Dans le manuscrit où on lit le SERMO n° 25, la rubrique manque, laissée en attente; mais en marge, à la mine de plomb, « De sancto Richardo » est ajouté 2202 . Et le début du texte ôte toute équivoque. Après le thème biblique, « Sachez que pour son saint, le Seigneur fait merveille; le Seigneur écoutera quand j’aurai crié vers lui », précisé par le recours à la lettre hébraïque: « Et connaissez les miracles que le Seigneurmontre à travers son saint » 2203 , l’orateur commence ainsi son sermon: « Bien que ces mots s’appliquent d’abord et principalement et premièrement au Christ, ils peuvent aussi s’entendre, certes non de façon aussi adéquate, de saint Richard » 2204 . Il est possible que le texte ait connu plusieurs états, car on retrouve des passages entiers du SERMO n° 25 dans deux sermons modèles de canonisation, « pour un saint quelconque », contenus dans le manuscrit d’Arras, spécialisé on l’a vu dans les sermons De casibus 2205 . Il se pourrait qu’ils représentent ou bien des brouillons, ou bien des sermons donnés avant la canonisation, lors des ultimes étapes du procès, que l’édition aura ensuite transformés en modèles, une fois prononcé le SERMO n° 25, proclamant définitivement la sainteté de Richard de Chichester. Le sermon RLS n° 865 notamment, la comparaison des textes le prouve, est indubitablement une version légèrement différente du SERMO n° 25 pour la canonisation de Richard de Chichester, lequel représente le texte définitif, revu pour l’édition 2206 . Il en va de même je pense du sermon RLSn° 866, même si l’on n’y lit pas des parallélismes textuels aussi étroits: certaines idées qui y sont contenues s’y expriment encore plus clairement que dans le SERMO n° 25, par exemple l’accent mis sur l’humanité et la faiblesse des saints, par comparaison avec le seul véritable sanctusqui lui-même fait les saints, le Christ. A y regarder de près, il semble en fait que les expressions très directes dont use le cardinal dans ses deux sermons préparatoires ont été polies, voire censurées, dans la version définitive; ainsi l’idée que l’inscription au catalogue des saints n’entraîne pas automatiquement l’accès au paradis, longuement développée dans un passage du sermon RLSn° 866, se résume, dans le SERMO n° 25, à la formule lapidaire suivante: « Per hanc enim ascriptionem, paradisum non intrabit, si extra sit » 2207 .
Ces rapprochements textuels visent moins l’érudition philologique que l’indication d’un phénomène encore peu étudié 2208 : il a existé une prédication antérieure à la proclamation officielle de la sainteté, que décrivent formellement les cérémoniaux des papes, il est vrai datant du XIVe siècle 2209 ; elle accompagnait les différentes étapes, rapidement esquissées plus haut, du cheminement des actes du procès vers la phase finale des consistoires. Comme souvent, les sermons d’Eudes de Châteauroux pourraient documenter un usage para-liturgique déjà existant, que les cérémoniaux plus ou moins officiels ne font découvrir qu’un peu plus tard. Cela confirmerait les déductions du chapitre précédent, à propos des SERMONES pour saint Silvestre et l’onction de Charles d’Anjou: la Curie se trouvait, après le milieu du XIIIe siècle, pour diverses raisons dont les moindres ne sont pas l’itinérance et la venue de papes français sur le siège de Pierre, en pleine réorganisation liturgique et rituelle, annonçant certaines mutations à venir lors son séjour ultérieur en Avignon.
Dans le cas d’Hedwige de Silésie, les SERMONES n°36 et 37, célébrant les mérites de la sainte après la date de la canonisation officielle (26 mars 1267), ont été précédés du SERMO n° 35, dont la rubrique, citée ci-dessus, montre qu’il est antérieur à la décision finale du pape. Il doit donc correspondre à l’un de ces moments solennels où le sort du dossier est discuté par les cardinaux et le pape 2210 . Concrètement, les dernières semaines, et plus particulièrement le dernier consistoire précédant la proclamation officielle de la sainteté, leur servaient à rassembler leurs arguments en forme de sermons 2211 : sermons souvent multiples, et dont il est probable que l’on retrouve la substance dans celui du pape, lorsqu’il proclame officiellement l’inscription au catalogue des saints. S’il n’est pas possible, dans le cas du SERMO n° 35, de fournir une date sûre, la fourchette chronologique doit très probablement se situer entre le 20 et le 25 mars 1267.
Le SERMO n° 36, postérieur à la canonisation, a pour thème un verset des Proverbes, « A-t-elle vu un champ, elle l’a acquis; du produit de ses mains, elle a planté une vigne; Elle ceint vigoureusement ses reins » 2212 . Ce thème est immédiatement expliqué comme s’appliquant à la « femme forte », symbole de la femme parfaite, et titre du poème qui achève le Livre des Proberbes traditionnellement attribué à Salomon 2213 . On trouvait déjà ce rapprochement entre Hedwige de Silésie et la « femme forte » dans le SERMO n° 35, qui commente un thème extrait de l’Evangile de Luc, mais ne peut s’empêcher d’effectuer ce détour classique de la sainteté féminine 2214 . Or le sermon que Clément IV prononça le 27 mars 1267, lendemain de la promulgation de la bulle de canonisation, développe un thème tiré des Proverbes: « Accordez-lui une part des fruits de ses mains et qu’aux portes de la cité ses œuvres proclament sa gloire » 2215 ; et il explique immédiatement qu’Hedwige « s’est revêtue de la vaillance de la femme forte » 2216 . Est-ce l’indice d’une pratique par laquelle le pape exprimerait, en s’inspirant des discours prononcés par les cardinaux, le consensus auxquels ils étaient parvenus à propos de la canonisation ? Il convient de rester prudent en faisant ces rapprochements, car le thème biblique du sermon du pape est tiré de l’épitre du Commun des saintes femmes; la liturgie et la tradition suggéraient donc un modèle biblique idéal à appliquer à la duchesse polonaise canonisée. Cependant, compte-tenu de ce que l’on peut savoir des relations entre Eudes de Châteauroux et Clément IV, qui paraissent avoir été excellentes, au moins au plan religieux, compte-tenu aussi de la réputation de prédicateur qui devait être celle du cardinal, une influence de ce dernier sur le sermon du pape ne peut être exclue, en particulier dans le cadre évoqué des sermons préparatoires à l’examen final du dossier.
Il convient à présent de reprendre le fil chronologique des prédications d’Eudes de Châteauroux, en examinant le SERMO n° 25 qu’il a donné en janvier 1262, pour l’inscription au catalogue des saints de l’évêque anglais de Chichester, Richard de Wyche. Bien qu’on n’en possède aucune preuve formelle, et que l’orateur n’y fasse nulle allusion dans son discours, il est très probable que le cardinal a connu Richard de Wyche, en deux occasions au moins.D’une part, Eudes de Châteauroux devait être présent lors de la consécration de Richard de Wyche à la Curie comme évêque de Chichester, le 21 juillet 1245, date proche de celle à laquelle il a donné son SERMO n° 1 sur la déposition de Frédéric II. Or cette consécration allait à l’encontre de la volonté du roi Henri III, qui avait d’abord choisi un prélat « palatin », Robert Passelewe, chanoine de Saint-Paul de Londres. Richard résista et choisit de porter sa cause au pape; Innocent IV lui donna raison, puisqu’il le consacra personnellement. Le prélat dut cependant attendre avril 1246 pour que le roi cèdât et le laissât entrer à Chichester pour prendre possession de son siège 2217 . Cette figure de prélat séculier, qui n’est pas sans rappeler celle de Thomas Becket, a pu dès lors susciter la sympathie d’Eudes de Châteauroux 2218 . Le nouveau cardinal et l’évêque courageux ont dû se revoir en juin1247, à l’occasion de la translation des restes de l’ancien archevêque de Canterbury, Edmond d’Abingdon, mort en France en 1240 à l’abbaye de Pontigny 2219 . Car Richard de Wyche, alors simple clerc, avait été le chancelier de l’archevêque; Matthieu Paris prétend que c’est Richard qui lui avait suggéré d’écrire la Vitad’Edmond, en vue de sa canonisation, intervenue au tout début de 1247 2220 . On sait aussi que Richard, après la mort d’Edmond en 1240, avait profité de son premier séjour en France pour étudier la théologie chez les Dominicains d’Orléans; c’est là qu’il fut ordonné prêtre 2221 . Bref, Richard, par ses relations comme par sa carrière, était assez proche de grandes figures de prélats anglais exaltés par la cour pontificale, et particulièrement par Eudes de Châteauroux.
