5. Evaluations individuelles

5.1. Méthodologie de l’examen opératoire

Nous nous inspirerons de la méthode clinique de Jean Piaget « ‘En suivant l’enfant dans chacune de ses réponses, puis, toujours guidé par lui, le faisant parler de plus en plus librement, on finit par obtenir, dans chacun des domaines de l’intelligence (logique, explications causales, fonction du réel, etc...) un procédé clinique d’examen analogue à celui que les psychiatres ont adopté comme moyen de diagnostic ’» 163.

Ainsi, Piaget propose aux enfants des situations problèmes que ceux-ci devront résoudre, créant les principes de base de l’examen opératoire. Les réponses des enfants seront recueillies précieusement et analysées en détail. Cette méthode a été enrichie et formalisée, ce qui  a permis de dégager une hiérarchie en stades de développement. Cependant, Piaget s’est intéressé au sujet épistémique uniquement.

La méthode clinique opératoire en vue du diagnostic et de la remédiation cognitifs164présente des différences notables avec l’utilisation qu’en a fait Piaget, tout en se situant dans sa continuité. Elle s’adresse, en effet, au sujet concret « ‘dont il faut comprendre l’organisation de la pensée à travers l’analyse des procédures, pour cerner au plus près l’origine de leurs difficultés cognitives’ » 165ceci permet l’identification des habitudes fonctionnelles cognitives du sujet. Les questions « ‘invitent l’enfant à expliciter ce qu’il fait au moment où il le fait tout en l’amenant à formuler les raisons de ses procédures. Par ailleurs, les retours fréquents à la question de départ nous paraissent essentiels car ils facilitent le dépistage des difficultés du sujet à effectuer les relations entre les procédures qu’il utilise et le but de l’expérience ’»166. Il semble en effet, très pertinent d’effectuer une analyse fonctionnelle où l’on analyse précisément les réponses et les actions du sujet, permettant ainsi à l’observateur de construire la maîtrise progressive du système conceptuel, ou ce qui revient au même, les conflits de l’opératif et du figuratif. Une étude simplement structurale risque d’aboutir à une démarche où l’on classerait les réponses des sujets selon des critères pré-établis, ce qui reviendrait simplement à mesurer non plus les compétences mais bien les performances des sujets. Nous considérerons au contraire, qu’une structure n’est que l’émergence d’un fonctionnement d’ensemble se produisant grâce à la coordination de sous-systèmes qui, une fois achevée, permet d’en construire la cohérence. De cette façon, structure et fonctionnement sont liés, ce qui implique par-là même qu’un diagnostic précis soit structuro-fonctionnel. En effet, on ne peut effectuer un diagnostic complet uniquement en fonction d’indices structuraux, mais bien plutôt en construisant un système cohérent permis par la coordination des sous-systèmes eux-mêmes émergeant d’un fonctionnement d’ensemble. A noter que la conception selon laquelle le sujet posséderait des structures qui ne fonctionneraient pas, repose sur le postulat implicite qu’il existe des réponses vraies a priori, que le sujet donnerait ou ne donnerait pas, plutôt qu’une construction par chacun d’une explication du réel, reconstruite après coup par l’observateur pour donner un sens aux réponses obtenues.

De plus, « ‘comparativement à la méthode des tests, la grande originalité du diagnostic opératoire est de chercher constamment les signes de mon accession ou d’accession en cours à l’opérativité’ ».167

L’aspect figuratif, dit Piaget, « ‘caractérise les formes de cognition qui, du point de vue du sujet, apparaissent comme des « copies » du réel, quoique du point de vue objectif, elles ne fournissent des objets ou des événements qu’une correspondance approximative. Mais cette correspondance s’attache effectivement aux aspects figuraux de la réalité, c’est-à-dire aux configurations comme telles’ ».168

Durant la période pré-opératoire, le sujet ré élabore au plan de la représentation, par l’imitation, ce qu’il a acquis antérieurement lors de la période sensori-motrice.

Nous référant à ce que dit J.M. Dolle 169, nous appellerons systèmes de traitements « ‘toutes les structures de l’activité qu’elle soit sensori-motrice, imitative intériorisée, opératoire concrète ou formelle et systèmes de significations « l’ensemble des signifiants permettant le groupement des signifiés ». Ces derniers concernent le sens que le sujet accorde au réel, à son expérience, aux rapports qu’il établit avec le réel’ ».

Ainsi, au stade pré-opératoire, les systèmes de traitements ou formes de l’activité seront constitués par les représentations ou configurations : l’enfant peut grâce à ces images mentales rendre présentes dans son esprit des situations non actuellement perceptibles « ‘capacité faisant partie de ce qu’on appelle les processus figuratifs de la connaissance’ » 170 Ces structures imitées vont se construire de façon originale ensuite et devenir les « ‘opérations c’est-à-dire les formes de l’activité mentale essentiellement réversibles et de ce fait infiniment plus souples et mobiles que les précédentes, au mieux renversables. Cette fois, les images mentales serviront de support pour penser le réel c’est-à-dire se le représenter en ce sens nouveau’ ».

Autrement dit, au stade de la pensée opératoire, les configurations ne constituent plus les systèmes de traitement mais deviennent systèmes de signification au profit des opérations logiques qui deviennent, elles, les formes de la pensée. C’est en ce sens qu’on parle de changement structural entre ces deux modes de construction du réel. De plus, « ‘la distinction entre les aspects figuratifs et les aspects opératifs de la connaissance permet d’exprimer la capacité des systèmes de traitement, d’enregistrer la particularité du réel perçu (sa forme, sa grandeur, etc...) et de tirer d’elle, par transformation, ce qui s’intègre dans des catégories générales. En bref, les données fournies par l’activité perceptive subissent plusieurs dépouillements simultanés en fonction des différents systèmes de traitement qui s’appliquent à elle et qui les inscrivent dans les systèmes de signification correspondant’ ».

Il existerait deux formes d’activité : une activité perceptive consistant à interroger le réel pour en abstraire les propriétés (abstraction empirique) et une activité consistant à faire subir des transformations (dont on peut découvrir les lois : abstraction réfléchissante).

Or, comme le dit Z.Ramozzi-Chiarottino qui a observé des enfants en grande situation d’échec « ‘les structures figuratives jouent un rôle nécessaire pour la connaissance mais subordonnée aux structures opératoires. Ainsi, connaître n’est pas simplement regarder, imaginer, ou représenter un objet, mais au contraire, exige une action sur ceux-ci, pour les transformer et découvrir les lois de leurs transformations’ ».171

Notes
163.

PIAGET J., 1976, p 276.

164.

BELLANO D., 1992.

165.

Idem, p 49.

166.

Idem, p 50.

167.

Ibidem.

168.

PIAGET J., 1963, p 67.

169.

DOLLE J.-M., 1987, p 59.

170.

DOLLE J.-M. in RAMOZZI-CHIAROTTINO Z., 1989, p10.

171.

Idem, p 170.