1. Règles et système social

1.1. La règle

Les règles ne sont pas données une fois pour toutes et elles ne sont pas immuables. Elles sont le produit de l’activité humaine. Selon Emile Durkeim,82 ce qui prouve sa réalité, c’est la contrainte qu’elle exerce sur l’individu. Toutefois, la réalité sociale n’est pas simplement la présence de règles et l’existence d’une contrainte dont les termes sont fixés une fois pour toutes. Il faut plutôt analyser la manière dont se créent, se transforment ou se suppriment les règles, c’est-à-dire les processus de régulation. En effet, selon qu’elles soient imposées ou construites par les individus eux-mêmes, les règles n’auront pas le même effet.

Nous ferons le parallèle entre les règles qui sont le mode d’équilibration du groupe et les opérations qui sont le mode d’équilibration et de régulation de la pensée.

Une règle est un principe organisateur. Elle peut prendre la forme d’une injonction, ou d’une interdiction visant à déterminer strictement un comportement. Elle peut être aussi un guide d’action, un étalon qui permet de porter un jugement, un modèle qui oriente l’action83. Elle introduit dans l’univers symbolique des significations, des partitions, des liaisons. La norme juridique, par exemple, permet la qualification d’un acte et lui attache certaines conséquences.

Pour aller plus loin, il faut distinguer l’énoncé d’une règle et ses conséquences sociales effectives. Au sens employé par J-D Reynaud, «‘les règles ne sont rien d’autre que leur capacité réelle à régler des interactions ’».84

Il est juste d’opposer règle et décision en montrant que la première est permanente, hypothétique, abstraite (et que la seconde a des caractéristiques contraires), mais il est difficile de traiter des règles comme si elles étaient une catégorie particulière de propositions. L’énoncé explicite d’une règle et particulièrement son énoncé juridique (dans une loi, un règlement, des statuts, un contrat) en fait bien une proposition à part, surtout si l’on suit la procédure judiciaire: le tribunal applique la loi à une espèce. Les règles ont des auteurs et ont des destinataires. Elles sont liées à un projet d’action commune.

La régulation est un processus. Elle prend sa source dans le message normatif qu’émet toute action sociale, dans l’offre d’engagement et de réciprocité que comporte toute interaction qui cherche à s’établir .

On peut distinguer trois groupes de règles.85

  1. Les règles d’efficacité: elles prescrivent les opérations pour atteindre un objectif déterminé ou un sous objectif par rapport au projet d’ensemble. Le cas le plus simple est celui des techniques, par exemple, les techniques de production: comment fabriquer le produit, quelle machine il faut utiliser, comment contrôler la qualité, etc. Les règles de ce type sont instrumentales en un sens strict. En principe, elles sont immédiatement validées par un résultat: si les cotes de la pièce ne sont pas respectées, elle va au rebut.

  2. Les règles de coopération et d’autorité : elles portent sur les bonnes manières de travailler ou de décider collectivement, par exemple l’échange des informations, l’examen d’un problème, la prise de décision, l’arrêt d’une solution, etc. Elles sont aussi instrumentales, mais par rapport à la coopération ou la décision. Elles sont validées par la rencontre des attentes mutuelles.

  3. Les règles qui portent sur la hiérarchie, la division du travail et l’organisation : elles impliquent une différenciation des rôles et précisent les ressources dont chacun dispose. Elles touchent directement à la répartition du pouvoir, en précisant toutefois qu’elles ne sont pas les seules.

Ceci étant, l’attention semble souvent portée sur la nature des règles plutôt que sur leur origine, leur nécessité, leur construction. Autrement dit, on peut se demander quelle est la conscience de la fonction de la règle de la part des individus et cette conscience ne joue-t-elle pas un rôle fondamental dans la façon dont l’individu va se comporter en société ? Autrement dit, ne doit-on pas s’interroger sur le statut accordé à la légitimité de la règle de la part des acteurs sociaux ?

Notes
82.

DURKHEIM E., Les règles de la méthode sociologique, Flammarion, 1988.

83.

REYNAUD, J.-D., op. cit., p XVI.

84.

idem, p XVII.

85.

idem, p 72.