Si l'on s'en tient aux indications qu'il donne dans son prologue 2536 , Eudes de Châteauroux fournit une chronologie absolue de la composition de son œuvre homilétique, à compter de 1264 environ. En confrontant ces indications avec ce que l'on sait de la mobilité de la Curie durant l'époque où il y réside 2537 , on peut encadrer par des dates extrêmes la composition des recueils de sermons qui y sont mentionnés. Ce travail donne les résultats suivants:
INTITULE DU RECUEIL |
PERIODE ET LIEU DE COMPOSITION | DATES EXTRÊMES POSSIBLES |
Et ego si exaltatus fuero | sous Urbain IV à Pérouse 2540 | 2 octobre 1264- 5 février 1265 2541 |
Multi tyranni sederunt in throno |
sous Clément IV à Pérouse 2542 | 5 février 1265- 19 avril 1266 |
Lauda Ierusalem Dominum | sous Clément IV à Viterbe 2543 | 30 avril 1266- 15 février 1267 |
Gratia Domini nostri Iesu Christi |
sous Clément IV, la troisième année du pontificat 2544 | 15 février 1267- 15 février 1268 |
Sobrii estote et vigilate | durant la vacance du siège papal, à Viterbe 2545 | 1269 |
Restituetur ut lutum signaculum |
durant la vacance du siège papal, à Viterbe 2546 | 1270 |
On notera qu’apparemment, la seconde moitié du prologue fournit des données chronologiques plus précises que la première, ce qui est logique, puisque ce texte a été écrit en trois étapes 2547 , et qu’à ce titre la description des dernières phases de composition relate des événements plus récents. Les trois derniers recueils sont ainsi encadrés par des années précises (1269, 1270), ou par une année de pontificat 2548 . Au contraire, les trois premiers recueils sont beaucoup plus vaguement situés dans la chronologie, puisqu’un lieu de résidence et le règne d’un pape sont seuls précisés 2549 .
Mais il y a matière à préciser ces dates, en tirant profit d’autres éléments, pour tenter de resserrer la fourchette chronologique proposée pour chaque recueil. Car les indications fournies par le prologue se révèlent, à l’examen, approximatives.
Des manuscrits actuellement existants, contenant des recueils de sermons d’Eudes de Châteauroux, celui de Pise, Bibl. Cateriniana 21, est le seul qui correspond exactement à la description d’un recueil, celui intitulé: Sobrii estote . Le manuscrit et le recueil ont les mêmes premier et dernier sermons, le même nombre de pièces, et le contenu du manuscrit de Pise est largement constitué, d’après les rubriques, de sermons donnés durant le conclave de Viterbe. Mais on s’aperçoit, lorsqu’on examine de plus près ce manuscrit, qu’il ne correspond pas exactement, au plan chronologique, à ce qu’annonçait le prologue 2550 . D’après son titre 2551 , sa période de composition couvre l’année 1267, les troisème et quatrième années de pontificat de Clément IV, et la vacance du siège de Pierre consécutive au décès du pape. Effectivement, il contient des sermons de 1268, notamment ceux donnés pour la victoire de Tagliacozzo (août 1268), et le sermon pour la mort de Clément IV (fin novembre 1268).
En outre, lorsqu’on examine le contenu des recueils, partiellement identifiable grâce à des notes qui se lisent en marges de certains manuscrits 2552 , on s’aperçoit qu’il existe entre eux des chevauchements: un sermon, sur le thème biblique Unam petii a Domino(Ps. 26, 4), est mentionné dans des notes marginales comme faisant partie à la fois du recueil Gratia Domini nostri Iesu Christi, et du recueil Sobrii estotequi le suit 2553 . D’autres exemples de chevauchement de ce type sont repérables. Je me contenterai ici d’un seul exemple supplémentaire, introduisant cette fois un chevauchement entre les deux recueils Lauda Ierusalem Dominum tuumet Gratia Domini nostri Iesu Christi . On trouve dans les collections un sermon rubriqué « sermo secunda feria post terciam dominicam in quadragesima, concurrente festo beati Benedicti » 2554 .Ce sermon peut être daté exactement grâce à sa rubrique, puisque la date de la saint Benoit, et le lundi suivant le troisième dimanche de Carême, coïncident le 21. 03.1267. Il se trouve par ailleurs que ce sermon est donné en note dans le manuscrit de Paris, BNF latin 15947, comme 56ème sermon du recueil Lauda Ierusalem Dominum tuum 2555 . La date précise du 21. 03.1267 convient parfaitement bien, pour un sermon inclus dans un recueil que son lieu et sa période de composition situent, pour partie, en 1267. En réalité donc, le recueil Lauda Jerusalem court jusqu’à la fin de mars 1267 au moins, du point de vue de son contenu. Et pourrait bien chevaucher le recueil suivant, Gratia Domini nostri Iesu Christi, censé d’après le prologue débuter avec la troisième année de pontificat de Clément IV, soit le 15 février 1267.
