Rubriqué « Sermo in anniversario summorum pontificum et cardinalium instituto a domino papa Alexandro », le SERMO n° 22 correspond à une occasion liturgique nouvelle, établie par Alexandre IV dans un constitutumd’août 1259, où le pape stipule que la fête sera chaque année célébrée aux nones de septembre, soit le 5 du mois 1569 . Eudes de Châteauroux fait référence dans son discours, et à ce constitutum 1570 , et au pape Alexandre IV, reconnaissable entre les lignes par l’interprétation de son nom 1571 . Un autre indice prouve toutefois qu’il fut réellement prononcé: au début de sa seconde partie, l’orateur cite la collecte de la messe d’anniversaire des défunts; or une partie de cette prière était omise pour la fête des morts du 2 novembre, ce qui confirme que le sermon a bien été donné à l’occasion d’un service réel, et ne constitue pas un modèle pour un anniversaire quelconque 1572 .
Le verset des Maccabées utilisé comme thème, « Simon bâtit sur la sépulture de son père et de ses frères un monument de pierres polies tant par derrière qu’en façade, assez haut pour être vu » 1573 , signifie, selon l’interprétation typlogique qui en est donnée, la messe anniversaire instituée par Alexandre IV. Cette messe est l’édifice spirituel construit par lui sur la sépulture de ses pères les papes et de ses frères les cardinaux, au profit de leurs âmes. Avant même d’annoncer son plan, Eudes de Châteauroux révèle les raisons de cette fête nouvelle: venir en aide aux âmes des papes et cardinaux défunts, qui manqueraient de suffrages, ce qui ne fut pas le cas autrefois, lorsque beaucoup d’entre eux connaissaient le martyre 1574 . On peut interpréter sans trop de risques d’erreur cette distinction entre les premiers papes et pontifes, notamment les martyrs, qui n’avaient pas bseoin des suffrages des vivants, et ceux de l’époque contemporaine du cardinal, qui en manquent, comme une attaque voilée contre certains autres membres du sacré collège, avec lesquels Eudes de Châteauroux n’est pas tendre dans plusieurs autres sermons 1575 .
Par ailleurs, le plan proposé, reposant sur la partition en trois du thème, est extrêmement simple: l’identité du constructeur; la nature et l’objet de la construction; l’apparence extérieure de la construction. Deux thèmes majeurs structurent en fait la pensée de l’orateur: le Purgatoire où, il ne le cache pas, séjournent la plupart des âmes des défunts, d’où découle l’utilité des suffrages qui font mémoire d’eux; et la situation particulièrement périlleuse à laquelle sont confrontés de ce point de vue papes et cardinaux, tendus entre la dimension surnaturelle de la fonction qu’ils occupent, en tant qu’elle est l’héritage du Christ et qu’elle consiste à gouverner l’Eglise salvifique, et leur humanité faillible qui les menace en permanence de ne pas être à la hauteur de cette fonction, et qui leur rappelle leur condition pécheresse.
Le Purgatoire, esquissé dans quelques textes précédents, prend ici toute sa dimension, et d’abord son nom 1576 . Qu’Eudes de Châteauroux ait parfaitement connu et approuvé cette doctrine est illustré par le fait suivant. L’évolution des discussions sur l’union gréco-latine avait progressivement placé, parmi les éléments centraux de la controverse, les doctrines opposées des deux Eglises sur la nature du feu purgatoire. A la fin du pontificat d’Innocent IV, le pape, voulant hâter la conclusion d’un accord, envoya à son légat auprès des Grecs à Chypre, Eudes de Châteauroux, qui séjournait alors au Proche-Orient, une lettre qu’on peut considérer avec J. Le Goff comme la « première définition pontificale du purgatoire » 1577 . Les considérations développées par Eudes dans le SERMO n° 22 prennent, dans ce contexte, un relief singulier. Il convient de les examiner au double point de vue de la théologie et de l’exégèse.
