CHAPITRE VI - L’EXPERIENCE DU GOUVERNEMENT CENTRAL DE L’EGLISE ROMAINE (1262-1273)

Plongé durant plus de dix années dans la réflexion concernant les rapports de l’Eglise et de l’Etat, Eudes de Châteauroux a conçu en ces circonstances une configuration nouvelle de la théocratie, et son projet a connu, nous l’avons vu, une première ébauche de mise en œuvre concrète, servie à la fois par la volonté des papes, au-delà de leurs individualités particulières, et par les ambitions et l’intelligence politique d’un rameau de la dynastie capétienne.

S’en tenir à cette analyse gauchirait le sens de sa carrière dans l’Eglise. Car Eudes de Châteauroux est, d’abord, un prélat, qui se fait une très haute idée de ses responsabilités pastorales. Il a donc paru nécessaire de privilégier ici l’observation de cette action du cardinal, dans les conditions spécifiques de sa position. Si la conception d’une participation collective des cardinaux à l’exercice du gouvernement pontifical interdit de les spécialiser a priori, il est évident que l’expérience et les compétences acquises antérieurement par chacun d’entre eux ont fortement déterminé les modalités concrètes de leur engagement dans les affaires religieuses de la Curie 2187 .

Compte-tenu du profil spécifique d’Eudes de Châteauroux, deux domaines, celui de la promotion de la sainteté, et celui des soins dûs aux défunts, ont retenu l’attention. Le premier, par l’entremise des canonisations, est devenu, depuis le début du XIIIe siècle, sous l’impulsion d’Innocent III, le monopole de l’Eglise romaine 2188 . Le second a suscité l’émergence d’une catégorie nouvelle dans le prédication de casibus, celle des sermons funèbres et mémoriaux 2189 . Si ces deux champs de la pastorale de l’Eglise constituent depuis fort longtemps des préoccupations majeures au sein de l’institution ecclésiale, ils ont pris un relief nouveau au XIIIe siècle. A cela s’ajoute l’attention jamais démentie d’Eudes de Châteauroux pour le versant proprement oratoire de son activité pastorale, sur lequel il conviendra de revenit à la fin de ce chapitre, en récapitulant les modalités d’édition, par ses soins, de ses collections de sermons.

Notes
2187.

Sur le milieu curial dans sa globalité, voir en dernier lieu A. Paravicini-Bagliani, La cour des papes... op. cit., passim. Pour le rôle spécifique du collège des cardinaux au XIIIe siècle, voir G. Alberigo, Cardinalato e collegialità... op. cit., p. 72-109. Une illustration de leur rôle croissant est fournie par les pouvoirs spécifiques qu’ils exercent durant la vacance du siège de Pierre, f. F. Iozzelli, Odo da Châteauroux... op. cit., p. 127-144, avec toute la bibliographie générale sur les aspects théoriques, c’est à dire canoniques, de cette question. L’auteur montre qu’en comparant formules du droit de l’Eglise, et gloses des canonistes, à l’action gouvernementale concrète des cardinaux durant le conclave de Viterbe, du moins telle que la révèlent les sermons d’Eudes de Châteauroux, il y a adéquation entre théorie et pratique; il examine pour cela trois points: la validation des élections archiépiscopales, le secours à la Terre sainte, et le problème de l’union entre les Eglises latine et grecque. On doit préciser que le sacré collège, sans le pape, n’est cependant pas l’équivalent du corps doté de son caput , thème qu’Hostiensis, lui-même participant au conclave, traite dans son commentaire ou Apparatusaux Décrétales, cf. J. A. Watt, The constitutional Law... art. cit., avec une anthologie des textes d’Hostiensis sur la question, p. 151-157.

2188.

Cf. A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 25-67.

2189.

Cf. D. L. D’Avray, Death of the Prince... op. cit., passim ; sur le souci des défunts au XIIIe siècle, M. Lauwers, La mémoire des ancêtres... op. cit., p. 335-497.