La psychologie du jugement indique que les personnes sont particulièrement sensibles à certains biais, notamment lorsqu'elles doivent estimer les probabilités associées à l'occurrence des événements dans les situations d'incertitude, notamment dans les situations de prédiction.
Afin de rendre compte des erreurs systématiques observées dans les estimations de probabilités, Kahneman et Tversky (1972, 1973 ; Tversky et Kahneman, 1973, 1974, 198266) proposent la notion d'heuristique. Les heuristiques peuvent se définir comme « ‘des procédures d'élaboration de réponse dont la justification n'est pas rigoureuse mais qui sont habituellement efficaces’» (Caverni, 1990, p. 136). En réalité, ces heuristiques ne sont pas toujours efficaces et leur mise en oeuvre aboutit à des biais ou erreurs systématiques de jugements.
Au moins trois biais ont été recensés qui peuvent très bien s'exporter dans le domaine des jugements de métamémoire.
Le biais d'accessibilité (Tversky et Kahneman, 1973) se produit quand le sujet assigne une valeur de fréquence à un événement selon la facilité avec laquelle il peut générer des exemples de cet événement. La probabilité réelle se trouve surestimée si l'activation d'exemplaires est aisée et se trouve sous-estimée s'il est difficile d'accéder à de tels exemplaires.
Par exemple, Bennett-Levy et Powell (1980) trouvent que pour 26 items d'auto-évaluation sur 43, les sujets s'attribuent une qualité mnésique significativement supérieure au point central de l'échelle. Ce phénomène est identifié comme un biais typique de surestimation. D'après les auteurs, il faut considérer que les items pour lesquels les sujets jugent leur mémoire comme inférieure à la moyenne sont des situations où les échecs sont plus facilement activés (noms des gens, blagues, rêves, noms de rues...). Inversement, les items qui reçoivent une note supérieure au point médian (moyenne théorique) sont ceux où la production d'exemples de réussite est plus facile (rendez-vous, visages, transmettre un message...). Ce qui différencie ces deux types de situations relève de la signification et du degré d'abstraction de l'information à retenir : en effet, les noms propres ou les rêves sont généralement peu liés à leur signifié et la mémoire des blagues nécessite une analyse en profondeur des données. Inversement, la mémoire des rendez-vous, des visages et des messages est généralement liée à une forte implication du sujet et porte sur des informations hautement intégrées. A un second niveau d'analyse, on peut considérer que de telles données sont une preuve de l'existence d'une perception adéquate du fonctionnement mnésique (au niveau du groupe). Effectivement, le degré de signification (niveau de traitement) du matériel à mémoriser est un des plus fiables prédicteurs de la performance mnésique.
Le biais de représentativité (Khaneman et Tversky, 1973) se manifeste lorsque le sujet base son jugement sur la ressemblance d'une donnée avec sa classe d'appartenance. Ainsi par exemple, confrontés au portrait (description verbale neutre) d'une personne issue d'un groupe comportant soit 70 ingénieurs et 30 juristes, soit 30 ingénieurs et 70 juristes, les sujets tendent à estimer avec la même probabilité (.50) qu'il exerce la profession d'ingénieur, indépendamment de la probabilité réelle au sein de la population de base. En l'absence de portrait inducteur, les sujets basent leurs jugements sur les probabilités originales de façon correcte. L'heuristique de représentativité se produit aussi systématiquement dans les situations d'évaluation du caractère aléatoire d'une série d'événements. Pour prendre l'exemple du jeu de « pile ou face» , les personnes ont plus tendance à dire que la série « P-F-P-F-F-P» reflète le hasard que la série « P-P-P-F-F-F» , alors qu'en réalité, une séquence localement représentative n'est pas conforme à une distribution aléatoire. Les sujets pensent donc que le hasard se manifeste nécessairement par l'alternance entre les « piles» et les « faces» et en conséquence, imaginent que les différents tirages ne sont pas indépendants (après un « pile» , il y a plus de chance d'obtenir un « face» ).
Le troisième et dernier biais qui peut se manifester dans les jugements est l'ajustement-ancrage (Tversky et Kahneman, 1974). Quand une personne doit estimer une valeur, elle effectue souvent son jugement à partir d'une autre valeur qui sert de point de référence et qui est procurée par l'environnement ou partiellement calculée par elle-même. L'effet du choix de tel ou tel point de départ influence l'estimation finale de façon systématique et aboutit à une réponse erronée. Tversky et Kahneman (1974) donnent l'illustration suivante : deux groupes de sujets doivent estimer la valeur (40320) du produit (8*7*6*5*4*3*2*1) ou du produit (1*2*3*4*5*6*7*8) en un temps limité ne permettant qu'un calcul partiel. Tous les sujets sous-estiment le produit final, ce qui montre l'insuffisance des ajustements. Cependant, les estimations données par les deux groupes sont très différentes (respectivement, 2250 et 512) et témoignent de l'effet d'une valeur d'ancrage provenant du calcul des premiers termes de la multiplication. Dans les jugements d'auto-évaluation, la démonstration expérimentale des biais d'ancrage est particulièrement aisée ; notamment, lorsqu'une série d'évaluations est demandée, les sujets tendent à ajuster leurs réponses sur leur jugement initial (Mauchand, sous presse).
La considération d'éventuels biais dans les jugements provenant de la mise en oeuvre d'heuristiques habituellement utiles et efficaces pour traiter rapidement des informations s'impose dans les recherches sur la métamémoire. En effet, les sujets sont systématiquement soumis à des activités de jugements. Les différents biais cognitifs pourraient permettre de donner une explication plausible à une éventuelle absence de relation entre l'auto-évaluation de la mémoire et la performance réelle, notamment dans le cas où les heuristiques ne sont pas utilisées de façon similaire par tous les sujets d'un même échantillon.
Tous ces documents sont intégralement ou partiellement présentés dans le recueil de Kahneman, Slovic, Tversky (1982).