c) Continuité et discontinuité historique de la figure du grand-prêtre: Aaron, Melchisedech, saint Silvestre et le Christ

Dans ces SERMONES, là encore à la façon d’Innocent III, mais aussi d’Innocent IV ou d’Hostiensis, pour citer deux prélats que le cardinal a bien connus, l’orateur recourt très fréquemment à des parallèles entre Ancien et Nouveau Testament, à propos de la figure du grand-prêtre et de celle du pape. Cela correspond à un phénomène déjà vu, propre à l’exégèse chrétienne: la recherche de correspondances entre les deux Testaments, pour trouver des antécédents historiques, littéraux, aux personnages et institutions de la nouvelle loi. Mais dans ce cadre, un bon exégète doit conserver de la mesure, s’il veut éviter de verser dans la concordance de type joachimien. Les institutions et l’histoire d’Israël, si annonciateurs puissent-ils paraître, signifient une rupture radicale, tout autant que la continuité d’un « peuple saint » à l’autre. Cette rupture, c’est le Christ, et tout le sens de l’exégèse, du saut herméneutique de la lettre à l’Esprit, consiste à éclairer le sens « mystérial » de sa venue, de sa passion et de sa résurrection 1843 .

Parmi les prophètes et les grands prêtres qu’évoque Eudes de Châteauroux, on trouve d’abord, en termes de fréquence, Moïse, son frère Aaron, et la descendance de ce dernier. Melchisedech, type emblématique du cumul des deux dignités, royale et sacerdotale, chez Innocent III et la plupart des théocrates du XIIIe siècle, n’est certes pas oublié, mais il se tient à l’arrière-plan; je pense que ce n’est pas un hasard 1844 . Aaron et Melchisedech sont associés dans le SERMO n° 26, l’orateur indiquant que c’est à eux que se rapporte le thème biblique de son sermon 1845 . On retouve Melchisedech deux autres fois, dans les SERMONES n° 26 et 27, par le biais de la citation caractéristique, déjà signalée, de Ps. 109, 4 = Hb. 5, 6: « prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisedech » 1846 . Par contre, Aaron et sa famille reviennent à plusieurs reprises: le frère de Moïse est présenté en compagnie de ce dernier dans un passage très important du SERMO n° 30: l’orateur montre qu’ « au temps d’Aaron, la totalité du gouvernement du peuple résidait en Moïse et Aaron, qui ne faisaient qu’un dans leur fonction, s’ils étaient deux personnes en substance » 1847 , car Moïse fut aussi prêtre, procédant à l’onction des fils d’Aaron, « tâche qui relevait uniquement de la fonction du grand prêtre » 1848 . « Aaron avait en charge les affaires regardant Dieu, non celles regardant le peuple; pourtant, non seulement Moïse offrait des sacrifices à Dieu, et sollicitait son oracle, mais semblablement, il promulguait au peuple lois et jugements; chacun d’eux exerçait la fonction de roi et de prêtre, et en cela ils ne faisaient qu’un » 1849 . Aaron est à nouveau pris en exemple dans le SERMO n° 29 pour la fête de saint Thomas Becket, lorsqu’il s’agit d’évoquer l’onction 1850 . Mais en outre, l’histoire de la suprême dignité sacerdotale et de ses avatars dans l’Ancien Testament est largement liée à la descendance d’Aaron. Ses fils Eleazar et Ithamar sont tous deux cités, dans le SERMO n° 26, comme ayant recueilli en héritage sa fonction; c’est l’occasion pour Eudes de Châteauroux d’insister sur le caractère charnel de cette dignité sous l’ancienne loi, puisqu’il précise qu’elle fut transférée au temps de Salomon, par la volonté de Dieu, de la maison d’Eleazar à celle d’Ithamar, du fait que les premiers abusaient des pouvoirs que leur conférait leur statut 1851 . Le petit-fils d’Aaron, Pinhas, est loué au SERMO n° 27 pour avoir vengé l’honneur de Dieu en transperçant d’un coup de pique l’Hébreu qui avait amené au camp israëlite une Madianite, et forniquait avec elle au vu et su de tous 1852 .