Au plan théologique, alors que la question du feu purgatoire était au cœur du débat avec les Grecs, et avait agité précédemment les Latins, cet aspect est équilibré par le cardinal, qui met en avant le soulagement que constitue, par rapport aux ténèbres c’est à dire à l’enfer 1578 , ce troisième lieu d’attente du jugement dernier. Cette vision ambivalente du Purgatoire, à la fois lieu de tourments atroces et espoir de la récompense éternelle, une fois les peines purgées, est caractéristique semble-t-il de l’école théologique parisienne du premier tiers du XIIIe siècle, la période où a été formé Eudes de Châteauroux 1579 . Au plan exégétique, il n’est pas anodin de constater que la justification d’un point de doctrine aussi important que le Purgatoire est fournie, entre autres, par une interpretatiosur le nom du pape régnant, ce qui atteste que cette technique exégétique constitue non un subterfuge rhétorique, mais bien un outil fondamental de la compréhension des vérités chrétiennes 1580 . Mais le plus important n’est pas là. Au tout début du texte 1581 ,le Purgatoire est qualifié de lieu de rafraîchissement, ce qui paraît décidément paradoxal, dans la mesure où le feu est essentiel dans la définition doctrinale latine du « troisième lieu » 1582 . A mon sens, Eudes de Châteauroux n’emploie pas ce mot au hasard. Il sort à peine, on l’a vu, d’une grande controverse doctrinale sur la fin des temps, en particulier sur l’existence et la durée d’un sabbat terrestre intervenant entre le premier et le second Antichrist. Fonctionnellement, le Purgatoire remplit exactement cet office, mais dans l’au-delà, c’est à dire dans une perspective à la fois plus individuelle, du point de vue de la dévotion, et plus institutionnelle du point de vue de la dispensation des suffrages qui aident les défunts. L’orateur se fait l’écho de cette dernière conception de plusieurs façons. D’abord il ne manque pas d’insister sur la réalité des peines purgatoires, qui surpassent en douleur tout ce qui peut exister sur terre; c’est une vue prise à Augustin, que partagent tous les scolastiques du XIIIe siècle 1583 . L’avantage de cet argument, c’est de rendre incontournable la médiation cléricale: le Purgatoire peut être Refrigeriumsi l’Eglise contrôle ce type de dévotion, et en l’occurrence la promeut; l’auteur suggère ainsi que, par rapport aux tourments subis, les suffrages des vivants atténuent la chaleur du feu purgatoire. Or le mot « refrigerium » est connoté plus lourdement: il désigne précisément, dans le cadre de la controverse « finimondiste », l’existence d’un temps de repos terrestre des chrétiens 1584 . Si mon rapprochement est juste, on saisit bien ici l’opération de remise en ordre orthodoxe à laquelle se livre le cardinal. Il a réglé déjà, à travers les sermons aux Mendiants, la question des supputations hasardeuses sur le comput des jours après l’Antichrist, et désamorcé les vaticinations millénaristes qui pouvaient en découler. A présent, il utilise l’exégèse pour fonder théologiquement le « refrigerium » de la Glose, en le situant dans le troisième lieu, le Purgatoire, qui propose une solution au problème du délai entre jugement individuel et Jugement dernier. Ici encore, le désamorçage est patent: d’eschatologique au sens chiliastique du terme, le « refrigerium » devient un interlude psychologiquement rassurant et théologiquement maîtrisé, fondé sur un dogme « paisible », celui de l’intercession efficace des suffrages des vivants en faveur des défunts, et alimenté par une piété beaucoup plus individualisée 1585 , quoique solidement encadrée par le clergé 1586 . On pourrait commenter ironiquement en disant que, pour le moins, la majorité des Franciscains a rapidement échangé une espérance improbable contre une pratique efficace, vu leur rôle postérieur dans le développement de ces pratiques d’intercession.
