7- Paliers d’équilibration microgenétiques

7.1. Présentation

A partir de cette description macro génétique du fonctionnement inter-individuel de groupes de différente nature, nous souhaitons préciser les micro-régulations intra-individuelles à l’oeuvre dans la progression de l’hétéronomie à la coopération.

Nous avons ainsi repéré la nature des régulations intersubjectives et donc le niveau de coopération (d’équilibre) atteint en étudiant les procédures individuelles. Nous avons donc :

  • utilisé six paliers comme référence pour étudier la progression des enfants vers la coopération

  • cherché comment l’adulte pouvait favoriser la progression d’un groupe d’enfants par des sollicitations adaptées.

Nous présenterons dans la suite les régularités que nous avons obtenues lors des inter-relations entre enfants qui favorisaient les différenciations des procédures compensatrices et par-là même l’émergence de nouvelles coordinations équilibrées ( tendant vers un meilleur équilibre).

Au fil des observations, nous avons pu remarquer certaines lois, qui, par le biais des abstractions pseudo-empiriques, permettaient aux enfants de transformer les perturbations exogènes en perturbations endogènes.

Il nous reste à présent à déterminer plus en finesse la nature des procédures individuelles qui correspondent à chacun des stades, autrement dit, les paliers d’équilibre des conduites individuelles qui président aux régulations intersubjectives. Pour ceci, nous utilisons, comme nous l’avions précisé, les six paliers identifiés dans la dynamique fonctionnelle perturbation-compensation, ceci afin de repérer les conduites des enfants.

Nous essaierons ainsi de décrire les perturbations et compensations types qui pouvaient émerger lors des entretiens avec les enfants lors des différentes situations proposées (qui correspondraient chacune à la constitution d’un schème opératoire concret).

Piaget distingue trois niveaux d’équilibration176:

  1. en fonction de l’interaction entre le sujet et les objets,

  2. en fonction des interactions entre sous-systèmes,

  3. équilibre progressif de la différenciation et de l’intégration, donc réunissant des sous-systèmes à une réalité qui les englobe.

Nous-mêmes pouvons regrouper les paliers que nous avons décrits 177en six points:

  1. différenciation d’états: perturbation exogène - l’expérience pousse à agir et à évoquer l’action⇒compensation

  2. intégration de l’élément initialement perturbateur grâce à la prise de conscience de l’action reliée à cet état.

  3. coordination d’états: lien entre transformation ⇒état. Les états sont enrichis des propriétés des actions mais celles-ci ne sont pas encore identifiées comme telles.

  4. différenciation des actions nécessaire à leur identification : par exemple, composer et classer en lien avec les états

  5. intégration - mise en ordre: action - action inverse : prise de conscience de leur résultat de l’une par rapport à l’autre.

  6. coordination des actions: anticipation. Perturbation endogène

Les identités sont définies par les relations que le sujet établit entre elles. Ce sont ces relations que nous avions schématisées dans notre modélisation. Elles-mêmes correspondent aux compensations des sujets face aux perturbations qu’il éprouve. Rappelons qu’à ce titre, toute perturbation est endogène mais que sa source varie:

  • soit elle provient de l’observateur: régulation syndro-diachronique. Celle-ci par son renforcement va permettre au sujet d’établir par des va et vient successifs des abstractions pseudo-empiriques (constats renouvelés du résultat de ses actions), lui permettant de créer un lien entre ses actions et leur résultat. Cependant, à ce stade, l’action n’est qu’une propriété de l’état et le sujet ne peut encore pas envisager celui-ci comme un état possible parmi les autres, provenant de l’action elle-même, il a encore besoin de voir ce dernier. La perturbation fait partie du système et devient un état reproductible lorsque l’action inverse est reliée à celui-ci. Durant toute cette période, les abstractions effectuées sont pseudo-empiriques.

  • soit elle est devenue endogène lorsque les actions sont coordonnées et donc que le résultat est prévisible et identifié comme tel. Ce niveau procédural correspond aux abstractions réfléchissantes qui comme le dit Piaget sortent de leur contexte pour les retenir certaines coordinations et écartent le reste178.

Cette construction est donc corollaire de la constitution du schème qui en tant que sous-système fonctionnel est capable de différencier, transposer et généraliser une action (ordonner, composer, classer...).

Si l’on définit un système par les éléments qui les composent et les relations que ces éléments entretiennent entre eux, on peut définir les schèmes opératoires constituées par des éléments états et des relations de transformation, les états eux-mêmes se constituant par différenciation puis coordination. Si l’on analyse la genèse de ce système opératoire concret, on constate tout d’abord des mises en correspondance entre des configurations et leur évocation. Les états ne seront constitués que lorsque le sujet établira des différenciations entre les configurations évoquées. Ce palier constitue ce que J.M. Dolle a nommé procédure figurative.

Comme nous l’avons vu, progressivement les perturbations et les compensations vont se transformer, le sujet va effectuer des abstractions pseudo-empiriques qui vont lui permettre de relier ses actions aux états obtenus. A ce stade de construction du schème, on peut considérer que chaque action ébauche la constitution d’un sous-système, ces sous-systèmes vont se différencier des actions.

Par la suite, la mise en ordre puis la coordination des actions, c’est à dire l’intégration des sous-systèmes en un système d’ensemble va achever la construction du schème.

Notes
176.

PIAGET J., 1976, p 14.

177.

CLAVEL B, Etude de la construction de la langue écrite - Analyse des paliers d’équilibration dans la remédiation cognitive opératoire-, mémoire de DEA de Psychologie, université Lumière Lyon 2, 1996.

178.

PIAGET J., 1977, p 308.