2.2.2.1011De nombreuses difficultés

La principale critique adressée aux recherches sur la métamémoire se fonde sur l'utilisation massive de techniques introspectives. On se défendra en soulignant avec Cavanaugh et Perlmutter (1982) que ces méthodes sont utilisées dans les domaines de la personnalité, de la clinique, de la psychophysique et des attitudes (p.12). Par ailleurs, elles se multiplient aujourd'hui en psychologie cognitive, notamment dans l'étude des mécanismes de résolution de problème, avec l'analyse exhaustive des protocoles verbaux individuels (Caverni, 1989).

Les rapports verbaux ou verbalisations constituent le moyen principal d'accès aux connaissances des sujets sur leur propre mémoire, et de manière plus générale, à la connaissance de soi. Ils traduisent les analyses introspectives faites par le sujet, ce qui leur confère d'emblée un certain nombre de limites.

En sus de difficultés purement linguistiques d'utilisation, de connaissance, de compréhension et d'interprétation d'une langue (par exemple chez les jeunes enfants) et des différences interindividuelles dans ce domaine, il faut souligner l'éventualité que les mots puissent ne pas traduire exactement la pensée de l'émetteur. Ce problème est celui de la fiabilité des verbalisations. De plus, on n'est pas toujours assuré de leur exactitude. En effet, pour diverses raisons, ce qui est dit sur les processus internes peut ne pas correspondre du tout avec les processus véritablement en jeu. Cette inexactitude peut provenir d'un acte plus ou moins délibéré de la part du sujet interrogé : mensonge, production de la réponse qui semble la plus souhaitable (désirabilité sociale67 ; Huteau, 1995), réponse conformiste, réponse ajustée aux intentions présumées du chercheur, activation des théories naïves du sujet pour expliquer ses propres comportements, effets de l'inconscient et des mécanismes de défense... Ces biais de réponse contribuent à détériorer la confiance accordée aux verbalisations (voir Nisbett et Wilson pour une revue, 1977).

Les rapports verbaux dépendent aussi pour une large part des circonstances de leur émission : ils sont susceptibles de donner lieu à des différences intra-individuelles. Les facteurs les plus divers sont à l'origine de ce problème de constance ou fidélité des verbalisations : état interne du sujet aussi bien physique que psychique, disposition à se conformer aux instructions, caractéristiques des tâches, moment de la journée... Une difficulté supplémentaire vient du manque de précision, de la spontanéité et de la rapidité des discours qui ne rendent pas toujours compte de l'intégralité de ce qui est signifié. Enfin, on ne saurait omettre que le fait-même de s'exprimer sur ses propres processus entraîne parfois une réflexion interférente qui modifie le cours de la pensée. Cet effet d'interférence indésirable de l'expression verbale aboutit à la parfaite dissimulation des phénomènes que l'on cherche à atteindre (les processus mentaux).

L'ampleur du problème relatif à l'utilisation des verbalisations semble telle que toute une branche de la psychologie cognitive refuse de l'admettre comme méthode de recueil de données sur les processus mentaux, à l'instar du béhaviorisme. Nisbett et Wilson (1977), par exemple, concluent que les rapports introspectifs ne représentent pas la conscience des processus causaux sous-jacents et qu'ils consistent en des théories de type cause-effet construites par le sujet pour expliquer son propre comportement.

Après avoir considéré plusieurs théories et résultats sur l'imagerie mentale et le raisonnement propositionnel, Evans (1980) atteste que « ‘la pensée mentaliste a des effets indésirables sur la construction et le test de théories en psychologie qui se manifestent de deux façons : (a) en menant à de fausses analogies et à une confiance mal placée dans l'unité de constructions théoriques comme l'imagerie ; et (b) en induisant une mauvaise interprétation des rapports verbaux en tant que descriptions d'un processus mental sous-jacent’» (p.294). Pour cet auteur, il ne s'agit pourtant pas de faire fi des verbalisations accessibles par l'analyse des protocoles individuels dans des tâches de résolution de problème où ils sont la manifestation de processus cognitifs. La seule précaution à prendre est de rejeter l'idée mentaliste selon laquelle les gens sont conscients et peuvent expliquer leurs comportements.

Notes
67.

La désirabilité sociale est le biais par lequel le sujet tente de valoriser son image.