Micro-genèse des régulations

Ces différentes compensations s’ordonnent génétiquement puisque chaque niveau correspond à l’état actuel de la situation qui va entraîner un changement qui lui-même engendrera de nouvelles compensations. Cette genèse, comme nous allons le voir, est corrélative avec celle des procédures du sujet et entraîne une modification des perturbations qui au départ sont exogènes pour devenir ensuite endogènes. Voici quelles sont les étapes de cette transformation117 :

Lors de la première étape, l’élément perturbateur ne peut être assimilé par les procédures disponibles du sujet. Il croit reconnaître un élément parmi ceux habituellement assimilés mais il ne leur ressemble qu’en partie. Le schème va alors devoir se différencier. La source de la perturbation est ici exogène (provoquée par le milieu). La compensation, de premier niveau ici, consistera à reconnaître l’élément comme n’étant pas assimilable et, par-là, à établir des différences, A étant un élément assimilable (définissant l’extension du schème) et non -A l’élément nouveau. Le premier niveau de compensation consiste donc en une différenciation qui aboutit à l’identification de l’élément extérieur (qui commence tout de même à exister pour le sujet).

Au cours de la seconde étape, les différences étant établies (grâce aux différenciations), le sujet va tenter de compenser la différence en essayant de retrouver l’élément assimilable à partir de l’élément nouveau. Pour ce faire, il va le transformer sous la suggestion de l’expérimentateur ; la compensation va donc consister ici en une action qu’on sollicite et qui aboutit à l’obtention de l’état assimilable. Cependant, cette action est une création de l’individu. On demande au sujet en remédiation d’évoquer celle-ci afin qu’il en prenne conscience et constate la stratégie qui lui permet d’obtenir un état déterminé. Ceci crée un premier lien entre action et état, et cette nouvelle possibilité s’offre au sujet de rendre les transformations pertinentes et utiles. On va renouveler la situation pour qu’il y ait un renforcement afin que le schème et donc l’identité de l’objet s’enrichisse de l’action; un nouvel équilibre est atteint pour identifier un élément du milieu.

Cette procédure va pouvoir être appliquée à l’élément initialement perturbateur qui va alors être retrouvé par l’individu par le biais de son action (qui est l’action inverse de la première, dans les problématisations utilisées en remédiation : addition et soustraction). La situation initialement inassimilable prend alors une signification relative à la transformation qui l’a générée: le sujet, par son action, produit cet état, et par-là même, le comprend.

Le résultat de cette phase de compensation par l’action et de prise de conscience de cette compensation est donc l’intégration de l’élément perturbant à l’intérieur du système par la création d’une relation nouvelle à cet élément.

A ce stade, le système cognitif va chercher à mettre en relation les deux états et les significations émanant de cette mise en relation vont prendre corps en lien avec les transformations qui les ont produites. On franchit alors un autre palier où cette fois les perturbations vont concerner les actions elles-mêmes. En effet, ces actions étant différentes, la différence elle-même est source de déséquilibre. Ces différences sont de deux types:

Les compensations vont s’effectuer selon le même ordre, elles vont d’abord consister à reconnaître les différences (différenciation d’actions par leur résultat (coordination des états)) puis ces différences vont elles-mêmes appeler la compensation.

Ces actions vont alors être mises en ordre (ajouter-enlever) ce qui va permettre au sujet de constater que les effets s’annulent (réciproquement).

L’exercice d’une action provoquant un déséquilibre (état différent du premier), ce déséquilibre est compensé par l’exercice de l’action inverse (retour à l’état initial). La compensation d’une action va alors consister en l’exercice de l’action inverse qui donne ainsi tout son sens à l’action directe en intervenant comme action différente (permettant donc son identification) et qui permet d’en annuler le résultat (inversion). Elles sont donc mises en ordre et intégrées l’une l’autre en un système plus large qu’est le schème, ceci par l’annulation possible de leur résultat.

En ce qui concerne les actions différentes, leur mise en relation va consister à constater que leur mise en oeuvre non simultanée ne modifie qu’un aspect du problème et pas l’autre et vice versa. Ainsi elles pourront être différenciées, mises en ordre puis coordonnées. Les compensations utilisées ici seront les négations.

En résumé, les différences entre actions vont être intégrées par le lien qu’elles entretiennent les unes avec les autres : inversion, négation (réciprocité). La compensation consistera en une prise de conscience de la négation et de l’inversion qui aboutit à la réversibilité opératoire et donc à la coordination de ces actions. Comme nous l’avions annoncé, nous venons de voir que la genèse des relations compensation-perturbation était en corrélation avec celle des procédures cognitives, pour finir nous allons analyser comment ceci entraîne une modification des perturbations (exogènes-endogènes).

Nous avons vu que c’est l’intervention d’un élément nouveau par le biais d’une perturbation exogène qui provoque les différenciations entre objet assimilé et objet non assimilé. Cette prise en considération conduit le sujet à pouvoir produire des actions compensatrices dont on sollicite l’exercice puis l’évocation, c’est à dire la mise en oeuvre d’abstractions pseudo-empiriques. Les renforcements permettent au sujet de prendre l’habitude de lier l’action et son résultat ce qui lui permet enfin de constater les états comme étant la conséquence de ses propres actions.

Ces abstractions pseudo-empiriques enrichissent l’identification de l’objet qui devient un état reproductible.

La forme de cette stratégie est retenue et peut être appliquée à l’élément perturbateur qui devient lui aussi assimilé et prend sens à travers l’action du sujet qui le produit. A ce moment, il intègre le système et la perturbation n’est plus extérieure au sujet (relativement au schème en question). Ce dernier va peu à peu pouvoir reconnaître ce qui est susceptible de perturber le système (perturbations endogènes) en définissant les applications du schème et ces perturbations vont être immédiatement compensables par la prévision du résultat. La perturbation est donc devenue endogène et compensable par une action, cette fois perturbation et compensation sont elles-mêmes conscientes, réversibles et reconnues comme telles. On retrouve ainsi la situation initiale dans laquelle le schème assimile les éléments qui lui correspondent et où d’autres peuvent intervenir et aboutir à la création de nouveaux systèmes. Le cycle peut alors recommencer, les systèmes eux-mêmes différentiables, intégrables puis coordonnés.

Ainsi, le passage de la perturbation exogène à la perturbation endogène correspond à la constitution des schèmes.

Notes
117.

CLAVEL B., op.cit.