Ce dernier connaissait parfaitement le dossier, puisque dans la bulle de canonisationd’Urbain IV du 22 janvier 1262, donnée à Viterbe, il est cité comme cardinal responsable de l’examen des dépositions 2222 . C’est ce que confirme le SERMO n° 25, lorsque l’orateur déclare:
‘« Ainsi, nous avons appris et reconnu par des preuves légitimes que Dieu a fait merveille 2223 par saint Richard et l’a rendu merveilleux, dans sa vie et son comportement comme dans la manifestation de ses miracles. Car sur l’instance pressante du roi d’Angleterre 2224 , des prélats et des grands, le souverain pontife [Alexandre IV] a chargé l’évêque de Worcester 2225 et frère Adam de Marsh 2226 , de l’ordre des frères mineurs, d’enquêter avec diligence sur la vie et le comportement de saint Richard, et sur ses miracles. Ce qu’ils firent avec le plus grand soin. Et les dépositions de tous les témoins, religieux et clercs, et de tous ceux qui étaient dignes de foi, sans faire exception des Grands, ils les ont fait mettre par écrit. Elles furent ensuite transmises au siège apostolique, le souverain pontife, Alexandre, en confiant l’examen à l’évêque de Tusculum 2227 , qui les a examinées par l’intermédiaire des vénérables Bérard, à présent notaire du pape 2228 , de maître Jean de Neuvy, archidiacre de l’église de Bourges, de maître Bonin, chanoine de Bourges 2229 . On y a trouvé sa sainteté prouvée, ainsi que de nombreux miracles, comme on verra plus bas » 2230 .’Cet extrait atteste déjà ce que le dossier de canonisation de Philippe de Bourges permet de mettre en évidence un peu plus tard: Eudes de Châteauroux est extrêmement respectueux des formes canoniques du procès, non par un fétichisme juridique qui ne lui correspond pas, mais parce qu’elles garantissent, comme l’indique le soin avec lequel il énumère les intervenants et décrit leurs titres, que la canonisation ne concernera pas un candidat indigne. On verra sous peu, en examinant les critères qu’il propose pour la sainteté, en quoi consiste à ses yeux un véritable sanctus .
Dans le même registre, l’allusion au fait que le roi d’Angleterre a pris l’initiative de la requête constitue évidemment une garantie supplémentaire à ses yeux. On en a la preuve lorsque l’orateur, un peu plus loin, évoque les miracles du saint : il prend soin de relever ceux qui touchent à des personnages de rang élevé, ainsi le fils d’Hugues Bigod, justicier d’Angleterre, et celui de Henri Malet 2231 . Il faut enfin dire, avant d’analyser le contenu du sermon, qu’il fournit un témoignage appréciable sur l’évêque canonisé, car en dehors de la documentation officielle, et de l’hagiographie, ici de médiocre valeur, on ne possède plus les actes du procès 2232 .
Contrairement à son habitude, après son thème biblique, Eudes de Châteauroux ne propose aucun plan. Mais il n’est pas très difficile de repérer le raisonnement continûment suivi, impliquant une division en deux parties du discours, extrêmement significative. Le premier point important en effet, c’est une appréciation prudente de la sainteté humaine: le thème choisi, constate l’orateur, s’applique en stricte exégèse au Christ, seul véritable Sanctus, et ce n’est que très imparfaitement qu’on peut l’entendre d’un être humain 2233 . Tout le début du sermon est consacré à cet aspect de la royauté du Christ, conformément au discours des théologiens: Dieu le Père l’a sanctifié, a montré des miracles à travers lui lors de la conception, faisant immédiatement de lui un homme achevé, alors que les humains ne reçoivent pas leur âme à ce moment, mais quarante jours plus tard pour les mâles, quatre-vingts pour les femmes; en le faisant sortir d’un uterus intact; en lui donnant la puissance du Verbe pour enseigner et prêcher; en lui accordant une patience supérieure à celle de tout homme; en modifiant les éléments naturels lors de sa mort; en le ressuscitant; en le conduisant hors du sépulcre; en l’amenant triomphalement aux cieux; et de bien d’autres façons encore; c’est pourquoi la plupart des collectes s’achèvent par lui, « notre Seigneur Jésus-Christ »; mais, parce que la jalousie lui est totalement étrangère, il a voulu communiquer au bienheureux Richard, autrefois évêque de Chichester, ce qui avait été dit et s’était vérifié de lui-même 2234 .
Cette transition conduit à la deuxième partie, où le processus de la canonisation, détaillé dans ses étapes successives, corrobore l’affirmation initiale, selon laquelle toute sainteté vient de Dieu, qui la communique à des êtres humains imparfaits. Il en résulte deux conséquences. Il faut d’abord une instance qui garantisse la validité de reconnaissance officielle de la sainteté sur terre. C’est naturellement le pape, initiateur du processus de canonisation et maître souverain dans le choix des critères de sainteté: Vitaet conuersatiod’un côté, miraculade l’autre; c’est là que la liste des acteurs du procès est fournie 2235 . Seconde conséquence de cette transmission de sainteté du Christ parfait aux hommes imparfaits: ces derniers sont capables de s’améliorer et de progresser vers la sainteté, ce qui fut le cas de Richard à compter du moment où il devint évêque, tandis que d’autres ont évolué vers le mal, par exemple Saul devenu roi d’Israël. Contrairement à tout un courant de l’hagiographie, le théologien affirme qu’on ne naît pas saint, mais qu’on le devient 2236 . Cette idée est tellement chère à l’orateur qu’il y revient longuement dans les SERMONES n° 35 et 36, consacrés à Hedwige de Silésie, où il montre que la sainteté révèle le libre-arbitre des humains, tous égaux à la naissance, car rien avant cette naissance ne pouvait leur être imputé, en bien ou en mal; bref que la sainteté n’est pas prédéterminée, tout en commençant au baptême. C’est l’une des raisons principales pour lesquelles les saints sont inscrits au catalogue officiel de l’Eglise romaine, à l’usage exemplaire des vivants et non à l’avantage des morts, puisque cette inscription n’a pas le pouvoir de modifier le sort du défunt dans l’au-delà; cette opération purement humaine ne peut ni faire entrer au paradis, ni faire sortir de l’enfer: Dieu est seul juge 2237 .
Toute la seconde partie du discours est donc structurée en trois points, correspondant au contenu même des documents allégués en faveur de Richard: ce que révèlent les nombreux témoignages sur sa vitaet sa conuersatio 2238 ; la nature des miraculaqu’ils attestent 2239 ; enfin, une réflexion sur les raisons qui poussent les papes à rendre public un catalogue des saints catholiques et à divulguer leurs miracles, suggérant que dans l’opinion personnelle d’Eudes de Châteauroux, cet aspect de la sainteté, codifiée par l’Eglise romaine, est non seulement second, mais secondaire 2240 .
L’organisation des témoignages sur les vertus de saint Richard s’effectue autour de quelques thèmes, où les critères d’appréciation privilégiés par le cardinal, responsable du dossier, ressortent nettement 2241 : l’humilité de son train de vie, révélant le véritable prêtre spirituel, non le grand seigneur clérical, qui considère son clergé sur un pied d’égalité en privé; sa capacité à supporter les attaques et l’adversité, voire même à se réconcilier avec ses adversaires et à pardonner à ses ennemis 2242 . Cela n’empêche nullement que Richard, au plan public, soit un excellent administrateur des biens ecclésiastiques, impartial et incorruptible 2243 Il l’avait déjà démontré lorsqu’il exerçait la fonction de chancelier de l’archevêque de Canterbury, où il n’a jamais profité de ses prérogatives et de sa position. Il a ensuite défendu avec acharnement, dans la tradition de Thomas Becket, les droits et libertés de son église, et poursuivi les délinquants, en exerçant cependant une justice mesurée, et en vérifiant toujours que ses baillis n’abusaient pas de leurs droits. Autre thème obligé, celui de la charité: Richard fait preuve d’une grande attention à l’égard des pauvres et des malades, de largesse envers eux dans les dons et les aumônes 2244 ; il fait bâtir pour eux un hôpital, notamment pour les « chapelains infirmes et âgés », ce qui introduit à une troisième qualité du saint évêque, fortement soulignée par le sermon, on comprend aisément pourquoi: son attachement à sa vocation pastorale, à l’égard de tous les fidèles sans exception. L’orateur nous montre Richard écoutant « les confessions des pauvres et des malheureux », prêchant « volontiers, dévotement et fréquemment la Parole de Dieu », dispensant « les sacrements de sa propre main », enfin célébrant « volontiers les obsèques des morts » 2245 . La fin de sa vie est ainsi évoquée: « Sa mort prouva qu’il fut la perle des prêtres, car son corps, qu’il avait affligé de tant de macérations, apparut lumineux (« spendidus »), comme on lit du corps de saint Martin. Ainsi donc, Dieu renditson saint merveilleux, et fit des merveillespar la sainteté, l’honnêteté de sa vie et de son comportement » 2246 . Cette conclusion fait allusion à un dernier thème obligé de ce genre d’évocation biographique: l’ascétisme du saint, marqué entre autres par la frugalité, le port du cilice, la chasteté et la pureté, vécus comme des modes de la perfection personnelle, mais aussi à l’intention des autres, car Richard n’oublie jamais que sa fonction l’oblige à donner l’exemple 2247 .