Le prédicateur n’oublie cependant pas qu’il traite d’un milieu spécifique, celui du pape et des cardinaux, et qu’une innovation liturgique récente n’abolit pas la mémoire de pratiques rituelles beaucoup plus anciennes et persistantes. Citant à l’appui le prophète Michée, « Je vais gémir et me lamenter, je vais aller déchaussé et nu, je pousserai des gémissements comme les chacals, des plaintes comme les autruches » 1587 , il rappelle à la tête et aux membres de l’Eglise universelle que cela est dit:
‘« au nom du mort qui est dépouillé, car dans la mort chacun reçoit son dû; personne n’est épargné, sinon peut-être les cardinaux, à qui l’on n’enlève pas leur anneau, signe de leur dignité, ni la fibule de leur vêtement, ni leur caleçon, au cas où l’on y trouve quelque argent[...]. Durant la chasse, les chasseurs se partagent le butin, d’où parfois des disputes[...]. Ainsi donc va le défunt, dépouillé et nu[...], car il n’emporte rien avec lui, que ses péchés. Ainsi dépouillé et nu, il pousse des gémissements comme les chacals ». ’L’allusion à la mort de Pierre de Collemezzo, qui perd son anneau cardinalice le jour de sa mort et y voit lui-même le signe de sa déchéance, me paraît évidente. Aussi claire me semble l’attaque dans le paragraphe qui suit immédiatement:
‘« Le chacal, lorsqu’il s’efforce de nouer avec des lacets les pieds de l’éléphant, est piétiné et détruit par lui. L’éléphant qui vieillit est inflexible et désigne la mort, inexorable et inflexible car elle n’épargne personne[...]; nous voulons lui lier les pieds pour l’empêcher de venir à nous, c’est à dire l’éviter grâce aux conseils des médecins. Pourtant elle nous piétine, car bien souvent ce que font les médecins accélère sa venue » 1588 . ’L'allusion teintée sans doute de désapprobation, vise les soucis que manifestent de nombreux papes du XIIIe siècle pour leur corps, et que révèlent les traités médicaux qui leur sont adressés; Innocent IV en a fourni une récente et malheureuse illustration, puisque saisi par la mort malgré son apparente vigueur 1589 .
D’octobre 1255 où, juste après la commission d’Anagni, le cardinal Eudes de Châteauroux se rend à Paris pour justifier la politique romaine, jusqu’à septembre 1259 ou 1260, où il rappelle, dans le SERMO n° 22, que la fonction du pape et des cardinaux est d’autant plus périlleuse qu’est sommitale leur position dans l’Eglise, la boucle est bouclée. L’ensemble des questions de doctrine et d’ecclésiologie qui avaient surgi, sans jamais s’articuler en un système, durant sa carrière universitaire, a pris sa cohérence à l’occasion de la grande bataille entre maîtres séculiers et religieux mendiants, officiellement déclenchée au début des années cinquante. Il me semble que, pour l’affirmation et surtout pour l’exercice de la plenitudo potestatispapale, cette querelle revêt une importance considérable. La difficulté inhérente à cette conception du pouvoir pontifical ne réside en effet pas tant dans les oppositions théoriques qu’elle susciterait, que dans sa mise en œuvre concrète; « de ce qui n’est pas la loi, le pape fait la loi », dit Eudes de Châteauroux en définissant la position singulière du souverain pontife; cela ne signifie évidemment pas qu’il puisse faire n’importe quoi, troubler l’ordre ecclésiologique comme politique par des décrets intempestifs et des décisions hâtives. Les papes reconnaissent au contraire la nécessité de modifier les dispositions pontificales dont l’expérience prouve l’inadéquation, comme l’a fait Alexandre IV et comme