1.3.4.5011Le cas particulier de la connaissance de soi : mémoire de la mémoire

1.3.4.5.1011La mémoire autobiographique

Les connaissances acquises sur sa propre personne sont généralement regroupées sous le terme de mémoire autobiographique. Cette forme de mémoire peut facilement être confondue avec la mémoire épisodique puisqu'elle engrange le vécu du sujet, donc des événements.

Il faut cependant distinguer, selon la définition de Brewer (1988a) quatre formes d'informations stockées en mémoire autobiographique :

  • les souvenirs personnels sont des récupérations d'épisodes uniques vécus par le sujet s'accompagnant de sensations phénoménales identiques aux sensations originales ; on a l'impression de revivre une scène ; le processus de récupération s'accompagne d'une forte imagerie mentale et d'affects,

  • les faits autobiographiques sont des représentations d'informations sur soi, vécues une seule fois, mais qui ne sont pas accompagnées d'imagerie ; le sujet « connaît» cette information sans revivre intérieurement l'épisode qui la constitue,

  • la mémoire personnelle générique se constitue progressivement en incorporant des épisodes répétés pour lesquels le sujets a oublié les références temporelles ; son format peut se baser sur l'imagerie,

  • les schémas de soi, ou self-schema, sont aussi des intégrations / abstractions de plusieurs expériences, mais qui ne sont pas stockées sous une forme imagée.

La mémoire autobiographique comporte donc à la fois des aspects épisodiques (mémoire des événements) et sémantiques (mémoire des faits)42.

Le concept de mémoire autobiographique est assez difficile à étudier puisqu'il fait référence au vécu d'individus différents. Toutefois, dans une perspective d'étude écologique de la mémoire, un certain nombre de tests de mémoire autobiographique ont été mis au point (Bahrick, 1983, 1984a, 1984b) : reconnaissance des camarades de classes, reconnaissance par des professeurs du nom et du visage de leurs élèves, apprentissage et rétention des rues et des immeubles d'une ville, rétention de l'espagnol appris au lycée ou au collège... Dans chacun de ces exemples de tests de mémoire autobiographique, les informations rapportées par les sujets peuvent être vérifiées. On voit aussi que ces tests ne portent pas systématiquement sur des événements spécifiques.

L'information temporelle sur un événement n'est pas directement accessible et sa récupération dépend de processus d'inférence combinés à d'autres connaissances d'ordre général (Winograd et Killinger, 1983 ; Thompson, Skowronski et Lee, 1988). Ce fait a été mis en évidence dans des études sur la restitution de souvenirs de grands événements qui ont l'avantage de pouvoir être datés avec une certitude absolue (e.g., l'assassinat de Kennedy). Les personnes tendent à utiliser des indices sur les événements personnels survenus au moment où ils ont eu connaissance de l'événement à dater et à activer des connaissances générales sur l'arrivée de certains types d'événements (Brown et Kulik, 1977). De plus, il existe un biais systématique au sein du processus de datation qui consiste à sous-estimer l'intervalle temporel écoulé depuis des événements bien connus et à surestimer cette période pour les événements peu connus (Brown, Rips, et Shevell, 1985 ; voir aussi Lieury, 1992). La datation des événements personnels procèderait des mêmes mécanismes de récupération que la datation des événements publics.

Le concept de mémoire autobiographique est primordial pour comprendre comment s'articule la connaissance de soi ou représentation de soi (Baddeley, 1988 ; Damasio, 1999 ; Schacter, 1999). En effet, une telle connaissance ne peut se développer qu'à travers l'expérience individuelle acquise au fil du temps. Ainsi, la connaissance de soi se bâtirait de la même façon que toute autre connaissance (Nuttin, 1980) et serait constituée d'un versant épisodique (souvenir d'un comportement survenu dans un contexte spatio-temporel défini) et d'un versant sémantique (abstractions basées sur la répétition de comportements similaires) (Kihlstrom, Cantor, Albright, Chew, Klein et Niedenthal, 1988 in Piolat et al., 1992). Une distinction similaire peut être faite entre connaissances générales et spécifiques (e.g., Markus, 1977, in Piolat et al., 1992). De plus, cette forme de connaissance serait organisée et régie par les mêmes mécanismes que les autres connaissances, à savoir des mécanismes d'association, de reconstruction, d'interprétation, d'abstraction et même d'oubli...

Notes
42.

Tulving (1985b) adopte ce point de vue en précisant que « les gens peuvent avoir et exprimer des choses qui leur sont arrivées même s'ils ne peuvent s'appuyer que sur leur mémoire sémantique [...]. Autrement dit, même lorsqu'une personne ne se souvient pas d'un événement, elle peut savoir quelque chose à son sujet» (p.6).