Suivent les miracles, anteet post mortem , distinction à soi seule intéressante, car elle montre qu’aux yeux du cardinal, certains événements de nature sociale et économique intervenus durant la vie de l’évêque, et a priorid’une grande banalité, sont jugés comme des miracles, l’Eglise et la Curie enregistrant sans doute ici la forte pression des mentalités populaires sur la fama sanctitatisde Richard de Chichester. Un grand prélat anglais, gestionnaire de manoirs et exerçant directement la justice sur la plupart de leurs habitants, est aussi quelqu’un qui garantit, au quotidien, nourriture et santé à ses ouailles, sans qu’il soit possible de clairement distinguer entre ce qui relève d’une mentalité « magique » ou thaumaturgique, aussi ancienne que la Chrétienté 2248 , et ce qui correspond aux relations sociales du temps, y compris en termes du respect dont une autorité publique efficace bénéficie 2249 . Les premiers miracles cités, ante mortem, sont ainsi liés à la faim et à la santé, avec une insistance particulière sur les pêches miraculeuses dont Richard fut la cause 2250 . On voit bien, à nouveau, le rapprochement avec le Christ, cohérent avec le reste du propos. Mais ce type de témoignages a aussi du sens à la lettre, si l’on se souvient à quel point une partie de la société médiévale anglaise, la main d’oeuvre famélique des vilains, vit encore au XIIIe siècle dans l’obsession de la disette, voire de la famine, pour des raisons certes fort différentes de celles qui prévalaient au haut moyen âge 2251 . La deuxième catégorie de miracles, post mortem, consiste exclusivement en des guérisons et des résurrections, où l’orateur insiste sur la personnalité de quelques grands personnages publics ayant bénéficié de l’intercession de Richard.
C’est le signe que persiste la vocation thaumaturgique du saint chrétien, que l’Eglise et la Curie n’ont jamais souhaité éradiquer violemment. Dans ce domaine, l’acculturation fut lentement imposée, et prit d’abord l’aspect d’une modification du « champ miraculeux », pour reprendre l’expression d’A. Vauchez, opération qu’aborde le cardinal Eudes de Châteauroux dans le dernier point de sa seconde partie, sous la forme d’une question directe: « Mais pourquoi Dieu a-t-il fait des merveilles en faveur de son saint, par l’exhibition de miracles ? Ne suffisait-il pas qu’il le rende merveilleux dans sa gloire ? De même, en quoi était-il nécessaire de l’inscrire au catalogue des saints ? Car par cette inscription, il n’entrera pas au paradis, s’il ne s’y trouve déjà » 2252 . La réponse suit immédiatement: « Dieu opère des miracles par ses saints, pour que se révèle vrai ce que dit le prophète: Dieu est merveilleux dans ses saints 2253 . De même qu’il a lui-même créé le ciel et la terre et tout ce qui est visible, afin que son action invisible depuis l’origine du monde, par le moyen de faits accomplis, soit comprise [...], de même aussi il effectue des miracles par ses saints pour faire connaître son omnipotence, grâce à laquelle se produisent des faits hors du cours naturel, et même surnaturels, et même contre nature » 2254 . On voit à quel point un tel raisonnement, de pur théologien, s’écartait de la mentalité populaire médiévale en la matière.L’orateur ajoute d’autres arguments en faveur des miracles et de l’inscription au catalogue des saints, elle-même expression, par le pape, du raisonnement théologique indiqué: confirmer les miracles anciens, insuffler aux laïcs peu respectueux des églises et du sacerdoce le respect de l’autorité spirituelle, puisque « ces temps-ci plus que de coutume, Dieu a décoré de la gloire des miracles des évêques et des prêtres ».
Eudes de Châteauroux était donc très conscient qu’existaient à la Curie des modèles concurrents de sainteté. A sa mesure, il s’efforce de promouvoir à cette époque la sainteté cléricale séculière, comme le prouve son implication dans les dossiers de Philippe de Berruyer et Thomas Hélye de Biville quelques années après; et, d’une autre manière, son traitement de celui d’Hedwige de Silésie, grande princesse laïque. Avant de l’évoquer, on notera que l’ultime argument du sermon en faveur des miracles, et de l’inscription au catalogue des saints, est tout aussi caractéristique des conceptions du cardinal: faire connaître au loin, dans un but évangélisateur, la puissance du Dieu des Chrétiens, ce qui explique la mutiplicité des saints, dans un souci d’efficacité. Dieu aurait fort bien pu démontrer sa puissance sans cet outil; par ce biais, celui de l’exemple, les incrédules ou ceux que l’Evangile n’a pas encore atteint sont amenés à se convertir. De ce pouvoir propre au Dieu des catholiques de faire des miracles, Mahomet lui-même donne son témoignage, qui avouait ne pouvoir en accomplir. La conclusion mérite d’être citée: « De même que le lion est conduit de lieu en lieu pour augmenter [la recette de] la quête, de même les saints sont conduits par le moyen de cette inscription dans divers royaumes, afin qu’ainsi la louange de Dieu soit multipliée, et que davantage de gens soient aidés par les suffrages des saints » 2255 .
Le portrait de Richard de Chichester ici présenté se révèle donc plein d’intérêt. Il confirme d’abord qu’il n’est pas toujours pertinent d’opposer, comme l’ont fait avec plus ou moins de naïveté les historiens franciscains et dominicains, les Frères incorruptibles aux Séculiers ambitieux. Dès le début, la conduite de Richard de Wyche impose, non la figure d’un carriériste palatin, mais celle d’un grand prélat séculier d’origine noble, en accord parfait avec les exigences pastorales et réformatrices du XIIIe siècle et de la papauté. Il était d’ailleurs ami des Franciscains d’Oxford et de Robert Grossesteste. Par ailleurs, le fait que la Curie, même à cette époque, ait continué à canoniser, parmi les candidats d’origine britannique, de saints évêques, c’est à dire des Séculiers en général d’origine sociale élevée, relève d’une tradition propre à ce pays, liée d’une part au modèle de Thomas Becket, dont Richard relève en partie, d’autre part aux conditions mêmes de création de leurs très vastes diocèses lors de la conquête normande, qui ont fait d’emblée des évêques britanniques de grands seigneurs temporels, héritiers au plan religieux, mais aussi, largement, social et politique, des pouvoirs que détenaient les rois anglo-saxons 2256 . Ces deux phénomènes expliquent que la crise de ce modèle de sainteté officielle n’ait atteint que plus tard les îles britanniques 2257 . Dans les pages qu’il consacre à cette spécificité anglaise, A. Vauchez souligne à juste titre la prégnance du « modèle Becket », qui fait volontiers du saint evêque britannique, même lorsque ce ne fut pas le cas, un « martyr ». L’histoire propre de Richard pouvait être, mais n’a pas été, exploitée dans ce sens. Est-ce l’indice de la prudence de l’orateur, alors que la Curie négociait activement à cette époque avec la couronne anglaise la succession de Sicile, et qu’Urbain IV venait d’être élu ? Compte-tenu du fait que cette piste allait être bientôt abandonnée, faut-il lire dans cette canonisation un refus poli et une concession aux pressions d’Henri III, cité en passant ?
Dernier enseignement du SERMO n° 25: à une époque où l’offensive des ordres mendiants est vive pour porter sur les autels des saints issus de leurs rangs, surtout sous le pontificat d’Alexandre IV, où débute l’instruction du dossier de Richard de Chichester, certains cardinaux, qui ne sont pas pour autant hostiles à ces ordres, veillent à maintenir dans le panorama de la sainteté promue par Rome un éventail large, sociologiquement plus représentatif que celui des seuls frères. C’est encore un des effets de l’historiographie des Mendiants que d’avoir simplifié cette réalité complexe. Il ressort nettement de cette affaire que chaque canonisation doit être appréciée, dans le cadre de la politique pontificale, à la fois d’un point de vue structurel, ce qu’A. Vauchez caractérise comme les grands « modèles de sainteté » officiellement promus par la Curie, et d’un point de vue conjoncturel court. Comment apprécier à cet égard la promotion de la figure d’Hedwige de Silésie ?
Les trois SERMONES, n° 35, 36 et 37 qui la concernent, se répartissent, on l’a vu, en deux groupes, même si cela n’a pas grande influence sur leur contenu, très homogène. Le premier est antérieur, sans doute de très peu, à la canonisation; les deux autres sont postérieurs au 26 mars 1267. Dans le cas de la duchesse de Silésie, on ne possède pas non plus les actes du procès de canonisation. Seul un texte ayant trait à sa phase curiale subsiste, en l’occurrence le sermon du pape Clément IV donné à Viterbe le 27 mars, quatrième dimanche de Carême, le lendemain de l’inscription au catalogue 2258 . Par contre, tous les documents hagiographiques la concernant ont été bien étudiés par les historiens, car ils ne sont pas dépouvus de valeur 2259 . En particulier, un traité généalogique, intitulé Tractatus siue speculum genealogiae sanctae Hedwigis 2260 , du dernier tiers du XIIIe ou du début du XIVe siècle, insiste sur la noble race dont est issue la princesse, un thème auquel la Curie, et Eudes de Châteauroux, dans ses deux derniers SERMONES surtout, se sont montrés très sensibles.
Le SERMO n° 35 prend pour thème biblique un passage de l’Evangile de Luc, « Personne, après avoir allumé une lampe, ne la met en quelque endroit caché ou sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, afin que ceux qui entrent voient la clarté » 2261 . Selon l’orateur, le sens général de la citation justifie les raisons pour lesquelles l’Eglise romaine effectue des canonisations, et les rend publiques par l’inscription au catalogue officiel des saints. En fonction des deux éléments essentiels qui sont examinés lors du procès, la vie et les miracles, il propose un plan simple accordé aux séquences de son verset: la sainteté d’Hedwige 2262 ; l’éclat de ses miracles 2263 ; la raison pour laquelle Dieu fait briller ses saints de cette manière, en leur faisant accomplir des miracles 2264 . Avant d’entrer dans le développement, il éprouve à nouveau le besoin de légitimer les formes canoniques de la procédure, qu’il décrit par le menu 2265 , sans toutefois fournir les noms qui en garantissaient la régularité, comme il le faisait dans le SERMO n° 25 pour Richard de Chichester. Cela dit, on voit que le raisonnement n’est pas très différent d’un sermon à l’autre, et, moyennant l’adaptation à la personnalité propre de chacun, ce sont effectivement les mêmes idées-force qui sont exposées. On constate en outre que la troisième partie du discours, celle qui revient sur la justification du mode romain de canonisation, est de loin la plus développée. A l’évidence, les fonctions que les saints accomplissent au service de l’Eglise légitiment leur culte en Chrétienté. A ce titre, elles retiennent l’attention d’Eudes de Châteauroux, plus intensément que ne le fait l’identité d’Hedwige, même si le recoupement avec les sources hagiographiques démontre que, dans l’ensemble, le cardinal est fidèle aux actes du procès, sans doute parce que la figure de la sainte le séduit et lui paraît utile à l’institution.
