1.6. Le développement cognitif de l’enfant

Nous devons avoir présent à l’esprit que la production de l’enfant, c’est-à-dire le résultat de son action, ne nous apporte pas d’information sur ce qu’il a intégré mais seulement sur ce que cette action a de semblable dans des conditions de réussite, ou de différent, en cas d’échec, avec le désir de l’adulte. Or, ce n’est pas le résultat de l’action ou la réponse attendue qui sont importants ; l’adulte pouvant facilement conditionner le plus jeune à cela. Au contraire ce qui doit retenir l’attention c’est la démarche que suit l’enfant, c’est-à-dire la façon dont il a fait sienne la situation, dont il l’a abordée, les mécanismes de rétro-action et de réflexion qui ont émergé.

Nous savons depuis les travaux de Piaget que chez les petits (avant 10-11 ans), l’intelligence pratique précède l’intelligence réfléchie. Pour une bonne part, celle-ci consiste en une prise de conscience des résultats de celle-là. Le processus de socialisation, pour l’auteur, passe par la coopération des enfants entre eux et présente à cet égard une importance aussi grande que l’action des adultes130 . Du point de vue intellectuel, c’est elle qui est la plus apte à favoriser l’échange réel de la pensée et de la discussion, c’est-à-dire toutes les conduites susceptibles d’éduquer l’esprit critique, l’objectivité et la réflexion discursive. Du point de vue moral, elle aboutit à un exercice réel de conduite, et non pas seulement à une soumission extérieure.

Dans le courant issu à la fois de la psychologie sociale et de la psychologie développementale, Doise et Mugny expliquent dans leur ouvrage sur « Le développement social de l’intelligence » (1981) leur conception interactionniste et constructiviste : « ‘en agissant sur le milieu environnant, l’individu élabore des systèmes d’organisation de cette action sur le réel. Dans la plupart des cas, il n’agit pas sur le réel en coordonnant ses propres actions avec celles d’autrui, il élabore des systèmes de coordination de ses actions et arrive à les reproduire tout seul par la suite. La causalité attribuée à l’interaction sociale n’est pas unidirectionnelle ; elle est circulaire et progresse en spirale : par l’interaction, l’individu maîtrise certaines coordinations lui permettant alors de participer à des interactions sociales plus élaborées, qui, à leur tour deviennent source de développement cognitif’ »131.

Ainsi, à des niveaux précis du développement cognitif, certaines interactions sociales entraînent le développement d’une nouvelle organisation cognitive. Le développement cognitif ne résulte pas d’une simple interaction de l’enfant avec l’objet, mais celle-ci est médiatisée par des interactions sociales avec un ou plusieurs individus. Ceci implique le renoncement à un schéma linéaire enfant - objet , et renvoie au schéma interactif enfant - enfant - objet.

Notes
130.

PIAGET J., op. cit.

131.

DOISE W., MUGNY G., Le développement social de l’intelligence, A. Colin, 1981, p 35.