1.2.3.2011Typologie des tâches

Il existe une variété de tâches dites « implicites» ou « indirectes» permettant de mesurer le niveau de mémoire inconscient des individus.

Un exemple de mesure implicite consiste à présenter au sujet, après un épisode d’apprentissage, mais sans y faire référence, une tâche de complétion de mots (Warrington et Weiskrantz, 1970 ; Tulving, Schacter et Stark, 1982) ou de complètement de trigrammes (Graf et Mandler, 1984). On donne des structures de mots incomplets ou encore les trois premières lettres d'un mot et le sujet doit terminer chaque item par le premier mot qui lui vient à l’esprit, à condition qu’il soit correct à l’égard du cadre proposé (e.g., complétion de mots fragmentés : M-S—UE pour MUSIQUE ; complétion de trigrammes : MUS pour MUSIQUE ). Dans ce genre de situations, on s’aperçoit que les personnes complètent plus facilement les items par des mots qui ont été présentés antérieurement que dans une condition contrôle où les sujets n’ont pas eu de phase d’apprentissage préalable. De plus, les mots déjà rencontrés ont tendance à être complétés plus facilement que les nouveaux stimuli-tests. En général, les sujets ne se rendent pas compte que certains des éléments à compléter leur ont été présentés auparavant. La mémoire facilite la performance au cours d'une tâche portant sur du matériel présenté antérieurement, mais à l'insu du sujet.

D’autres tâches similaires semblent mettre en jeu les mêmes processus de récupération inconsciente des stimuli. Si la personne a été récemment en contact avec un stimulus donné (mot ou dessin), elle a plus de chance de pouvoir l'identifier lors d'une présentation sous forme dégradée, dans une tâche dite d’identification perceptive (Jacoby et Dallas, 1981). De même, si de deux mots homophones, le plus rare est présenté préalablement dans son contexte sémantique, le sujet a plus de chance de produire cet homophone rare lors d'une tâche ultérieure d'épellement alors qu'une personne non soumise à la première présentation tendra à épeler l'homophone le plus fréquent (Jacoby et Witherspoon, 1982). Les tâches de décision lexicale présentées consécutivement à un épisode d'encodage entrent aussi dans la catégorie des mesures indirectes de la mémoire. Les réponses à des tâches de préférence (donc affectives) démontrent également l'existence d'un apprentissage sans conscience (Kunst-Wilson et Zajonc, 1980). En accord avec ces données sur les jugements de préférence, certaines mesures physiologiques, habituellement utilisée pour évaluer le niveau d'activation émotionnelle (conductivité cutanée par exemple), mettent en évidence des changements de réponse qui pourraient refléter l'accès inconscient aux informations mémorisées (Damasio, 1999).

Les mesures de conditionnement permettent également d'évaluer le degré de mémorisation réalisé suite à des expériences antérieures. Un dernier exemple de mesures indirectes de la mémoire concerne tous les apprentissages d'habiletés où la connaissance de la tâche s'enrichit d'épisode en épisode sans que la personne soit consciente qu'elle met en place des procédures apprises antérieurement (apprentissages perceptivo-moteurs ou perceptivo-cognitifs comme la lecture en miroir ou la poursuite de cible en mouvement). Ce dernier aspect fait référence à la notion de mémoire procédurale (Cohen et Squire, 1980 ; voir § 1.3.4.4.3).

Dans tous les cas de mesures indirectes, les performances mesurées témoignent d’une mise en mémoire de l’information sans que le sujet soit conscient qu'il est en train d'activer des souvenirs d'expériences antérieures. De plus, la performance à un test indirect est indépendante de la performance à un test direct portant sur le même matériel (Jacoby et Witherspoon, 1982 ; Tulving, Schacter et Stark, 1982). Cette indépendance signifie que la réussite à l'une des deux tâches ne conditionne pas la réussite à l'autre tâche. Cette observation robuste a conduit les chercheurs à énoncer le principe d'indépendance stochastique entre les mesures directes et indirectes de la mémoire et à concevoir l'existence de deux systèmes mnésiques distincts : la mémoire explicite et la mémoire implicite, fonctionnellement dissociées.

La dissociation entre les mesures directes et indirectes apparaît également à travers la manipulation expérimentale de variables indépendantes et de variables liées aux caractéristiques des sujets (§ 1.4.3.2.3).