A propos de la vie de la sainte, Eudes de Châteauroux met d’abord en valeur son amour de Dieu, qui explique sa charité envers les autres, et sa « virilité », c’est à dire sa capacité à supporter toutes les épreuves en ce monde 2266 ; en ce sens elle fut vraiment une lampe illuminant les hommes. Cette idée engendre la comparaison avec la « femme forte », qui a peut-être, on l’a vu, inspiré Clément IV dans son propre sermon. Mais l’orateur trouve des accents « modernes » pour traduire les formes prises par son statut d’ « athlète du Christ »: il met immédiatement en valeur sa dévotion pour la croix et l’humanité du Sauveur, faisant clairement allusion aux stigmates que ses pratiques ascétiques lui valurent 2267 . Il lui importe de mettre en évidence le comportement contre nature de la sainte femme, qui ne s’accorde ni avec ses origines sociales, et son éducation, toute de douceur, ni avec la fragilité de son sexe. Être saint, c’est donc s’arracher à l’habitude et à la position héritée, entamer une « mutation » d’ordre surnaturel; Hedwige s’est engagée dans des actions où « les hommes n’oseraient mettre le doigt » 2268 .
La seconde partie ne correspond pas exactement à l’annonce faite par l’orateur en introduction. Les miracles d’Hedwige sont passés sous silence dans le détail, pour faire place à une affirmation déjà vue: il est nécessaire pour l’Eglise et le pape de rendre publique la sainteté, au lieu de la laisser sous le boisseau. Car tout l’intérêt d’une telle publication, c’est de comprendre à quoi servent les saints, thème de la troisième partie.
A la manière scolastique, Eudes de Châteauroux récuse certains arguments qu’on pourrait alléguer en faveur de l’inscription au catalogue des saints, pour leur opposer ceux qui la justifient.
‘« Ils ne sont pas canonisés à cause de ceux qui sont dans la patrie [le paradis], car ceux-ci n’ont pas besoin de l’approbation du souverain pontife; ils voient en effet qui sont les saints, puisqu’ils se voient mutuellement » 2269 .’ ‘« Ce sont ceux qui veulent y entrer qui manquent de cette approbation. Car ceux qui appartiennent à l’Eglise militante, sorte de vestibule et d’accès à l’Eglise triomphante, veulent y entrer et y entrent [...]. Même ceux qui dans la vie présente ne peuvent être comptés comme membres de l’Eglise, ou ne peuvent mériter de lui appartenir, peuvent cependant accéder [à la patrie], puisque la grâce leur est offerte dans ce but: Dieu les considère comme des candidats à l’entrée, dont ils s’excluent par leur faute » 2270 . ’On retrouve ici, sous une autre forme, l’argument énoncé à propos de Richard de Chichester: les saints ont avant tout une fonction exemplaire. La suite du sermon approfondit cette idée, en reprenant des arguments désormais connus: le pape confirme, par les miracles contemporains, ceux des Anciens; il place les saints sur le lampadaire, afin de diffuser partout dans le monde leur exemple. En particulier, les saints redonnent aux croyants l’espoir qu’ils peuvent être sauvés, s’ils « entendent que des hommes, et même des femmes, se sont abstenus et ont fait pénitence du péché, pour mener une vie si sainte » 2271 . Grâce à la confiance retrouvée à leur exemple, les fidèles n’hésiteront plus à adresser leurs pétitions à Dieu, par l’intermédaire de ces frères que sont les saints, alors qu’ils craignaient de le faire par celui des anges 2272 .
Cette image du saint proche de l’homme, parce qu’il est semblable à lui, de même nature, est encore longuement développée, sous une forme légèrement différente, où percent les préoccupations pastorales. Les saints ont un rôle éducatif, à l’image des parents dont nous héritons les valeurs et les comportements:
‘« Car les saints sont nos pères et aussi nos mères. Ils ont reçu la puissance judiciaire. Ils sont devenus les princes de la terre. Ils sont nombreux, ce sont nos compagnons, nos amis qui ont habité avec nous. Nous devons donc rougir de honte de commettre les péchés évoqués » 2273 . ’Dernière utilité de la canonisation: après cela, ceux qui murmurent et s’indignent contre les jugements de Dieu n’auront à s’en prendre qu’à eux-mêmes; il leur était parfaitement loisible d’obtenir la même récompense; nous sommes tous nés intacts du péché, nous pouvons nous sauver par le baptême, bref chacun choisit son sort dans l’au-delà 2274 .
On se rappelle que ce sermon du cardinal est antérieur à la canonisation, qu’il vise à obtenir, ce qui explique la conclusion, adressée au pape et aux cardinaux:
‘« Avant tous les autres, notre souverain pontife, qui est vicaire du Christ, et nous qui sommes les membres spirituels du souverain pontife et ses fils à titre particulier, nous devons suivre les traces de Jésus Christ [...], en l’inscrivant [Hedwige] au catalogue des saints. C’est ce à quoi j’invite autant que je peux, et que je conseille pour l’honneur de Dieu et de cette Eglise » 2275 . ’De tels propos ne peuvent être dissociés du contexte précis où ils sont donnés, le début de l’année 1267. Tous les cardinaux, dont l’incorporation au pape, même si Eudes de Châteauroux la qualifie de spirituelle 2276 , est affirmée, n’ont pas montré à ses yeux, dans les années qui viennent de s’écouler, de telles dispositions d’esprit. L’orateur ne perd pas l’occasion de le leur rappeler.
A la différence de celui-ci, les deux autres SERMONES, n° 36 et 37, s’ils reviennent longuement sur la justification du droit papal de canonisation et l’explication de sa signification, s’intéressent davantage à la personnalité de la sainte.
Le SERMO n° 36 est fondé sur le thème déjà cité du Livre des Proverbes, « A-t-elle vu un champ, elle l’a acquis; du produit de ses mains, elle a planté une vigne; Elle ceint vigoureusement ses reins » 2277 , que j’ai rapproché de celui qu’a choisi Clément IV, le 27 mars 1267, pour prêcher sur la sainte, car le type biblique explicitement choisi par le cardinal pour figurer Hedwige est celui de la « femme forte » 2278 . L’orateur y propose un plan en quatre points, en situant d’abord son thème, selon la méthode qu’il affectionne, dans le contexte global du poème que constitue ce dernier chapitre du Livre des Proverbes:
‘« Cette louange contient vingt deux versets ou clausules, dont chacun commence en hébreu, par les lettres hébraïques, selon l’ordre de l’alphabet, le premier par la première lettre, le second par la seconde, et ainsi de suite [...]. Et ces lettres, en raison de l’interprétation de l’Ecriture, constituent comme des titres et des clefs pour accéder à l’intelligence des clausules ou des versets eux-mêmes qu’elles précèdent » 2279 . ’Puisqu’il a décidé, parmi ces versets, de choisir celui qui commence par la lettre zay, Eudes de Châteauroux explique que l’interprétation de cette lettre, « vers ici » ou « conduis toi » 2280 , convient parfaitement à son propos: la première partie de son discours consistera à montrer pourquoi on s’est donné tant de peine pour en arriver « ici », c’est à dire à l’inscription d’Hedwige au catalogue romain des saints. Le reste du verset, découpé en trois séquences, fournit les trois autres parties: la prudence d’Hedwige achetant le champ qu’elle a vu; les fruits qu’elle a engendré dans l’Eglise, en y plantant une vigne; sa parfaite chasteté, lorsqu’elle ceint vigoureusement ses reins.