Innocent IV lui-même l’avait concédé à Robert Grossesteste. Finalement, la plenitudo potestatis vue sous cet angle n’est que le concept théorique résumant sur un mode abstrait la perpétuelle réforme de l’Eglise que les papes post-grégoriens, en fonction des événements et de l’histoire, ont mise en chantier. Son but, préparer du mieux possible l’Eglise militante au moment eschatologique de son triomphe, repose par définition sur une contradiction: ce sont des hommes, y compris les papes, à qui le Christ a confié son Eglise. Ils ne doivent jamais l’oublier et trouver dans la Bible, à chaque fois que le gouvernement des âmes auquel ils sont préposés leur commande d’agir, les exemples et les éléments de doctrine qui peuvent pallier leur faiblesse. C’est un trait frappant de la conduite d’Eudes de Châteauroux que de toujours ramener, en dernière instance, la solution des questions qu’il doit résoudre à l’intelligence de l’Ecriture. Il manifeste ainsi la claire conscience de la contradiction que j’évoquais: l’homme doit traduire en mots et en actes le Verbe divin, et c’est, d’abord, au niveau de l’Ecriture que cette contradiction se manifeste, puisque, « pour l’exégète médiéval, le texte biblique est message divin, vérité infiniment riche et permanente, dont lui-même se fait le porte-parole [...]. En même temps, cette exégèse chrétienne du Moyen Age se distingue [...] par une consience d’elle-même, qui fait du texte commenté aussi un objetpar rapport auquel l’exégète assume son altérité. L’exégèse « savante » ou « scientifique » du XIIIe siècle fait apparaître au grand jour ces contradictions » 1590 . Il me paraît évident que la position de l’exégète a favorisé sa réflexion sur l’institution ecclésiastique et plus particulièrement sur sa tête, contribuant à produire cette rhétorique de la caducité du pape et des cardinaux, plus de vingt ans avant sa formulation officielle par Guillaume Durand de Mende 1591 . Remarquables aussi me paraissent les conséquences que le cardinal en tire, sans réellement les expliciter. Afin d’équilibrer la discontinuité institutionnelle créée par la mort des papes, il convient d’instituer un corps compact, symbolisé par l’édifice spirituel du tombeau de Simon, de la tête et des membres les plus proches, pour êtrel’Eglise du Christ et garantir sa continuité eschatologique, au-delà des vicissitudes humaines de l’institution. Il n’y a donc aucune incohérence à le voir insister, à peu près au même moment, à la fois sur la plenitudo potestatiset sur le caractère transitoire du souverain pontificat et le séjour des papes au Purgatoire, à la fois sur la certitude de la fin des temps, que révèle l’exégèse scientifique, et l’incertitude de son avènement, qui relève de sa part « confessante », c’est à dire demeure réservée à Dieu.
Cf. M. Dykmans, Le cérémonial papal... op. cit.,p. 411-412 pour l’édition du constitutum , p. 205-207 pour le commentaire; A. Paravicini-Bagliani, Il corpo... op. cit., p. 202.
Lignes 16-17: « singulis annis nonis septembris fiat anniuersarium et elemosine pro eis[les papes et les cardinaux défunts] ».
Lignes 17-19: « Et cela, notre seigneur [Alexandre IV] l’a fait en conformité avec l’interprétation de son nom, qui est: « celui qui supprime l’angoisse des ténèbres », précisément en faveur de ceux qui séjournent au Purgatoire »; sur l’interprétation, cf. M. Thiel, Grundlagen und Gestalt der Hebräischkentnisse des Mittelalters, Spolète, 1973, p. 233, s.v. « Alexander ».
Lignes 109-110.
1. Mac. 13, 27.
Lignes 4-7.
