autorités ecclésiastiques sur lesquelles il s’est toujours appuyé, que les Mendiants y consentent, qu’enfin le roi lui-même semble vouloir mettte fin au blocage de l’université 1511 . Cette période, essentiellement marquée par les différentes versions du De periculis de Guillaume de Saint-Amour, et par la réplique que lui donnent les docteurs mendiants, culminant dans le Contra impugnantes de Thomas d’Aquin 1512 , voit intervenir à nouveau Eudes de Châteauroux, mais, semble-t-il, uniquement face aux Ordres mendiants. Il prend certes part à la commission doctrinale de cardinaux qui porte le coup de grâce au clan séculier en condamnant le De Periculis 1513 , ce que le pape notifie à la Chrétienté par la Bulle Romanus pontifexdu 5 octobre 1256 1514 . Mais Eudes doit juger que son talent oratoire est plus utile à consolider le groupe de ceux qui demeurent fidèles à la papauté, fût-ce en restant vigilant sur l’orthodoxie, qu’à tenter de convaincre d’incorrigibles semeurs de discorde 1515 . Trois SERMONES témoignent de cet ultime engagement dans une bataille qu’il aura suivie de très près.

Notes
1479.

Cf. A. Paravicini-Bagliani, Il corpo... op. cit., p. 202 et note 100, citant la lettre. La même hypothèse est prudemment avancée par P. J. Cole, D. L. d’Avray, J. Riley-Smith, Application of Theology... art. cit.,p. 239 note 79, dans leur étude de ce sermon. L’aaniversaire est une célébration liturgique annuelle pour les défunts. Dans ses rubriques, Eudes de Châteauroux distingue nettement les sermons donnés en cette circonstance des autres sermons funèbres ou mémoriaux.

1480.

Ayant donné lieu au SERMO n° 22 du cardinal, cf. ci-dessous son analyse. Le problème posé par le SERMO n° 18 sur la mort d’Innocent IV est d’ailleurs le même que pour les deux SERMONES, n° 14 et 15, anniversaires de la mort de Robert d’Artois.

1481.

Cf. A. Paravicini-Bagliani, Il corpo... op. cit., p. 184 s.

1482.

Le sermon y fait une allusion évidente, aux lignes 112-114: « De même nous ne devons pas douter que nous serons dépouillés, avant même que nous ne le pensions, du cardinalat et de toutes les autres dignités dont ont été revêtus nos prédecesseurs, qui en ont été ensuite dépouillés »; je reprends la traduction de ce passage que donne A. Paravicini-Bagliani, Le corps du pape... op.cit. (trad. française), p. 264.

1483.

De même le biographe du pape, Nicolas de Carbio, insiste sur la célérité et l’efficacité de la justice d’Innocent IV, comme le signalent P. J. Cole, D. L. d’Avray, J. Riley-Smith, Application... art. cit., p. 241 note 91; je renvoie à la nouvelle édition de la Vita Innocentii IV d’A. Melloni, Innocenzo IV... op. cit., p. 259-293, ici p. 269, § 16: De ordinatione curie in Lugduno, qui évoque dans des termes assez proches de ceux de notre texte l’activité du pape: « Cepit apostolatus officium exercere, tam uiriliter, quam prudenter, oppressos releuans et opprimentes condempnans, omnibus ac singulis exibens iura, secundum exigentiam meritorum. Causas enim non solum tempore uacationis exortas, uerum etiam a longis retroactis temporibus a suis predecessoribus indecisas, sub breuissimo temporis spacio sua industri sapientia terminabat, utpote discretione preditus, mente pius, scientia preclarus et sapientie plenitudinis titulo decoratus ».

1484.

