1.4. La construction des règles chez l’enfant : de l’hétéronomie à la coopération

A travers l’analyse des jugements moraux chez l’enfant, Jean Piaget a analysé le grand problème des rapports entre la vie sociale et la conscience individuelle. Il définit la société, comme l’ensemble des rapports sociaux. La morale prescrite à l’individu par la société n’est pas homogène, parce que la société, elle-même, n’est pas chose unique. Piaget distingue deux types extrêmes de rapports sociaux : les rapports de contrainte, source d’hétéronomie, dont le propre est d’imposer de l’extérieur à l’individu un système de règles à contenu obligatoire ; et le rapport de coopération, dont l’essence est de faire naître, à l’intérieur même des esprits, la conscience de normes idéales commandant à toutes règles.

La grande différence entre la contrainte et la coopération, ou entre le respect unilatéral et respect mutuel, est que la première impose des croyances ou des règles toutes faites, à adopter en bloc, et que la seconde ne propose qu’une méthode de contrôle réciproque et de vérification dans le domaine intellectuel, de discussion et de justification dans le domaine moral. Dans son ouvrage ’Le jugement moral chez l’enfant’ Piaget montre qu’avec les progrès de la coopération entre enfants et les progrès opératoires, l’enfant en vient à des relations morales nouvelles fondées sur le respect mutuel et conduisant à une certaine autonomie.

Dans les jeux de règles, les enfants d’avant six-sept ans environ, qui reçoivent les règles toutes faites de la part des aînés les considèrent comme ’sacrées’, intangibles et d’origine transcendante (les parents, le Bon Dieu, etc.). Passé cet âge, les enfants voient au contraire dans la règle un produit d’accord entre contemporains, et admettent qu’il y ait consensus, démocratiquement réglé.

D’autre part, un produit essentiel du respect mutuel et de la réciprocité est le sentiment de la justice souvent acquis aux dépens des parents (à l’occasion d’une injustice involontaire, etc.). Or, à sept ans déjà et de plus en plus ensuite la justice l’emporte sur l’obéissance et devient une norme centrale, équivalant, pour l’auteur, sur le terrain affectif à ce que les normes de cohérence sur le terrain des opérations cognitives « ‘...à tel point qu’au niveau de la coopération et du respect mutuel il existe un parallélisme frappant entre ces opérations et la structuration des valeurs morales’ ».96

Le mode de pensée pré-opératoire (jusqu’à environ 7 ans) implique un système de règles hétéronomes, dans la mesure où il doit obéir aux personnes chargées de son éducation. Lorsque l’enfant construit les opérations concrètes, les rapports avec les gens chargés de son éducation sont modifiés car il existe une cohérence entre ses opérations et celles des autres, ce qu’on lui demande s’explique par des règles qu’il est capable de comprendre : co-opération.

Notes
96.

PIAGET J., INHELDER B., La psychologie de l’enfant, op. cit., p 101.