1.2. L’action collective

La règle postule une action collective. Des individus constituent un groupe dans la mesure où ils entreprennent une action collective. Ils forment un système lorsqu’ils sont une source autonome de régulation. Comment s’établit une régulation commune ou comment plusieurs régulations d’origine différente entrent-elles en conflit ou se composent-elles?

L’analyse de l’action collective et des mouvements sociaux montre qu’on ne peut les décrire ni en comprendre la dynamique en posant au départ un groupe latent défini par un intérêt commun. Ainsi définie, l’action collective est radicalement impossible. Bien plutôt, un noyau central élabore un nouvel intérêt commun, lance une entreprise sociale. Il s’efforce de créer de proche en proche une mobilisation qui se fait en cercles périphériques dégradés, qu’il s’agisse des ressources mobilisées ou des bénéfices escomptés. La pression morale, les contraintes de l’organisation qui se mettent en place, voire les contraintes institutionnelles stabilisent le mouvement. Mais il s’agit dans ce cas d’un système hétéronome.

Par exemple, une entreprise montre de manière accentuée les problèmes de toute action commune. Par sa définition même, elle repose sur des initiatives (produit, marché, organisation) qui imposent à la division du travail comme à son exécution des règles précises. Ceux à qui ces règles doivent s’appliquer, bien qu’ils n’en soient pas les auteurs, peuvent les suivre, de plus ou moins bon coeur. Mais il se peut aussi qu’il s’efforcent, ne serait-ce que pour se protéger, d’élaborer leurs propres règles. Plus on fera appel à leur compétence, à leur responsabilité, à leur initiative, plus cette réaction sera probable. Dans ce cas le fonctionnement est plutôt coopératif. Deux sources de régulation coexistent alors : la régulation de contrôle (la direction de l’entreprise: le système formel, le travail prescrit) et la régulation autonome (les salariés: le système informel, le travail réel). 86On peut donc, comme le fait Piaget chez l’enfant, distinguer deux modes de fonctionnement des groupes chez l’adulte.

On peut penser que pour qu’un système devienne autonome ou coopératif, il faut que les individus soient capables d’inventer et d’imposer des règles. Autrement dit, ce sont les règles sociales (valeurs, normes, articles de loi, convention) qui permettent de devenir un groupe actif et permettent la défense d’intérêts collectifs. L’existence d’une règle sociale est la condition d’une action collective, et l’action collective a pour condition une régulation commune. 87

Souvent, au sein de l’entreprise la régulation autonome n’est qu’une résistance diffuse, plus capable de bloquer les initiatives d’en haut que d’y substituer les siennes : elle s’exprime par le freinage, le rejet des techniques nouvelles, ce que les directions appellent ’la résistance au changement’.

Certes, toutes les règles ne sont pas de type autonome car beaucoup d’entre elles sont imposées par une autorité extérieure. Cependant, comme le précise Michel Crozier, dans une série de ’jeux’ auxquels participent les différents acteurs, il est probable que des processus de socialisation se mettent en place autour de structures de relations relativement stables.88

Nous allons tenter d’analyser le fonctionnement des groupes en adoptant un point de vue systémique fonctionnaliste, c’est-à-dire en prenant en compte les processus de régulation. Plutôt que de présenter une description figée des règles sociales, nous souhaiterions comprendre comment se construisent les règles et en quoi ce mode de construction détermine-t-il le fonctionnement ultérieur d’un groupe ?

Notes
86.

La règle du jeu. L’action collective et la régulation sociale, op. cit. pp108-113.

87.

idem, pp 72-75.

88.

L ‘acteur et le système, op. cit., p114-115.