1.1.2.5011Mémoire et contrôle du comportement

La notion de contrôle comportemental doit être conçue de manière très générale comme se référant à la capacité de maintenir une cohérence dans les actes et d'atteindre des objectifs ; elle englobe l'ensemble des opérations nécessaires à la réalisation d'une tâche spécifique. Si la notion de contrôle est souvent assimilée à celle de conscience et de volonté, comme dans le champ d'étude de la métacognition, il est utile de préciser que tel n'est pas toujours le cas. En effet, les comportements fortement automatisés sont également contrôlés7 dans la mesure où ils contribuent à l'atteinte d'un objectif et où ils possèdent une fonction d'adaptation (Norman et Shallice, 1986) : ici, le contrôle est effectué « ‘à des niveaux différents de celui de la représentation consciente’» (Nguyen-Xuan, Richard et Hoc, 1990, p. 230).

Le contrôle est toujours lié à la réalisation d'une tâche spécifique et peut intervenir à trois étapes de son déroulement (Nguyen-Xuan et al., 1990) : sélection de la tâche à résoudre et inhibition de toutes les tâches non-pertinentes, planification de l'activité, contrôle (au sens premier de surveillance et de vérification) de la réalisation de la tâche.

Différentes composantes de la mémoire sont impliquées dans les activités de contrôle.

  1. Tout d'abord, la mémoire de travail est fortement sollicitée à toutes les étapes du processus puisque les représentations de situations, choix, décisions, anticipations, buts et évaluations sont formés et transformés à l'intérieur même de cet espace de travail. Ainsi, par exemple, Baddeley (1993a) suggère d'assimiler l'administrateur central (Central Executive) de son modèle de mémoire de travail au système attentionnel de supervision (Supervisory Attentional System) conçu par Norman et Shallice (1986) dans un modèle général du contrôle de l'activité. Ce dernier fut développé pour expliquer les erreurs de contrôle dans des situations quotidiennes ainsi que les troubles associés à certains dysfonctionnements cérébraux (frontaux).

  2. La mémoire à long terme est également indispensable au contrôle de l'activité puisqu'elle stocke l'ensemble des expériences, connaissances, règles et habiletés nécessaires à la résolution d'une infinité de tâches. L'apport des acquisitions antérieures dans le contrôle de l'activité se traduit dans la conduite effective du système et influence la qualité de son adaptation face aux situations problèmes. La distinction entre différents types de connaissances permanentes apparaît à nouveau dans la mesure où ces connaissances ne participent pas de manière équivalente au contrôle du comportement. Par exemple, les connaissances déclaratives demandent un fort investissement attentionnel pour être traduites en actions concrètes alors que les habiletés sont immédiatement efficaces (Rasmussen, 1986).

  3. Une dernière composante de la mémoire, peut-être la moins évidente, la moins étudiée, mais certainement la plus adaptative, consiste à mémoriser les événements et actions qui n'ont pas encore eu lieu : paradoxalement, c'est la mémoire du futur ou mémoire prospective (Meacham et Leiman, 1975 in Neisser, 1982 ; Meacham et Singer, 1977). Cette capacité nécessite d'une part, que le système soit apte à planifier, imaginer et programmer ce qu'il adviendra plus tard, d'autre part, qu'il soit apte à se souvenir des choses prévues de la sorte.

La première fonction n'est possible que si le système possède une mémoire du passé, car en effet, comment pourrait-on planifier une action, imaginer une scène... sans avoir la moindre idée, la moindre représentation préalable de ce qu'est une action ou une scène, et de l'allure que pourrait avoir cette action ou cette scène ?...

La seconde fonction implique l'existence d'une mémoire spécifique pour des informations qui n'ont d'existence que dans l'esprit de la personne, qui sont de purs produits mentaux, plus particulièrement des intentions, des projets, des prévisions, ou des prédictions. Cette mémoire devra être utilisée et consultée à un moment déterminé du futur.

La mémoire prospective intervient à différentes étapes du processus de contrôle de l'action : elle permet tout d'abord de sélectionner et d'enregistrer les buts à atteindre à plus ou moins long terme (fonction de sélection des intentions) ; en quelque sorte, elle stocke toutes les intentions qui n'ont pas été sélectionnées pour un traitement en mémoire de travail en temps réel. Elle opère ensuite une organisation des différents objectifs (planification) afin d'optimiser leur réalisation future ; cette organisation est très souvent temporelle, par exemple, lorsque différentes actions doivent être réalisées successivement (planification d'actions à réaliser selon le déroulement d'un trajet) ou être intégrés dans une série d'autres actions plus routinière (e.g., acheter du pain en rentrant du travail). L'organisation peut également être sémantique lorsque les actions à faire sont classées selon une dimension de ressemblance (liste d'appels téléphoniques, de courses, de rendez-vous à effectuer dans la journée). Ensuite, la mémoire prospective doit posséder un mécanisme de récupération des éléments engrangés fortement dépendant du fonctionnement de l'horloge interne, de la motivation et des stratégies du sujet. Enfin, un mécanisme d'effacement ou de mise à jour des traces intervient lorsque les objectifs enregistrés initialement ont été atteints. L'ensemble de ces fonctions mnésiques contribue au contrôle et à la cohérence du comportement (Koriat et Ben-Zur, 1988 ; Winograd, 1988a, 1988b). Les différentes fonctions de la mémoire prospective sont en étroite collaboration avec des mécanismes motivationnels et socio-affectifs (Winograd, 1988b ; Meacham, 1982, 1988). Cela fait du concept de mémoire prospective un bon candidat pour l'appréhension des relations entre les différentes sphères psychiques.

Notes
7.

Le terme contrôlé prend ici un sens différent de celui de l'expression « processus contrôlés» , synonyme de « processus attentionnels» . Le contrôle peut exister indépendamment de l'attention et de la conscience.