2.1.1011Métacognition

Le concept de métacognition fait référence à la capacité spécifiquement humaine de pouvoir connaître ses propres actes de connaissance (Maturana et Varela, 1992 ; Morin, 1986 ; Nguyen-Xuan, 1990). Il s'apparente à celui de théorie de l'esprit qui exprime mieux la manière dont s'acquiert et se structure progressivement le savoir sur les mécanismes mentaux (Flavell, 1999). Wellman (1985) dégage cinq groupes de connaissances imbriquées nécessaires pour la construction d'une théorie complète de l'esprit :

  1. Existence : le sujet doit reconnaître l'existence indépendante d'états internes qu'il faut différencier des actions et événements externes. Cette connaissance permet de comprendre des notions comme le mensonge, où l'état interne ne correspond pas au comportement extériorisé. Wellman précise que les jeunes enfants (4 ans) ont tendance à utiliser les termes mentaux (se souvenir, oublier...) sur la base de la réalité observable (performance) plutôt que sur la base de la réalité interne. Toutefois, il souligne aussi que les enfants de 2-3 ans font la différence entre le monde physique des comportements et le monde mental.

  2. Diversité des actes mentaux : le sujet doit être capable de saisir les différences entre les processus cognitifs, par exemple entre savoir, se souvenir, oublier ou deviner.

  3. Intégration : le sujet doit saisir la relation qui unit les actes mentaux et qui donne une spécificité à l'esprit, par exemple savoir que les actes mentaux se situent dans le cerveau et sont globalement différents d'autres fonctions internes comme la digestion ou le fonctionnement cardiaque.

  4. Variables : le sujet doit savoir que les processus cognitifs sont influencés par une variété de facteurs qui déterminent leurs déroulements et leurs issues.

  5. Gestion et contrôle cognitifs : le sujet sait qu'il peut examiner ses processus internes pour en dégager le contenu.

C'est à Flavell (1971, 1976, 1981, 1987, Flavell et Wellman, 1977) que revient la première conceptualisation de la métacognition. Cette dernière « ‘se rapporte à la connaissance qu'on a de ses propres processus cognitifs, de leurs produits et de tout ce qui y touche, par exemple, les propriétés pertinentes pour l'apprentissage d'information ou de données [...]. La métacognition se rapporte entre autres choses, à la surveillance active, à la régulation et l'orchestration de ces processus en fonction des objets cognitifs ou des données sur lesquels ils portent, habituellement pour servir un but ou un objectif concret’» (1976, p.232).

Dans son modèle du contrôle cognitif de 1979, Flavell conçoit l'existence de quatre classes de phénomènes : les buts cognitifs, qui déclenchent et maintiennent les activités, les actions cognitives, ou moyens mis en oeuvre pour atteindre les buts (stratégies), les connaissances métacognitives, portant sur l'ensemble des facteurs qui influencent le fonctionnement cognitif et sur leur mode d'accomplissement, et les expériences métacognitives, qui émergent au cours de la réalisation des tâches, en réaction aux actions effectuées. Ces dernières sont des expériences cognitives et affectives conscientes. Parmi les connaissances métacognitives relatives aux variables qui influencent la performance cognitive, on distingue classiquement celles qui ont trait au « sujet» , celles qui ont trait aux « tâches et matériel» et celles qui ont trait aux « stratégies» (Flavell et Wellman, 1977).

Richard (1990a, 1990b) conçoit la métacognition comme la connaissance que possède le sujet sur les conditions de fonctionnement des systèmes de traitement et qui résulte dans le choix de stratégies appropriées. Mais cette connaissance n'est pas la seule source de contrôle de l'activité ; une part importante revient aux informations que le sujet découvre dans chaque situation qu'il rencontre ; cet aspect, qui souligne l'interaction entre le sujet et la tâche, évoque la notion d'expériences métacognitives. De plus, une part importante du contrôle provient de variables motivationnelles comme l'importance ou valence d'une tâche et l'espérance de succès. Nous verrons plus particulièrement que les croyances d'auto-efficacité et les modes d'attribution des performances contribuent grandement à l'engagement du sujet dans une tâche et aux efforts déployés vers la réussite.

Brown (1978, 1980) apporte une description plus précise des connaissances métacognitves en distinguant celles qui sont statiques et qui peuvent être exprimées verbalement par le sujet, de celles qui sont dynamiques (stratégiques), c'est-à-dire mises en oeuvre pour réguler et modifier le déroulement des activités cognitives (planification, prédiction, surveillance, évaluation...). Les premières sont stables, se développent tardivement et peuvent être erronées (croyances). Les secondes sont instables, implicites, et relativement indépendantes de l'âge. Lafortune et Saint-Pierre (1998) font une distinction similaire en considérant que les connaissances métacognitives représentent l'aspect déclaratif de la métacognition alors que les connaissances utilisées dans la gestion des activités mentales représentent l'aspect procédural de la métacognition59 (voir aussi, Chi, 1984). S'il est pertinent de caractériser la connaissance métacognitive, il est encore plus important pour Brown d'étudier la manière dont cette connaissance est utilisée.

Tableau II. 1 : Les types de métacognition (d'après Noël, 1997, p.9).


Modalité
Objet 1.
Mémoire
2.
Compréhension
3.
Résolution de problème
Activités cognitives sur son propre processus mental et sur les produits de son propre processus mental 1 2 3
Activités cognitives sur les propriétés pertinentes de l'information ou des données de l'apprentissage 4 5 6
Régulation 7 8 9

Noël (1997) s'est attachée à préciser la définition de la métacognition en distinguant les connaissances portant sur les processus de mémoire (métamémoire), de compréhension (métacompréhension) ou de résolution de problème (métarésolution de problème)60. La définition originale de Flavell devrait s'appliquer indépendamment à chacun de ces domaines et aboutir ainsi à plusieurs types de métacognition (Tableau II. 1).

