Conclusion provisoire: la nature du ms. de Pise

Les remarques et interrogations qui précèdent ont au moins l’intérêt de bien montrer quelle est la nature spécifique du ms. de Pise, notamment par comparaison avec les mss produits par l’édition officielle.

Premier constat: ce manuscrit ne contient pas une série homogène de sermons des saints, mais présente un mélange de sermons du temps (dont la plupart des fêtes sont à date mobile), des saints (la part de ces derniers est majoritaire), et de sermons de circonstances ou de casibus, c’est à dire ne correspondant à aucune fête du calendrier commun de l’Eglise. Cette hétérogénéité s’explique par les caractéristiques chronologiques et liturgiques indiquées. En fait, le ms. rassemble, presque pêle-mêle, des sermons que le cardinal Eudes de Châteauroux a délivrés sur quatre ans au moins (1267-1270). Ils ont cependant été l’objet d’un premier classement: les sermons des saints sont autant que possible regroupés. Mais ce fait ne peut masquer que deux grands cycles liturgiques, où s’entremêlent les trois catégories de sermons, structurent le ms. Le premier sermon commence avec la fête de saint Antoine de Padoue (13 juin), suivie de celle des saints Gervais et Protais (19 juin) et de la Nativité de Jean Baptiste (24 juin); etc. Suivant les indications liturgiques fournies par les rubriques, il semble que ce premier cycle s’achève avec le sermon n° 68, s’il est bien du 26 mars 1269. Plusieurs sermons de casibuss’intercalent ensuite (du n° 69 au n° 73), que des recherches plus approfondies permettent, du moins pour certains, de dater et de rattacher ainsi soit au premier, soit au second cycle liturgique du ms. 2593 . Le second cycle liturgique commence avec le n° 74, pour la Nativité de saint Jean Baptiste, et s’achève avec les sermons n° 83 et 84, pour l’Assomption. Les deux derniers sermons, les n° 85 et 86, sont de circonstance; ils peuvent être approximativement datés. Au premier abord, il serait tentant de considérer que l’on a affaire à une série continue, sorte de recueil de reportations, sans doute revues par l’orateur, mais déroulant dans l’ordre chronologique la séquence réelle de l’activité oratoire du cardinal, entre 1268 et 1269. D’autant que, le plus souvent, les datations que suggèrent les rubriques des sermons du temps ou de circonstance s’insèrent bien entre celles des sermons pour les saints, par définition fixes. Mais deux réserves s’imposent au regard de cette interprétation: la présence de plusieurs sermons pour la même fête, à des endroits différents dans le ms.; et la présence, en amont et en aval de ces deux années, d’au moins un sermon de 1267 d’une part, d’au moins un sermon de 1270 d’autre part, sans parler du texte narrant la présence à Viterbe des deux frères de Montfort, du début 1271 semble-t-il.

Second constat: il n’est pas possible, en l’état actuel, de dater la totalité des sermons du ms. de Pise. Mais on saisit bien sa nature spécifique: il ne constitue en fait qu’un recueil intermédiaire, dont le cardinal se servait ensuite pour l’édition officielle. A ce titre, il correspond parfaitement à un stade de son travail d’édition, dont l’analyse de son prologue avait permis de dégager les grandes lignes: copie dans des voluminaou des exemplariades sermons 2594 , au fur et à mesure qu’ils sont délivrés ou écrits, c’est la composition; puis travail de regroupement par fête et de rubrication; enfin production par le scriptorium de collections complètes, éditions officielles séparant soigneusement sermons du temps et des saints (cette dernière catégorie comprenant deux sous-séries: de communi sanctorum et de diuersis casibus ).

Troisième constat: l’intérêt majeur du ms. de Pise réside, on l’a vu, dans les précieux indices de datation que fournissent plusieurs rubriques des sermons de circonstances, ou de casibus, qui y abondent du fait des années couvertes par la composition (essentiellement le conclave de Viterbe). Certaines de ces rubriques sont assez précises pour permettre de dater sans risque d’erreur le sermon qu’elles identifient: l’exemple du sermon donné pour la mort de Clément IV, survenue le 29 novembre 1268, est éloquent.

Notes
2593.

Par exemple, les deux sermons, n° 69 et 70, donnés à l’occasion de la promulgation d’un jugement des cardinaux contre les Orviétains, qui ont visiblement profité de la vacance du siège pontifical pour usurper les droits de l’Eglise (voir l’édition des textes, SERMONES n° 59 et 60 de mon corpus), sont probeblement datables de 1269, si on les remet dans le contexte de l’histoire des relations de la ville et du saint-siège.

2594.

C’est ainsi, par le nom de volumenou d’ exemplar, que les notes marginales préparant une future édition désignent les recueils du prologue.