1.4.2.4011Traitements appropriés au transfert – Concordance des traitements.

Comme nous l'avons vu précédemment à propos des dissociations entre tâches de mémoire, la performance mnésique peut aussi être interprétée comme le résultat du transfert plus ou moins réussi des mécanismes d'encodage (ou des connaissances acquises lors de l'encodage) au moment du test (notion de transfer appropriate processing de Morris, Bransford et Franks, 1977). L'argument de ce principe est similaire à celui de la spécificité mais plus généralement applicable. Il permet en particulier d'expliquer de nombreux phénomènes observés entre des conditions de test différentes (Roediger et al., 1989). Ainsi par exemple, la reconnaissance ou le rappel seraient sensibles à la profondeur de l'encodage car, au moment de la récupération, le sujet opte spontanément pour des processus de recherche dirigés par les concepts (« top-down» ), c'est-à-dire qu'il essaie de retrouver les éléments présentés précédemment à partir de leur signification ; les mots traités sémantiquement à l'encodage ont donc plus de chances d'être récupérés que des mots traités superficiellement. Inversement, des tests comme l'identification perceptive de mots dégradés n'est pas sensible à la profondeur de l'encodage car le test ne nécessite que des processus dirigés par les données (« bottom-up» ), et que ce type de processus a été élaboré à l'encodage quel que soit le niveau de traitement (orthographique, phonétique ou sémantique).

Jacoby (1983b) a montré une telle dissociation entre les mesures de rétention dans une étude où des mots sont encodés de trois manières différentes. Dans une première situation, les mots sont présentés visuellement en l'absence de contexte (xxx-FROID) ; dans une autre situation, les mots sont présentés en présence d'un associé sémantique (CHAUD-FROID) ; enfin, les mots doivent être générés à partir de leur associé le plus fort (CHAUD-?). Les trois situations d'encodage sont supposées activer différemment les processus dirigés par les données (cas 1 et 2 où le sujet perçoit le mot) et par les concepts (cas 2 et 3 où le sens du mot est activé). Les résultats montrent clairement que la performance de reconnaissance croît progressivement d'une situation à l'autre, ce qui prouve sa sensibilité aux opérations dirigées par les concepts. Inversement, l'identification perceptive décroît progressivement d'une condition à l'autre, ce qui montre qu'elle est sensible aux opérations dirigées par les données.

La dissociation classique entre mémoire explicite et implicite a été abordée selon ce point de vue des processus impliqués dans les tâches par Roediger et al. (1989). Ils expliquent que les résultats obtenus pourraient provenir des mécanismes de traitement induits par les tâches. Alors que les tâches implicites nécessitent généralement un traitement superficiel des stimuli (dirigé par les données), la plupart des tâches explicites nécessite des processus dirigés par les concepts. Par exemple, pour effectuer un rappel libre, le sujet va activer et rechercher les représentations sémantiques, les significations des éléments qui lui ont été présentés précédemment. De même, les mots présentés en reconnaissance sont appréhendés directement en fonction de leur sens et non pas de leurs caractéristiques visuelles, orthographiques ou acoustiques. Compte tenu de cette observation, il n'est pas étonnant que les tâches implicites ne soient pas sensibles à la manipulation de la profondeur de traitement (variations dans le traitement conceptuel) lors de l'encodage contrairement aux tâches explicites (Jacoby, 1982, 1983b). Le processus mis en oeuvre au moment du rappel est concordant avec le processus mis en oeuvre au moment de l'encodage. Cette explication a l'avantage de rendre compte de la forme des interactions entre variables et pas seulement de leur existence, comme le feraient les approches multi-systèmes. Son inconvénient majeur est qu'elle rend mal compte des données obtenues en neuropsychologie, où la performance de mémoire implicite est préservée (même en cas de tâche nécessitant des processus top-down) alors que la mémoire explicite est fortement détériorée (même en cas de tâche explicite où les processus bottom-up sont prépondérants).