La première partie n’est donc guère originale par rapport aux développements vus dans le SERMO n° 35. Mais l’orateur y insiste encore plus vigoureusement sur l’idée que la déclaration publique de la sainteté d’une personne manifeste la fonction exemplaire qu’elle a désormais acquise, quel que soit par ailleurs le sort de chacun dans l’au-delà, dont Dieu seul est juge. Pour démontrer cela, Eudes de Châteauroux n’hésite pas à déclarer que la décision de Rome n’a pas d’influence sur le sort des défunts:
‘« Quoiqu’en effet les mérites ne puissent être modifiés après la mort, quoique les âmes de morts ne puissent modifier leur état [...]; même si quelqu’un, parce qu’inscrit au catalogue des saints, n’entre pas pour autant au paradis ou ne quitte pas l’enfer; si ses mérites n’en sont pas augmentés pour autant, ni ne lui est octroyée une couronne plus grande, cependant, l’Eglise romaine pratique cette inscription, qu’elle a seule l’autorité d’effectuer, pour l’utilité des vivants, afin qu’ils sachent vers quoi ils doivent tendre et où se diriger » 2281 .’La second partie reprend cette idée sous une autre forme 2282 . Si Dieu seul, et non la Curie, juge quelqu’un digne d’accéder au paradis, c’est à dire sanctionne la sainteté véritable, si par voie de conséquence l’Eglise ne proclame les saints et ne diffuse leur renommée que pour l’utilité des fidèles, il en résulte, du fait de l’égalité de tous devant Dieu, que chacun peut acquérir le champ qu’Hedwige a acheté après l’avoir vu: « On ne nous demande pas, pour obtenir le royaume des cieux, que nous fassions des choses étranges et inhabituelles, simplement ce qui est public et coutumier » 2283 . Tout l’intérêt du « cas » Hedwige de Silésie, pour le cardinal, consiste à confirmer que n’importe quel chrétien, en demeurant dans son propre « status », peut accéder à la sanctification. La duchesse avait tout, de par sa naissance et sa famille, pour vivre dans le plaisir et la facilité; elle a choisi au contraire la voie de l’austérité et de la pénitence. Mais parallèlement, au moment même où Eudes de Châteauroux entend prouver, par souci pastoral, que chacun peut gagner son salut là où il se trouve, il ne manque pas d’affaiblir sa démonstration. Car pour mettre encore davantage en valeur les mérites de la sainte, il insiste lourdement, par contraste, sur la généalogie noble de la duchesse, et les prestigieuses alliances matrimoniales, notamment royales, nouées par la famille; de même, il décrit complaisamment ceux des membres de cette famille qui ont embrassé l’état clérical, toujours pour accéder aux prélatures 2284 . Nettement, deux conceptions entrent ici en concurrence: l’une présente Hedwige de Silésie comme une chrétienne parmi d’autres; l’autre met en valeur la beata stirpsdont elle fait partie 2285 . C’est l’un des aspects du mélange entre sainteté traditionnelle et sainteté moderne, qu’A. Vauchez diagnostique à propos de cette sainte 2286 .
Cette tension inhérente au modèle de sainteté qu’elle incarne se retrouve tout au long du SERMO n° 36: de façon moderne, c’est bien par son action concrète, non par sa naissance en soi, qu’Hedwige devient sainte. Elle fait preuve d’une assiduité étonnante aux célébrations liturgiques, d’une piété fortement intériorisée, notamment dans ses prières où elle gît prostrée ou multiplie les génuflexions 2287 , et tout cela en se déplaçant loin de chez elle, au lieu, comme faisaient la plupart des nobles, d’utiliser un sanctuaire privé, faisant ainsi preuve de discretio, non d’ostentation 2288 . Cette ardente dévotion, combinée au refus de devenir moniale 2289 , afin d’assumer pleinement les devoirs de son état, est d’ailleurs l’occasion de nouvelles pénitences, puisqu’elle se rend à l’office par tous les temps les pieds nus, dans le froid et la neige, et laisse derrière elle des traces sanglantes. Les plaies de ses pieds comme les calles de ses genoux suggèrent l’idée des stigmates, qu’on trouve chez les hagiographes, mais qui n’est pas exprimée telle quelle ici. L’autre marque notable d’une sainteté assumée dans le monde, c’est sa chasteté, y compris dans le mariage, à laquelle toute la quatrième partie du sermon est consacrée, et qui sera abordée plus loin 2290 . Parmi les traits plus traditionnels de la figure d’Hedwige, s’ajoutent l’aumône et les donations, en particulier à l’égard du monastère cistercien fondé par son époux, et le rachat de captifs 2291 . Avant de passer au point suivant, le cardinal ne peut s’empêcher de se livrer à l’une de ses attaques favorites, contre les clercs qui ont refusé d’acheter ce champ, préférant cumuler les richesses, ne reculant pas pour cela devant la simonie, et s’excusant hypocritement ensuite 2292 . Si l’on ignore quel public a pu entendre ce discours, on ne peut s’empêcher de songer aux cardinaux exhortés au SERMO n° 35 précédent, pour qui l’orateur n’a jamais de mots trop durs 2293 .
C’est dans la troisième et dans la quatrième partie du discours que l’opposition entre sainteté moderne, vécue dans le siècle, et traits archaïques de la sainteté aristocratique, caractéristique du haut moyen âge, se marque le mieux. La seconde partie du verset choisi: du produit de ses mains, elle a planté une vigne , s’applique en effet d’abord à la propre famille d’Hedwige, où elle a produit ses meilleurs fruits; cela, pourtant, juste après que l’orateur a loué, à la fin de la seconde partie, son retrait du monde 2294 . Et de fait, toute son action a visé à faire de son époux un moine demeuré dans le siècle. La première influence exercée dans ce sens est celle qui a abouti à la fondation du monastère cistercien déjà évoqué. Mais on sait que de telles fondations, venant de la haute noblesse, sont courantes à l’époque, et même, dans le cas précis, relèvent d’une stratégie délibérée « d’implantation des ordes religieux en Silésie, en vue de l’évangélisation du pays » 2295 . En outre, la description du rôle social de la fondation, tant du point de vue de son recrutement que de son rayonnement, fait bien plus songer au Cluny des XIe et XIIe siècles qu’aux couvents urbains des frères mendiants, dans l’Italie où vit l’orateur 2296 .
La seconde décision d’importance qu’Hedwige ait fait prendre à son mari est le vœu de continence qu’elle lui fit très tôt jurer 2297 , et qui fait l’objet de la quatrième et dernière partie du sermon 2298 :
‘« Bien qu’elle ait été en effet mariée à un homme noble et puissant, qu’elle aimait, de qui elle était aimée, dont elle avait reçu deux fils et une fille, elle poussa son époux, pourtant encore dans la fleur de la jeunesse, à vivre séparés, s’adonnant chacun à la prière. Ils demeurèrent ainsi séparés, quant au lit conjugal, durant trente années » 2299 .’C’est l’occasion pour Eudes de Châteauroux de souligner qu’une telle attitude est un véritable combat contre soi-même, beaucoup plus méritoire que celui qu’on mène contre autrui, puisqu’on doit s’opposer à sa propre nature et même, dans le cas du mariage, à sa raison:
‘« Car c’est un grand combat que de résister à la concupiscence de la chair, surtout lorsqu’on paraît avoir une cause juste et licite d’être concupiscent, comme dans les liens du mariage » 2300 .’On sait de fait que le début du XIIIe siècle a définitivement entériné la sacralité de l’union légitime, présentée, chez Innocent III par exemple, comme nouant des liens indissolubles 2301 . Les prédicateurs eux-mêmes ont relayé cette conception.
En conséquence, l’impression prévaut, à la fin de ce discours, que le modèle le plus traditionnel de la sainteté, celui qui continue de considérer fondamentalement l’acte sexuel comme peccamineux et la virginité comme la manifestation véritable de la pureté, celui aussi qui ne valorise l’état de vie laïc qu’autant qu’il tend à se rapprocher de celui des clercs, religieux ou non, pèse plus lourd que les quelques traits « modernes » qui, parfois, percent chez Hedwige, notamment sa volonté d’agir à sa place dans le monde noble dont elle est issue, et le type de dévotion mystique dont elle témoigne. D’une certaine manière, elle repousse sa naissance, mais c’est pour mieux consacrer la fortune qu’elle lui doit aux œuvres pies les plus traditionnelles, on songe notamment au rachat des captifs, typique des situations de frontière en Chrétienté périphérique, dont fait partie la Pologne des ducs Piast 2302 . Selon A. Vauchez, par rapport à la sainteté nouvelle qui éclot au XIIIe siècle, les modèles teintés d’archaïsme promus par les ordres traditionnels, en l’occurrence les Cisterciens, rencontrent globalement l’échec 2303 .