Voir aux lignes 85-90 de violentes attaques contre les pusillanimes, les corrompus qu’on achète avec quelques bénéfices: elles visent selon moi les cardinaux eux-mêmes, évoqués par l’expression « collateralibus pape »; les attaques commencent un peu plus haut, aux lignes 67-69 (mais le passage est corrompu et d’interprétation difficile, voir l’édition du texte). Cette expression est par ailleurs typique de ces métaphores organicistes par lesquelles s’exprimait l’incorporation institutionnelle et rituelle du sacré collège au Pape, particulièrement marquée lors des vacances du siège papal; ces « côtés du pape », chez qui doivent se rencontrer la mansuétude et le zèle, à l’image de Moïse et Elie entourant le Christ sur le mont Thabor, sont parallèles à d’autres expressions recensées par A. Paravicini-Bagliani, Il corpo... op. cit., p. 87; même interprétation de P. J. Cole, D. L. d’Avray, J. Riley-Smith, Application... art. cit., p. 245.

1485.

Lignes 54-59. Pour David, cf. 1. Par. 22 s., où il fait dresser les plans et rassembler les matériaux de construction du temple, mais explique à Salomon pourquoi il lui reviendra d'achever le projet: lui-même a versé trop de sang, comme le lui a signifié Dieu. Quant à Moïse et Aaron, ils n’eurent effectivement pas le droit d’entrer en terre promise, sans doute pour n’avoir pas toujours su convaincre le peuple d’Israël d’obéir absolument à l’Eternel (cf., pour l’interdiction faite à Aaron, Nm. 20, 24; mais aucune raison précise de cet interdit n’est alléguée dans la Bible). La comparaison avec ces deux personnages centraux du Pentateuque pèse lourd, ainsi qu’avec David modèle des rois, à ce titre très ambivalent.

1486.

L’allusion à la lourde fiscalité infligée par Innocent IV aux églises est bien documentée, cf. les exemples donnés par P. J. Cole, D. L. d’Avray, J. Riley-Smith, Application... art. cit., p. 240 notes 84 et 85; on se rappelle la dénonciation par Robert Grosseteste de ces agissements à la Curie même en 1250 (cf. R. W. Southern, Robert Grosseteste: the Growth of an English Mind in Medieval Europe, Oxford, 19922, p. 276 s.), et la protestation du roi de France sur ce même sujet en 1247.

1487.

Le cérémonial du XIVème siècle, qui décrit la ritualisation de la mort du pape, évoque le pardon que les cardinaux devaient lui accorder, au cas où il aurait manqué à ses devoirs dans l’exercice de sa charge (cf. A. Paravicini-Bagliani, Il corpo... op. cit., p. 163). Il est tentant de penser que ce passage fait écho à ce rite, ou, s’il n’existait pas encore, qu’il le préfigure.

1488.

Comme le pensent P. J. Cole, D. L. d’Avray, et J. Riley-Smith,Application... art. cit., p. 239.

1489.

Ligne 99: « Alexandre le Grand touchait déjà au but qu’il s’était assigné, en se proposant de dominer le monde entier et de régner sur l’Espagne et les autres monarchies occidentales; des messagers officiels s’étaient présentés à lui, pour lui porter les clefs des villes, ainsi que le rapporte Trogue Pompée; alors il mourut ». Cette apostrophe, qui suit de peu les attaques contre les cardinaux corrompus, peut aussi introduire une critique implicite de la première année de règne d’Alexandre IV; c’est ainsi que la lisent P. J. Cole, D. L. d’Avray, J. Riley-Smith, Application... art. cit., p. 244, y voyant une dénonciation de la faiblesse d’Alexandre IV face aux cardinaux. Eudes de Châteauroux inciterait Alexandre IV à se montrer plus ferme sur deux terrains: contre les factions et la corruption au sein du sacré collège (exemples Ibidem, p. 245); contre le parti anglais de la curie, favorable à la candidature d’Edmond dans l’affaire de la succession de Sicile; J. Maubach, Die Kardinäle und ihre Politik um die Mitte des XIII. Jahrhunderts unter den Päpsten Innocenz IV, Alexander IV, Urban IV, Clemens IV (1243-1268), Bonn, 1902, a mis en lumière tous ces points. Louis IX se montrera partisan de la même fermeté, sur la question du népotisme, par la voix de son ambassadeur, en 1258 (P. J. Cole, D. L. d’Avray, J. Riley-Smith, Application... art. cit., p. 245 note 109).

1490.

Si finement analysée par A. Paravicini-Bagliani, Il corpo... op. cit., passim.

