2.3. Régulations et remédiation cognitive opératoire , de la figurativité à l’opérativité

La pratique de la remédiation cognitive opératoire auprès des enfants se fonde sur le diagnostic de l’examen opératoire. Celui-ci est constitué des épreuves piagétiennes; cependant la méthode d’investigation et de questionnement a été considérablement affinée par l’équipe de travail du laboratoire de Psychologie Génétique de Terrain de Lyon II grâce aux propositions de J.M. Dolle sur les procédures de pensée du sujet en interaction avec ses objets de connaissance. Cette méthode de diagnostic vise à repérer les procédures des enfants utilisées pour s’équilibrer dans leur milieu, et, partant, les possibilités de structuration de la réversibilité opératoire dans les différents champs de connaissance du niveau opératoire concret. Ainsi, on cherche à repérer le degré d’achèvement et/ou d’extension des mécanismes de déduction logique employés par le sujet indiquant s’il est possible pour lui d’effectuer des liens de cause à effet, établissant ainsi des relations entre les objets par intériorisation des transformations conduisant d’un état à un autre.

Autrement dit, on cherche à savoir si l’enfant se contente de produire des tableaux perceptifs pour répondre aux sollicitations du monde environnant, employant donc préférentiellement des procédures figuratives, ou bien s’il construit un mécanisme causal pour expliquer au lieu de décrire, s’appuyant sur les transformations des états, autrement dit utilisant des procédures opératives.

Durant l’examen opératoire, l’investigation porte sur la conservation des quantités physiques et numériques ainsi que sur les activités logico-mathématiques impliquant le schème d’inclusion.

La remédiation cognitive opératoire va s’appuyer sur le diagnostic effectué préalablement. Celle-ci a pour but de guider l’enfant vers l’opérativité, c’est-à-dire vers l’utilisation des mécanismes de déduction. La modélisation de l’activité de remédiation cognitive opératoire créée par D. Bellano 106permet ainsi de conduire l’enfant à une autonomisation de sa pensée. Dans ce que décrit l’auteur, l’enfant passe du stade où il se contente d’évoquer une mise en ordre des états:

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à la prise de conscience de l’implication réciproque:

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Ainsi s’élabore le mécanisme de la déduction selon lequel la cause est liée à la conséquence, l’une étant la condition de l’autre. Cette étape permet au sujet de passer d’une simple mise en ordre caractéristique d’une pensée émergeant de la figurativité, à une coordination des événements s’appuyant sur des mécanismes déductifs (implication réciproque), signe d’entrée dans l’opérativité 107.

Cette étape décisive n’est cependant qu’un palier d’un long et laborieux processus durant lequel le psychologue va peu à peu permettre à l’enfant d’extraire les propriétés du milieu abstractions empiriques puis de ses actions abstractions pseudo-empiriques pour pouvoir enfin coordonner celles-ci, effectuant ainsi des abstractions réfléchissantes. Pour ce faire, le psychologue va systématiquement inviter l’enfant par des suggestions verbales ou en action, à un va et vient permanent entre les états initial et final, de manière à susciter les explications concernant la succession des événements débouchant sur les états.

Ainsi, selon D. Bellano 108, seule la prise de conscience par le sujet lui-même de la conséquence de ses actions peut le conduire à identifier chacun des états auxquels elles aboutissent et à les ordonner en les différenciant.

En effet, on se rend compte que dans leur majorité, ces enfants en échec d’apprentissage n’ont pas été sollicités par leur milieu à effectuer un lien entre leurs actions et le résultat de celles-ci, c’est-à-dire à effectuer des abstractions pseudo-empiriques. Ainsi, les états considérés n’ont pas de cause et les ’liens causaux conscients’ sont absents de leurs procédures.

Les premières relations conscientes que l’enfant établit entre des états sont des relations de différences, la différenciation provoque l’identification, ce qui permet en retour une comparaison, c’est-à-dire l’évocation des ressemblances et différences entre deux états. Ces premières identifications sont purement perceptives. Par exemple, le niveau de liquide plus élevé dans un récipient lui permet de dire qu’il y en a plus que dans un autre où le niveau est plus bas ; et en général, c’est la configuration générale qui permet à l’enfant d’établir une identité. Lorsque l’enfant agit, modifiant dans notre exemple le niveau d’eau, si le milieu le sollicite à trouver les raisons des changements d’état provoqués, le sujet est alors conduit à ne plus seulement raisonner par différenciation (’c’est plein parce que c’est pas vide’) mais à évoquer les transformations dont il est responsable (’j’ai rempli’).

Comme le montre D. Bellano ,109les constatations sans cesse renouvelées des effets produits par les situations sont les abstractions pseudo-empiriques. Elles aboutissent à la création d’un système interactionnel TRANSFORMATION - ETAT.