Reste à comprendre les raisons qui ont poussé la Curie, et plus précisément Eudes de Châteauroux qui a traité le dossier, à favoriser la canonisation. Car le discours sur la chasteté et le veuvage, dès et dans le mariage, est encore plus central dans le SERMO n° 37, qui lui est presqu’entièrement consacré, comme l’indique le thème biblique choisi: « Sa veuve, je la bénirai de bénédiction; ses pauvres, je les rassasierai de pain » 2304 . L’introduction en donne immédiatement la clef:
‘« Cette prophétie, le Seigneur l’a accomplie en sainte Hedwige, qui fut veuve du vivant de son mari, qui avec son autorisation s’abstint du lit conjugal l’essentiel de sa vie. Elle fut veuve aussi une fois son époux décédé, ne s’écartant pas de la règle donnée par l’apôtre aux veuves; plutôt, elle la conserva et la durcit » 2305 .’La première partie revient longuement sur la continence dont firent preuve précocement les deux époux 2306 , mais avec une originalité par comparaison avec le SERMO n° 36 précédent. Pour introduire à l’idée générale, qui parcourt tout le texte mais nourrit surtout sa troisième partie, que le veuvage d’Hedwige fut en réalité d’une grande fécondité, engendrant d’innombrables bienfaits pour les bénéficiaires de ses aumônes et de son saint exemple, l’orateur recourt, dans une ample vision ecclésiologique très inspirée d’Innocent III 2307 , à une très belle métaphore sur le veuvage de l’Eglise après la mort du Christ, préludant à la fécondité de son travail évangélisateur:
‘« Bien que cela [Sa veuve, je la bénirai de bénédiction ] soit dit de l’Eglise, conformément à son statut après la mort de son époux, dont elle resta pour ainsi dire veuve, lorsque cet époux lui fut enlevé, lorsqu’elle et ses fils déplorèrent ce temps de veuvage, car alors, étaient venus les jours dont l’apôtre dit: Les jours viendront où leur sera enlevé l’époux 2308 , et ils pleureront; malgré cela, le Seigneur a béni de bénédictionscette veuve, et il l’a multipliée afin qu’elle soit plus féconde et engendre davantage de fils, que lorsqu’elle avait son mari présent corporellement [...]. Les veuves véritables en effet sont stériles et ne peuvent engendrer. Celle-ci a engendré plus de fils qu’elle n’en avait quand son époux était là. Et celle qui possédait plusieurs fils, c’est à dire la synagogue, devint infirme 2309 et sa vulve désormais close la rendit stérile [...]. Après la mort du Seigneur et sa résurrection, ce dernier libéra ses apôtres et ses disciples, qui étaient dans la détresse, la pauvreté et la vilenie, et les fit princes sur toute la terre. Et l’Eglise qui était en état de stérilité, c’est à dire de veuvage, il la fit habiter à l’abri de la forte chaleur et de la pluie, c’est à dire dans une maison, à l’abri de l’adversité des tentations, dans la joie de la multiplicité de ses fils » 2310 .’De cette première exégèse spiritelle, illustration limpide de l’usage du sens allégorique au sein de la pluralité des sens bibliques, Eudes de Châteauroux passe à une seconde, en appliquant à Hedwige l’image des épousailles charnelles rompues pour embrasser le véritable Epoux, le Christ. Revient ici l’image de la fragilité toute humaine du saint, mais dans un cadre différent: une nouvelle allégorie, comparant les tentations dont la duchesse fut l’objet avec celles qui assaillirent le Dieu incarné, permet la mise en valeur du principal moyen par lequel le Christ repoussa les assauts du Malin dans le désert: il le fit en assumant son humanité, et en refusant d’accomplir les prodiges que réclamait le Diable contre promesses de puissance 2311 . Car
‘« le Seigneur fut tenté de ces trois manières, d’abord dans le but qu’affamé, placé comme dans la nécessité, il dise que les pierresdeviennent des pains ; dans le but deuxièmement qu’en plaçant sa foi dans Dieu [...], il se jette en bas ; dans le but troisièmement qu’il accepte de commander à tous les royaumes et les gouverne, les dirige et les protège par sa sagesse 2312 . La première tentation concerne les pauvres, la seconde les spirituels, la troisième les lettrés » 2313 .’Pour parer à ces tentations, Hedwige a noué avec l’Epoux spirituel des relations immédiates 2314 , d’une nature mystique, mais, peut-on dire, raisonnablement mystique, car elle n’a pas oublié son appartenance au siècle, souhaitant d’abord obtenir le consentement de son époux par la chair à son veuvage fécond. Elle ne désirait en effet pas, en rompant les liens de la nature, le soumettre à son tour à la tentation. Au contraire, toute l’action de la duchesse est marquée par sa double aspiration à l’épanouissement de sa spiritualité personnelle, par le moyen d’une action qui soit utile au salut des autres.
La preuve en est administrée par la seconde partie du sermon, entièrement consacrée au seconde veuvage d’Hedwige, intervenu après la mort de son mari le duc de Silésie 2315 . Elle reporte alors sur sa famille l’exigence de salut qu’elle avait d’abord éprouvée pour elle-même et son mari. Eudes de Châteauroux ne se fait pas faute de souligner qu’elle est demeurée une bonne mère et surtout une bonne fille: elle prie, offre des aumônes et des suffrages à l’Eglise, d’abord en faveur de ses parents. Plus généralement, elle respecte en tous points la règle que saint Paul a donnée aux veuves, dont une bonne part des articles est citée 2316 , puis appliquée au comportement de la duchesse durant les sept dernières années de sa vie. On n’y lit rien d’original par rapport à ce qui se trouvait dans le sermon précédent, sinon la précision que l’un de ses fils, conformément à la bonne éducation chrétienne qu’il avait recue, est mort martyr contre les Tartares: il s’agit de Henri II, mort à la bataille de Liegnitz, lors de la grande attaque mongole contre l’est de l’Europe en 1241 2317 . Un nouveau prélat de sa famille, inspiré par son exemple, est mentionné comme l’actuel évêque de Salzbourg. C’est donc toujours la même logique qui prévaut, mélangeant dévotion intense et personnelle aux exemples de traits d’archaïsmes, propres au très ancien modèle de sainteté que constituent le saint roi, secondairement la sainte reine.
La troisième partie du sermon lui fournit aussi une sorte de conclusion, car la dernière séquence du thème, ses pauvres, je les rassasierai de pain, selon l’interprétation spirituelle qui en est faite, permet de récapituler la grande question qui a structuré sous diverses formes les trois SERMONES consacrés à Hedwige de Silésie: l’utilité des saints pour leur prochain 2318 . Ici, c’est sous l’angle de la foi, et non plus sous celui de l’aide matérielle apportée, que Dieu, par l’intermédiaire de la duchesse, a rassasié les pauvres: en leur inculquant par son exemple les trois vertus théologales, foi espérance et charité, comparées à des restes, avant le véritable repas des trois pains évoqués par l’Evangile de Luc juste après le Pater 2319 , c’est à dire le paradis, où les élus auront « la vision directe de Dieu, la joie parfaite et la jouissance acquise » 2320 .
Au fur et à mesure qu’Eudes de Châteauroux développait sa prédication sur Hedwige de Silésie, on a vu les motifs théologiques, voire contemplatifs et mystiques, en particulier dans le SERMO n° 37, devenir prépondérants, au détriment de considérations sur la réserve papale du droit de canonisation, fort présentes dans le SERMO n° 35, comme c’était déjà le cas avec celui sur Richard de Chichester. Il n’y a pas d’explication évidente à cette évolution: autant le modèle du prélat séculier soucieux du salut de ses ouailles convenait au cardinal, et le poussait à insister fortement sur les prérogatives romaines en matière d’inscription au catalogue des saints, autre manière de dire que les critères de sainteté devaient correspondre aux visées pastorales de l’Eglise, autant la figure d’Hedwige de Silésie était plus ambivalente, à la fois tournée vers le passé et porteuse, lorsqu’on jette un regard en aval sur le mouvement qui porta tant de laïques des XIVe et XVe siècles « de la contemplation à la mystique » 2321 , de nouveaux horizons pour la sainteté féminine. Il ne serait pas raisonnable de doter le cardinal, qui goûte si peu la prédiction, de dons d’anticipation en la matière. Mais il devait lui-même avoir conscience du caractère mixte de la spiritualité de la sainte, rattachée par ses fondations et ses dons à une mouvance monastique traditionnelle et austère, l’ordre cistercien, mais qui fut par contre dirigée, sur la fin de sa vie, par des confesseurs franciscains, lesquels avaient probablement témoigné au procès 2322 . Une dernière hypothèse, qui ne peut être écartée, consisterait à s’interroger sur les motivations spécifiques des papes, s’il y en eut, concernant l’évangélisation de la Pologne et plus largement des frontières de Chrétienté à l’est de l’Europe. Il me semble cependant que les accents de l’orateur sont avant tout personnels, et ne cachent notamment rien de l’état laïc qui a toujours été celui de la duchesse de Silésie. Or cette attention aux laïcs, raison ultime du commentaire de la Parole qu’Hedwige réalisait en actes, on la retrouve dans un aure sermon, légèrement antérieur, consacré à la figure du Poverello d’Assise. En se rappelant qu’Eudes de Châteauroux était bien placé pour évaluer, après six années de fréquentation quotidienne de Louis IX durant la croisade, le mérite qu’il y avait pour une femme laïque du rang d’Hedwige à vivre saintement dans le siècle, peut-être est-ce tout simplement là qu’il faut chercher les raisons de l’éloquence déployée en faveur de cette sainte.
F. 258 du ms. de Rome, Bibl. Angelica 157.
Ps. 4, 4. L’ hebraica ueritasdésigne ici, comme c’est presque toujours le cas, la traduction des Psaumes par saint Jérôme, d’après l’original hébreu, alors que la version la plus couramment citée d’après la Vulgate a été traduite de la version grecque des Septante. Cf. L’éd. Weber, Psalmi iuxta Hebreos, ad loc. ; sur le sens de cette expression appliquée aux Psaumes, voir G. Dahan, L’exégèse chrétienne... op. cit., p. 200-204.
Lignes 3-4.
Les RLS n° 865 et 866, évoqués ci-dessus note 14.
Voir l’édition du SERMO n° 25, où je mets en évidence les passages parallèles entre les deux sermons (notes 39, 40 et 42).
SERMON n° 25, ligne 135. Voir la note 36 à l’édition du SERMO n° 25, où je mets en évidence l’inspiration commune des deux sermons sur ce thème.
Cf. G. Ferzoco, Sermon Literatures concerning late medieval Saints, dans Models of Holiness... op. cit., p. 103-125, ici p. 109-113.
Voir B. Schimmelpfennig, Die Zeremonienbüscher... op. cit., p. 148-244.
C’est en tout cas ce qu’avance G. Ferzoco, Sermon Literatures... art. cit., p. 112 note 33.
Ibidem, p. 110-111.
