2. Les régulations

2.1. Présentation

Intéressons-nous donc à présent dans le détail aux processus micro génétiques qui président à la construction de toute nouvelle procédure.

Pour comprendre en quoi consiste le processus de régulation, nous rappellerons quelques notions sur l’équilibration telle que l’a définie Piaget.97

L’équilibration constitue un processus très général qui revient dans les grandes lignes à opposer des compensations actives aux perturbations extérieures : compensations qui varient, bien sûr, selon les niveaux et les schèmes des sujets, mais qui consistent toujours à réagir aux perturbations subies ou anticipées. L’équilibre opératoire se caractérise , d’autre part, essentiellement par sa réversibilité (inversion ou réciprocité), c’est-à-dire précisément par une mise en forme stable des systèmes de compensation. Il est donc évident qu’il y a continuité entre l’équilibre atteint et le processus même de l’équilibration.

Comme nous le disions en introduction, toute activité comporte un processus d’assimilation à des structures antérieures. Chez l’être humain, l’unité fonctionnelle permettant l’assimilation est le schème d’action. Piaget appelle schème d’action ce qui d’une situation à la suivante est transposable, généralisable ou différentiable 98.

Chaque fois que le sujet ne peut plus assimiler les données qui se présentent à lui, il se trouve en état de déséquilibre. A ce moment-là, si la perturbation n’est pas trop élevée, il va se mettre en quête de solution, c’est-à-dire composer les schèmes existants entre eux, ceci afin de trouver la conduite adaptée à la nouvelle situation. Lorsqu’il y parvient, il effectue une équilibration majorante; grâce à cette innovation procédurale, il va pouvoir assimiler des données nouvelles. Du point de vue de l’observateur, on assiste à l’émergence d’une nouvelle structure par composition des schèmes.

Selon Piaget, les ré équilibrations ne constituent qu’en certains cas des retours à l’équilibre antérieur : celles qui sont les plus fondamentales pour le développement consistent au contraire en formation non seulement d’un nouvel équilibre, mais encore en général d’un meilleur équilibre, ce qui nous fera parler d’ « équilibrations majorantes » et ce qui soulèvera la question de l’auto-organisation.99

En effet, toute connaissance consiste à soulever de nouveaux problèmes au fur et à mesure qu’elle résout les précédents.100On peut, dès lors, distinguer deux sortes d’équilibre :

  • un équilibre statique

  • un équilibre dynamique

qui dépendent du processus qui l’ont engendré : soit un maintien des structures existantes, soit une transformation de ces structures

Les chercheurs du « Laboratoire de Psychologie Génétique Cognitive de Terrain » de l’Université Lyon 2 ont publié des données101 sur le fonctionnement cognitif des « enfants qui n’apprennent pas ». Ils ont alors pu constater que les mécanismes d’équilibration étaient ici en cause. Jean-Marie Dolle a ainsi décrit le concept de figurativité pour expliquer la particularité du fonctionnement de certains enfants. Nous pensons que ces enfants maintiennent un équilibre stable grâce à la reproduction de conduites d’assimilation ne modifiant pas en profondeur les schèmes impliqués. Ces travaux ont permis de mieux connaître le fonctionnement cognitif général en s’appuyant sur la dialectique figurativité-opérativité.

A la suite de cela, Denis Bellano a proposé un type d’intervention auprès de ces enfants pour relancer le processus d’équilibration majorante et a ainsi décrit des modules102 qui permettaient de baliser l’évolution des enfants de la figurativité vers l’opérativité lors de la remédiation cognitive opératoire.

La difficulté réside dans la complexité à pouvoir identifier le plus précisément possible les mécanismes de l’équilibration majorante. Pour ce faire, il s’est avéré très utile d’en observer la construction auprès d’enfants suivis en remédiation cognitive. C’est ainsi, qu’au cours de notre travail de D.E.A., nous avons étudié, chez des enfants que nous suivions en remédiation, quels étaient les paliers d’équilibration fonctionnels qui permettaient de transformer une activité basée sur les abstractions empiriques (figurativité) à une activité qui intègre les abstractions réfléchissantes (opérativité). Nous appuyant sur les travaux de Denis Bellano qui a décrit six modules de la figurativité à l’opérativité, nous avons étudié l’évolution de la dialectique fonctionnelle perturbationcompensation au cours de cette genèse, ceci afin de cerner au mieux la passage des perturbations exogènes aux perturbations endogènes.

Dès lors, on peut se demander si la compréhension de ces processus est transposable à d’autres échelles : biologique ou sociale. Autrement dit, peut-on se servir des connaissances sur le fonctionnement du sujet bio-psychologique pour tenter une approche de remédiation des dysfonctionnements dans les groupes ?

Pour que le groupe développe des possibilités d’autonomie, il convient d’identifier les régulations compensatrices et de favoriser leur modification à l’intérieur de l’organisation. Pour ceci, le sujet doit être capable d’identifier ses propres procédures, ceci étant possible à la condition même qu’il puisse rendre celles-ci explicites. Partant, il pourra apprendre à les connaître et donc à les modifier. Cette connaissance s’effectuant dans un premier temps par différenciation, il devra pouvoir se confronter à d’autres qui lui offriront la possibilité de pouvoir comparer ses productions avec les leurs. C’est donc bien au sein d’un milieu social que le sujet pourra faire cela, à condition que ses congénères se mettent à sa portée pour que les procédures explicites observables soient comparables.

Nous nous sommes appuyée sur ces données pour décrire le fonctionnement de la coopération dans un groupe d’enfants en analysant les régulations intersubjectives. Dans ce qui suit, nous présenterons les travaux des auteurs sus-cités puis les paliers d’équilibration qui nous ont servi de repères pour étudier l’évolution des conduites dans un groupe de l’hétéronomie à la coopération.

Notes
97.

Biologie et connaissance, p 40.

98.

idem, p 24.

99.

PIAGET, J., L’équilibration des structures cognitives, problème central du développement, E.E.G. ; vol XXXIII , P.U.F., p 9.

100.

Idem, p36.

101.

BELLANO D., DOLLE J.-M., Ces enfants qui n’apprennent pas, Le Centurion, 1989.

102.

BELLANO D., thèse de doctorat, op.cit.