Un autre personnage, prophète et juge, joue un rôle fondamental dans ces sermons, comme figure vétéro-testamentaire du souverain pontife cumulant la double fonction de prêtre et de roi: il s’agit de Samuel 1853 , celui qui a procuré à Saul l’onction et ainsi créé, sur l’ordre de Dieu, le premier roi d’Israël. L’orateur fait allusion à cet épisode fondateur dans le SERMO n° 29 pour la fête de saint Thomas Becket 1854 . Surtout, il en fait le protagoniste principal, en termes allégoriques, du sacre de Charles d’Anjou comme roi de Sicile dans le SERMO n° 31: la scène de l’onction de David est présentée comme « une parabole du temps présent », c’est à dire du sacre de Charles, dès le début du sermon; et toute la troisième partie du discours reprend cette allégorie 1855 . Il est facile d’en saisir l’enjeu. D’abord, la tradition exégétique arguë en général du choix de Saul puis de David par Samuel, que guide l’Eternel, pour prouver que le sacerdoce a précédé le royaume dans l’Ancien Testament, et en tirer argument dans la controverse avec les pouvoirs séculiers 1856 . Ensuite, cette conviction est renforcée par la référence à l’onction de David. Elle permet de montrer que c’est bien le sacerdoce, interprète des desseins divins, qui fait et défait les rois, fonctionnant ainsi comme un avertissement à Charles. Elle rattache allégoriquement ce dernier, « christ » car oint, et descendant de Charlemagne « de la maison de Jessé » 1857 , à la maison de David, c’est à dire celle du Christ, en jouant des prophéties messianiques regardant le Roi des rois, où les exégètes lisaient traditionnellement la manifestation de sa royauté terrestre consécutive à l’Incarnation. Toutefois, l’exercice eût été périlleux, sans la précaution préalable qui consiste à soumettre, théologiquement et rituellement, le roi de Sicile au pape 1858 .

On complétera ce tour d’horizon des grands prêtres de l’Ancien Testament, convoqués par le cardinal à l’appui de sa démonstration, par les types d’Eliakim et de Simon, fils d’Onias, respectivement mentionnés par les SERMONES n° 26 et 30. Eliakim est celui dont le prophète Isaïe, figurant la fonction à venir du pape, a dit que « le sort du monde tout entier »  dépendait de lui 1859 ; Simon fils d’Onias rétablit, au temps des Maccabées, la dignité du service divin et le rang politique d’Israël, s’attirant un vibrant éloge de l’Ecclésiastique 1860 . Ajoutons que le même système permet d’évoquer le rôle des cardinaux, comme c’était déjà le cas dans le SERMO n° 24, lorsque l’orateur, à propos de Moïse implorant Dieu de lui révéler son successeur, attaquait vigoureusement la succession charnelle au profit de celle, spirituelle, qui devait présider à l’élection du pape. Ici, cette idée se retrouve sous deux formes différentes. Le système de succession à la prêtrise suprême dans l’Ancien Testament, purement charnel, révèle clairement ses défauts, à travers les transferts de la dignité d’une maison sacerdotale à l’autre, illustrés par les exemples d’Eleazar, d’Ithamar et de Pinhas. A contrario, la nécessité de procéder à l’élection du pape idoine dans des dispositions spirtuelles appropriées est rappelée par l’exemple de Beçaléel et Oholiab, artisans de la fabrication et de la décoration dans le désert de la Tente de la Rencontre, abritant l’Arche d’alliance et les Tables du Décalogue 1861 .

C’est dans ce cadre général que la personnalité et le rôle historique du pape Silvestre prennent place. Il est « véritable roi et prêtre » à l’image de certains grands prêtres de l’Ancien testament; mais tout autant à l’image de celui dont il fut le vicaire, le Christ 1862 . C’est dans ces conditions que les successeurs de Silvestre peuvent se dire eux aussi rois et prêtres, et prétendre cumuler les qualités exigées des uns et des autres, en tant que bon souverain (faire bonne justice, être miséricordieux, défendre l’Eglise), et bon pasteur (le sens du sacré, l’humilité, le zèle pastoral, mis en œuvre par la doctrine comme l’exemple) 1863 .