1491.

Nm. 20, 30. La Vulgate dit: « Fleuit super eo triginta diebus « ; aucune variante dans l'éd. Weber ou dans la Vetus latina(cf. P. Sabatier, Bibliorum sacrorum latinae versiones antiquae seu Vetus italica..., Reims, 3 vol. in fol., 1743-1749; réimp. anast., Turnhout [Brepols éd.], 1976, que j’utilise: ici, t. I, p. 632), ne justifie ce changement. Je crois qu' Eudes de Châteauroux a chiffré à 21 les jours de deuil consécutifs à la mort du pape essentiellement pour des raisons de symbolique des nombres, cf. la seconde division du sermon annoncée immédiatement après, aux lignes 7-8: « pendant vingt et un jours, c'est à dire pour trois raisons »; et aux lignes 41-53 les considérations sur le caractère spécifique de la durée du deuil lorsqu’il s’agit de la mort du pape: « Le pontife suprême doit être pleuré trois fois plus qu’un homme quelconque lorsqu’il meurt ». Toutefois, on peut relever que les périodes de deuil au Moyen Age correspondent souvent à des multiples de 3, cf. A. Paravicini-Bagliani, Il corpo... op. cit., p. 161 s., qui analyse la neuvaine qui encadre le décès; mais sa source est tardive (second XIVe siècle). Eudes de Châteauroux peut donc témoigner d’une pratique liturgique dont on ne possède pas la trace documentaire. M. Lauwers, La mémoire des ancêtres... op. cit., p. 90 s., fournit les temps forts traditionnels, appuyés ou non sur l’Ecriture, du deuil: le chiffre 3 joue un grand rôle, et Augustin, dont on connait l’autorité au Moyen Age, préconise le deuil de 7 jours (p. 92). On notera aussi que la neuvaine pour la mort du pape est elle-même structurée en trois parties, évoluant du rituel privé au rituel public, où interviennent trois acteurs institutionnels distincts; est-ce à cette tripartition que fait écho l’auteur ? Pour un exégète, les considérations arithmologiques jouent un rôle fondamental dans l’interprétation spirituelle, comme le rappelle G. Dahan, L’exégèse chrétienne... op. cit., p. 349.

1492.

Le développement cependant ne respecte pas strictement, dans l’ordre de ses parties,le plan annoncé.

1493.

Lignes 10-13.

1494.

Cf. A. Paravicini-Bagliani, postface de l’édition française (absente de l’éd. italienne) La mort du pape, Paris, 1997, p. 263 s.

1495.

Lignes 10-18.

1496.

Lignes 24-26; on notera la pertinente brièveté du commentaire: le pape signifia effectivement la mort politique de Frédéric II; Eudes de Châteauroux ne peut avoir oublié la sentence de déposition de l’Empereur lue par Innocent IV à la seconde session du Concile de Lyon I, le 17 juillet 1245, ni le sermon qu’il a alors prononcé.

1497.

L’orateur donne aux lignes 41-53, lorsqu’il évoque la triple raison pour laquelle on doit pleurer le pape à sa mort, une définition elle-même triple de la fonction pontificale: définir le dogme, faire la loi et protéger. Cette conception est parfaitement conforme aux définitions procurées par les canonistes de la plenitudo potestatis au XIIIe siècle.

1498.

Lignes 61-69.

1499.

Lignes 19-40; avec peut-être une réserve finale: « Parce que les hommes, entre autres choses désirables, souhaitent qu’on leur fasse justice, et que les malheureux et les pauvres désirent qu’on prenne pitié d’eux,... ainsi, lors de la mort du seigneur Innocent, la foule entière lorsqu’elle vit qu’il avait expiré le pleura et devait le faire dans sa maison, c’est à dire dans son ordre » (lignes 36-40). J’interprète: le deuil des pauvres était tout à fait légitime, parce qu’Innocent IV a su leur rendre justice; mais ce deuil devait être restreint à la maison, l’ordredu défunt, non s’étendre à la personne souveraine du pape, transitoire.

1500.