SERMO n° 18 sur l’anniversaire de la mort d’Innocent IV (voir plus haut); SERMONES 26 et 29 (chapitre V, plus loin). Voir aussi les sermons donnés durant le Conclave de Viterbe, et édités par F. Iozzelli, Odo da Châteauroux... op. cit., (SERMO n° 50, p. 214-218; n°55, p. 226-228, surtout lignes 66 s.;n° 61, p. 244-249; n° 62, p. 250-258, surtout lignes 80-100, et la péroraison lignes 271 s.; et SERMO n° 63, p. 259-261, relatant la visite de l’archevêque de Tours aux cardinaux réunis en conclave à Viterbe). J. Maubach, Die Kardinäle und ihre Politik... op. cit., analyse par le menu les divergences au sein des Collèges cardinalices auxquels a appartenu Eudes de Châteauroux. De ce point de vue, la formule diplomatique utilisée ligne 13 du SERMO n° 22, « de consilio fratrum suorum »,pour indiquer que la décision a été prise en consistoire, ne doit pas faire illusion. L’association étroite des cardinaux du XIIIème siècle au gouvernement central de l’Eglise romaine a eu pour contrepartie les très longues vacances du siège pontifical, du fait des dissensions internes du sacré collège, nouvelle épreuve pour l’Eglise en lieu et place des schismes des des XIe et XIIe siècles.
Lignes 18-19, cf. supra note 382.
Citée par cet auteur dans La naissance du Purgatoire... op. cit., p. 379-380: « Puisque les Grecs eux-mêmes, dit-on, croient et professent vraiment et sans hésitation que les âmes de ceux qui meurent ayant reçu la pénitence sans avoir eu le temps de l’accomplir ou qui décèdent sans péché mortel, mais coupables de (péchés) véniels ou de fautes minimes, sont purgées après la mort et peuvent être aidées par les suffrages de l’Eglise, nous considérant que les Grecs affirment ne trouver chez leurs docteurs aucun nom propre et certain pour désigner le lieu de cette purgation, et que, d’autre part, d’après les traditions et les autorités des saints Pères, ce nom est le Purgatoire, nous voulons qu’à l’avenir cette expression soit reçue également par eux ».
C’est le sens de l’interprétation sur le nomd’Alexandre IV.
Cf. J. Le Goff, La naissance... op. cit., p. 319 s., en particulier à propos de Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris quand Eudes y enseignait la théologie: sa conception du Purgatoire est celle principalement d’un lieu où se poursuit la pénitence terrestre. En revanche, les formulations neuves des grands docteurs Mendiants (Albert le Grand, Bonaventure, Thomas d’Aquin), ne sont pas antérieures au milieu des années 1240. Qu’Eudes de Châteauroux s’avère sur ce plan comme sur d’autres conservateur, plus exactement de l’école de Pierre le Chantre (cf. Ibidem, p. 224 s.), n’a rien pour surprendre. Mais il convient de noter son éloignement de la tendance qui prévaudra dans la pastorale de la seconde moitié du XIIIe siècle, que J. Le Goff a judicieusement nommée « l’infernalisation du purgatoire ».
Voir G. Dahan, L’exégèse chrétienne... op. cit., p. 314 s.
Lignes 21-24: « Par Simon, sont désignés notre seigneur le souverain pontife qui règne à présent, et tous ceux qui, par leurs prières, leurs larmes, leurs gémissements et leurs aumônes, leurs oblations à la messe, et tous les autres genres de suffrages, offrent aux âmes de ceux qui leur sont chers et de leurs ancêtres, qui peinent au Purgatoire, le repos, le rafraîchissement [refrigerium] et la libération ».
Cf. J. Le Goff, La naissance... op. cit., passim.
Cf. J. Le Goff, Ibidem,tout le chapitre intitulé: La mise en ordre scolastique, p. 319-386.
Cf. R. Lerner, Refrigerio... tempo... art. cit., passim.
