1.3.4.2011Format des représentations

Toute connaissance se construit à partir de l'expérience du sujet, à travers les processus d'apprentissage. Les connaissances, par nature abstraites et symboliques, se réfèrent aux objets réels de l'environnement et sont stockées en mémoire à long terme.

Une question à se poser sur l'organisation des connaissances en mémoire concerne le format de codage des informations. Les données arrivant aux organes des sens subissent une transformation avant d'être traitées et intégrées en mémoire. Cela revient à se demander quelle est la plus petite unité de traitement et d'enregistrement et si différents types de connaissances co-existent en mémoire : symboles, concepts (Collins et Quillian, 1969), propositions (Kintsch, 1974 ; Pylyshyn, 1973), images mentales (Paivio, 1969 ; Kosslyn, 1980), représentations perceptives (Barsalou, 1993, 1999), cadres (« frames» , Minsky, 1975) ou schémas (Mandler, 1984) ont été proposés comme formats possibles.

La théorie du double codage postule que les informations sont enregistrées en mémoire selon deux formats : un propositionnel et un imagé. Ce point de vue permet d'expliquer la supériorité de la mémoire pour les mots concrets versus abstraits - ils peuvent facilement donner lieu à une image mentale - ainsi que la supériorité mnésique de l'image sur le mot (Paivio, 1969).

La représentation des actes a reçu une attention particulière (Stelmach et Kelso, 1977 ; Cohen, 1981). La mémoire est améliorée lorsque le souvenir est acquis par l'action du sujet plutôt que par la simple perception ou lorsqu'il est testé par reconstitution active (manipulation des objets) plutôt que par évocation directe (dessin de mémoire) (Piaget et Inhelder, 1968). D'après Allport (1980), une action est déclenchée par la présence de conditions particulières, comme le montrent les erreurs de la vie quotidienne ; par exemple, un individu commence à effectuer un certain acte et finit par faire tout autre chose, du fait de la prégnance d'éléments contextuels habituellement associés à cette autre action. C'est le cas de la personne, qui, entrant dans sa chambre pour s'habiller en vue d'une sortie au restaurant, se déshabille et se couche (Norman, 1981 ; Reason, 1984). A l'inverse, un manque d'indice peut faire oublier d'effectuer l'action initialement prévue. Les deux types d'erreurs peuvent se trouver exagérées dans certaines pathologies cérébrales : certains patients ne peuvent pas s'empêcher d'adopter des actions conformes au contexte même si elles ne sont pas adéquates ou socialement désirables (comportements d'utilisation et d'imitation ; Lhermitte, Derouesné et Signoret, 1972 ; Lhermitte, 1983). D'autres ne pourront pas faire semblant de faire tel ou tel acte si tous les éléments contextuels ne sont pas réunis pour le réaliser (apraxies idéomotrices, faire le geste de se peigner sans avoir le peigne en main). Ces données suggèrent que les actions possèdent une format spécifique en mémoire et qu'elles peuvent être activées automatiquement par certains éléments contextuels.

La théorie des schémas introduite par Bartlett en 1932 (J.M. Mandler, 1984) a apporté d'autres hypothèses sur la nature des représentations en mémoire qui peuvent mieux rendre compte de la complexité des phénomènes et qui correspondent mieux à la réalité psychologique. Elle se base sur la capacité d'abstraction de l'esprit. Un schéma est une structure de connaissance abstraite qui permet de représenter et d'appréhender le monde et qui contribue à l'organisation active du passé. Les éléments complexes peuvent être représentés en une seule représentation schématique intégrée : les événements sont représentés par des scripts (Schank et Abelson, 1977), des histoires (Rumelhart, 1975) et des scènes ; les connaissances sont représentées par des catégories, des modèles mentaux (Norman, 1983), des théories naïves, des croyances, des attitudes, des préjugés...

Le concept de schéma est idéal pour expliquer le traitement et la mémorisation des informations textuelles (Baddeley, 1993a). Il existerait deux types de schémas (Tiberghien, 1991) :

  • les schémas déclaratifs sont des représentations schématiques qui généralisent et intègrent les caractéristiques des objets ; elles co-existent avec les représentations prototypiques (Rosch, 1973) qui sont des instances représentatives d'une catégorie et qui constituent un autre format de connaissance intégrée,

  • les schémas d'actions sont des représentations procédurales (scripts et scénarios) stéréotypés qui servent aussi à intégrer une connaissance plus vaste.

La théorie des schémas postule que la mémoire d'un événement particulier est guidée au moment du codage et de la récupération par les schémas internes. Les représentations schématiques sont des cadres qui permettent d'interpréter, de comprendre de nouvelles informations, de les enregistrer sous un certain format et d'y accéder en mémoire de façon relativement automatique. N'importe quelle représentation peut être envisagée sous forme schématique.

Une part importante du processus de compréhension consiste à activer les schémas stockés en mémoire et à assimiler l'information présentée dans ces schémas. Il existe donc une interaction entre les connaissances antérieures et l'acquisitions de nouvelles connaissances. Cette interaction permet de rendre compte des activités de reconnaissance, de compréhension et d'inférence (Kintsch, 1974 ; Minsky, 1975 ; Rumelhart, 1980 ; Rumelhart et Ortony, 1977 ; Schank et Abelson, 1977). L'activation d'un schéma permet l'interprétation ou l'instanciation (assimilation) d'une information de telle sorte qu'elle s'associe ou se lie au schéma activé. Le schéma est un échafaudage mental ou une stratégie cognitive d'indiçage pour la nouvelle information. La théorie des schémas procure même une explication cognitive des troubles anxieux où le traitement préférentiel de l'information relative au danger proviendrait de la formation précoce en mémoire à long terme de schémas cognitifs spécifiques (Cottraux, 1989b).

La force de cette approche consiste, non seulement à comprendre comment les connaissances sont organisées, mais aussi à expliquer les erreurs et distorsions de la mémoire (Alba et Hasher, 1983 ; Koriat et Goldsmith, 1996a). Un bel exemple emprunté à la vie quotidienne nous est donné par French et Richards (1993). Ces auteurs ont pu montrer que la reproduction de mémoire d'un cadran d'horloge à chiffres romains présenté précédemment pendant une minute comporte une erreur systématique sur le chiffre « 4» , qui est en réalité représenté traditionnellement par IIII pour des raisons esthétiques (symétrie avec le chiffre VIII). Avertis d'un test de mémoire futur (condition d'encodage intentionnel), les sujets reproduisent de façon erronée le IIII par IV, et ce, dans la même proportion (environ 2/3) qu'en condition de mémorisation incidente. L'explication d'une telle erreur de mémoire repose sur l'idée que les sujets se servent de leurs connaissances antérieures (i.e., « en chiffres romains, le 4 s'écrit IV» ) au moment de la récupération de l'information en mémoire. L'instruction de mémoire n'est pas suffisante pour que tous les sujets prennent conscience de cette particularité au moment de l'encodage : leur attention semble plutôt s'orienter vers la position et la forme des aiguilles, le nom du fabricant, l'orientation des chiffres, c'est-à-dire vers des points de détails de l'information à mémoriser. Nombreux sont les exemples quotidiens qui démontrent que la mémoire n'est pas une simple copie du passé.