Lignes 100-102: « Toute position au sommet est périlleuse. Le seigneur Innocent paraissait jusque là presqu’un jeune homme, vigoureux qu’il était. Nul n’a de terme assuré à sa vie, sinon le souverain pontife; aussi doit-il plus que les autres craindre la mort »; le thème explicite des « années de Pierre », c’est à dire de la brièveté des pontificats, qui n’ont jamais pu, selon ce que constatait Pierre Damien, dépasser la durée de celui de l’apôtre [Pierre, évidemment], 25 ans, est présent par allusion. Cf. A. Paravicini-Bagliani, Il corpo... op. cit., tout le premier chapitre de l’ouvrage sur les « années de Pierre », c’est à dire la caducité et le caractère transitoire du souverain pontife (p. 6 en particulier, pour la découverte de Pierre Damien, qu’aucun souverain pontife n’a régné plus de vingt-cinq ans).

1501.

Ce développement (lignes 102-116) suit immédiatement les considérations sur la brièveté des pontificats.

1502.

A. Paravicini-Bagliani, Il corpo... op. cit., p. 312.

1503.

Le corps du pape... op. cit. (trad. franç.), p. 264.

1504.

Le début du siècle a vu toutefois se pratiquer la spoliatio , véritable pillage des vêtements et des biens du pape défunt; l’abandon et la nudité du cadavre des papes, surtout ceux dont les positions hiérocratiques étaient connues, revêtent une particulière importance (Ibidem, p. 191).

1505.

Cf. Ex. 34, 29-30; cette irradiation du visage de Moïse, consécutive à son entretien face à face avec l’Eternel au sommet du Mont Sinai, lui confère exactement, selon le texte de la Vulgate, un « visage cornu » (facies cornuta ); ce thème est très fréquement exploité dans les représentations picturales du plus grand des prophètes.

1506.

Lignes 67-76. J’ai suivi, en la complétant, la traduction d’A. Paravicini-Bagliani, Le corps du pape... op. cit. (trad. franç.), p. 265. Sur ces vêtements blancs que porte le pape à l’intérieur, à savoir l’ alba romanaou rochet, et plus généralement sur le symbolisme de la couleur des vêtements du pape, Ibidem, p. 102-115; l’auteur précise p. 112 que d’après les cérémoniaux avignonnais, donc un peu plus tardifs que le discours d’Eudes, l’unique jour où le pape intrevient, comme célébrant, vêtu de noir, est le jeudi saint, pour annoncer la mort du Christ; il est logique que son vicaire, Christ transitoire, soit aussi vêtu de noir à sa mort.

1507.

Lignes 104-105.

1508.

Lignes 119-125

1509.

Il corpo... op. cit., p. 342.

1510.

Cf. M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., p. 209, p. 235-238 et p. 240-241.

1511.

Sur ces tractations, cf. M.-M. Dufeil, Ibidem,p. 203-210; p. 250-251.

1512.

Ibidem, p. 221-227 (De periculis ) et p. 253-260 (Contra impugnantes ).

1513.

Ibidem, p. 260-264.

1514.

Texte dans CUP, n° 288; la composition de la commission est donnée p. 332: on y retrouve, outre Eudes, Hugues de Saint-Cher; se sont ajoutés un Cistercien, Jean de Tolède, et Gian Gaetano Orsini; ses actes, contrairement à ceux de la commission de l’été 1255, sont perdus.

1515.

Je ne traite pas pour elle-même de la suite des aventures de Guillaume de Saint-Amour, pour laquelle je renvoie globalement à M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit., passim. Présent à Rome jusque dans l’année 1257, donc après la condamnation du De periculis, il a tenté de se justifier dans ses Responsiones des accusations portées contre lui par les Frères prêcheurs. Eudes de Châteauroux a encore eu connaissance de lui tardivement, puisqu’en exil, Guillaume ruminait sa persécution, et qu’il envoiya, en 1266 à Clément IV, qui en accusa réception, un dossier justificatif encore plus épais, les Collectiones(éd. cit. Opera omnia, p. 111-490), en quelque sorte une nouvelle version, grossie de toutes ses réflexions et lectures postérieures à sa condamnation, des Responsiones,