3. Conséquences sur le processus de socialisation

3.1. Les difficultés du processus de socialisation dans les situations interculturelles137

Le siècle dernier est marqué par l’accroissement de la mobilité des populations et des individus. L’immigration massive due aux inégalités de développement économique et social, la nécessité de s’expatrier pour des raisons politiques et les déportations de population au cours des guerres, ont participé au brassage des populations. Le développement des moyens de communication jusqu’à la création des espaces interplanétaires met en contact les cultures et les peuples les plus éloignés, l’uniformisation des références culturelles progresse autant que les revendications et les replis identitaires.

Des communautés linguistiques et culturelles importantes ont changé, par leur implantation, le paysage de plusieurs agglomérations urbaines et la composition des populations scolaires.

Dans la situation des enfants de migrants, les choix entre les différents modèles culturels sont souvent conflictuels. En effet, les enfants se trouvent pris entre deux formes de pensée qui souvent s’opposent par bien des critères : la famille et l’école. La difficulté peut par ailleurs survenir au sein même de la famille, dans le cas d’un mariage mixte, d’autant plus si la distance culturelle entre les deux époux est grande, comme le souligne Malewska - Peyre138. Enfin, le réseau de socialisation n’est pas constitué seulement des parents et des enseignants mais aussi des pairs, frères, soeurs et copains. Ces modèles ne sont pas forcément souples et exigent une application rigoureuse des règles en vigueur. Celles-ci assuraient autrefois la survie du groupe. On peut dire que le mélange des cultures ne peut s’effectuer dans une adaptation réciproque entre les sujets et entre le sujet et le milieu que dans la mesure où les traditions peuvent être comprises et démystifiées.

C’est par ces manifestations quotidiennes et les interactions conflictuelles de tous les jours que nous découvrons l’intervention de la tradition religieuse et culturelle dans la socialisation139. Ceci pose problème dans la mesure où ces traditions n’admettent pas de changement adaptatif. Or, si elles avaient un sens par le passé, le changement de contexte leur ôte toute légitimité autre que l’obéissance stricte.

Différents facteurs rendent difficile la socialisation interculturelle et peuvent entraver la communication, cette difficulté augmentant en fonction de l’ampleur des différences entre les pratiques, les langues. De même, les expériences antérieures peuvent difficilement se partager lorsque le contexte de vie entre les différentes personnes est peu comparable (comme entre l’Afrique et l’Europe).

La socialisation des enfants d’immigrés témoigne des difficultés de l’inter culturalité. Les familles des étrangers vivent parfois dans un climat de rejet et de dévalorisation, ce qui ne facilite guère la socialisation de leurs enfants. De plus, les enfants se sentent souvent plus éloignés, de par leur contexte de vie, de leurs parents ou ancêtres que de leurs amis en France.

Le refus des valeurs des parents et de la communauté d’origine par les jeunes maghrébins en France est provoqué également par une connaissance très fragmentaire de la religion islamique. L’enquête de B.Etienne (1984) donne les informations sur les connaissances de l’enfant à propos de l’Islam. A la question « ‘qu’est-ce que l’Islam pour toi ? », les enfants répondent : « couper le mouton », « faire le Ramadan’ », ce qui témoigne d’une confusion entre les croyances et les pratiques. 140 On retrouve ici des mécanismes de pensée fondés sur ce qui est directement perceptible, autrement dit, s’appuyant sur des procédures figuratives.

Nous avons des raisons de penser que plus leurs propres valeurs sont menacées, plus les parents attachés à ces valeurs voudront les défendre et les transmettre. Leur situation de « socialisateurs » est pourtant très difficile. L’immigration fausse plus ou moins directement leur rôle : ils perdent une part de leur autorité et de leur pouvoir. L’autorité des parents et surtout celle du père repose non seulement sur les liens affectifs mais aussi sur le savoir-faire ; or, les connaissances comme le savoir-faire des parents ont été acquis souvent dans et pour d’autres situations que la vie en France. Ils se sentent souvent désarmés, incapables de faire respecter les valeurs auxquelles ils se raccrochent. Le père maghrébin jugé despotique n’est souvent qu’un défenseur désespéré des valeurs de son pays. Il lui est difficile de vivre l’influence de la culture française à travers ses enfants : les voir changer et voir se transformer la vie de sa famille lui est souvent intolérable. Ces pères disent souvent : « Je me sens étranger chez moi. »

Notes
137.

MALEWSKA-PEYRE, H. , La socialisation en en situation de changement interculturel, in TAP et MALEWSKA, ouvr. Coll, pp195-218.

138.

Idem, p 197.

139.

ibidem

140.

MALEWSKA-PEYRE, p 202.