Cependant, Noël (1995/1999 ; 1997) ne considère pas que les connaissances générales sur les processus mentaux, sur les stratégies, sur les facteurs influençant ces processus, ou les jugements émis sur les caractéristiques du matériel à traiter relèvent du domaine de la métacognition (cases 4,5 et 6 du tableau). Pour elle, la métacognition ne peut se rapporter qu'aux processus effectivement mis en oeuvre par un sujet donné dans une tâche donnée (cases 1, 2, et 3) : « ‘la métacognition est un processus mental dont l'objet est soit une activité cognitive, soit un ensemble d'activités cognitives que le sujet vient d'effectuer ou est en train d'effectuer, soit un produit mental de ces activités cognitives. La métacognition peut aboutir à un jugement (habituellement non exprimé) sur la qualité des activités mentales en question ou de leur produit et éventuellement à une décision de modifier l'activité cognitive, son produit ou même la situation qui l'a suscitée’» (p.19). Son modèle préconise trois étapes dans le processus de métacognition (Figure 2. 1) :

  • le processus métacognitif ou la conscience des activités en cours ou de leur produit mental (le produit n'est pas équivalent à la réponse du sujet mais lui est antérieur ; c'est une représentation ou un opérateur),

  • le jugement métacognitif (exprimé ou non) sur l'activité ou son produit,

  • la décision métacognitive de modifier ou non les activités cognitives, leurs produits ou les éléments situationnels en fonction du résultat du jugement. Si le processus comporte les trois étapes, on parle de métacognition régulatrice. Après la régulation, le sujet peut encore émettre un jugement métacognitif sur le résultat de son action (confiance dans la réponse). La métacognition est donc à l'origine des activités régulatrices (cases 7, 8 et 9 du tableau) mais ne les englobe pas. Elle se caractérise par sa dimension mentale et n'est jamais comportementale.

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Figure 2. 1 : Processus métacognitif (d'après B. Noël, 1997, p.19)

D'après Nelson et Narens (1990, 1994), un système métacognitif possède deux caractéristiques principales (Figure 2. 2, ci-après)). Premièrement, il se structure en au moins deux niveaux de processus cognitifs : le niveau de l'objet61 et le méta-niveau qui contient lui-même un modèle imparfait du niveau de l'objet. Deuxièmement, il existe une relation de dominance entre les deux niveaux qui spécifie la direction du flux d'information. Cette seconde caractéristique permet de distinguer des mécanismes de monitoring (ou surveillance) et des mécanismes de contrôle indépendants. Dans le premier cas, l'information se déplace du niveau de l'objet au méta-niveau alors que dans le second, l'information se déplace en sens inverse. La notion de monitoring suggère que le méta-niveau est informé par ce qui se passe au niveau de l'objet, ce qui contribue à modifier le modèle de la situation construit au sein du méta-niveau. La notion de contrôle implique une modification des processus au niveau de l'objet, en initiant, modifiant ou terminant une action.

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Figure 2. 2 : Système métacognitif (adapté de Nelson et Narens, 1994, p.11)

Certains auteurs accordent une place non négligeable aux facteurs affectifs dans la métacognition (Lafortune et Saint-Pierre, 1998 ; Noël, 1997). Par exemple, Lafortune et Saint-Pierre (1998) conçoivent trois composantes de la métacognition : les connaissances (sujet, tâche, stratégies), la gestion de l'activité mentale (planification, surveillance et régulation) et la prise de conscience de l'activité mentale. Cette dernière contribue à l'enrichissement des connaissances métacognitives et semble être très proche de la notion d'expérience métacognitive de Flavell (1981). Leur point de vue intègre notamment, parmi les connaissances métacognitives, celles qui portent sur les stratégies affectives efficaces pour résoudre une tâche (e.g., anticipation d'un renforcement positif). De plus, les auteurs soulignent que le concept de métacognition ne peut pas être considéré indépendamment de l'affectivité. Considérons par exemple le concept d'estime de soi (Legendre, 1993) qui correspond à « ‘la valeur qu'un individu s'accorde globalement’» (p.560) et qui provient de la confiance qu'il attribue à son efficacité (soi adaptatif de L'Ecuyer, 1978). Il est évident qu'une tendance positive ou négative sur cette dimension affectera de façon marquée l'auto-évaluation, la planification des performances et l'engagement dans les tâches cognitives.

Les éléments essentiels du concept de métacognition qui émergent de cet ensemble de définitions, parfois divergentes, peuvent être résumés à :

  • une composante de connaissance ou modèle de fonctionnement du système,

  • une composante de surveillance des activités en cours et de leurs produits,

  • une composante de décision et de contrôle exercé sur les processus cognitifs,

  • une composante affective associée globalement aux évaluations et une composante motivationnelle associée à l'atteinte des objectifs cognitifs.

Notes
59.

Cette distinction est analogue à celle, désormais établie dans les modèles de la mémoire, entre connaissances déclaratives et connaissances procédurales (Squire, 1986).

60.

Yussen (1985) ajoute la notion de méta-attention pour faire référence à la connaissance des conditions optimales qui réduisent la distractibilité lors de la réalisation d'un acte cognitif et à la capacité de contrôle des processus attentionnels (Miller, 1985). En bref, le préfixe « méta» peut être appliqué à tous les actes cognitifs (Gavelek et Raphael, 1985).

61.

Le niveau de l'objet doit être conçu ici comme le niveau des processus cognitifs, qui peut lui-même être un méta-niveau pour un autre niveau d'objets, par exemple le monde extérieur.