Ainsi, le but général de la remédiation est de pousser l’enfant à chercher l’explication des états ailleurs que des constats d’évidence et à prendre conscience du rôle des transformations jusqu’à établir des lois réversibles présidant au passage d’un état à un autre. C’est de cette façon que ce dernier pourra créer des liens logiques : adjonction - suppression (invariance de quantité); inclusion hiérarchique entre les objets du milieu avec lequel il interagit.

Ce travail à pour objectif que le sujet accède aux équilibrations majorantes par le biais d’abstractions réfléchies portant sur la déduction logique (réversibilité opératoire).

En résumé, D. Bellano décrit la dynamique intégrative structuro-fonctionnelle depuis la figurativité jusqu’à l’opérativité de la façon suivante:

mise en ordre des états → coordination des états → mise en ordre simultanée des actions-transformation → coordination des actions-transformations .110

Comment peut-on caractériser l’évolution des perturbations au cours de la remédiation ?

Lorsque le psychologue présente à l’enfant une situation problème, effectuant ainsi ce que D. Bellano appelle une régulation synchro-diachronique, le niveau de difficulté doit être ’juste assez déséquilibrant’ pour entraîner une démarche compensatrice de la perturbation pour le patient. A ce moment, le schème croit reconnaître un élément qui définit son extension alors qu’il n’en identifie qu’une partie et ne peut l’assimiler dans sa totalité. Cette conduite aboutit à une différenciation de la part du sujet entre ce qui est totalement assimilable par le schème et ce qui ne l’est pas. Cette procédure conduira aux comparaisons entre l’une et l’autre conduite. A partir de ce moment, l’enfant établit des différences qu’il va chercher à compenser par l’action. Ceci aboutit à la création d’un lien entre son action et l’état obtenu. La prise de conscience de cette action comme condition d’obtention de l’état considéré est fondamentale dans le déroulement de la remédiation car elle ouvre la voie à l’opérativité, éloignant l’enfant des évocations simples d’états.

En effet, comme le dit Piaget111, la prise de conscience d’une action matérielle consiste en son intériorisation sous forme de représentations, et celles-ci de leur côté ne s’identifient nullement à de simples images mentales copiant les démarches motrices, mais comportent une conceptualisation due à la nécessité de reconstruire sur le palier de la conscience ce qui n’était atteint jusque-là que par une voie motrice ou pratique. Il est donc normal que les observables relatifs à l’action (Obs S) demeurent, non seulement incomplets, mais encore souvent erronés et parfois même systématiquement déformés, tant qu’ils ne sont pas mis en relation précise avec les observables relatifs aux objets (Obs O), puisque ceux-ci indiquent les résultats de l’action et que la prise de conscience part de la périphérie pour remonter au mécanisme producteur, et n’est donc pas centrifuge.

Le sujet va alors pouvoir effectuer des abstractions pseudo-empiriques qui consistent en un constat systématique du résultat des actions permettant un lien entre état et transformation grâce aux régulations (feed-back positifs ou négatifs).

Par la suite, la perturbation s’intériorise et concerne les actions elles-mêmes dans les relations qu’elles entretiennent les unes avec les autres. Cette fois les contradictions entraînant les compensations vont devenir endogènes puisque relatives à ce que fait l’enfant.

En effet, identifier ses propres actions revient à les différencier et les coordonner après avoir compris la nécessité de leur succession. La coordination des actions s’effectue donc grâce à la constatation des successions nécessaires d’événements pour parvenir à l’effet recherché, c’est-à-dire par la compréhension des relations d’ordre éprouvées par le sujet en cours d’expérimentation 112. En effet, une fois celles-ci coordonnées, le sujet peut alors reconnaître de lui-même les éléments qui ont permis au schème d’exister et peut ainsi également immédiatement compenser la perturbation, perturbation et compensation se succèdent alors jusqu’à se confondre.

Ainsi, la remédiation cognitive opératoire permet au sujet d’éprouver par lui-même la conséquence de ses actions et donc d’envisager les perturbations comme des états possibles grâce à la construction de schèmes opératoires qui correspondent à une réorganisation fonctionnelle où les régulations compensatrices deviennent anticipatrices. Cette construction est subordonnée aux coordinations successives des actions.

Notes
106.

Op. cit., 1992.

107.

Idem, p 60.

108.

Idem, p 61.

109.

ibidem

110.

idem, p 143.

111.

PIAGET J., E.E.G. vol 33, L’équilibration des structures cognitives, problème central du développement, P.U.F.1976, p 60.

112.

BELLANO D., op. cit., p 17-18.