Sur la dimension individuelle de la dévotion, avec une allusion au deuil, cf. ligne 99: « Simon s’interprète: « qui entend le deuil »; il signifie ceux qui écoutent et sont attentifs à la plante des êtres chers séjournant au purgatoire »; lignes 104-106: « De tels hommes n’entendent pas le dueil des êtrees chers qui séjournent au purgatoire; mais ceux-là, qui prient pour eux, leur offrent le sacrifice eucharistique, font de larges aumônes pour eux, sont de véritables Simon » (sur l’expression du deuil dans la société médiévale, cf. D. Alexandre-Bidon, Gestes et expressions du deuil, dans A réveiller les morts. La mort au quotidien dans l’Occident médiéval, Lyon, 1993, p. 121-133). De telles considérations introduisent à l’arithmétique ou à la comptabilité du purgatoire, ainsi aux lignes 68-74: « Dans le champ de Magedon, qui s’interprète « [champ] des pommes », c’est à dire vaste espace des fruits, acr ce qu’il pourraient peut-être annuler par un seul jour de pénitence, là-bas [au Purgatoire] ils le pleureront peut-être toute une année, comme il arriva aux fils d’Israël, à qui il fut donné, pour un jour, une année, et pour quarante jours, quarante années (cf. Nombres, 14, 34) ». Ces aspects ont été mis en valeur dans l’ouvrage classique de J. Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà... op. cit.; voir à présent, M. Lauwers, La mémoire des ancêtres... op. cit., p. 335-405, en particulier p. 402 sur les lieux de l’au-delà.J’ajoute que ce type de dévotion repose sur la fréquentation des lieux de culte, donc l’enracinement des Ordres dans le réseau concret, particulièrement urbain, de la pastorale. Eu égard à la grande controverse avec les Séculiers, l’option « finimondiste », qui préfigure l’isolement ecclésiologique des Spirituels, constituait une erreur stratégique. On pourrait appliquer à ce groupe joachimite l’appréciation qu’A. Vauchez, à la suite des travaux de G. G. Merlo, porte sur les Cathares: il « allait à contre-courant des tendances générales de l’évolution: il devenait de plus en plus difficile de croire, dans une société en pleine croissance..., que le monde d’ici-bas appartenait au royaume de Satan » (dans Histoire du Christianisme, t. V: Apogée... op. cit., p. 831). On peut certes objecter que précisément, l’enjeu nouveau réintroduit par le Joachimisme résidait dans la promesse d’un sabbat terrestre; mais bref, si l’on ne choisissait pas l’option millénariste radicale; et celui-ci était trop bref, en comparaison de l’éternité de la vision béatifique.
L’opposition entre ce dogme et la croyance en un refrigeriumterrestre, réservé chez la plupart des chiliastes à une élite de saints (chez les Joachimites, aux contemplatifs de l’Ordre providentiellement institué autour de 1200), est patente: dans cette dernière optique, il convient de se séparer de l’Eglise militante; la médiation n’est donc plus cléricale et le bénéficiaire devient en quelque sorte prédestiné; l’effort individuel du Chrétien, dans son comportement quotidien, ne sert plus de rien; bref, deux logiques systémiques incompatibles.
Lignes 78-79.
Lignes 90-94.
Voir l’analyse du SERMO n° 18 supra; et, sur le recours croissant aux médecins, particulièrement chez Innocent IV, cf. A., Il corpo... op. cit., p. 284-305; l’Indice delle cose notevole, s.v. » prolongatio vitæ », p. 380. Voir aussi les commentaires qu’A. Paravicini-Bagliani consacre aux SERMONES 18 et 22 dans la version française de son ouvrage, Le corps du pape... op. cit., Postface à l’édition française,p. 264.
G. Dahan, L’exégèse chrétienne... op. cit., p. 31. Ces deux aspects contradictoires de l’exégèse médiévale, où l’auteur se soumet tout entier à son texte, afin d’en atteindre l’intelligence sous l’influence de l’Esprit, mais l’assume en même temps comme extérieur à lui-même, objet d’investigations scientifiques, sont nommées par l’auteur, respectivement, « exégèse confessante » et « exégèse savante ».
Ce fait a été particulièrement noté par A. Paravicini-Bagliani, Postface à l’éd. française citée, Le corps du pape, p. 265.