1.2.2.2011Typologie des tâches de mémoire

1.2.2.2.1011Variation dans le contexte de récupération

Il existe plusieurs types de tâches de récupération de l'information en mémoire ; les principales sont le rappel libre, le rappel sériel ordonné, le rappel indicé, et la reconnaissance.

  • Le rappel libre consiste à retrouver, dans n’importe quel ordre, le plus d’éléments possible présentés antérieurement dans un contexte spatio-temporel bien défini. Le rappel ordonné s’y apparente, sauf que l’ordre de rappel doit être semblable à celui de la présentation.

  • Pour ce qui est du rappel indicé, on fournit une aide au sujet ; cet indice peut être de plusieurs sortes, plus ou moins précis, plus ou moins utile ou perturbateur. Souvent, lors de la présentation de paires de stimuli (par exemple des mots), on présente comme indice le premier mot de chaque paire et le sujet doit retrouver celui qui lui était associé lors de l’encodage initial. On peut également présenter comme indice, un mot associé à l'indice original ou un terme générique (nom de catégorie...).

  • La reconnaissance, enfin, consiste à présenter directement au sujet les mêmes éléments que lors de l’encodage parmi d’autres éléments non pertinents, appelés des distracteurs. Le sujet doit alors choisir, parmi un ensemble, l'élément qui appartient au matériel précédemment présenté. Plusieurs procédures de reconnaissance existent, matérialisant divers niveaux de difficulté. Le cas le plus simple est de présenter une paire d’éléments constituée d’un item ancien (vu lors de la présentation) et un item nouveau. La tâche du sujet est de désigner celui des deux qui lui a été présenté. Une autre solution est d’augmenter le nombre de distracteurs, c’est-à-dire de présenter l’item-cible avec 2, 3, ou 4... distracteurs (forced-choice recognition). Là encore, le sujet sait qu’il n’y a qu’un seul élément qui convient comme réponse. On peut faire varier le degré de ressemblance entre les distracteurs et entre les distracteurs et la cible, ce qui est sensé rendre la tâche plus difficile, car le sujet devra réellement avoir encodé cet item là et pas seulement des caractéristiques générales qui pourraient correspondre à celles des éléments perturbateurs (sonorité, lettres, sens, catégorie grammaticale, forme générale...). Un autre niveau de difficulté peut être obtenu en présentant une liste d’éléments isolés (n) et en demandant au sujet de dire, pour chacun, s’il est ancien ou nouveau ; ici encore on peut faire varier le nombre de distracteurs (k), par exemple donner 3 distracteurs pour 1 item réellement présenté antérieurement ; si la liste initiale comprend 20 mots, la liste de reconnaissance en comprendra 80, soit [n+(kn)].

Kellogg (1980) propose une tâche de reconnaissance originale qui distingue les distracteurs reliés aux cibles des distracteurs totalement nouveaux. Il insiste sur la nécessité d'imaginer des tests de mémoire sensibles, c'est-à-dire susceptibles de déceler toute information mémorisée. Pour lui, la tâche de reconnaissance est la seule qui soit réellement pertinente, encore faut-il qu'elle soit capable de mesurer une autre forme de mémoire que la mémoire spécifique pour les éléments présentés. La nature des distracteurs permet justement de différencier cette mémoire spécifique d'une mémoire conceptuelle montrant que le sujet a réussi à décoder un certain nombre de caractéristiques du matériel, même quand il ne se souvient pas exactement de ce matériel (i.e., une information sur la classe de stimuli qui ont été présentés). Dans certaines expériences, d'après lui, la reconnaissance n'est pas différente du hasard car les distracteurs possèdent les mêmes traits que les cibles (appartiennent à la même classe). Il cite une expérience de Norman (1969) où la reconnaissance de paires de chiffres donne lieu à autant de fausses reconnaissances que de bonnes reconnaissances, précisément à cause de l'apparence identique des cibles et des distracteurs. Dans cette situation, le test ne permet pas de savoir si les sujets ont mémorisé une certaine information sur l'allure des stimuli (ici, le simple fait qu'ils sont composés de deux chiffres). Si Norman avait utilisé comme distracteurs des nombres de trois chiffres, la reconnaissance aurait sans doute été supérieure à une réponse aléatoire. Kellogg propose d'utiliser lors du test deux types de distracteurs : reliés, appartenant à la même catégorie que la cible et nouveaux, appartenant à une nouvelle classe de stimuli que les cibles à reconnaître.

