c) Les sermons de date inconnue

Un certain nombre de sermons de casibus, malgré des rubriques faisant parfois allusion à des événements très précis, ne sont susceptible à l’heure actuelle d’aucune suggestion sérieuse de date. Ce sont les suivants.

On trouve d’abord le sermon n° 64 déjà évoqué, narrant la révolte du castrum de Lariano contre l’Eglise, dans le patrimoine de Saint-Pierre, ce qui sans doute explique l’émotion du cardinal. La forteresse de Lariano se trouve en effet au nord-ouest de Velletri. On ne sait rien en 1269 du comportement de ses habitants. Mais on sait d’après les registres angevins qu’elle a été prise à l’église romaine par Riccardellus Mathei Anibaldi, neveu du fameux cardinal Riccardo Annibaldi, avant le 15 novembre 1270, et l’épisode remonterait à 1268, au début de la vacance du siège pontifical ²⁶²⁶ . Ce sont les gens de Velletri, demeurés fidèles à l’Eglise romaine, qui la défendent et s’en prennent, à l’automne de 1269, à ceux de Lariano. En fait, il se pourrait que la conquête de cette forteresse par Riccardellus Mathei Anibaldiait eu lieu en 1268, et que Ricardellodéfende par la suite sa conquête, contre les cardinaux, en 1269 ²⁶²⁷ . Il faut ajouter que Ricardello est un vieil ennemi du pape: on le voit à Tagliacozzo aux côtés de Conradin, en 1268, ce qui confirme que la famille des Annibaldi était pour le moins partagée sur la question de Sicile. En tout cas, Charles d’Anjou a sans doute toujours besoin des cardinaux romains, puisque dans un acte donné à Carthage, c’est à dire durant la seconde croisade de Louis IX, il déclare en substance que si Riccardellus rend la Rocca Larianiaux cardinaux avant un mois, et jure obéissance au vicaire du roi ou à son camérier pour Rome, lui, Charles, faisant grâce à l’intercession de son oncle cardinal, lui pardonnera; à condition toutefois que le dit Riccardellusse tienne désormais à plus de quatre milles de Rome, sauf permission royale expresse. Il n’est pas certain que les habitants de Lariano et-ou Riccardellusaient définitivement renoncé à la désobéissance, puisqu’un acte du 20 avril 1272 ²⁶²⁸ montre que depuis deux ans, les gens de Velletri, à l’instigation du vicaire royal pour Rome et des cardinaux, n’ont cessé de leur faire la guerre pour les conduire à résispiscence. Quel que soit l’intérêt de tous ces événements, ils ne permettent pas de suggérer, ne serait-ce qu’une présomption de date.

Le même constat vaut pour les sermons n° 71 et 72, aux rubriques pourtant circonstanciées. Le premier veut exhorter ceux que l’Eglise envoie en légation pour ses affaires, on doit supposer, à travailler efficacement. Le second est l’avant-dernier consacré à l’élection du pape. Eu égard à la durée du conclave, et à l’absence de sermons à proximité, qui soient datables, il ne paraît pas sérieux d’avancer la moindre hypothèse en la matière pour le sermon n° 72.

Les sermons n° 79 et 80 évoquent un tremblement de terre nocturne survenu à Viterbe. L’événement n’a rien d’étonnant dans cette région. C’est peut-être ce qui explique qu’aucune autre source, apparemment, ne mentionne ce séisme ²⁶²⁹ . Si les deux sermons sont de 1269, il se peut qu’ils constituent la seule source documentant cet événement.

Le sermon n° 82, le dernier consacré à l’élection pontificale, pose les mêmes problèmes que le sermon n° 72, et appelle la même remarque: il n’est pas possible de savoir à quel moment du conclave se place cette cinquième intervention du cardinal Eudes de Châteauroux pour accélérer le choix d’un pape. Enfin le sermon n° 85 confirme le penchant de l’orateur pour l’oraison funèbre, puisqu’il est consacré à l’arivée de la dépouille mortelle, depuis la Sicile, d’un guerrier, un certain Raoul de Culant.

