2.6. La psychologie sociale génétique

Cette approche socio-cognitive du développement cognitif s’amorce vers 1975. Elle entend opérer un passage d’une psychologie bipolaire (sujet-objet) à une psychologie tripolaire (sujet autrui objet). Elle définit le développement comme un ajustement progressif de l’individu à son environnement à partir du jeu assimilation-accommodation régulé de façon interne par l’équilibration ; alors qu’ici le modèle explicatif fait jouer un rôle aux variables sociales dans les mécanismes mêmes du développement. Les variables sociales n’ont plus seulement dans ce second cas, le statut de facteurs externes, apparaissant de façon secondaire, se greffant à titre d’épiphénomène sur l’ontogenèse, mais au contraire, interviennent à titre de constituants des dynamiques individuelles. En d’autres termes, ces dynamiques individuelles sont d’abord générées lors des relations interindividuelles (dans la relation mère-enfant notamment, dès les premiers jours du bébé et tout au long du développement) avant d’être intégrées par le sujet et d’être appliquées à d’autres situations. Cette psychologie sociale génétique se fonde donc sur le postulat épistémologique suivant : « ‘un processus interpersonnel se transforme en un processus intra personnel’ ».

Si l’orientation piagétienne a largement inspiré cette approche de la psychologie sociale génétique comme l’écrit explicitement G. Mugny74, elle ne s’en démarque pas moins dans la mesure où « ‘l’optique piagétienne exclut dans ses moindres détails méthodologiques l’effet des variables sociales dans des tâches auxquelles les enfants sont confrontés’ ». Si les essais de jeunesse de Piaget accordaient à l’interaction sociale un rôle central jusque dans ses illustrations expérimentales75, Piaget par la suite76 postulera une simple identité entre structures cognitives et structures sociales sous la forme d’un parallélisme, il a éludé la question de la causalité entre dynamiques cognitives individuelles et dynamiques socio-cognitives. Affirmer que l’intelligence est un processus bio psychosocial et pour cela logique (Piaget, 1976) ne résout en rien la question essentielle de savoir en quoi et comment ces divers niveaux de réalité contribuent à l’analyse du développement cognitif selon G. Mugny.

Face à cela la psychologie sociale génétique définit toutes les réalités psychologiques comme étant sociales de nature. Les instruments cognitifs que l’enfant élabore sont autant de structurations de sa représentation du champ social que l’enfant est amené à élaborer lors d’interactions sociales et pour des interactions sociales. Bien évidemment le développement cognitif consiste en une structuration progressive des rapports avec l’environnement qui est aussi individuelle. Cependant ces dynamiques individuelles sont conçues comme se fondant sur des expériences sociales qu’elles sont amenées à structurer. Les régulations cognitives caractéristiques du développement cognitif s’élaborent, de manière privilégiée, dans l’interaction avec différentes personnes pouvant être de même niveau ou de niveau différent du sujet.

Ceci étant, du fait également de leur adhésion au constructivisme, ces auteurs ne supposent pas que l’individu serait passivement façonné par des régulations imposées de l’extérieur . « ‘La causalité que nous attribuons à l’action sociale n’est pas unidirectionnelle, elle est circulaire et progresse en spirale : l’interaction permet à l’individu de maîtriser certaines coordinations qui lui permettent alors de participer à des interactions sociales plus élaborées qui à leur tour deviennent source de développement cognitif pour l’individu.’ ».77.

Leurs recherches s’appliquent à démontrer :

Notes
74.

DOISE W. ; MUGNY G.,Le développement social de l’intelligence, Paris : Inter éditions, 1981.

75.

(cf. par exemple : Le développement du jugement moral, 1932).

76.

Etudes sociologiques, 1965

77.

DOISE W. ; MUGNY G., op. cit.