1.1.2.3011Mémoire, représentations mentales et connaissances

Le rôle fondamental de la mémoire consiste à accéder à des informations malgré leur absence physique. Elle contribue donc directement à la fonction de représentation mentale. La mémoire est la seule fonction qui permette à un organisme de se représenter un objet et d'effectuer des opérations mentales sur cet objet (sa représentation) en l'absence de toute interaction physique réelle avec cet objet.

La fonction de stockage attribuée à la mémoire s'applique à des objets spécifiques, les représentations mentales, issues du traitement et de la transformation de données « brutes» en provenance de l'environnement externe (e.g., objets du monde extérieur perçus par les organes sensoriels, objets symboliques tels que les éléments langagiers) et de l'environnement interne (e.g., émotions ressenties, constructions mentales élaborées à partir des activités de raisonnement,...) du sujet.

Le problème de la relation entre mémoire et représentations mentales engendre un certain nombre de questionnements théoriques interdépendants (Tiberghien, 1989a, 1991 ; Richard, 1990a, 1990c ; Le Ny, 1994) qui seront abordés de façon plus ou moins morcelée par la suite :

  1. Existe-t-il une différence entre les représentations mentales stockées de façon permanente en mémoire à long terme et les représentations temporaires construites dans le cadre d'activités spécifiques ? Ce premier point s'adresse à la considération de deux systèmes de mémoire distincts possédant des lois propres de fonctionnement et d'organisation et destinés à des activités mnésiques totalement différentes. Ces différences fondamentales entre les deux systèmes entraînent des différences de nature entre les contenus mentaux manipulés. Cette question sera surtout abordée dans la partie de notre travail où est analysée la distinction théorique entre une forme de mémoire à court terme (ou mémoire de travail) et une forme de mémoire à long terme (§ 1.3.2).

  2. Quel est le mode de codage ou le format des représentations mentales ? Sont-elles enregistrées dans le même format que celui qui résulte du traitement sensoriel ou des interactions perceptivo-motrices entre le sujet et l'environnement, ou encore selon une configuration multimodale intégrant une diversité d'éléments traités par des canaux distincts, ou encore selon leur signification abstraite ou leur domaine d'application ? Cette question, traitée au paragraphe 1.3.4 sur la nature des représentations et l'organisation de la mémoire à long terme, concerne l'existence d'une typologie des connaissances engrangées en mémoire à long terme : représentations imagées, représentations verbales propositionnelles et abstraites, schémas, histoires, théories naïves, modèles mentaux, souvenirs individuels, mémoire sémantique, mémoire procédurale...

  3. Quel est le mode d'organisation des représentations ? Cette question, assez proche de la précédente, concerne les lois d'agencement de l'énorme quantité de données que constitue la base de connaissance individuelle et collective. L'organisation est indispensable pour une accessibilité efficace des données en mémoire, comme d'ailleurs dans toute structure stockant un nombre important d'objets (e.g, bibliothèque, magasin...). Le problème est de repérer les dimensions ou attributs (temporels, spatiaux, associatifs, catégoriels) qui soutiennent une telle organisation et, éventuellement, de dégager des lois d'organisation distinctes selon les types de représentations (§ 1.3.4.3).

  4. De quelle manière les représentations mentales sont-elles activées ou retrouvées en mémoire ? Cette question concerne notamment l'existence d'une diversité dans les processus d'accès en fonction du type de représentations, par exemple, des processus automatiques d'activation et des processus contrôlés de recherche.

  5. Quelle est l'évolution des représentations mentales en mémoire ? Cette question englobe plus particulièrement les processus qui permettent d'expliquer l'oubli ou les variations d'accessibilité en fonction du contexte et les modifications et restructurations des contenus de la base de connaissance (§ 1.4.2.6).

Au second chapitre, nous nous intéresserons à un type particulier de représentations mentales : la métamémoire, c'est-à-dire la connaissance que possède le sujet sur son propre système de mémorisation et sur ses propres opérations mentales impliquées dans l'acte de mémoire. C'est pourquoi, dès le premier chapitre, nous attacherons une importance particulière aux représentations mentales liées au concept de soi (§ 1.3.4.5) et insisterons à plusieurs égards sur la distinction entre les représentations conscientes ou explicites et les représentations inconscientes ou implicites.