2.2. Définition

Définir la notion de socialisation n’est pas une chose simple. Aussi, en guise d’introduction il est préférable de donner quelques repères permettant de situer les choix dans la diversité des contenus et des orientations théoriques.

Nous retrouvons dans l’histoire du concept de socialisation des héritages provenant de tous les horizons des sciences humaines, et nous utiliserons comme référence la sociologie, la psychologie et la psychosociologie.

Selon Malewska- Peyre et Tap33, tout le monde s’accorde à définir la socialisation comme le processus par lequel le nourrisson devient  progressivement  un être social, par le double jeu de l’intériorisation (de valeurs, de normes et de schémas d’actions) et de l’accès à de multiples systèmes d’interactions (interlocution, intersubjectivité, coopération). Mais, selon ces auteurs, les divergences se font rapidement jour lorsqu’il s’agit de préciser la nature et les fonctions de la socialisation, les conditions de son émergence et les déterminants de son évolution.34

Toujours selon ces mêmes auteurs, la sociologie contemporaine prend de plus en plus en considération l’acteur individuel dans ses conduites réelles, au-delà de l’individu statistique moyen (qui, lui, ne saurait avoir ni comportement ni stratégie).

La notion de socialisation appartient au vocabulaire classique de la sociologie depuis la parution du manuel de sociologie de Sutherland et Woodward en 1937 35. Il désigne alors « le processus d’assimilation des individus aux groupes sociaux » et devient la problématique centrale chez Durkheim « ‘Les manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu, et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui ’».36

La sociologie a longtemps insisté sur l’importance du contrôle social dans la socialisation, développant une certaine homogénéité parmi les membres du corps social, et décrivant un processus passif qui soumet l’individu aux poids des déterminismes sociaux. Le constat que la stabilité, l’homogénéité et la survie même d’une société sont conditionnées par la transmission de ses valeurs, normes et modèles de comportement à la jeune génération, avait conduit à voir la socialisation comme un processus d’éducation méthodique de sujets considérés comme essentiellement malléables.

Des conceptions aussi contraignantes ne pouvaient résister à l’évolution des rapports entre la psychologie et la sociologie. Pour les psychologues, il s’agit surtout d’étudier comment le développement de l’enfant s’effectue en liaison avec sa capacité à vivre en société .

La socialisation serait alors conçue comme une série d’ajustements entre le développement des structures cognitives et affectives du sujet et son environnement. Cet ajustement, fait d’équilibres, de déséquilibres et de régulation, conduit à penser la socialisation non pas comme un processus linéaire, mais comme un processus certes continu, mais sujet à des ruptures « ‘La socialisation est l’histoire des désocialisations et des resocialisations successives qui délimitent les différents temps sociaux de la vie’ ». 37

C’est ainsi qu’au moins un élément est venu troubler la cohérence trop grande de l’approche durkeimienne : les processus de socialisation ne s’opèrent pas chez un sujet passif mais actif qui, à la fois, s’adapte aux exigences de son environnement et agit sur cet environnement. La socialisation n’implique donc pas seulement la reproduction mais aussi l’innovation.

De ce fait, certains courants de la sociologie ont réagi contre l’abus de l’importance accordée au contrôle social, aux fonctions de gardiennage et de dressage des institutions éducatives. En développant une conception interactionniste de la socialisation, ils mettent l’accent sur la dynamique des interactions sociales dans l’acquisition des savoirs et des savoir-faire. Ici, le sujet se forge son propre système de compréhension de l’univers qui l’entoure et d’action dans cet univers. Il réinterprète les normes, valeurs et modèles qui lui sont transmis et les applique aux différentes situations concrètes qu’il est amené à vivre et aux différents groupes auxquels il participe. Cette conception met l’accent sur le rôle de l’individu «‘La socialisation est essentiellement un processus de construction de l’identité sociale de l’enfant dans lequel celui-ci joue un rôle actif et sur les processus d’interaction de l’enfant avec son environnement’ ».38

Guy Rocher définit la socialisation comme étant «‘Le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au cours de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l’influence d’expériences et d’agents sociaux significatifs et par-là s’adapte à l’environnement social où elle doit vivre’».39

L’auteur souligne trois aspects fondamentaux de la socialisation :

Or, comme le précise Guy Rocher 41  « ‘C’est par sa référence à une structure de règles ou de normes collectives que toute conduite humaine est significative et cohérente aux yeux du sujet lui-même aussi bien qu’aux yeux des autres avec qui, ou au milieu de qui, le sujet agit’ ». Le rapport entre des personnes et l’interaction qui en résulte n’est possible que lorsque des normes d’action sont connues et acceptées par toutes les personnes concernées et lorsque chacune oriente son action avec autrui à la lumière de ces règles. De ce fait, les relations interpersonnelles supposent un consensus, une certaine forme d’unanimité concernant un minimum de normes communes auxquelles chacun accepte de conformer l’orientation de sa conduite. Autrement, les rapports humains ne seraient qu’incohérence et anarchie.

Pour l’auteur, il n’existe pas d’opposition ni de rupture entre la personne et la société, entre l’individuel et le collectif, mais il y a plutôt continuité et interpénétration. Ce sont les mêmes règles de conduite, les mêmes normes que l’on retrouve dans les consciences individuelles et dans les institutions (tels le droit et la religion), dans la personne et la société.

Ainsi, Guy Rocher transpose dans une perspective sociologique la définition ci-dessus :  « ‘L’action humaine est sociable parce qu’elle s’inscrit dans une structure d’action qui lui est fournie par des normes ou des règles collectives ou communes dont elle doit s’inspirer’ ». En conclusion, et après une analyse des modèles culturels, il définit l’action sociale comme « ‘(...) toute manière d’agir, de penser et de sentir dont l’orientation est structurée suivant les modèles qui sont collectifs, c’est-à-dire qui sont partagés par les membres d’une collectivité quelconque de personnes’».42

Notes
33.

MALEWSKA - PEYRE , H. ; TAP, P. , La socialisation de l’enfance à l’adolescence, P.U.F., 1991, introduction.

34.

Idem, p 8.

35.

BOUDON R., BOURRICAUD F., Socialisation in Dictionnaire critique de la sociologie, P.U.F., 1982, 2ème édition, pp 527-534.

36.

DURKHEIM E., Les règles de la méthode sociologique, Flammarion, 1988, p 97.

37.

MOLLO-BOUVIER S., Un itinéraire de socialisation : le parcours institutionnel des enfants, in MALEWSKA-PEYRE H. et TAP P., La socialisation de l’enfance à l’adolescence, P.U.F., 1991, p 292.

38.

KOURILSKY C., Socialisation juridique : la naissance d’un champ de recherche et d’un concept aux confins de la sociologie, du droit et de la psychologie, in MALEWSKA-PEYRE H. et TAP P., op. cit. p 225.

39.

ROCHER G., L’action sociale, Montréal, édit. H.M.H., Coll. Points, 1968, p 125.

40.

CAMILLERI C., L’enfant entre deux cultures, Neuro-psychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, n°11, 1987, p 12.

41.

Op. cit. p 43.

42.

ROCHER G., ibidem.