1.4.3011Mémorisation, conscience et intention

Nous allons examiner dans cette partie les relations entre intention, conscience et mémoire. Il convient tout d'abord de définir le sens des deux premiers concepts tels qu'ils sont employés dans le champ de la mémoire, et plus généralement de la cognition.

Le concept d'intention est ici employé pour faire référence aux situations où un individu va utiliser sa mémoire volontairement, i.e., avec l'objectif d'atteindre un certain état. Cette orientation vers un objet traduit la signification philosophique du concept d'intentionnalité (Brentano, 1874, voir Bergman, 1993). Brentano conçoit que les faits psychiques se caractérisent par l'intentionnalité, c'est-à-dire qu'ils visent nécessairement un objet, contrairement aux phénomènes physiques. La représentation est l'acte psychique le plus élémentaire et les autres actes psychiques comme le jugement, la volonté, les émotions se fondent sur la représentation en se distinguant par la nature du rapport intentionnel avec leur objet. Un acte psychique peut servir de fondement à d'autres actes intentionnels. Cette perspective aboutit à considérer la conscience comme un phénomène unique qui est en même temps, conscience de soi (négation de l'inconscient). La notion d'intention possède en outre le sens plus commun de volonté que nous utilisons dans ce travail. Il conviendra donc de définir précisément quel est l'objet de l'intention dans les phénomènes de mémorisation intentionnelle, ou, si l'on préfère quel est l'objectif du sujet qui possède une intention.

Toujours en référence à la philosophie, le concept de conscience est également intentionnel : la conscience est toujours conscience de quelque chose. Elle peut avoir comme objets les états du monde extérieur, mais aussi les actes psychiques.

Delacour (1994) propose une définition de la conscience en dégageant les traits essentiels des états conscients. Ces caractéristiques sont les suivantes : les états conscients se situent dans un contexte spatio-temporel défini (ici et maintenant) et font référence à un ou plusieurs mondes stables (modèles globaux des objets physiques, imaginaires, abstraits, sociaux, culturels et modèle de soi) qui contiennent le sujet et les objets de l'intentionnalité. L'état conscient fait référence au passé, au présent et au futur, même s'il est toujours vécu au présent. En ce sens, la conscience est fortement liée à la mémoire et à l'anticipation. L'expérience consciente se caractérise également par le fait que le sujet se sent identique à lui-même à travers les perturbations et les modifications situationnelles. Cette unicité et stabilité est démontrée objectivement par l'existence d'une mémoire autobiographique basée sur des faits vérifiables et par la réalisation à long terme de projets formulés à un instant donné (continuité des états de pensée).

Plusieurs distinctions ont été émises à propos de la conscience. Par exemple, Jeannerod (1990) parle d'une conscience perceptive et d'une conscience réflexive. La première concerne la relation entre le sujet et les objets de l'environnement physique alors que la seconde s'adresse à des contenus mentaux abstraits, des idées, des pensées. L'idée de conscience réflexive suppose également une relation intentionnelle entre le sujet et lui-même et ses états mentaux (auto-perception et auto-évaluation) ; il s'agit pour Jouhet (1993) de la conscience au sens strict, c'est-à-dire « ‘la conscience de la conscience qui fait référence à elle-même’» (p. 37). Lycan (1995) et Damasio (1999) opèrent des distinctions analogues en parlant respectivement de conscience de base / conscience introspective (Lycan) et de conscience noyau / conscience étendue (Damasio). La notion de conscience est ici abordée selon l'acception d'une prise de conscience des états mentaux liés à la mémorisation.

La psychologie cognitive de la mémoire aborde les questions d'intention et de conscience à travers plusieurs thèmes considérés successivement ci-après :