Mais l'originalité du test de reconnaissance construit par Kellogg repose surtout sur l'utilisation d'une échelle de réponse plutôt qu'un choix oui / non. Cette échelle en 10 points partant de -5 à +5 (sans niveau 0) permet au sujet, non seulement de dire s'il pense qu'un item-test a été ou non présenté précédemment (jugement positif ou négatif), mais d'indiquer son degré de confiance dans la réponse. Ainsi, les différentes formes de mémorisation (conceptuelle / spécifique) pourront être évaluées en comparant les valeurs moyennes de confiance attribuées pour chaque type de stimuli : anciens, nouveaux et reliés. Une différence de certitude entre les items anciens/reliés et les nouveaux items indiquera l'existence d'une mémoire conceptuelle et ce, d'autant plus si les items anciens et reliés sont jugés comme anciens avec la même certitude. Une différence entre les items anciens (réponses justes) et les items reliés/nouveaux (réponses fausses) indiquera l'existence d'une mémoire pour des stimuli spécifiques. Cette méthodologie intègre la notion de métamémoire comme jugement sur le contenu de la mémoire (§ 2.2.4. et 2.3.5.).

Des tâches de mémoire différentes peuvent donner lieu à des performances inégales car les processus de récupération impliqués ne sont pas les mêmes (§ 1.4.1.3). Le rappel libre, par exemple, nécessite que le sujet ait accès à la trace laissée par la présentation de l’item (processus de recherche), alors que la reconnaissance peut se baser sur une simple évaluation de la familiarité ou de la récence (Mandler, 1980) et du choix de l’item le plus familier parmi les éventualités proposées. Les processus mis en oeuvre dans la reconnaissance ont été définis comme plutôt automatiques car ils sont très peu sujets à perturbation et ne montrent pas de différences développementales importantes. En effet, jeunes enfants et personnes âgées ont des performances identiques à celles des jeunes adultes dans ce type de tâche. La tâche de reconnaissance constitue donc une mesure beaucoup plus sensible du contenu de la mémoire que la tâche de rappel. Cela signifie qu'on a plus de chance de savoir ce qui a réellement été mémorisé par le sujet en utilisant une telle épreuve. Cependant, il existe aussi dans la reconnaissance des cas où l'expérience subjective associée est identique à celle du rappel libre, à savoir, une certitude que l'item reconnu a été rencontré précédemment (Tiberghien et Lecocq, 1983). Il existerait donc différentes formes de reconnaissances mnésiques (Jacoby, 1982), difficiles à distinguer sans procédure adaptée.

En rappel libre, le sujet ne produit pas systématiquement tous les éléments qu'il a effectivement mémorisés. La preuve en est que plusieurs tâches successives portant sur la même information originale donnent lieu à une variabilité dans les réponses, bien que le corps principal reste identique (Tulving, 1962 ; Savina et Marquer, 1997). Ceci posé, ce n'est pas parce que la tâche de reconnaissance est plus sensible qu'elle doit être utilisée en priorité. Tout dépend des objectifs de la recherche. En effet si l'on veut s'assurer que la personne évoque des souvenirs épisodiques précis (mémoire spécifique), une tâche de rappel sera recommandée. La tâche de reconnaissance permet d'étudier certains mécanismes inconscients et involontaires de la mémorisation. Mais elle est moins précise qu'un test de rappel dans le sens où il faut toujours la considérer par rapport à un niveau de réponse au hasard (qui dépend du nombre d'alternatives non pertinentes) et qu'elle se base sur des jugements accompagnés d'une impression subjective différente (les bonnes réponses peuvent être devinées plutôt que ressenties comme telles). Une alternative à ce dernier problème consiste à suivre la méthodologie de Kellogg qui implique de recueillir, en plus du jugement de reconnaissance, une estimation de la certitude sur la réponse. L'estimation de la confiance dans la réponse constitue une mesure subjective de la reconnaissance, naturellement présente dans la tâche de rappel libre. Il en va de même pour la méthodologie « know / remember» utilisée initialement par Tulving (1985b), puis par Gardiner (Gardiner et Java, 1993) ; le sujet doit, pour chaque réponse de reconnaissance, dire s'il sait que l'item a été présenté ou s'il se souvient avoir réellement vu cet item.