Prov. 31, 16-17.
SERMO n° 36, ligne 4; lignes 8-10. Pour la « femme forte », voir le DB, p. 395: ce nom du poème est formé par les initiales hébraïques des versets. Par ailleurs, ce verset est très fréquemment employé, entre autres, comme thème des sermons célébrant sainte Marie-Madeleine, cf. N. Bériou, La Madeleine dans les sermons parisiens du XIII e siècle, dans MEFRM, t. CIV/1 (1992), p. 269-340; voir aussi J.-B. Schneyer, Repertorium... op. cit., t. XI, Index der Textanfänge M-Z, p. 44-45, pour tous les sermons répertoriés par l’auteur sur ce thème biblique.
SERMO n° 35, lignes 45-54.
Prov. 31, 31.
Voir R. Folz, Les saintes reines... op. cit., p. 139; J. Gottschalk, Die Hedwigs-Predigt... art. cit., p. 17.
Cf. E. F. Jacob, Saint Richard... art. cit.,p. 180-182.
Sur l’influence du modèle de sainteté représenté par Thomas Becket, cf. A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 197-203.
Voir le chapitre II pour le détail des références (récit de Matthieu Paris et présence de Richard de Wyche).
Cf. C. H. Lawrence, Saint Edmund of Abigdon. A Study of hagiography and history, Oxford, 1960, p. 20; et pour la carrière de Richard de Wyche au service de l’archevêque, Ibidem, à l’ Indexp. 339, s. v. « Wich, Master Richard of, chancellor of the Archbishop ».
Cf. E. F. Jacob, Saint Richard... art. cit.,p. 179-180
Ed. dans AA. SS., avril, t. I, p. 276-316 (éd. de Paris-Rome, 1866);la bulle est auxp. 313-315; pour la mention d’Eudes, cap. 26 p. 315.
Reprise du thème du SERMO n° 25: « Sachez que pour son saint, le Seigneur fait merveille; le Seigneur écoutera quand j’aurai crié vers lui » (Ps. 4, 4).
Henri III Plantagenêt (1216-1272).
Walter Cantiloupe, évêque de Worcester (1237-1266), cf. sur lui F. M. Powicke, The Thirteenth Century... op. cit., Indexp. 788, s.v « Cantilupe, Walter de ».
Célèbre Franciscain, ami de Robert Grosseteste, cf. sur lui F. M. Powicke, The Thirteenth Century... op. cit., Indexp. 811, s.v « Marsh, Adam, Oxford Franciscan ».
Eudes de Châteauroux, qui s’occupe ainsi de l’affaire très tôt, avant le pontificat d’Urbain IV.
Bérard de Naples, notaire pontifical, voir sur lui D. Lohrmann, Berard von Neapel... art. cit.
Deux familiers du cardinal, de toute évidence originaires de la même région que lui, le Berry; le premier est repéré par A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., p. 210 n° 4; le second est absent de sa liste. Il y a donc matière à compléter, grâce aux sermons et à d’autres sources documentaires (par exemple le ms. du Vatican BAV, Latin 4019, contenant les actes du procès de canonisation de P. Berruyer), les données rassemblées par A.Paravicini-Bagliani sur la familiadu cardinal. Selon l’usage, elle comptait beaucoup d’anciens compatriotes, notamment des clercs de Bourges.
Lignes 39-50.
Pour Hugues Bigod, mort en 1266, justicier du royaume de 1258 à 1260, cf. F. M. Powicke, The Thirteenth Century... op. cit., Indexp. 784 s.v « Bigod Hugh (d. 1266), son of earl Hugh ». Sur la fonction de justicier à cette époque, cf. W. L. Warren, The Governance of Norman and Angevin England (1086-1272), Londres, 1987, p. 171-229, en particulier p. 185-187. Je n’ai pu identifier Henri Malet.
Une Vitadu saint, par le Dominicain Ralph Bocking, de 1270 environ, se lit dans les AA. SS. éd. cit., p. 282-316 (en deux livres, le second commençant avec les miracles, ante mortemet post mortem, p. 307-313, suivis de la bulle de canonisation d’Urbain IV). C’est la seule qui ait quelque valeur: l’auteur prétend que l’évêque de Worcester Walter Cantiloupe et Adam Marsh, cités dans le sermon comme commissaires-enquêteurs, ont vérifié son travail, effectué d’après les actes perdus du procès, mais aussi d’après les confidences que le saint lui-même lui aurait faites avant sa mort, puisqu’il fut son confesseur, cf. E. F. Jacob, Saint Richard... art. cit., p. 174-175.
Lignes 3-7.
Lignes 5-34. Sur le Christ Sanctus, cf. J. Leclerq, L’idée de la royauté... op. cit., p. 30-35. Sur la « collecte », temps fort de l’oraison des rites d’entrée dans la liturgie de la messe, où l’intercession du Christ est sollicitée par le célébrant et l’assemblée, cf. A. G. Martimort, L’Eglise en prière, t. II: L’Eucharistie... op. cit., p. 68-69.
Lignes 35-53.
Lignes 54-64.
SERMO n° 35, lignes 139-153. SERMO n° 36, lignes 24-52. Cette idée est aussi traitée par toute la fin du SERMO n° 25 ici examiné, voir ci-dessous.
SERMO n° 25, lignes 65-113.
Lignes 114-132.
Lignes 133-160. De ce point de vue, l’attitude critique de l’Eglise romaine vis-à-vis des miracles, dont A. Vauchez situe l’apparition documentée plutôt vers la fin du XIIIe siècle (La sainteté... op. cit., p. 561-581), semble en réalité plus précoce: grâce à Eudes de Châteauroux, on peut déjà très bien saisir, en 1262, « comment les clercs réagissaient face au surnaturel » (Ibidem, p. 570).
Pour une synthèse, cf. A. Vauchez, La sainteté...op. cit., p. 583-622.
L’épisode le plus célèbre, sur ce plan, est celui rapporté par T. Bocking à propos du litige de l’évêque avec John FitzAlan d’Arundel: il invite ce dernier, qu’il a excommunié, à déjeuner avec lui, cf. AA. SS. loc. cit. , p. 291-293; E. F. Jacob commente, Saint Richard... art. cit., p. 183, en opposant à juste titre charité privée et indignation publique, politique, soit ce que je nommerais volontiers les deux faces de la fonction de prélat.
Sur le très bon administrateur que fut Richard de Wyche, ce qui n’est pas contradictoire avec la sainteté personnelle, dans le cas du modèle du saint évêque, notamment britannique, cf. E. F. Jacob, Saint Richard... art. cit., p. 183 surtout.
Comportement souligné à maintes reprises par T. Bocking, AA. SS. loc. cit. . Le sermon, plus fiable, ne dit mot d’un épisode inspiré de toute évidence de l’hagiographie dominicaine, où Richard utilise sa fortune mobilière pour donner aux pauvres victimes de la disette (à la manière de Dominique vendant ses livres à Palencia. L’orateur préfère raconter un peu plus loin (lignes 116-117) un miracle christique, celui de la multiplication des fèves par l’évêque, lui aussi présent dans la Vita (éd. cit. cap. 75 p. 302), qui est semblable à celui de la multiplication des pains (deux miracles de ce genre sont rapportés par les Evangiles, le premier épisode par les quatre évangélistes, le second par Matthieu et Marc seulement, cf. DB, p. 963-964).
Lignes 74-76.
Lignes 109-113. Les qualités pastorales de l’évêque sont particulièrement mises en valeur par un fragment de Vitaque les Bollandistes éditent, AA. SS. loc. cit., p. 278-279. Ce fragment est jugé par les éditeurs comme la plus ancienne source hagiographique, cf. préface , p. 277 § 4, car il méconnait la canonisation. Leur appréciation paraît plausible; d’ailleurs E. F. Jacob exploite les données qui y sont contenues: « Mortuo autem B. Edmundo, Richardus solutus tam a curiae quam a curae sollicitudine, ad theologiam se contulit Aurelianis in domo Fratrum Praedicatorum addiscendam...; et, ut pro grege Domini Patri Filium immolaret, ad sacrum presbyterum ordinem se fecit inibi promoueri. A suscepti autem ordinis sacerdotalis tempore, ornatus vestium plus habuit humiliores. Et cum ibidem sacrae scripturae pocula suauia luculenter hausisset, ad agendam curam proximorum et oues proprias pascendas accedit: ad unicam siquidem solam, quam habebat, parochiam reuertitur, ut in illa pusillanimes consoletur et corripiat inquietos » (p. 279). L’insistance sur le non-cumul devait plaire à Eudes de Châteauroux, surtout peu de temps après la querelle entre Mendiants et Séculiers.
Ainsi lorsqu’il détruit l’un de ses domaines, parce qu’il était devenu un repaire de prostituées (lignes 78-79).
Sur cette Virtusdepuis toujours attribuée ua saint, cf. A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 497-518
Lignes 114-132. Sur la distinction entre miracles avant et après la mort, cf. P.-A. Sigal, L’homme et le miracle dans le France médiévale (XI e -XII e siècle), Paris, 1985, Introduction, p. 9-15. Quant aux modifications du « champ miraculeux » à cette époque; cf. A. Vauchez, La sainteté...op. cit., p. 519-558.
Cf. E. F. Jacob, Saint Richard... art. cit., p. 175-176, et AA. SS. loc. cit. cap. 77-78 p. 303.
