Le conflit socio-cognitif

Le conflit cognitif crée un déséquilibre, une perturbation que l’individu cherche alors activement à dépasser. Lorsque ce conflit émerge d’une interaction sociale, il est engendré par la confrontation des systèmes de réponse antagonistes ou par la confrontation d’un même système de réponse à partir de deux points de vue opposés. Le dépassement du conflit social implique en fait une régulation cognitive dans la mesure où autrui présente un modèle contradictoire de résolution de problème, et peut donner des indications spécifiques pour le justifier. La contradiction joue donc un rôle important de catalyseur mais à condition qu’elle soit réellement éprouvée par les protagonistes.

Cette contradiction vécue manifeste un conflit , une perturbation, un déséquilibre. Ce conflit actif entre deux tendances, engendre l’apparition de nouvelles coordinations interindividuelles et intra-individuelles. Mais, comme le note Piaget,  si « ‘les déséquilibres constituent le moteur de la recherche, car sans eux la connaissance demeurerait statique’ », ils « ‘ne jouent qu’un rôle de déclenchement, puisque leur fécondité se mesure à la possibilité de les surmonter’ ».

L’originalité de cette situation interactive (source de remise en question), tient au fait qu’elle permet à l’enfant de prendre conscience de l’existence d’autres approches possibles , approches qui n’ont d’ailleurs pas la nécessité d’être forcément correctes pour générer de nouvelles coordinations en lui. Dans leurs études expérimentales, les auteurs genevois cités observent autant de progrès cognitifs dans les situations où la remise en question se développe selon un modèle effectif et même sous-jacent (conflit majorant, similaire ou minorant), que dans les cas où l’enfant n’est confronté à aucun modèle mais est simplement remis en question.

La remise en question par un pair, qui n’apporte pas d’information explicite à l’enfant quant à un éventuel modèle de solution de problème alternatif, peut, elle aussi, générer un conflit que l’enfant va résoudre par le biais de régulations cognitives. Cette remise en question suffit parfois à faire prendre conscience à l’enfant de l’inexactitude de sa solution. C’est elle qui lui impose la nécessité de trouver les moyens d’aménager son système de réponses. L’intérêt de cette remise en question est comprise dans cette définition de Piaget : « ‘enseigner, ce n’est pas montrer, c’est apprendre à inventer’ ».

De cette façon, l’interaction sociale n’offre pas seulement une sorte de nourriture intellectuelle à assimiler mais surtout elle suscite une activité d’accommodation qui ,elle, est créatrice de nouveauté.

Ainsi, la confrontation à un point de vue différent du sien (fût-il même incorrect ) plutôt que l’imitation serait la source des progrès constatés. L’erreur acquiert dans cette perspective un autre statut puisque, pour que les enfants puissent élaborer ensemble une notion, il n’est pas nécessaire qu’un des deux la maîtrise mais il suffit qu’ils l’abordent avec des points de vue conflictuels.