Comparé aux grands prêtres de l’Ancien Testament, Silvestre a fait mieux qu’eux, mieux même que Simon au temps des Maccabées. S’il a réellement cumulé les deux dignités, et les a exercées directement, sans médiation, pour reprendre le vocabulaire des canonistes, il s’est rapidement défait du pouvoir du glaive, qu’il a décidé de remettre à l’empereur. Ne conservant que l’auctoritas, il instituait ainsi le principe « gélasien » des deux pouvoirs coopérant, dans la soumission du glaive au sacerdoce, à la défense de la Chrétienté 1864 . Malheureusement, ses successeurs sont loin de s’être toujours montrés à la hauteur. Déjà Innocent III, dans son sermon sur saint Silvestre, le disait de façon générale à propos des prélats, qui abusent du pouvoir que leur confère leur dignité, et ne possédent pas les mérites de la sainteté, donc ne se montrent d’aucune utilité pour leurs ouailles: « Malheureusement, combien aujourd’hui se comportent ainsi dans l’Eglise, placés au sommet, mais vils du point de vue des mérites, et comme tels inutiles aux autres » 1865 . Eudes de Châteauroux suit là encore son modèle, mais, comme de coutume, témoigne d’une grande capacité d’adaptation aux circonstances précises de son propre sermon: « Il est stupéfiant et lamentable de constater que parfois, on trouve chez nous les défauts du lion comme ceux du prêtre, à ne pas même distinguer la trace d’actions méritoires » 1866 .

Silvestre avait un inspirateur et un modèle, le Christ 1867 , qui lui aussi s’était défait du pouvoir temporel. Cette conception de la royauté christique a reçu un renfort de poids au XIIIe siècle, avec le développement de la spiritualité des frères mendiants, qui insiste sur le renoncement volontaire du Christ, dès l’origine, à l’exercice du pouvoir temporel, pour mieux souligner le contraste que son humble pauvreté humaine forme avec sa terrible majesté divine, sa royauté sotériologique, qui reviendra s’exercer dans sa plénitude à la fin des temps 1868 . Il n’est pas étonnant de voir le cardinal Eudes de Châteauroux, si proche d’eux, leur emboiter le pas. En cela qu’il cumula temporairement les deux pouvoirs, Silvestre fut donc un pape unique, différent des autres papes ses successeurs, presqu’à l’image et à la ressemblance de Dieu, puisque même Pierre n’avait pas cumulé les deux pouvoirs 1869 . Dans la succession apostolique, il représente un apax, dont il convient d’expliquer brièvement le statut singulier, en regardant de près le récit que donne le cardinal de son rôle historique dans le plan de salut divin.

Le plan de Dieu, tel que le présente Eudes de Châteauroux, est assez simple. Les hommes de ce temps avaient besoin de miracles, puisque:

‘« Depuis le temps du Christ jusqu’à celui de saint Silvestre, l’hiver de la persécutiion sévit, au point que la terre, c’est à dire les cœurs des hommes, n’étaient pas labourables, qu’il était impossible de les entailler par le soc de la prédication ni d’y semer la parole de Dieu, à cause de la peur suscitée par les tyrans et la menace des tempêtes de la persécution [...]. Ainsi, les cœurs des hommes, qui sont facilement impressionnés par la persécution, se durcirent dans l’infidélité, au point de repousser toute inculcation de la doctrine. De même que le cristal refuse toute impression, si l’on ne s’y prend pas violemment, de même il a fallu imprimer dans le cœur des hommes la foi dans le Christ, en quelque sorte par la violence, c’est à dire les miracles [...] Les miracles en effet forçaient de quelque manière les cœurs des hommes à la croyance, en leur infligeant une sorte de violence [...] A cause de ces persécutions en sens contraire, merveilleuses et fréquentes, infligées par Dieu aux croyants, les cœurs des incrédules furent refroidis vis-à-vis de l’amour des Dieu, et endurcis dans l’incroyance, au point de se transformer en cristal. Et ainsi les paroles de la prédication ne pouvaient s’imprimer en eux, si ce n’est par la violence des miracles, comme on l’a dit plus haut » 1870 .’

