Pour l’élection du souverain pontife.
Sermon donné en juillet-août 1269.
Je suis le Seigneur. Il prendra pour épouse une femme encore vierge. La veuve, la femme répudiée ou profanée par la prostitution, il ne l’épousera pas; c’est seulement une vierge d’entre les siens qu’il épousera; il ne profanera pas sa famille en la mêlant au simple peuple, car c’est moi, le Seigneur, qui l’ai sanctifiée 4401 . Ces propos concernent le grand prêtre; ils montrent avec quels scrupules doivent être observées les perscriptions relatives à l’élection du pape: Je suis le Seigneur ; secondement, la pureté qui y doit présider: Il prendra pour épouse une femme encore vierge ; troisièmement, qui sont les personnes indignes d’un tel honneur: La veuve, la femme répudiée ou profanée par la prostitution ; quatrièmement, que l’élu doit être noble par les moeurs, pour ne pas avilir la dignité de pape: il ne profanera pas .
1. (lignes 23-49) Je suis le Seigneur : la Glose interlinéaire insiste sur la valeur de ce pronom: Je , significative de la personnalité qui a établi cette loi 4402 ; il n’est qu’un seul Dieu qui puisse perdre pour l’éternité le corps de l’homme; nous pouvons échapper à d’autres ennemis, mais Lui a tout pouvoir sur nous;
2. (lignes 50-130) il nous faut donc observer scrupuleusement ses lois, en particulier celle-ci: Il prendra pour épouse une femme encore vierge ; cette vierge c’est l’Eglise, et cette loi, il l’a édictée concernant le pape; l’homme épouse la femme pour la corrompre, le Christ au contraire a épousé l’Eglise et épouse les âmes au quotidien pour les sortir de la corruption; car celui qui doit épouser l’Eglise et devenir le vicaire du Christ doit de même que ses électeurs veiller à son incorruptibilité avant et durant l’élection; vous savez en effet que seule le bienheureuse Vierge est demeurée pure en tombant enceinte; ceux donc qui à l’occasion de ce mariage engrossent l’Eglise la corrompent avant la cérémonie, en concluant un pacte en vue de la nomination de futurs cardinaux ou d’autres dignitaires de leur goût, leur élu épousant alors une femme enceinte, non une vierge; chez les hommes, corrompre une femme qu’on se propose d’épouser est un péché; à plus forte raison lorsque Dieu a ordonné au grand prêtre d’épouser une femme encore vierge , car l’élection du pape doit être célébrée dans l’absolue pureté; malheur aux électeurs qui souillent et corrompent l’épousée, ils sont coupables de lèse-majesté, comme le seraient des hommes chargés de négocier la mariage de l’empereur et d’une jeune fille, qui en profiteraient pour la souiller, comme l’aurait été Eliézer chargé par Abraham du mariage d’Isaac, s’il avait préalablement souillé Rebecca, Aggée s’il avait souillé Esther destinée au roi Assuérus; les électeurs du pape sont en fait les marieurs de l’élu et de l’Eglise, car ils la représentent et agissent en son nom; si ils intriguent avant et pendant l’élection, ils la souillent, donc l’Eglise donc eux-mêmes qui la représentent, contrevenant à la loi du Seigneur; l’homme éprouve plus de douleur de l’adultère de son épouse que de celui de sa fille: puisque l’Eglise romaine est la fille spéciale du Christ, tandis que les autres églises sont ses simples filles, la faute est plus grande lorsqu’on souille l’élection du pape que celle de tout autre prélat;
3. (lignes 131-259) La veuve, la femme répudiée ou profanée par la prostitution, il ne l’épousera pas; c’est seulement une vierge d’entre les siens qu’il épousera ; ces femmes perdues désignent les quatre genres d’épouses a priori exclues d’un mariage avec le pape, puisqu’extérieures à l’Eglise catholique, avec laquelle seule l’élu contracte des noces spirituelles; car le pape juge ceuxqui sont dans l’Eglise, il est leur tête, leur pasteur et leur recteur, ou plus exactement le vicaire de la tête, du pasteur, du recteur uniques; la veuve, ce sont les Juifs autrefois époux de Dieu mais qui l’ont rejeté; dans l’attente de retrouver l’Epoux à la fin des temps, les Juifs sont cependant préservés de l’idolâtrie par la miséricorde divine; la femme répudiée, ce sont les schismatiques de tout poil qui ont repoussé le joug divin, car ce n’est jamais Dieu qui répudie en premier - cela au plan des causes, car au niveau chronologique, la répudiation est concommittante; la femme profanée, ce sont les hérétiques de tout poil, car de tous les péchés, l’hérésie est celui qui procure la plus grande souillure, touchant la tête; les hérétiques profèrent toutes sortes d’horreurs, en particulier en posant deux principes et en niant Dieu comme unique origine de la création, de l’omnipotence et du souverain bien. Ils souillent ainsi Dieu et toute la création, qu’ils jugent l’oeuvre du diable et du mal; pour ne rien dire des autres souillures relatives aux sacrements, dont ils nient l’efficacité; la prostituée, ce sont les Païens et tous ceux que les trois premières catégories n’englobent pas; car la prostituée s’offre à tous; ainsi les Païens n’ont d’autre loi que la nature, y compris la loi de Mahomet, si on peut l’appeler ainsi, qui prétend inciter ses fidèles à la prière, aux oeuvres de miséricorde, au jeûne et au pélerinage, mais lâche en vérité la bride à leurs pulsions; donc le pape ne peut épouser ce genre de femmes, mais elles sont aussi à comprendre comme les catégories d’électeurs à écarter: la veuve, si elle se remarie, préfère son ancien mari qu’elle propose en exemple; ainsi les électeurs ne cessent de déplorer la perte du prédécesseur, quelque attitude qu’adopte envers eux le nouvel élu; la femme répudiée persécute celui qui l’a répudiée: de même certains électeurs s’estiment répudiés si l’élu ne leur obéit pas au doigt et à l’oeil; d’autres électeurs parfois le souillent et se souillent eux-mêmes en trafiquant des bénéfices; la prostituée se vend à tous les plaisirs illicites: de même des électeurs croient dominer l’élu et prétendraient agir illicitement avant l’élection; ces quatre genres d’électeurs, Dieu les récuse;
4. (lignes 260-276) c’est seulement une vierge d’entre les siens qu’il épousera; il ne profanera pas sa famille en la mêlant au simple peuple : c’est là une démonstration que le pape doit imiter les nobles moeurs de ses prédécesseurs, en prenant comme épouse une vierge d’entre les siens ; ces moeurs, il doit les adopter indissolublement, par les liens du mariage, et veiller à ne pas les profaner, pour ne pas souiller ainsi la dignité pontificale; donc, une pureté absolue doit présider à l’élection du pape, en particulier concernant l’attitude des électeurs.
Ms Pi, f. 154[147]ra-156vb.
Lev. 21, 12-15.
Cf. Biblia latina ,t. I p. 259, glose interlinéaire à Lev. 21, 12 (oleum sancte unctionis Dei sui super eum; Ego Dominus) : « Qui huius legislator et qualis sit lex subdit: Virginem ducet etcetera ».