Cet homme dont le corps est ramené de Sicile et devant lequel, sans doute, prêche le cardinal, est plusieurs fois attesté dans les Registres de Charles Ier de Naples ²⁶³⁰ . Il s’y trouve nommé indistinctement Arnolfus, Radulfus, Ranulfus, Raynulfus, et est décrit comme chevalier terrier de l’hôtel, c’est à dire fieffé dans le royaume ²⁶³¹ . Il fut sans doute également châtelain du Château de l’Oeuf, où séjourna Conradin durant son procés. On ne peut donc rien savoir sur la date et les circonstances de son décès. Son fils Iannoctusne lui succède dans ses fiefs mérifionaux qu’en 1276-1277, où il reçoit la fidèlité des habitants. Les sermons datés les plus proches suggèrent 1269, mais il peut y avoir confusion entre plusieurs membres de la même famille, d’origine angevine au sens étroit: Raoul possède des fiefs en Anjou par sa femme. On peut tout de même suggérer une hypothèse concernant la fin de ce guerrier: la fin de l’année 1268 et l’année 1269, après la bataille de Tagliacozzo, constituent le moment essentiel de la reprise en main du Regnum, loin d’être acquise suite à une victoire ponctuelle. En particulier, la résistance de la garnison musulmane de Lucera, qui avait pris le parti des Hohenstaufen, n’est vaincue qu’en août 1269. Bref, il se pourrait que Raoul de Culant ait été la victime de ces combats de pacification, car rien n’indique que ce chevalier ait joui d’un particulier renom parmi les hommes de guerre qui ont suivi Charles depuis la France, renom susceptible d’expliquer qu’un sermon funèbre soit donné en son honneur. On comprendrait donc mal l’existence d’un tel sermon, à l’occasion du retour de son corps, s’il n’avait pas été la victime héroïque des combats du Bien contre le Mal. L’orateur fournit une clef possible pour déterminer sinon la date, du moins le lieu de sa sépulture: le défunt va désormais reposer dans un couvent de moniales cisterciennes fondé par son père, sur les terres patrimoniales ²⁶³² .

On voit que, même en l’absence de dates, les sermons de casibusdu cadinal ne manquent pas d’intérêt, et continuent de s’intéresser fondamentalement aux mêmes thèmes. Le manuscrit de Pise, à cet égard, susceptible encore de bien des approfondissements, n’est qu’un témoin particulièrement remarquable de ce phénomène, simplement parce que c’est l’unique recueil qui subsiste et présente la prédication du cardinal Eudes de Châteauroux presqu’à l’état brut. Avant d’en synthétiser en un tableau les données, mais aussi les incertitudes chronologiques, qui résultent des analyses précédentes, quelques acquis méritent d’être rappelés.

De nombreux sermons du ms. de Pise sont datables entre juillet 1267 et février 1271. Il subsiste toutefois des incertitudes, qui se ramènent à deux cas de figure. Lorsque plusieurs sermons pour un saint ou une fête identiques se suivent, ont-ils été prêchés le même jour, ou bien s’agit-il du regroupement de sermons prêchés lors d’années différentes ? A l’exemple des sermons de la croisade de Louis IX, posant le même problème, il me semble qu’il faille opter pour cette seconde solution. D’autre part, certaines fêtes, très proches dans le temps et par le sujet, ne se suivent pas tout à fait selon l’ordre liturgique dans le manuscrit: par exemple, celle des apôtres Pierre et Paul, le 29 juin, correspond au sermon n° 10; celle de la commémoration de saint Paul, le 30 juin, au sermon n° 9. C’est peut-être un simple problème de copie, car on constate que l’ordre des sermons, proposé par la table présente en tête du ms. ²⁶³³ , est parfois différent de l’ordre réel suivi dans le ms. L’orateur aura sans doute procédé à un reclassement des sermons, soit en vue de l’intégration du recueil dans une future édition; soit, puisque le temps a manifestement manqué à cette fin, pour rétablir l’ordre liturgique; mais ce phénomène peut aussi s’expliquer parce que l’année de prédication change. Enfin, certaines dates demeurent totalement hypothétiques, et j’ai dès lors renoncé à les mentionner.

Je reprends donc les 87 sermons du ms. ²⁶³⁴ sous forme de tableau, en proposant une date précise ou une fourchette chronologique à chaque fois que cela m’a paru possible, sans masquer la part subsistante de l’hypothèse. Pour les dates trop incertaines, je me contente de celle de la fête, qui permet au moins de constater dans quelle mesure le sermon s’inscrit, ou non, dans la logique du calendrier liturgique, et fournit une base pour une recherche ultérieure: