En fait, il semble qu’il faille dater les sermons les plus récents du ms. de Pise vers la fin du second tiers de l’année 1270, pour deux raisons. D’abord, le prologue copié dans le ms. de Pise mentionne un ultime recueil, écrit d’une autre main, et date sa composition de 1270: « Item apud Viterbium, vacante ecclesia, anno Domini m° cc° lxx°, composui sermones quorum primus incipit: Restituetur ut lutum signaculum, sed nondum perfeci » 2582 . Ensuite, on trouve à la fin du ms., de la même main que celle qui a ajouté l’ultime recueil Restituetur... , deux textes curieux, proches par leur forme de sermons, que je crois pouvoir dater 2583 . Le premier texte relate la visite de l’archevêque de Tours, Vincent de Pilmil, explicitement nommé, à la Curie, pour se scandaliser de la lenteur avec laquelle les cardinaux procèdent à l’élection pontificale; son début (« quinta feria xix kal. septembris... ») permet de dater la visite du prélat: le 19 des calendes de septembre donne le 14 août; en 1270, le 14 août est un jeudi, ce qui correspond exactement à la mention « quinta feria »; or le cardinal est très précis lorsqu’il fournit des indications calendaires. Le second texte évoque la présence à Viterbe des frères Gui et Simon de Montfort (les fils du baron anglo-normand Simon de Montfort mort à Evesham en 1265 2584 ). Gui de Montfort est devenu en 1270 vicaire de Charles d’Anjou en Toscane 2585 . On sait qu’au printemps 1271, il se rend auprès de Charles d’Anjou, alors présent à Viterbe, pour lui rendre hommage 2586 . Ce second texte ne serait pas antérieur au quatrième trimestre 1270, puisque copié après le compte-rendu de la visite de V. de Pilmil. Mais, comme aucune source ne permet d’expliquer cette année-là la présence à la Curie des deux frères de Montfort, il me paraît plus convaincant de le dater de 1271. On peut même, pour 1271, présumer un terminus ante quem : les chroniqueurs et la documentation placent la venue de Charles d’Anjou entre le 10 et le 12 mars de cette année 2587 . Or le 13 mars 1271, alors que son seigneur vient à peine d’arriver dans la ville, Gui de Montfort est l’auteur d’un des actes de vendetta les plus célèbres, mais aussi, au jugement des contemporains, les plus scandaleux de la fin du XIIIe siècle: l’assassinat à Viterbe, dans une église où il entendait la messe, de Richard d’Allemagne, neveu du roi d’Angleterre Edouard Ier , dont Richard de Cornouailles, père de la victime, était le frère cadet. Par ce geste, Gui se vengeait de la défaite et de la mort honteuse de son père à Evesham. Ce second texte est obligatoirement antérieur à cet événement, puisqu’il n’en dit pas un mot. Pour conclure sur ce point, on doit probablement fixer à ce texte une date antérieure, de peu, à la fin de février 1271.
Donc, en février-mars 1271 au plus tôt, le cardinal a ajouté deux sermons à la fin du ms. de Pise, ainsi que la mention d’un nouveau recueil à la fin de son prologue, Restituetur..., puisque le nome de ce recueil, et les deux sermons, sont écrits de la même main. Et la composition de ce recueil, commencée en 1270, est inachevée, au début de 1271. On peut donc savoir approximativement quand s’achève chronologiquement la période de composition du ms. de Pise
Restituetur ut lutum signaculumse distingue du reste du prologue, dans la version donnée par le ms. de Pise, à son écriture, la même que celle des notes, des réclames et de deux textes ajoutés à la fin; voir le commentaire à l’annexe 1 (édition du prologue), et la reproduction (planche) du f. 2v du manuscrit. Il existe une version plus courte du prologue, qui ne mentionne ni le recueil Restituetur ut lutum signaculum, ni le recueil Sobrii estote , c’est à dire le ms. de Pise, mais s’arrête au recueil précédent, Gratia Domini nostri Ihesu Christi . Cette version courte est donnée par les manuscrits de Rome, Agop XIV, 34 et Bibl. Angelica, 157.
Voir au f. 163 [156]va et suivants. F. Iozzelli, Odo da Châteauroux... op. cit., édite les deux textes p. 259-264; il les range à part, en appendice, à la fin de la liste complète des sermons qu’il fournit au début de son ouvrage (p. 52-66), sans doute à cause de leur écriture différente. Leur forme incite à les considérer comme des sermons; mais, de ce point de vue, ils présentent des différences avec les 86 autres sermons du ms, qui méritent un commentaire, voir l’édition du premier, le SERMO n° 63.
Sur lui, cf. en dernier lieu, J. R. Maddicott, Simon de Montfort, Cambridge, 1994.
Cf. F. Iozzelli, Odo... op. cit. , p. 156 note 86; J. R. Maddicott, op. cit. , p. 370-371; P. Durrieu, Les archives angevines de Naples. Etude sur les registres du roi Charles I er (1265-1285), Paris, 1886-1887; voir au t. II les notices de Gui de Montfort (p. 352) et de Simon de Montfort (p. 353). A la suite du meurtre de Richard d’Allemagne (voir ci-dessous), Gui est dépouillé de ses biens et de ses dignités, mais finit par rentrer en grâce et reprend, au plus tard en 1282, son rang à la cour; Simon est décédé plus tôt, vers 1271.
Cf. F. Iozzelli, Odo... op. cit., p. 154-156 et notes correspondantes.
D’après l’itinéraire diplomatique dressé par P. Durrieu, Les archives angevines...op. cit., t. II, p. 163-189, Charles est à Viterbe dès le 10 mars 1271 (p. 172).