Cf. G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval (France, Angleterre, Empire, IX e -XV e siècles). Essai de synthèse et pespectives de recherches, Paris, 1962, t. II, p. 501-507.
SERMO n° 25, lignes 133-135.
Ps. 4, 4.
SERMO n° 25, lignes 135-141.
SERMO n° 25, ligne 158-160.
Cf. A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 197-203.
Ibidem p.329-358.
Cf. l’Inventaire des sourcesd’A. Vauchez pour le XIIIe siècle, La sainteté... op. cit., p. 655-664, ici p. 662, n° 10.
Edition AA. SS. , Octobre, t. VIII, p. 200-267; voir le détail dans R. Folz, Les saintes reines... op. cit., p. 129-139. La Legenda maiornotamment (AA. AS. éd. cit., p. 224-246), si elle date des dernières années du XIIIe siècle, dépend d’après son auteur de trois sources: les procès-verbaux de l’enquête préalable, alors disponibles au monastère de Trzebnica où décéda la sainte; des renseignements oraux, puisés chez ses familiers; une première Vie, actuellement perdue, écrite dès 1262 par le Cistercien Engelbert, mentionné dans le prologue de la Legenda maior ; les Cisterciens, à qui Hedwige montra beaucoup de faveurs, ont joué un rôle dans sa canonisation, cependant secondaire selon J. Gottschalk, Die Förderer des Heiligsprechung Hedwigs, dans Archiv für schlesische Kirchengeschichte, t. XXI (1963), p. 73-133.
Ed. AA.SS., loc. cit., p. 265-267.
Lc. 11, 33.
SERMO n° 35, lignes 25-66.
Lignes 67-77.
Lignes 78-157.
Lignes 14-24.
Cf. A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 432 sur ce trait biographique de la sainte, repérable également dans le Legenda maior, qui l’apparente plutôt au type de sainteté féminine caractéristique du haut moyen âge.
Lignes 54-60. Voir A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 432 s. sur les aspects modernes de la dévotion d’Hedwige, notamment les stigmates; R. Folz, Les saintes reines... op. cit., p. 134-135.
SERMO n° 35, lignes 53-54.
Lignes 78-80.
Lignes 87-92.
Lignes 113-114.
Lignes 126-131.
Lignes 139-141.
Lignes 143-153.
Lignes 158-163.
Précaution d’autant plus nécessaire que Clément IV fut marié et eut des enfants.
Prov. 31, 16-17.
Sermo n° 36, ligne 4.
Lignes 9-15.
Cf. M. Thiel, Grundlagen... op. cit., p. 445 (Ambroise).
Lignes 25-32.
Lignes 53-151.
Lignes 79-81.
Lignes 90-96. Seule sa fille, moniale cistercienne, fait exception; la duchesse l’a placée dans un monastère « qu’elle a elle-même construit » (ligne 96), donc qui paraît différent de celui que son époux a fondé.
Sur le développement de ces saintes lignées, dont les Angevins s’arrangent très tôt pour faire parti, cf. A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 187-215, en particulier p. 212 sur la famille des comtes d’Andechs à laquelle Hedwige appartient; pour le cas des Angevins, Idem, Beata stirps. Sainteté et lignage... art. cit.
La sainteté... op. cit., p. 431-433.
Sur les différentes positions du chrétien en prière, cf. J.-C. Schmitt, La raison des gestes dans l’Occident médiéval, Paris, 1990, p. 289-320, surtout p. 290 et p. 301-302 pour la prostration; voir aussi Prier au moyen âge. Pratiques et expériences (V e -XV e siècles), s.l., 1991, p. 87-91; il semble que la génuflexion soit devenue la posture la plus usuelle à cette époque.
Cf. A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 433.
Le texte n’est pas clair: il dit à la ligne 107 qu’après son veuvage, Hedwige vécut dans le monastère fondé par son époux; mais tout le reste du sermon la décrit comme une pieuse laïque, dont on comprendrait mal les longs déplacements pour assister à la messe, si elle avait été moniale. Il est vrai que vivre dans un monastère et prononcer des vœux sont deux choses différentes, cf. sur cette apparente contradiction R. Folz, Les saintes reines... op. cit., p. 132-133.
Ici, lignes 105-106.
Encore une fois, le sermon n’est pas clair sur l’origine de ce monastère: deux fois l’orateur affirme que c’est bien le duc de Silésie Henri Ier qui l’a fondé, mais aux lignes 152-156, il ajoute qu’il y a été poussé par Hedwige. De façon caractéristique, il s’agit d’un monastère recrutant dans la noblesse et le milieu des familiers de la cour (cf. lignes 154-155), suffisamment riche pour nourrir plus de mille personnes chaque jour (lignes 155-156), et de type mixte (hommes, femmes, convers).
Lignes 119-122.
Voir en particulier, à la ligne 106, l’allusion à la « tour » que certains veulent édifier, méconnaissant les dépenses qu’il en coûte. Or la famille des Annibaldi a fait construire une célèbre tour, dite « des milices », encore visible à Rome aujourd’hui, cf. M. Dykmans, D’Innocent III à Boniface VIII... art. cit., p. 37-38. Le début de la construction semble dater du pontificat de Grégoire IX, mais l’édifice définitif fut achevé plus tard, à une date inconnue. En deux autres endroits, Eudes de Châteauroux s’en prend à ceux qui n’imitent pas Hedwige et courent à leur perte (lignes 171-180 et lignes 193-197), mais sans viser spécifiquement les clercs.
Lignes 149-150.
Cf. R. Folz, Les saintes reines... op. cit., p. 131.
Lignes 152-162. Sur Cluny aux XIe-XIIe siècles, voir G. Duby, Le budget de l’abbaye de Cluny entre 1080 et 1155. Economie domaniale et économie monétaire, dans AESC, t. VII/2 (1952), p. 155-171; Idem, Un inventaire des profits de la seigneurie clunisienne à la mort de Pierre le Vénérable, dans Studia Anselmiana, t. XL (1956), p. 129-140 (les deux articles repris dans Idem, Hommes et structures du moyen âge, Paris, 1973, p. 61-82 et p. 87-101). Voir aussi D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au Judaïsme et à l’Islam, 1000-1150, Paris, 1998, surtout p. 35-99.
Cf. R. Folz, Les saintes reines... op. cit., p. 132 et note 202. L’auteur juge certains aspects de la chasteté conjugale d’Hedwige, tels que les décrit l’hagiographe, « invraisemblables ». Et A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 443 et note 501; p. 444 et note 503.
Lignes 181-218.
Lignes 182-185. Pour la biographie d’Hedwige, voir R. Folz, Les saintes reines... op. cit., p. 130-136. Elle est née vers 1174-1180, épouse le duc de Silésie Henri Ier vers 1186-1190, soit à l’âge de 12-13 ans, lui donne sept enfants, dont trois seulement survivent. C’est donc entre vingt et vingt-cinq ans environ qu’elle prend la décision de s’abstenir de toute relation sexuelle; elle vit encore trente ans mariée, puis sept ans veuve, décédant en 1243. Mis bout à bout, tous ces éléments se tiennent, et font mesurer ce qui a pu frapper les contemporains dans ce genre de vie.
Lignes 205-207.
Cf. M. Maccarrone, Sacramentalità et indissolublità del matrimonio nella dottrina di Innocenzo III, dans Lateranum, N.S., t. VI (1978), p. 449-514 (repris dans Idem, Nuovi studi su Innocenzo III, a cura di R. Lambertini, Presentazione di O. Capitani, Rome, 1995, p. 47-110). Pour la prédication, D. L. D’Avray et M. Tausche, Marriage sermons... art. cit., p. 102 s.
Je suppose que c’est au rachat d’esclaves chrétiens dans le monde slave demeuré païen que de telles œuvres font allusion, car l’esclavage « domanial » semble bien avoir à peu près disparu en Pologne à cette époque, il est vrai un peu plus à l’ouest, cf. R. C. Hoffmann, Land, Liberties, and Lordship in a late medieval Countryside. Agrarian Structures and Change in the Duchy of Wroclaw, Philadelphie, 1989, p. 49 et p. 51.
Cf. A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 143-146.
Ps. 131, 15. Je n’ai pas suivi la Bible de Jérusalem, éd. cit., qui choisit le texte du Psautier hébraïque pour traduire: « Sa nourriture, je la bénirai... »; c’eût été aller à contre-sens du sermon qui file tout le long la métaphore de l’Eglise et de la sainte épouses du Christ; je m’en suis donc tenu à traduire la Vulgate.
Lignes 3-6.
Lignes 10-92.
Cf. W. Imkamp, Die Kirchenbild... op. cit., p. 203-272, et p. 300-326.
Mt. 9, 15.
1. Rg. 2, 5.
Lignes 10-30.
Lignes 41-67
Cf. Mt. 4, 3-9.
Lignes 62-67.
Ligne 73.
Lignes 93- 169.
Cf. 1. Tim. 5, 4 s.
Lignes 106-107. Cf. R. Folz, Les saintes reines... op. cit., p. 130-131. Eudes de Châteauroux doit d’autant mieux s’en souvenir qu’il a donné un sermon sur cette invasion, voir le chapitre I.
Lignes 170-182
Cf. Lc. 11, 5.
Lignes 176.
Cf. A. Vauchez, La sainteté... op. cit., p. 435-446.
Ibidem, p. 433.