De même le SERMO n° 30, s’il n’est pas aussi net sur la nature et sur le sens des miracles qui se produisaient dans l’Eglise ancienne, présente, de façon non équivoque, l’ensemble de la maladie, puis de la guérison et de la conversion de Constantin, comme un miracle. Entièrement agencé par Dieu et responsable de l’instauration d’un Empire chrétien 1871 , il met en quelque sorte l’histoire de la monarchie séculière en conformité avec les implications que la révélation de la royauté christique requéraient, en instaurant une coopération étroite des deux pouvoirs, temporel et spirituel:

‘« Saint Silvestre fut vraiment le grand prêtre, qui soigna son peuple 1872 . Cela se produisit lorsque par son ministère, et afin de démontrer les vertus du baptême, le Seigneur lava le roi Constantin 1873 de la lèpre corporelle en le plongeant dans l’eau pour qu’il fût baptisé; et par conséquent purifia son peuple, c’est à dire le peuple romain et les nations qui lui étaient soumises, de la lèpre de l’idolâtrie. De même en effet que lorsque Naamân, lavé sept fois dans le Jourdain, fut purifié de la lèpre, fut signifié le fait que par le baptême, les nations étrangères étaient lavées par Dieu de leurs péchés - car le Seigneur fut baptisé dans le Jourdain, et cet acte procura aux eaux leur force régénratrice -, de même, par le fait que Constantin, plongé dans l’eau du baptistère, fut guéri de la lèpre, il fit connnaître la vertu du baptême aux nations qui, abandonnant l’idolâtrie, se précipitèrent vers la grâce de ce sacrement » 1874 .’

Ce n’est donc pas Constantin, mais Dieu lui-même qui choisit ce moment, et porte son dévolu sur le souverain pontife Silvestre, pour refondre l’agencement des relations entre les deux pouvoirs. Le fonctionnement concret de ce dualisme peut bien demeurer incertain, au moins plus personne ne peut désormais méconnaître d’où les Princes tirent leur légitmité; ni les papes, pour leur part, oublier qu’à peine les deux pouvoirs réunis en lui, Silvestre en a délégué un, le glaive, au bras séculier. Le caractère miraculeux de l’épisode, inaugurant une autre phase de l’histoire de l’Eglise militante, est encore souligné par la suite du SERMO n° 30, dont les deux dernières parties sont consacrées à l’éradication du paganisme, et à l’instauration de la primauté romaine en matière religieuse 1875 . Telle est la conclusion de toutes ces considérations sur l’aspect unique du souverain pontificat de Silvestre, où est clairement définie la plenitudo potestatisdu pape, et où il est confirmé qu’elle concerne d’abord l’Eglise:

‘« Qui imposa la pééminence de la Ville 1876 : afin que celle-ci, qui disposait de la juridiction temporelle la plus étendue, recueillît aussi la juridiction spirituelle, et de façon infiniment plus étendue. La juridiction temporelle ne touchait qu’aux affaires temporelles, et ne s’exerçait que sur la terre. Mais la juridiction spirituelle est au-dessus de la temporelle, et s’étend jusqu’au ciel » 1877 .’

Suivent l’une des citations classiques de la commission pétrine 1878 , puis des développements féroces contre les cardinaux qui mènent entre eux une véritable guerre, dont se plaint le peuple romain 1879 ; j’y reviendrai sous peu.

Cette appréciation du rôle des miracles dans la conversion me paraît significative. En les qualifiant de « violences » faites au cœur des hommes endurcis dans l’incroyance, l’orateur les déprécie d’une certaine manière, ou du moins les situe dans l’histoire de l’Eglise, et par là-même, considère ce moment comme dépassé. La même idée revient, sous des formes différentes mais sur un fond de signification identique, dans l’appréciation qu’il porte sur les miracles comme modèle de sainteté des personnages dont il traite le dossier de canonisation 1880 . Là aussi, Eudes de Châteauroux désigne clairement le mode d’inculcation de la foi qui provoque la véritable conversion: la réception des sacrements et la prédication du verbe divin, de la doctrine. La suite du sermon, où Augustin est appelé à la rescousse de l’idée que la foi ne peut résulter d’une conversion forcée, et où la contrainte sur ce plan est jugée comme une force efficiente, non suffisante 1881 , renchérit sur ce thème. Bref, le patient travail d’évangélisation par la parole est implicitement jugé supérieur dans ses effets à celui des miracles, confirmant une tendance pastorale que toute son œuvre illustre.

Théologiquement, seul le Christ, à la fois Dieu et homme, réunit pour les siècles des siècles les deux usages de la royauté. Dieu rappelle, mais brièvement, en Silvestre cette seule véritable monarchie, assumée au quotidien par son vicaire le pape. S’il retire à ce dernier, juste après le lui avoir conféré, l’usage du glaive matériel, c’est qu’une tentation, jamais explicitement nommée ici, mais dont on a vu le poids chez Eudes de Châteauroux, et plus généralement depuis le début du XIIIe siècle, guette le souverain pontife: oublier qu’il n’est qu’un homme et qu’il ne peut notamment, malgré son titre de vicaire du Christ, échapper à la mort. Dans la double titulature qu’Innocent III impose pour désigner le pape, successeur de Pierre et vicaire du Christ 1882 , il me semble que le vicariat du Christ fait référence à cette unique monarchie dont le Christ fut l’instaurateur, au sens exact du terme, révèlant que tout pouvoir ici-bas est d’origine divine; tandis que le titre de successeur de Pierre insiste au contraire sur le caractère historique du souverain pontificat, puisque son tiutlaire n’est et ne sera jamais qu’un homme transitoire, voué à la caducité. Que la tentation d’oublier sa condition humaine, et par-là même la véritable origine de sa monarchie, ait existé pour « le grand prêtre », l’exemple d’Innocent IV le prouve aisément, et plus encore, à la fin du siècle, celui de Boniface VIII.

Car fondamentalement l’Eglise, instituée par le Christ mais faite d’hommes, est dans le temps 1883 . Il en découle deux autres thèmes essentiels de ce groupe de sermons: les papes meurent, et plus encore que les autres prêtres, ils doivent avoir cela à l’esprit; de mauvais prêtres, qui n’ont que l’apparence de la sainteté, mais sont tout happés par la soif de la puissance et des richesses, gouvernent mal l’Eglise. La conduite de certains cardinaux à cette époque est alors l’objet de critiques encore plus dures et moins voilées, où de nouveaux les grands nobles romains, les clans des Annibaldi et des Orsini, sont épinglés, ainsi que, dans le SERMO n° 29 sur saint Thomas Becket, le cardinal cistercien d’origine anglaise Jean de Tolède.

Notes
1843.

Ibidem, p. 318-319: « On dit quelquefois que pour bien comprendre la révélation biblique il faut avoir quelque sens de l’histoire, quelque sens de l’évolution, c’est à dire de la continuité de l’oeuvre de Dieu dans le temps, continuité ininterrompue d’un développement historique homogène. Rien de plus juste, du moment que l’on ne méconnaît pas dans cette continuité même et dans cette évolution ‘le caractère de création perpétuelle de l’histoire... où c’est Dieu qui agit’ [citation de L. Bouyer, p. 318 note 2]... Mais en même temps, rien de plus incomplet. L’histoire de la révélation offre aussi le spectacle d’une discontinuité sans égale, qui rend irremplaçable, prise en sa plus profonde essence, l’idée traditionnelle de l’allégorie... Mais en un autre sens, la rupture est radicale, L’alliance nouvelle n’est pas comme l’alliance ancienne... Dieu sera désormais en Jésus-Christ, partout... Hors de mesure avec la ‘création perpétuelle’ qu’on pouvait observer jusque-là est la ‘nouvelle création’ qui l’achève ».

1844.

Sur ce rôle de Melchisedech roi et prêtre, type de la théocratie dans l’Ancien Testament, et plus généralement sur le lien entre grand prêtre et pape, donc la continuité historique entre les deux Testaments, cf. J. Leclerq, L’idée de la royauté... op. cit., p. 43-44: l’auteur renvoie, parmi les contemporains d’Eudes de Châteauroux, à Robert Grossesteste; on peut ajouter Innocent III, cf. J. A Watt, The Theory... art. cit., p. 216 et note 7, p. 218, p. 222; Innocent IV, Ibidem, p. 244-245, p. 248; Hostiensis, p. 234-235 note 48, p. 246 note 23, p. 256. Voir aussi Y. Congar, L’Eglise... op. cit., p. 194-195; K. Pennington, Pope Innocent III’s Views... art. cit.; R. Lerner, Gioacchino da Fiore come legame fra San Bernardo e Innocenzo III sul significato simbolico di Melchisedek, dans Refrigerio dei santi: Gioacchino... op. cit., p. 137-143, ici p. 137-138. J’explique plus loin cette relative mise à l’écart de Melchisedech.

