1.4.4.3011Les stratégies de mémoire quotidienne

1.4.4.3.1011L'étude d'interview de Harris (1980)

Le travail de Harris, utilisant une méthodologie d'interview sur deux échantillons de sujets (30 étudiants d'université et 30 femmes au foyer) analyse la fréquence estimée d'utilisation des deux types de stratégies mnésiques (voir tableau I.6, ci-après). Afin d'éviter les confusions et de s'assurer que chaque évaluation est faite sur la même base, l'auteur a préféré une échelle de fréquence objective (une fois par semaine, plus de deux fois au cours des six derniers mois...) qui ne présente pas de termes généraux comme « parfois» , « jamais» ... Il avait observé dans une étude préliminaire que le même niveau de fréquence n'est pas interprété de façon identique pour deux évaluations : par exemple, « une fois par semaine» est jugé comme « rare» pour l'item « tenir un journal personnel» et comme « souvent» pour « utiliser les premières lettres de mots à apprendre et construire une phrase ou un sigle» . Ce type de biais (effet de rang) avait totalement masqué les différences d'utilisation de stratégies internes et externes formulées dans ses hypothèses (voir Bradburn et Miles, 1979 ; Pepper et Prytulak, 1974).

Tableau I. 6 : Stratégies externes et internes de mémoire utilisées par Harris. Entre parenthèses, apparaissent les rangs de fréquence d'utilisation de chaque stratégie (étudiants ; femmes au foyer) : le 1 correspond à la stratégie la plus souvent utilisée.
Aides externes Aides internes
1. Listes de courses (5 ; 3)
2. Journal intime (3 ; 1)
3. Ecrire sur sa main (6 ; 8)
4. Alarme, minuterie pour la cuisine seulement (7 ; 6)
5. Alarme, minuterie pour se souvenir de faire quelque chose (9 ; 9)
6. Mémentos (1 ; 5)
7. Calendrier, planning annuel (8 ;2)
8. Demander à quelqu'un (4 ; 7)
9. Laisser quelque chose à un endroit précis (2 ; 4)
1. Aide des premières lettres (3 ; 4)
2. Faire des rimes (4 ; 3)
3. Méthode des lieux (5 ; 6)
4. Méthode de l'histoire (6 ; 7)
5. Retracer mentalement une séquence d'événements passés (1 ; 1)
6. Méthode des mots-crochets (8 ; 8)
7. Transformer les chiffres en lettres et mots (9 ; 9)
8. Association visage-nom (7 ; 5)
9. Recherche alphabétique (2 ; 2)

Il ressort du travail de Harris que, dans les deux populations, les aides externes sont plus souvent utilisées que les aides internes. Ce résultat avait aussi été mis en évidence chez des enfants de 5 à 10 ans par Kreutzer, Leonard et Flavell (1975), mais aussi par Park, Smith et Cavanaugh (1990) chez différentes catégories de chercheurs. Interrogés sur la fréquence d'utilisation d'une liste d'aides mnésiques classées comme internes et externes, les spécialistes de la mémoire ont tendance à favoriser les aides externes, tout comme les chercheurs d'autres spécialités. D'après Park et al. (1990), la métamémoire des spécialistes de la mémoire n'est pas différente de celle des sujets naïfs. Les légères différences observées entre spécialistes et non-spécialistes se manifestent quand les sujets utilisent leurs connaissances scientifiques pour émettre leur jugement. Par exemple, ils ont tendance à conseiller à un personnage fictif d'employer les aides basées sur les propriétés du fonctionnement de la mémoire (plus d'organisation que de répétition). Dans l'étude de Harris, les jeunes disent principalement utiliser des aides internes au moment de la récupération. Il semble qu'elles soient un recours en cas d'échec mnésique. Cela montre que les moyens mnémotechniques élaborés sont loin d'être populaires chez les étudiants d'université. L'échantillon de femmes répond similairement bien que les aides externes qu'elles utilisent soient différentes de celles des étudiants : elles préfèrent les journaux personnels, les calendriers, les listes de courses et les alarmes de cuisine alors que les étudiants disent plus souvent prendre des notes et poser les objets à un endroit précis. Ces données subjectives se conforment à la réalité car elles reproduisent bien les habitudes de deux populations distinctes aussi bien du point de vue de leurs activités que de leur âge.

De plus, des questions ouvertes sur l'utilisation d'autres stratégies révèlent que :

  • peu de personnes disent utiliser des méthodes sans lien avec l'information à mémoriser (e.g., faire un noeud à son mouchoir), qui rappellent à l'utilisateur qu'il devait se souvenir de quelque chose ; ce genre d'aide ne satisfait pas le critère de spécificité qui voudrait qu'une stratégie externe efficace ait un lien direct avec l'objet auquel elle se rapporte ;

  • les étudiants rapportent plus d'aides utiles pour enregistrer quelque chose en mémoire ; Harris trouve que cela reflète leurs activités quotidiennes d'apprentissages scolaires. Par contre, les femmes explicitent des aides internes plus spécifiques à leurs habitudes ménagères : compter le nombre de choses à acheter, imaginer ce qu'il manque dans les différents emplacements de la maison, parcourir une liste d'éléments de base ou classés par repas...

  • peu de nouvelles stratégies de récupération sont mentionnées par rapport à la liste fournie par l'auteur.