Il est donc possible de proposer un second tableau, provisoire en l’état de la recherche, rectifiant autant qu’il est possible les données brutes du prologue, à l’aide des indications glanées dans les manuscrits 2556 .
INTITULE DU RECUEIL |
DATES EXTRÊMES RECTIFIEES |
Et ego si exaltatus fuero | 2 octobre 1264- 5 février 1265 |
Multi tyranni sederunt in throno |
5 février 1265- 19 avril 1266 |
Lauda Ierusalem Dominum | 30 avril 1266- fin mars 1267 |
Gratia Domini nostri Iesu Christi |
15 février 1267- fin 1267 |
Sobrii estote et vigilate |
fin 1267- fin 1269 |
Restituetur ut lutum signaculum |
1270- début 1273 |
Voir l’annexe 1, édition et commentaire.
Voir A. Paravicini-Bagliani, La mobilità... art. cit., passim.
Prologue (annexe 1), lignes 19-20.
Je nomme désormais ces recueils d’après le thème de leur premier sermon.
Prologue (annexe 1), lignes 9-11.
A. Paravicini-Bagliani, La mobilità... art. cit., p. 237; cette référence bibliographique vaut pour les trois autres recueils suivants.
Prologue (annexe 1), lignes 12-14.
Prologue (annexe 1), lignes 15-18.
Prologue (annexe 1), lignes 24-26.
Prologue (annexe 1), lignes 27-29.
Prologue (annexe 1), lignes 30-31.
Voir le commentaire du prologue (annexe 1).
Système par nature extrêmement rigoureux, puisque c’est celui dont se sert la chancellerie pontificale pour dater les actes dans les Registres.
Avec une nuance pour le premier recueil, Et ego si exatatus fuero, puisque le pape Urbain IV est dit « de bonne mémoire », et qu’il n’a jamais vérirtablement résidé à Pérouse, où il se rendait lorsqu’il est mort; cela indique que la composition a été effectuée durant la vacance du siège pontifical, donc resserre la fourchette chronologique.
Je me contente ici de brèves indications; pour le détail des arguments, voir l’annexe 2.
« Sermones venerabilis patris Odonis, episcopi Tusculani, quos composuit apud Viterbium, anno Domini m° cc° lxvii°, pontificatus Domini Clementis pape iiiiti anno tercio et quarto, et tempore vacantis Ecclesie ».
Sur le fonctionnement de ces notes, voir ci-dessous; j’en ai largement fait usage au cours de mon étude du corpus.
Voir l’annexe 2 pour le détail.
Manuscrit de Rome, AGOP XIV, 32, f. 115rb-116rb, sur le thème: Vade et lauare septies (4. Reg. 5, 10) = RLSn° 195.
Manuscrit de Paris, BNF latin 15947, f. 135v: « LVI°, item sermo de eodem, iiii° Regum v°: Vade et lauare septies, quere in exemplari quod incipit: Lauda Iherusalem ».
Il reste évidemment beaucoup de travail à faire pour reconstituer, grâce aux notes, le contenu des recueils que le prologue permet de dater. C’est un travail spécifique, qui n’avait pas sa place ici, sauf pour les sermons que leurs rubriques avaient signalés à l’attention, et qui ont été intégrés dans le corpus. Ce travail est rendu complexe par la précipitation dans laquelle a été préparée la seconde édition (voir ci-dessous). De cette précipitation, on décèle plusieurs indices: encore en avril 1272, seul le travail de rubrication des sermons contenus dans les recueils du prologue a été effectué (voir l’annexe 1, lignes 32-35). L’ajout « de dernière minute », au texte du prologue, de la mention du recueil Restituetur ut lutum, et l’indication que le travail de rubrication et de classement des sermons contenus dans les recueils a été réalisé, prouvent l’inquiétude de ne pas parvenir à mener à bien l’édition. Vont dans le même sens la reliure, dans un cahier à part du manuscrit de Pise, placé à la fin, du SERMO n° 63; de même enfin, l’ajout in extremis,au manuscrit de Rome, Bibl. Angelica 156, de deux cahiers de sermons inédits, à mon avis tous donnés en conclave; j’ai voulu démontrer ce fait en éditant deux d’entre eux, les SERMONES n° 64 et 65. Tout prouve que le cardinal a travaillé jusqu’à son dernier souffle et bien mérité la récompense éternelle qu’il espérait.