1845.

Lignes 13-14; thème tiré d’Hb. 7, 23: « Beaucoup sont devenus prêtres, parce que la mort les empêchait de durer... ».

1846.

SERMO n° 26: ligne 97; SERMO n° 27, lignes 109-110.

1847.

Lignes 14-16.

1848.

Lignes 16-19.

1849.

Lignes 19-22.

1850.

Lignes 27-29.

1851.

Lignes 89-91; je n’ai pas trouvé la référence précise à cet épisode du transfert « collatéral » du sacerdoce de la famille d'Eléazar à celle d'Itamar, tous deux fils d'Aaron (cf. Ex. 28, 1), à l'époque de Salomon, car il semble en fait qu'Eudes se soit trompé en inversant les deux personnages. I Rg. 2, 26-27, raconte en effet la destitution par Salomon d'Ebyatar, réputé de la famille sacerdotale d'Itamar, cela conformément au fameux oracle contre la maison d'Elie (1 Rg. 2, 27-36); le même oracle au verset 35 a été interprété comme annonçant la substitution de la famille de Sadoq à celle d'Itamar, et son institution comme seule maison sacerdotale légitime, ce qu'accomplit Salomon en 1Rg. 2, 35; or Sadoq a été rattaché artificiellement à Eleazar par le Chroniste (1 Par. 24, 3), qui précise que dès le temps de David, les fils d'Eleazar avaient plus de prêtres que ceux d'Itamar (1 Par. 24, 4 sq). Cette « erreur » est confirmée par un passage du SERMO n° 27 (lignes 19-23), conforme à ce que dit la Bible: à propos d’un autre grand-prêtre, Pinhas fils d’Eleazar et petit-fils d’Aaron, l’orateur, citant Nm. 25, 11-12, explique que sa maison a bénéficié de l’oracle contra celle d’Elie, son descendant Sadoq recueillant la dignité de grand prêtre au détriment d’Ebyatar. Cette contradiction prouve que le cardinal citait l'Ancien Testament de mémoire, et que dans certains cas, elle pouvait le trahir dans le détail; quant à la valeur de fond de la comparaison ici utilisée, opposant le caractère charnel du sacerdoce sous l'ancienne loi, à sa nature spirituelle sous l'Evangile, cette erreur n'a pas grande conséquence.

1852.

Voir note précédente sur Pinhas; son geste est évoqué par le cardinal aux lignes 157-159 du SERMO n° 27.

1853.

SERMO n° 30, lignes 25-28.

1854.

Lignes 19-21 et 22-25.

1855.

Lignes 4-6; lignes 45-52.

1856.

Cf. Y. M.-J. Congar, L’Eglise... op. cit., p. 194 et note 7: l’auteur se réfère à Innocent III et cite le sermon de ce dernier sur saint Silvestre; le pape emploie un peu différemment d’Eudes de Châteauroux cet argument (voir l’ éd. cit.supra, col. 481D: « Sacerdotium enim in populo Dei regnum praecessit, cum Aaron priùuùm pontifex Saulem primum regem praecesserit; Noe quoque Nemroth... »), mais cela s’explique fort bien en fonction du contexte où ce dernier s’inscrit, le sacre de Charles d’Anjou.

1857.

SERMO n° 31, lignes 5 et 12.

1858.

Sur le rôle des prophéties messianiques comme manifestation de la royauté du Christ, cf. J. Leclerq, L’idée de la royauté... op. cit., p. 18, et surtout p. 42-43.

1859.

SERMO n° 26, lignes 104-106.

1860.

SERMO n° 30, lignes 11-14 et 26-28; pour l’évocation d’Eliakim par le livre de l’Ecclésiastique, cf. Eccli. 50, 1-21.

1861.

SERMO n° 26, lignes 107-113.

1862.

Voir le SERMO n° 27, lignes 108-113; j’ai traduit ce passage plus haut.

