1.1.4.1011Principes neurophysiologiques de la mémoire

La complexité des comportements humains et la difficulté sous-jacente de leur explication proviennent incontestablement du nombre de cellules du système nerveux, et encore plus du fait que ces cellules sont très massivement interconnectées les unes avec les autres (Parkin, 1987). Le nombre de combinaisons (d'états) possibles du système constitue à lui-seul la preuve de l'immense flexibilité et de la puissance computationnelle de l'esprit humain, qui ne devrait pas sans cesse être comparé au simple ordinateur. « ‘La différence entre le réseau neural et les circuits électriques ... est dans le fonctionnement du cerveau dans sa globalité et dans le rôle joué par les intermédiaires chimiques’» (Lazorthes, 1988, p.48).

Le neurone est l'unité fonctionnelle du cerveau et fonctionne en transmettant une information de nature électrique à ses voisines (Frégnac, 1988). Le cheminement et la transmission de l'information s'effectuent grâce à des modifications chimiques internes et externes à la cellule. La relation fonctionnelle entre deux cellules (qui s'établit par le biais de la synapse) peut être soit activatrice soit inhibitrice, c'est-à-dire déclencher ou non un potentiel d'action dans les cellules voisines (Ito, 1994). Se créent ainsi des réseaux d'activation (connectivité) qui pourront prendre différentes formes selon les caractéristiques des stimulations de départ, l'état du système à l'instant de la stimulation, les caractéristiques des cellules nerveuses, les substances chimiques déclenchées (Barbizet et Duizabo, 1977)... Des câblages sont dévolus au traitement des informations sensorielles et à leur acheminement vers le système nerveux central (afférences), d'autres s'occupent de la commande de sortie (efférences), et d'autres ont un rôle intermédiaire (intégratif) sans relation directe avec les entrées sensorielles et les sorties motrices. Il est possible d'établir le cheminement des informations d'un lieu à l'autre du cerveau par des techniques spécifiques de marquage chimique et de stimulation électrophysiologique (Mauguière, Laurent et Trillet, 1985). L'activité neuronale ne débouche pas obligatoirement vers un comportement visible et n'est pas seulement activée par une stimulation extérieure à l'organisme. Il se passe constamment des transmissions d'information à l'intérieur du système nerveux central (SNC), ce qui explique l'ensemble des activités psychiques internes.

Le SNC n'est pas uniquement en relation avec le monde extérieur à travers les boucles nerveuses sensori-motrices : il agit également sur des glandes et organes du corps, soit directement par le système nerveux végétatif, soit par l'intermédiaire du système sanguin (sécrétion d'hormones). Réciproquement, il est sensible aux modifications du milieu intérieur, notamment hormonales. Par exemple, l'hormone de croissance joue un rôle sur l'allongement du sommeil paradoxal et sur la synthèse des protéines dans le cerveau. Le sommeil paradoxal est également fortement impliqué dans la synthèse des protéines, ce qui semble lui conférer un certain rôle dans les phénomènes de consolidation des souvenirs (Chapouthier, 1989 ; Leconte, 1989 ; Maquet, 2001), bien que la privation de sommeil paradoxal, qui agit sur l'humeur et sur la concentration, n'aboutisse pas systématiquement à un déficit mnésique (Trillet et Laurent, 1988).

Dans l'état actuel des connaissances en biochimie, il est impossible de démontrer l'existence d'un codage chimique de la mémoire sur le modèle du codage des informations génétiques par l'ADN. Par contre, les travaux « ‘s'orientent vers la recherche de corrélats entre certains phénomènes chimiques cérébraux et les phénomènes mnésiques’» (Chapouthier, 1989, p.8 ; Parkin, 1987).

La neurophysiologie et la neuropharmacologie permettent de recenser certaines substances chimiques libérées par les neurones des circuits de la mémoire ainsi que leurs effets facilitateurs ou inhibiteurs sur la performance. Le système est si complexe qu'une substance pourra tour à tour se révéler facilitatrice, inhibitrice ou sans effet en fonction des situations (dose administrée, moment de l'administration,... Trillet et Laurent, 1988). Bien entendu, ces recherches sont capitales dans le domaine de la prise en charge des patients souffrant de troubles consécutifs à un dysfonctionnement biochimique du cerveau (notamment les démences).

L'idée de trace mnésique se rapporte à l'ensemble de modifications électriques et chimiques produites dans le SNC. Le potentiel électrique se déplace le long de la cellule par vagues ou pics (potentiel d'action) pendant la durée d'une stimulation extérieure (cas de la perception) mais se poursuit également après la stimulation. Dans certaines structures du cerveau responsables de la mémoire (hippocampe), la potentialisation à long terme est particulièrement présente, ce qui laisse supposer une sorte de consolidation de la trace par répétition de stimulation neuronale (Ito, 1994). Cette idée de consolidation est assez compatible avec les observations neuropsychologiques concernant les traumatismes crânio-encéphaliques, où, suite à un choc, un accident cérébral ou une perte de connaissance (coma), et après recouvrement des fonctions mnésiques normales (fin de l'amnésie post-traumatique), la personne ne peut accéder à certains souvenirs couvrant une période relativement courte antérieure au traumatisme. Tout se passe comme si ces informations n'avaient pu être consolidées en mémoire (Giroire, Mazaux et Barat, 1991).

Les mécanismes neuronaux offrent bien d'autres analogies avec les mécanismes d'apprentissage au niveau psychologique. Nous citerons comme exemples :

  • l'effet de la répétition d'une stimulation sur la stabilisation d'une connexion, parallèle à l'effet de la répétition d'une expérience sur sa rétention,

  • les modifications de circuits après lésions de certaines voies comparables aux changements de stratégies lorsqu'un but ne peut plus être atteint par la voie habituelle (idée de vicariance),

  • la stabilisation, la régression de réseaux ou la réorganisation des cartes somatotopiques en fonction de l'utilisation des circuits (Changeux, 1983), similaires à l'apprentissage par l'action, l'expertise, l'acquisition de connaissances et leur ré-organisation avec l'expérience et la perte des savoirs et savoir-faire non entretenus.

Ces analogies font toutes référence à la notion de plasticité cérébrale, qui est le mécanisme neuronal de base du fonctionnement de la mémoire (Squire, 1982).