2.1.2.2011Origines : psychologie du développement

Les premiers chercheurs intéressés par le concept de métamémoire exerçaient dans le champ de la psychologie développementale (Flavell et Wellman, 1977 ; Brown, 1978). La métamémoire a été étudiée abondamment sous cet angle car l'apparition de la capacité à pouvoir raisonner sur ses propres actes de pensée est nécessairement progressive. Un moyen de déterminer les propriétés de la métamémoire consiste effectivement à étudier comment elle s'installe chez l'enfant. Notre objectif présent n'est pas de présenter une revue exhaustive des recherches qui ont été menées chez l'enfant. Néanmoins, certains résultats apparaîtront dans la suite du travail, par exemple, lorsque nous examinerons les relations qu'entretiennent métamémoire et performance. Dans l'immédiat, il nous semble nécessaire de positionner le concept de métamémoire dans son contexte initial d'étude.

Flavell et Wellman (1977) soulignent quatre types de phénomènes qui ont une importance dans le développement même de la mémoire : les processus mnésiques de base, les connaissances déjà acquises qui influencent les nouveaux apprentissages, les stratégies de mémorisation qui s'acquièrent pour répondre à des buts mnémoniques précis, la métamémoire qui regroupe la sensibilité mnémonique et l'ensemble des connaissances et croyances sur le fonctionnement de la mémoire, sur les caractéristiques du matériel à apprendre et sur les stratégies.

La métamémoire occupe ainsi une position centrale dans le développement de la mémoire, notamment par l'influence qu'elle exerce sur l'utilisation de stratégies destinées à améliorer le niveau de performance, donc à servir des objectifs d'apprentissage (Wellman, 1977). Ce point de vue se distingue considérablement de l'approche piagétienne et se rapproche plutôt de celle de Vygotsky (1978).

Piaget voit le développement cognitif comme une série de restructurations des modes de pensée antérieurs qui, lors des étapes ultimes, reposent partiellement sur la capacité à utiliser la pensée comme le sujet d'une autre pensée. Le processus d'abstraction réfléchissante permet au sujet d'incorporer des généralisations et des régularités sur la mémoire à travers son utilisation (Flavell et Wellman, 1977 ; Cavanaugh et Perlmutter, 1982). Piaget n'a cependant jamais mentionné que la connaissance de la mémoire était cruciale pour le développement de la mémoire. Ses discussions (Piaget et Inhelder, 1968) ignorent même largement les changements dans la connaissance de la mémoire avec l'âge. Il se centre plutôt sur le développement des structures logiques du contenu mnésique. Pour l'école piagétienne, le développement précède et détermine l'apprentissage en ce qu'un enfant ne peut pas acquérir une connaissance qui n'est pas congruente avec la connaissance déjà acquise. Plus que la connaissance que possède le sujet de sa propre mémoire, ce sont les préacquis qui déterminent les apprentissages futurs (les connaissances de Flavell).

Le point de vue de Vygotsky (1978) à ce sujet est différent de celui de Piaget et se résume en posant que l'apprentissage précède et détermine le développement car il existe des activités que l'enfant réalise seul et qui montrent son niveau de développement alors qu'au même moment, l'enfant est capable d'atteindre des niveaux de performance plus élevés s'il est assisté par un adulte (Day, 1983).

En considérant les apports de ces deux courants de pensée, il apparaît vraisemblable que la métamémoire se développe d'abord à partir de l'expérience du sujet63, de la réalisation répétée d'opérations mnésiques, des réactions adoptées dans les situations antérieures, et des observations faites sur son entourage et sur lui-même. L'utilisation quotidienne de la mémoire permet aux enfants d'incorporer peu à peu les régularités et de construire des généralisations sur le fonctionnement mnésique. La performance (processus et résultat du processus) influencerait donc le développement de la métamémoire grâce notamment à la prise de conscience.

Mais, d'autre part, l'entourage familial et social (parents, éducateurs) joue un rôle majeur dans le développement des compétences métacognitives, notamment en fournissant un encadrement qui permet une régulation des activités et en offrant à l'enfant la possibilité de les imiter. A travers ces processus, les adultes assistent les enfants dans l'atteinte de buts qu'ils ne peuvent définir eux-mêmes ; ils font office de métacognition (Day et al., 1985) ; cette métacognition « externe» favoriserait à la fois les apprentissages – en anticipant sur le développement (notion de zone de développement proximal) – et la prise de conscience des phénomènes de mémoire.

Enfin, à un stade de développement plus tardif, la métamémoire « intériorisée» déterminerait le niveau de performance grâce à l'utilisation des connaissances engrangées sur les règles de fonctionnement du système et à travers des procédures exécutives adaptées.

L'existence d'évolutions asynchrones et imbriquées de la capacité mnésique et de la métamémoire conduit nécessairement à des différences dans les configurations de relations entre les deux phénomènes. C'est probablement ce qui a conduit Flavell et Wellman (1977) à reconnaître la nécessité d'explorer les relations entre mémoire et métamémoire, mais en précisant que l'on ne doit pas s'attendre à trouver une forte connexion entre elles, car une quantité de facteurs viennent moduler la force de cette connexion ; par exemple, l'âge des sujets, les caractéristiques des tâches, le niveau de motivation, la capacité à déployer des efforts... sont autant de variables qui peuvent potentiellement agir sur le degré de relation entre la connaissance du système et le résultat de ses actions.

Prenons quelques exemples...

  1. Une corrélation positive peut être trouvée entre la performance et la qualité de la métamémoire uniquement chez les enfants d'un certain âge, suggérant un effet de la connaissance sur la performance à condition que le sujet ait acquis un certain niveau de développement cognitif. Par exemple, dans une tâche de tri d'items catégorisables lors de l'étude, il existe une connexion assez étroite entre la métamémoire (connaissance de la stratégie la plus adaptée) et le comportement mnésique après l'âge de dix ans. Interrogés après un test de mémoire, les enfants plus jeunes préfèrent des stratégies moins sophistiquées et moins efficaces (répétition), même s'ils ont été encouragés à utiliser une stratégie d'encodage, le regroupement sémantique, qui s'est pourtant révélée bénéfique (Cox et Paris, 1979).

  2. Une relation positive entre connaissance et performance peut être conditionnée par la tâche critère utilisée pour mesurer la performance (présence d'une relation en rappel libre mais pas en reconnaissance ; Levin, Yussen, DeRose et Pressley, 1977) ou par le moment de l'administration du questionnaire de métamémoire utilisé pour évaluer l'état de la connaissance (corrélation observée à condition que le questionnaire de métamémoire soit présenté après la réalisation de la tâche ; Andreassen et Waters, 1989).

Il conviendra donc de se souvenir des précautions formulées par Flavell et Wellman en examinant l'hypothèse forte induite par le concept de métamémoire et que nous allons examiner ci-après.

Notes
63.

La métamémoire vient nécessairement après la mémoire.