1863.

Ibidem, lignes 123-124, et lignes 133-134 sur les qualités, celles du roi et celles du prêtre, qu’une telle prétention exige le titulaire du titre papal à cumuler.

1864.

Voir le SERMO n° 30, lignes 29-54; j’ai traduit ce passage plus haut.

1865.

Voir l’ éd. cit.supra, col. 481B; cet enchaînement du pape est lié à la façon dont il a structuré le plan de son sermon (col. 481A): « Tria nobis in verbis propositis circa beatum Siluestrum praecipue commendantur, dignitas, sanctitas, et utilitas ».

1866.

SERMO n° 27, lignes 139-140: l’attaque vise de toute évidence les cardinaux, c’est ainsi que je comprends le « nous »; les qualités, et inversement les défauts du lion, caractérisent l’exercice du pouvoir séculier; les qualités et les défauts du pasteur celui du pouvoir sacerdotal; le pape doit possèder les deux (lignes 126-140).

1867.

C’est bien Dieu qui dans les deux SERMONES n° 27 et 30 agit dans l’histoire: provoquant la maladie puis la conversion de Contantin, donc la Donation et l’institution de la primauté romaine, voir plus loin.

1868.

Cf. J. Leclerq, L’idée de la royauté... op. cit., p. 44-46, et p. 37-39 sur les conceptions des Mendiants; à la lumière de cette conception de la royauté du Christ, on comprend mieux comment la pensée d’Innocent IV, certes pénétrée des exemples vétéro-testamentaires, mais mis au servicxe du droit canon, en différait (cf. Y. M.-J. Congar, L’Eglise... op. cit., p. 258: « Il y a tout de même, dans la pensée du pape [Innocent IV], un germe de hiérocratie: il se dit vicaire du Christ en tant que le Christ, Fils de Dieu, possède éternellement le pouvoir sur les rois. Il y a là un manque évident de sens eschatologique et de l’Economie salutaire »); et l’on saisit en perspective le sens du jugement sévère formulé sur lui par le cardinal Eudes de Châteauroux dans son SERMO n° 18; peut-être même comprend-on ce qui l’a progressivement éloigné des Mendiants, bras armé de la plenitudo potestatis , à compter des années 1252-1253 (voir le chapitre IV).

1869.

SERMO n° 30, lignes 34-36.

1870.

SERMO n° 27, lignes 23-44.

1871.

L’orateur s’inspire de près de la Donation (éd. cit. H. Fuhrmann, p. 67-77).

1872.

Eccli. 50, 1 et 4.

1873.

On notera cette apellation de « roi », évidemment point fortuite quelques jours avant le sacre de Charles d’Anjou.

1874.

SERMO n° 30; lignes 79-88.

1875.

Troisième partie: lignes 109-124; quatrième partie: lignes 125-138.

1876.

Eccli. 50, 5.

1877.

Lignes 125-128.

1878.

Mt. 16, 19.

1879.

Lignes 130-138.

1880.

Voir au chapitre suivant l’analyse des SERMONES n° 25 et 35 à 37 sur Richard de Chichester et Hedwige de Silésie.

1881.

Lignes 35-44.

1882.

Cf. M. Macarronne, Storia del titolo... op. cit., p. 109-118.

1883.

Cf. J. Leclerq, L’idée de royauté... op. cit., p. 24: « Dans l’enseignement commun et ordinaire, en-dehors des dites controverses [ celles sur la pauvreté du Christ et sa renonciation au dominium ; celle sur les rapports du temporel et du spirituel],les textes particuliers... sont considérés comme s’insérant dans une vaste conception de l’histoire du salut. Cette vue évolutive permet à plusieurs de montrer, dans la division des pouvoirs temporel et spirituel, le signe que l’Eglise est encore dans le temps »; et p. 50: « Dans la phase actuelle de l’évolution du salut, le royaume de Dieu et de son Christ n’est réalisé que d’une manière cahée, sacramentelle. La théocratie n’est pas réalisée dans sa plénitude. L’Eglise doit lutter sans cesse pour éviter d’être méconnue. Tant que subsistera la distinction des deux pouvoirs, telle que l’a instituée le Christ, l’Eglise sera militante ».